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Full text of "OEuvres de Descartes, publiées"

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OEUVRES  DE 


DESCARTES, 

PUBLIÉES: 


LETTRES 


René  Descartes,  M.  Thomas 
(Antoine  Léonard) 


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DE  DESCARTES. 


TOME  DIXIÈME. 


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DE  L'IMPRIMERIE  DE  LACHEVARDIERE  FILS, 

RUE   DU  COLOMBIER,    If°    3o  ,   A  PARIS. 

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ŒUVRES 

DE  DESCARTES, 


PUBLIÉES 

PAR  VICTOR  COUSIN. 

TOME  DIXIÈME. 


A  PARIS, 

CHEZ  F.  G.  LEVKAULT,  LIBRAIRE, 

RUE  DES   FOSSÉS-MOHSIEUR-LE-PRINCE ,    W°   3l  ; 
ET   A   STRASBOURG,    RUE   DES  JUIFS,  H°  33. 

M.  DCCC.  XXV. 


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LETTRES. 


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ANNÉE  l647- 


A  M.  CHANUT. 

(Lettre  35  du  tome  I.) 

Monsieur, 

L'aimable  lettre  que  je  viens  de  recevoir  de 
votre  part  ne  me  permet  pas  que  je  repose  jus- 
qu'à ce  que  j'y  aie  faijt  réponse,  et  bien  que  vous 
y  proposiez  des  questions  que  de  plus  savants  que 
moi  auroient  bien  de  la  peine  à  examiner  en  peu 
de  temps ,  toutefois  à  cause  que  je  sais  bien  qu'en- 
core que  j'y  en  employasse  beaucoup  jene  les  pour- 
rois  entièrement  résoudre,  j'aime  mieux  mettre 
promptement  sur  le  papier  ce  que  le  zèle  qui  m'in- 
cite me  dictera ,  que  d'y  penser  plus  à  loisir ,  et 
n'écrire  par  après  rien  de  meilleur. 

Vous  voulez  savoir  mon  opinion  touchant  trois 
choses  :  t°  ce  que  c'est  que  l'amour;  20  si  la  seule 
lumière  naturelle  nous  enseigne  à  aimer  Dieu  ; 
5°  lequel  des  deux  dérèglements  et  mauvais  usages 
est  le  pire ,  de  l'amour  ou  de  la  haine. 


4  LETTRES. 

Pour  répondre  au  premier  point,  je  distingue 
entre  l'amour  qui  est  purement  intellectuelle  ou 
raisonnable,  et  celle  qui  est  une  passion;  la  pre- 
mière n'est,  ce  me  semble,  autre  chose  sinon  que, 
lorsque  notre  âme  aperçoit  quelque  bien,  soit  pré- 
sent, soit  absent,  qu'elle  juge  lui  être  convenable, 
elle  se  joint  à  lui  de  volonté,  c'est- à-dire  elle  se  con- 
sidère soi-même  avec  ce  bien-là  comme  un  tout 
dont  il  est  une  partie ,  et  elle  l'autre  ;  en  suite  de 
quoi,  s'il  est  présent,  c'est-à-dire  si  elle  le  possède, 
ou  qu'elle  en  soit  possédée,  ou  enfin  qu'elle  soit 
jointe  à  lui  non  seulement  par  sa  volonté,  mais 
aussi  réellement  et  de  fait,  en  la  façon  qu'il  lui 
convient  d'être  jointe,  le  mouvement  de  sa  volonté 
qui  accompagne  la  connoissance  qu'elle  a  que  ce  lui 
est  un  bien,  est  sa  joie;  et-,  s'il  est  absent,  le  mou- 
vement de  sa  volonté  qui  accompagne  la  connois- 
sance qu'elle  a  d'en  être  privée,  est  sa  tristesse; 
mais  celui  qui  accompagne  la  connoissance  qu'elle 
a  qu'il  lui  seroit  bon  de  l'acquérir,  est  son  désir. 
Et  tous  ces  mouvements  de  la  volonté  auxquels 
consistent  l'amour,  la  joie,  et  la  tristesse,  et  le  dé- 
sir, en  tant  que  ce  sont  des  pensées  raisonnables, 
et  non  point  des  passions,  se  pourroient  trouver  en 
notre  âme, encore  qu'elle  n%ut  point  de  corps;  car, 
par  exemple,  si  elle  s'apercevoit  qu'il  y  a  beaucoup 
de  choses  à  connoître  en  la  nature  qui  sont  fort 
belles,  sa  volonté  se  porteroit  infailliblement  à  ai- 


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LETTRES.  5 

mer  la  connoissance  de  ces  choses,  c'est-à-dire  à  la 
considérer  comme  lui  appartenant  ;  et  si  elle  re- 
marquoit  avec  cela  qu'elle  eût  cette  connoissance, 
elle  en  auroit  de  la  joie;  si  elle  considéroit  quelle 
ne  l'eût  pas,  elle  en  auroit  de  la  tristesse;  si  elle 
pensoit  qu'il  lui  seroit  bon  de  l'acquérir,  elle  en 
auroit  du  désir.  Et  il  n'y  a  rien  eu  tous  ces  mou- 
vements de  sa  volonté  qui  lui  fût  obscur ,  ni  dont 
elle  n'eût  une  très  parfaite  connoissance ,  pourvu 
qu'elle  fit  réflexion  sur  ses  pensées.  Mais  pen- 
dant que  notre  âme  est  jointe  au  corps,  cette 
amour  raisonnable  est  ordinairement  accompa- 
gnée de  l'autre ,  qu'on  peut  nommer  sensuelle  ou 
sensitive,  et  qui,  comme  j'ai  sommairement  dit 
de  toutes  les  passions  ,  appétits  et  sentiments,  en 
la  page  46 1  de  mes  Principes  françois,  n'est  autre 
chose  qu'une  pensée  confuse  excitée  en  l'âme  par 
quelque  mouvement  des  nerfs,  laquelle  la  dispose 
à  cette  autre  pensée  plus  claire  en  qui  consiste 
l'amour  raisonnable.  Car,  comme  en  la  soif,  le 
sentiment  qu'on  a  de  la  sécheresse  du  gosier  est 
une  pensée  confuse  qui  dispose  au  désir  de  boire , 
mais  qui  n'est  pas  ce  désir  même  ;  ainsi  en  l'amour 
on  sent  je  ne  sais  quelle  chaleur  autour  du  cœur, 
et  une  grande  abondance  de  sang  dans  le  poumon, 
qui  fait  qu'on  ouvre  même  les  bras  comme  pour 
embrasser  quelque  chose,  et  cela  rend  l'âme  en- 
cline à  joindre  à  soi  de  volonté  l'objet  qui  se  pré* 


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6  LETTRES; 

sente.  Mais  la  pensée  par  laquelle  l'âme  sent  cette 
chaleur  est  différente  de  celle  qui  la  joint  à  cet 
objet;  et  même  il  arrive  quelquefois  que  ce  sen- 
timent d'amour  se  trouve  en  nous  sans  que  notre 
volonté  se  porte  à  rien  aimer ,  à  cause  que  nous 
ne  rencontrons  point  d'objet  que  nous  pensions 
en  être  digne.  Il  peut  arriver  aussi ,  au  contraire , 
que  nous  connoissions  un  bien  qui  mérite  beau- 
coup ,  et  que  nous  nous  joignions  à  lui  de  volonté , 
sans  avoir  pour  cela  aucune  passion ,  à  cause  que 
le  corps  n'y  est  pas  disposé.  Mais  pour  l'ordinaire 
ces  deux  amours  se  trouvent  ensemble  :  car  il  y  a 
une  telle  liaison  entre  l'une  et  l'autre ,  que  lorsque 
l'âme  juge  qu'un  objet  est  digne  d'elle,  cela  dispose 
incontinent  le  cœur  aux  mouvements  qui  excitent 
la  passion  d'amour ,  et  lorsque  le  cœur  se  trouve 
ainçi  disposé  par  d'autres  causes ,  cela  fait  que  l'âme 
imagine  des  qualités  aimables  en  des  objets  où 
elle  ne  verroit  que  des  défauts  en  un  autre  temps. 
Et  ce  n'est  pas  merveille  que  certains  mouvements 
de  cœur  soient  ainsi  naturellement  joints  à  cer- 
taines pensées ,  avec  lesquelles  ils  n'ont  aucune 
ressemblance;  car  de  ce  que  notre  âme  est  de  telle 
nature  qu'elle  a  pu  être  unie  à  un  corps,  elle  a 
aussi  cette  propriété  que  chacune  de  ses  pensées 
se  peut  tellement  associer  avec  quelques  mouve- 
ments ou  autres  dispositions  de  ce  corps,  que 
lorsque  les  mêmes  dispositions  se  trouvent  une 


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LETTRES.  7 

autre  fois  en  lui ,  elles  induisent  lame  à  la  même 
pensée ,  et  réciproquement  lorsque  la  même  pen- 
sée revient,  elle  prépare  le  corps  à  recevoir  la 
même  disposition.  Ainsi ,  lorsqu'on  apprend  une 
langue,  on  joint  les  lettres  ou  la  prononciation  de 
certains  mots  qui  sont  des  choses  matérielles,  avec 
leurs  significations  qui  sont  des  pensées  :  en  sorte 
que  lorsqu'on  oit  après  derechef  les  mêmes  mots, 
on  conçoit  les  mêmes  choses  ;  et  quand  on  conçoit 
les  mêmes  choses ,  on  se  ressouvient  des  mêmes 
mots.  Mais  les  premières  dispositions  du  corps  qui 
ont  ainsi  accompagné  nos  pensées  lorsque  nous 
sommes|  entrés  au  monde  ont  dû  sans  doute  se 
joindre  plus  étroitement  avec  elles  que  celles  qui 
les  accompagnent  par  après.  Et  pour  examiner 
l'origine  de  la  chaleur  qu'on  sent  autour  du  cœur, 
et  celle  des  autres  dispositions  du  corps  qui  ac- 
compagnent  l'amour ,  je  considère  que  dès  le  pre- 
mier moment  que  notre  âme  a  été  jointe  au  corps, 
il  est  vraisemblable  qu'elle  a  senti  de  la  joie ,  et 
incontinent  après  de  l'amour ,  puis  peut-être  aussi 
de  la  haine  et  de  la  tristesse  ;  et  que  les  mêmes  dis- 
positions du  corps  qui  ont  pour  lors  causé  en  elle 
ces  passions ,  en  ont  naturellement  par  après  ac- 
compagné les  pensées.  Je  juge  que  sa  première  pas- 
sion a  été  la  joie ,  pourcequ'il  n'est  pas  croyable 
que  l'âme  ait  été  mise  dans  le  corps ,  sinon  lors- 
qu'il a  été  bien  disposé,  et  que  lorsqu'il  est  ainsi 


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8  LETTRES. 

bien  disposé,  cela  nous  donne  naturellement  de  la 
joie.  Je  dis  aussi  que  l'amour  est  venue  après ,  à 
cause  que  la  matière  de  notre  corps  s'écoulant  sans 
cesse,  ainsi  que  l'eau  d'une  rivière ,  et  étant  besoin 
qu'il  en  revienne  d'autre  en  sa  place,  il  n'est  guère 
vraisemblable  que  le  corps  ait  été  bien  disposé ,  qu'il 
n'y  ait  eu  aussi  proche  de  lui  quelque  matière  fort 
propre  à  lui  servir  d'aliment ,  et  que  l'âme  se  joi- 
gnant de  volonté  à  cette  nouvelle  matière ,  a  eu 
pour  elle  de  l'amour  ;  comme  aussi  par  après  s'il 
est  arrivé  que  cet  aliment  ait  manqué ,  l'âme  en  a 
eu  de  la  tristesse  ;  et  s'il  en  est  venu  d'autre  en  sa 
place  qui  n'ait  pas  été  propre  à  nourrir  Iç  corps , 
elle  a  eu  pour  lui  de  la  haine. 

Voilà  les  quatre  passions  que  je  crois  avoir  été 
en  nous  les  premières ,  et  les  seules  que  nous  avons 
eues  avant  notre  naissance  ;  et  je  crois  aussi  qu'elles 
n'ont  été  alors  que  des  sentiments  ou  des  pensées 
fort  confuses,  pourceque  l'âme  étoit  tellement  at- 
tachée à  la  matière ,  qu'elle  ne  pouvoit  encore  va- 
quer à  autre  chose  qu'à  en  recevoir  les  diverses 
impressions  ;  et  bien  que  quelques  années  après 
elle  ait  commencé  à  avoir  d'autres  joies  et  d'autres 
amours  que  celles  qui  ne  dépendent  que  de  la 
bonne  constitution  et  convenable  nourriture  du 
corps ,  toutefois  ce  qu'il  y  a  eu  d'intellectuel  en 
ses  joies  ou  amours  a  toujours  été  accompagné 
des  premiers  sentiments  qu'elle  en  avoit  eus,  et 


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LETTRES.  9 

même  aussi  des  mouvements  ou  fonctions  natu- 
relles qui  étoient  alors  dans  le  corps;  en  sorte  que 
d'autant  que  l'amour  n'étoit  causée  avant  la  nais- 
sance que  par  un  aliment  convenable  qui ,  entrant 
abondamment  dans  le  foie,  dans  le  cœur  et  dans 
le  poumon ,  y  excitoit  plus  de  chaleur  que  de  cou- 
tume, de  là  vient  que  maintenant  cette  chaleur 
accompagne  toujours  l'âme,  encore  qu'elle  vienne 
d  autres  causes  fort  différentes.  Et  si  je  ne  craignois 
d'être  trop  long,  je  pourrois  faire  voir  par  le 
menu  que  toutes  les  autres  dispositions  du  corps 
qui  ont  été  au  commencement  de  notre  vie  avec 
ces  quatre  passions  les  accompagnent  encore;  mais 
je  dirai  seulement  que  ce  sont  ces  sentiments  con- 
fus de  notre  enfance  qui,  demeurant  joints  avec 
les  pensées  raisonnables  par  lesquelles  nous  aimons 
ce  que  nous  en  jugeons  digne,  sont  cause  que  la 
nature  de  l'amour  nous  est  difficile  à  connoître.  A 
quoi  j'ajoute  que  plusieurs  autres  passions ,  comme 
la  joie,  la  tristesse,  le  désir,  la  crainte,  l'espé- 
rance ,  etc. ,  se  mêlant  diversement  avec  l'amour , 
empêchent  qu'on  ne  reconnoisse  en  quoi  c'est  pro- 
prement qu'elle  consiste.  Ce  qui  est  principale- 
ment remarquable  touchant  le  désir;  car  on  le 
prend  si  ordinairement  pour  l'amour ,  que  cela  est 
cause  qu'on  a  distingué  deux  sortes  d'amours: 
l'une  qu'on  nomme  amour  de  bienveillance,  en 
laquelle  ce  désir  ne  paroît  pas  tant;  et  l'autre 


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ÎO  LETTRES» 

qu'on  nomme  amour  de  concupiscence ,  laquelle 
n'est  qu'un  désir  fort  violent,  fondé  sur  une  amour 
qui  souvent  est  foible. 

Mais  iifaudroit  écrire  un  gros  volume  pour  trai- 
ter de  toutes  les  choses  qui  appartiennent  à  cette 
passion;  et  bien  que  son  naturel  soit  de  faire  qu'on 
se  communique  le  plus  que  l'on  peut,  en  sorte 
qu'elle  m'incite  à  tâcher  ici  de  vous  dire  plus  de 
choses  que  je  n'en  sais ,  je  me  veux  pourtant  rete- 
nir, de  peur  que  la  longueur  de  cette  lettre  ne  vous 
ennuie.  Ainsi  je  passe  à  votre  seconde  question , 
savoir,  si  la  seule  lumière  naturelle  nous  enseigne 
à  aimer  Dieu,  et  si  on  le  peut  aimer  par  la  force 
de  cette  lumière.  Je  vois  qu'il  y  a  deux  fortes  rai- 
sons pour  en  douter.  La  première  est  que  les  attri- 
buts de  Dieu  qu'on  considère  le  plus  ordinaire- 
ment sont  si  relevés  au-dessus  de  nous,  que  nous 
ne  concevons  en  aucune  façon  qu'ils  nous  puissent 
être  convenables ,  ce  qui  est  cause  que  nous  ne 
nous  joignons  point  à  eux  de  volonté  ;  la  seconde 
est  qu'il  n'y  a  rien  en  Dieu  qui  soit  imaginable,  ce 
qui  fait  qu'encore  qu'on  auroit  pour  lui  quelque 
amour  intellectuelle,  il  ne  semble  pas  qu'on  en 
puisse  avoir  aucune  sensitive,  à  cause  qu'elle  de- 
vroit  passer  par  l'imagination  pour  venir  de  l'en- 
tendement dans  le  sens.  C'est  pourquoi  je  ne  m'é- 
tonne pas  si  quelques  philosophes  se  persuadent 
qu'il  n'y  a  que  la  religion  chrétienne  qui,  nous  en- 


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LETTRES.  11 

seignant  le  mystère  de  l'incarnation  par  lequel 
Dieu  s'est  abaissé  jusqu'à  se  rendre  semblable  à 
nous,  fait  que  nous  sommes  capables  de  l'aimer; 
et  que  ceux  qui,  sans  la  connoissance  de  ce  mys- 
tère, ont  semblé  avoir  de  la  passion  pour  quelque 
divinité ,  n'en  ont  point  eu  pour  cela  pour  le  vrai 
Dieu,  mais  seulement  pour  quelques  idoles  qu'ils 
ont  appelées  de  son  nom;  tout  de  même  qu'Ixion, 
au  dire  des  poètes,  embrassoit  une  nue  au  lieu  de 
la  reine  des  dieux.  Toutefois  je  ne  fais  aucun  doute 
que  nous  ne  puissions  véritablement  aimer  Dieu 
par  la  seule  force  de  notre  nature.  Je  n'assure  point 
que  cet  amour  soit  méritoire  sans  la  grâce,  je  laisse 
démêler  cela  aux  théologiens  ;  mais  j'ose  dire  qu'au 
regard  de  cette  vie  c'est  la  plus  ravissante  et  la  plus 
utile  passion  que  nous  puissions  avoir,  et  même 
qu'elle  peut  être  la  plus  forte,  bien  qu'on  ait  be- 
soin pour  cela  d'une  méditation  fort  attentive,  à 
cause  que  nous  sommes  continuellement  divertis 
par  la  présence  des  autres  objets.  Or,  le  chemin 
que  je  juge  qu'on  doit  suivre  pour  parvenir  à  l'a- 
mour de  Dieu  est  qu'il  faut  considérer  qu'il  est  un 
esprit  ou  une  chose  qui  pense,  en  quoi  la  nature 
de  notre  âme  ayant  quelque  ressemblance  avec  la 
sienne,  nous  venons  à  nous  persuader  qu'elle  est 
une  émanation  de  sa  souveraine  intelligence,  et  di- 
vinœ  quasi  parlicula  aura*.  Même,  à  cause  que  notre 
connoissance  semble  se  pouvoir  accroître  par  de- 


12  LETTRES. 

grés  jusqu'à  l'infini,  et  que  celle  de  Dieu  étant  in- 
finie, elle  est  au  but  où  vise  la  nôtre;  si  nous  ne 
considérons  rien  davantage,  nous  pouvons  venir  à 
l'extravagance  de  souhaiter  d'être  dieux ,  et  ainsi  , 
par  une  très  grande  erreur,  aimer  seulement  la  di- 
vinité au  lieu  d'aimer  Dieu.  Mais  si  avec  cela  nous 
prenons  garde  à  l'infinité  de  sa  puissance  par  la- 
quelle il  a  créé  tant  de  choses  dont  nous  ne  som- 
mes que  la  moindre  partie;  à  l'étendue  de  sa  pro- 
vidence, qui  fait  qu'il  voit  d'une  seule  pensée  tout 
ce  qui  a  été,  qui  est,  qui  sera  et  qui  sauroit  être;  à 
l'infaillibilité  de  ses  décrets ,  qui ,  bien  qu'ils  ne  trou- 
blent point  notre  libre  arbitre ,  ne  peuvent  néan- 
moins en  aucune  façon  être  changés;  et  enfin  d'un 
coté  à  notre  petitesse,  et  de  l'autre  à  la  grandeur  de 
toutes  les  choses  créées,  en  remarquant  de  quelle 
sorte  elles  dépendent  de  Dieu,  et  en  les  considérant 
d'une  façon  qui  ait  du  rapport  à  sa  toute-puissance, 
sans  les  enfermer  en  une  boule ,  comme  font  ceux  qui 
veulent  que  le  monde  soit  fini  :  la  méditation  de 
toutes  ces  choses  remplit  un  homme  qui  les  entend 
bien  d'une  joie  si  extrême,  que  tant  s'en  faut  qu'il 
soit  injurieux  et  ingrat  envers  Dieu  jusqu'à  souhai- 
ter de  tenir  sa  place,  il  pense  déjà  avoir  assez  vécu, 
de  ce  que  Dieu  lui  a  fait  la  grâce  de  parvenir  à  de 
telles  connoissances  ;  et ,  se  joignant  entièrement  à 
lui  de  volonté,  il  l'aime  si  parfaitement  qu'il  ne  dé- 
sire plus  rien  au  monde ,  sinon  que  la  volonté  de 


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LETTRES.  iS 

Dieu  soit  faite;  ce  qui  est  cause  qu'il  ne  craint  plus 
ni  la  mort  •  ni  les  douleurs ,  ni  les  disgrâces,  pour- 
cequ'il  sait  que  rien  ne  lui  peut  arriver  que  ce  que 
Dieu  aura  décrété;  et  il  aime  tellement  ce  divin 
décret,  il  l'estime  si  juste  et  si  nécessaire,  il  sait 
qu'il  en  doit  si  entièrement  dépendre,  que  même 
lorsqu'il  en  attend  la  mort,  ou  quelque  autre  mal, 
si  par  impossible  il  pouvoit  le  changer,  il  n'en  au- 
roit  pas  la  volonté.  Mais  s'il  ne  refuse  point  les 
maux  ou  les  afflictions  pourcequ'elles  lui  viennent 
de  la  providence  divine,  il  refuse  encore  moins 
tous  les  biens  on  plaisirs  licites  dont  il  peut  jouir 
en  cette  vie,  pourcequ'ils  en  viennent  aussi;  et  les 
recevant  avec  joie  sans  avoir  aucune  crainte  des 
maux,  son  amour  le  rend  parfaitement  heureux. 
Il  est  vrai  qu'il  faut  que  l'âme  se  détache  fort  du 
commerce  des  sens  pour  se  représenter  les  vérités 
qui  excitent  en  elle  cet  amour,  d'où  vient  qu'il  ne 
semble  pas  qu'elle  puisse  la  communiquer  à  la  fa- 
culté imaginative  pour  en  faire  une  passion.  Mais 
néanmoins  je  ne  doute  point  qu'elle  ne  lui  com- 
munique; car,  encore  que  nous  ne  puissions  rien 
imaginer  de  ce  qui  est  en  Dieu,  lequel  est  l'objet 
de  notre  amour,  nous  pouvons  imaginer  notre 
amour  même,  qui  consiste  en  ce  que  nous  voulons 
nous  unir  à  quelque  objet,  c'est-à-dire  au  regard 
de  Dieu ,  nous  considérer  comme  une  très  petite 
partie  de  toute  l'immensité  des  choses  qu'il  a  créées, 


l4  LETTRES. 

pourceque,  selon  que  les  objets  sont  divers,  on  se 
peut  unir  avec  eux  ou  les  joindre  à  soi  en  diverses 
façons;  et  la  seule  idée  de  cette  union  suffit  pour 
exciter  de  la  chaleur  autour  du  cœur ,  et  causer 
une  très  violente  passion.  Il  est  vrai  aussi  que 
l'usage  de  notre  langue  et  la  civilité  des  compli- 
ments ne  permettent  pas  que  nous  disions  à  ceux 
qui  sont  d'une  condition  fort  relevée  au-dessus  de 
la  nôtre,  que  nous  les  aimons,  mais  seulement  que 
nous  les  respectons,  honorons  et  estimons,  et  que 
nous  avons  du  zèle  et  de  la  dévotion  pour  leur 
service,  dont  il  me  semble  que  la  raison  est  que 
l'amitié  d'homme  à  homme  rend  égaux  en  quel- 
que façon  ceux  en  qui  elle  est  réciproque;  et 
ainsi  que  pendant  que  Ton  tâche  à  se  faire  ai- 
mer de  quelque  grand,  si  on  lui  disoit  qu'on  l'aime, 
il  pourroit  penser  qu'on  le  traite  d'égal  et  qu'on  lui 
fait  tort.  Mais  pourceque  les  philosophes  n'ont 
pas  coutume  de  donner  divers  noms  aux  choses 
qui  conviennent  en  une  même  définition ,  et  que 
je  ne  sais  point  d'autre  définition  de  l'amour,  sinon 
qu'elle  est  une  passion  qui  nous  fait  joindre  de  vo- 
lonté à  quelque  objet,  sans  distinguer  si  cet  objet 
est  égal,  ou  plus  grand,  ou  moindre  que  nous ,  il 
me  semble  que,  pour  parler  leur  langue,  je  dois  dire 
qu'on  peut  aimer  Dieu.  Et  si  je  vous  demandois  en 
conscience  si  vous  n'aimez  point  cette  grande  reine 
auprès  de  laquelle  vous  êtes  à  présent,  vous  auriez 


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LETTRES.  l5 

beau  dire  que  vous  n'avez  pour  elle  que  du  res- 
pect, de  la  vénération  et  de  l'étonnement,  je  ne 
laisserois  pas  déjuger  que  vous  avez  aussi  une  très 
ardente  affection,  car  votre  style  coule  si  bien 
quand  vous  parlez  d'elle,  que,  bien  que  je  croie 
tout  ce  que  vous  eu  dites,  pourceque  je  sais  que 
vous  êtes  très  véritable,  et  que  j'en  ai  aussi  ouï 
parler  à  d'autres,  je  ne  crois  pas  néanmoins  que 
vous  la  pussiez  décrire  comme  vous  faites  si  vous 
n'aviez  beaucoup  de  zèle,  ni  que  vous  puissiez 
être  auprès  d'une  si  grande  lumière  sans  en  rece- 
voir de  la  chaleur.  Et  tant  s'en  faut  que  l'amour 
que  nous  avons  pour  les  objets  qui  sont  au-dessus 
de  nous  soit  moindre  que  celle  que  nous  avons 
pour  les  autres;  je  crois  que  de  sa  nature  elle  est 
plus  parfaite,  et  qu'elle  fait  qu'on  embrasse  avec 
plus  d'ardeur  les  intérêts  de  ce  qu'on  aime.  Car  la 
nature  de  l'amour  est  de  faire  qu'on  se  considère 
avec  l'objet  aimé  comme  un  tout  dont  on  n'est 
qu'une  partie,  et  qu'on  transfère  tellement  les  soins 
qu'on  a  coutume  d'avoir  pour  soi-même  à  la  con- 
servation de  ce  tout ,  qu'on  n'en  retienne  pour  soi 
en  particulier  qu'une  partie  aussi  grande  ou  aussi 
petite  qu'on  croit  être  une  grande  ou  petite  partie 
du  tout  auquel  on  a  donné  son  affection  ;  en  sorte 
que,  si  on  s'est  joint  de  volonté  avec  un  objet  qu'on 
estime  moindre  que  soi,  par  exemple,  si  nous  ai- 
mons une  fleur,  un  oiseau,  un  bâtiment,  ou  chose 


,6  LETTRES. 

semblable,  la  plus  haute  perfection  où  cette  amour 
puisse  atteindre,  selon  son  vrai  usage,  ne  peut  faire 
que  nous  mettions  notre  vie  en  aucun  hasard  pour 
la  conservation  de  ces  choses,  pourcequ'elles  ne 
sont  pas  des  parties  plus  nobles  du  tout  qu'elles 
composent  avec  nous,  que  nos  ongles  et  nos  che- 
veux sont  de  notre  corps;  et  ce  seroit  une  extra- 
vagance de  mettre  tout  le  corps  au  hasard  pour  la 
conservation  des  cheveux.  Mais  quand  deux  hom- 
mes s'entr'aiment,  la  charité  veut  que  chacun 
d'eux  estime  son  ami  plus  que  soi-même;  c'est  pour- 
quoi leur  amitié  n'est  point  parfaite,  s'ils  ne  sont 
prêts  de  dire  en  faveur  l'un  de  l'autre:  Même  adsum 
qui  feci,  inme  converlite  ferrum,  etc.Tout  de  même, 
quand  un  particulier  se  joint  de  volonté  à  son 
prince  ou  à  son  pays,  si  son  amour  est  parfaite,  il 
ne  se  doit  estimer  que  comme  une  fort  petite 
partie  du  tout  qu'il  compose  avec  eux,  et  ainsi  ne 
craindre  pas  plus  d'aller  à  une  mort  assurée  pour 
leur  service ,  qu'on  craint  de  tirer  un  peu  de  sang 
de  son  bras  pour  faire  que  le  reste  du  corps  se 
porte  mieux.  Et  on  voit  tous  les  jours  des  exemples 
de  cette  amour,  même  en  des  personnes  de  basse 
condition ,  qui  donnent  leur  vie  de  bon  cœur  pour 
le  bien  de  leur  pays,  ou  pour  la  défense  d'un  grand 
qu'ils  affectionnent.  Ensuite  de  quoi  il  est  évident 
que  notre  amour  envers  Dieu  doit  être  sans  com- 
paraison la  plus  grande  et  la  plus  parfaite  de  toutes. 


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LETTRES.  17 

Je  n'ai  pas  peur  que  ces  pensées  métaphysiques 
donnent  trop  de  peine  à  votre  esprit ,  car  je  sais 
qu'il  est  très  capable  de  tout;  mais  j'avoue  qu'elles 
lassent  le  mien ,  et  que  la  présence  des  objets  sen- 
sibles ne  permet  pas  que  je  m'y  arrête  long-temps. 
C'est  pourquoi  je  passe  à  la  troisième  question , 
savoir ,  lequel  des  deux  dérèglements  est  le  pire , 
celui  de  l'amour  ou  celui  de  la  haine.  Mais  je  me 
trouve  plus  empêché  à  y  répondre  qu'aux  deux 
autres ,  à  cause  que  vous  y  avez  moins  expliqué 
votre  intention  ,  et  que  cette  difficulté  se  peut  en- 
tendre en  divers  sens,  qui  me  semblent  devoir  être 
examinés  séparément.  On  peut  dire  qu'une  passion 
est  pire  qu'une  autre ,  à  cause  qu'elle  nous  rend 
moins  vertueux,  ou  à  cause  qu'elle  répugne  da- 
vantage à  notre  contentement ,  ou  enfin  à  cause 
qu'elle  nous  emporte  à  de  plus  grands  excès,  et 
nous  dispose  à  faire  plus  de  mal  aux  autres  hommes. 

Pour  le  premier  point ,  je  le  trouve  douteux  ; 
car,  en  considérant  les  définitions  de  ces  deux  pas- 
sions ,  je  juge  que  l'amour  que  nous  avons  pour 
un  objet  qui  ne  le  mérite  pas  nous  peut  rendre 
pires  que  ne  fait  la  haine  que  nous  avons  pour  un 
autre  que  nous  devrions  aimer  ;  à  cause  qu'il  y  a 
plus  de  danger  d'être  joint  à  une  chose  qui  est 
mauvaise  et  d'être  comme  transformé  en  elle, 
qu'il  n'y  en  a  d'être  séparé  de  volonté  d'une  qui 

est  bonne.  Mais  quand  je  prends  garde  aux  incli- 
10.  * 


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ï8  LETTRES. 

nations  ou  habitudes  qui  naissent  de  ces  passions, 
je  change  d'avis;  car  voyant  que  l'amour,  quel- 
que déréglée  quelle  soit,  a  toujours  le  bien  pour 
objet,  il  ne  me  semble  pas  qu'elle  puisse  tant 
corrompre  nos  mœurs  que  fait  la  haine,  qui  ne 
se  propose  que  le  mal.  Et  on  voit  par  expérience 
que  les  plus  gens  de  bien  deviennent  peu  à  peu 
malicieux,  lorsqu'ils  sont  obligés  de  haïr  quel- 
qu'un ;  car,  encore  même  que  leur  haine  soit  juste, 
ils  se  représentent  si  souvent  les  maux  qu'ils  re- 
çoivent de  leur  ennemi,  et  aussi  ceux  qu'ils  lui 
souhaitent ,  que  cela  les  accoutume  peu  à  peu  à 
la  malice.  Au  contraire,  ceux  qui  s'adonnent  à  ai- 
mer, encore  même  que  leur  amour  soit  déréglée 
et  frivole,  ne  laissent  pas  de  se  rendre  souvent 
plus  honnêtes  gens  et  plus  vertueux  que  s'ils  oc- 
cupoient  leur  esprit  à  d'autres  pensées.  Pour  le 
second  point,  je  n'y  trouve  aucune  difficulté;  car 
la  haine  est  toujours  accompagnée  de  tristesse  et 
de  chagrin,  et  quelque  plaisir  que  certaines  gens 
prennent  à  faire  du  mal  aux  autres ,  je  crois  que 
leur  volupté  est  semblable  à  celle  des  démons , 
qui ,  selon  notre  religion ,  ne  laissent  pas  d'être 
damnés ,  encore  qu'ils  s'imaginent  continuellement 
se  venger  de  Dieu  en  tourmentant  les  hommes  dans 
les  enfers.  Au  contraire,  l'amour,  tant  déréglée 
qu'elle  soit ,  donne  du  plaisir,  et  bien  que  les  poètes 
s'en  plaignent  souvent  dans  leurs  vers ,  je  crois 


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LETTRES.  19 

néanmoins  que  les  hommes  s'abstiendroient  natu- 
rellement d'aimer,  s'ils  n'y  trouvpient  plus  de 
douceur  que  d'amertume  ;  et  que  toutes  les  af- 
flictions dont  on  attribue  la  cause  à  l'amour  ne 
viennent  que  des  autres  passions  qui  l'accom- 
pagnent, à  savoir,  des  désirs  téméraires  et  des 
espérances  mal  fondées.  Mais  si  Ton  demande  la- 
quelle de  ces  deux  passions  nous  emporte  à  de 
plus  grands  excès ,  et  nous  rend  capables  de  faire 
plus  de  mal  au  reste  des  hommes,  il  me  semble 
que  je  dois  dire  que  c'est  l'amour,  d'autant  qu'elle 
a  naturellement  beaucoup  plus  de  force  et  plus  de 
vigueur  que  la  haine,  et  que  souvent  l'affection 
qu'on  a  pour  un  objet  de  peu  d'importance  cause 
incomparablement  plus  de  maux  que  ne  pourroit 
faire  la  haine  d'un  autre  de  plus  de  valeur.  Je  prouve 
que  la  haine  a  moins  de  vigueur  que  l'amour,  par 
l'origine  de  l'une  et  de  l'autre  :  car  s'il  est  vrai  que 
nos  premiers  sentiments  d'amour  soient  venus  de  ce 
que  notre  cœur  recevoit  abondance  de  nourriture 
qui  lui  étoit  convenable,  et  au  contraire  que  nos  pre- 
miers sentiments  de  haine  aient  été  causés  par  un 
aliment  nuisible  qui  venoit  au  cœur  ,  et  que  main- 
tenant les  mêmes  mouvements  accompagnent  en- 
core les  mêmes  passions,  ainsi  qu'il  a  tantôt  été 
dit ,  il  est  évident  que  lorsque  nous  aimons ,  tout 
le  plus  pur  sang  de  nos  veines  coule  abondamment 
vers  le  cœur ,  ce  qui  envoie  quantité  d'esprits  ani- 


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20  LETTRES. 

maux  au  cerveau,  et  ainsi  nous  donne  plus  de 
force,  plus  de,  vigueur  et  plus  de  courage  ;  au  lieu 
que  si  nous  avons  de  la  haine ,  ramertume  du  fiel 
et  l'aigreur  de  la  rate  se  mêlant  avec  notre  sang, 
est  cause  qu'il  ne  vient  pas  tant  ni  de  tels  esprits  au 
cerveau ,  et  ainsi  qu'on  demeure  plus  foible,  plus 
froid  et  plus  timide.  Et  l'expérience  confirme  mon 
dire  ;  car  les  Hercules ,  les  Rolands  ,  et  générale- 
ment ceux  qui  ont  le  plus  de  courage,  aiment 
plus  ardemment  que  les  autres  ;  et  au  contraire , 
ceux  qui  sont  foibles  et  lâches  sont  les  plus  en- 
clins à  la  haine.  La  colère  peut  bien  rendre  les 
hommes  hardis ,  mais  elle  emprunte  sa  vigueur  de 
l'amour  qu'on  a  pour  soi-même,  laquelle  lui  sert 
toujours  de  fondement,  et  non  pas  de  la  haine, 
qui  ne  fait  que  l'accompagner.  Le  désespoir  fait 
faire  aussi  de  grands  efforts  de  courage ,  et  la  peur 
fait  exercer  de  grandes  cruautés ,  mais  il  y  a  de  la 
différence  entre  ces  passions  et  la  haine.  Il  me 
reste  encore  à  prouver  que  l'amour  qu'on  a  pour 
un  objet  de  peu  d'importance  peut  causer  plus 
de  mal  étant  déréglée  que  ne  fait  la  haine  d'un 
autre  de  plus  de  valeur.  Et  la  raison  que  j'en  donne 
est  que  le  mal  qui  vient  de  la  haine  s'étend  seule- 
ment sur  l'objet  haï,  au  lieu  que  l'amour  déré- 
glée n'épargne  rien,  sinon  son  objet,  lequel  n'a 
pour  l'ordinaire  que  si  peu  d'étendue ,  à  compa- 
raison de  toutes  les  autres  choses  dont  elle  est 


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LETTRES.  2  1 

prête  de  procurer  la  perte  et  la  ruine,  afin  que 
cela  serve  de  ragoût  à  l'extravagance  de  sa  fureur. 
On  dira  peut-être  que  la  haine  est  la  plus  pro- 
chaine cause  des  maux  qu'on  attribue  à  l'amour , 
pourceque  si  nous  aimons  quelque  chose,  nous 
haïssons  par  même  moyen  tout  ce  qui  lui  est  con- 
traire :  mais  l'amour  est  toujours  plus  coupable 
que  la  haine  des  maux  qui  se  font  en  cette  façon, 
d'autant  qu'elle  en  est  la  première  cause ,  et  que 
l'amour  d'un  seul  objet  peut  ainsi  faire  naître  la 
haine  de  beaucoup  d'autres.  Puis,  outre  cela,  les 
plus  grands  maux  de  l'amour  ne  sont  pas  ceux 
qu'elle  commet  en  cette  façon  par  l'entremise  de 
la  haine  ;  les  principaux  et  les  plus  dangereux  sont 
ceux  qu'elle  fait,  ou  laisse  faire,  pour  le  seul  plai- 
sir de  l'objet  aimé ,  ou  pour  le  sien  propre.  Je  me 
souviens  d'une  saillie  de  Théophile ,  qui'  peut  être 
mise  ici  pour  exemple  ;  il  fait  dire  à  une  personne 
éperdue  d'amour  : 

Dieux!  que  le  beau  Paria  eut  une  belle  proie! 

Que  cet  amant  fit  bien 
Alors  qu'il  alluma  l'embrasement  de  Troie , 

Pour  amortir  le  sien  ! 

Ce  qui  montre  que  même  les  plus  grands  et  les 
plus  funestes  désastres  peuvent  être  quelquefois  , 
comme  j'ai  dit,  des  ragoûts  d'une  amour  mal  ré- 
glée ,  et  servir  à  la  rendre  plus  agréable ,  d'autant 
qu'ils  en  enrichissent  le  prix.  Je  ne  sais  si  mes 


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22  LETTRES. 

pensées  s'accordent  en  ceci  avec  les  vôtres  ;  mais 
je  vous  assure  bien  qu'elles  s'accordent  en  ce  que, 
comme  vous  m'avez  promis  beaucoup  de  bienveil- 
lance, ainsi  je  suis,  avec  une  très  ardente  pas- 
sion ,  etc. 

D'Egmond,  le  i<r  février  1647. 

A  MADAME  ***  ». 

(Lettre  2a  du  tome  II.) 

Madame, 

La  satisfaction  que  j'apprends  que  votre  altesse 
reçoit  au  lieu  où  elle  est  fait  que  je  n'ose  souhai- 
ter son  retour ,  bien  que  j'aie  beaucoup  de  peine  à 
m'en  empêcher,  principalement  à  cette  heure  que 
je  me  trouve  à  La  Haye;  et  pourceque  je  remar- 
que par  votre  lettre  du  2 1  février  qu'on  ne  vous 
doit  point  attendre  ici  avant  la  fin  de  l'été ,  je  me 
propose  de  faire  un  voyage  en  France  pour  mes 
affaires  particulières  ,  avec  dessein  de  revenir  vers 
l'hiver;  et  je  ne  partirai  point  de  deux  mois? 

.  «  Comme  Descartes  répond  à  une  lettre  du  ai  février,  il  n'y  a  pas  de 
doute  que  cette  lettre  ne  soit  écrite  du  i5  mars  1647  »  car  M.  Descartes 
parle  du  livre  de  Régius,  qui  n'a  été  achevé  d'imprimer  qu'au  i5  sep- 
tembre 1646.» 


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LETTRES.  2J 

afin  que  je  puisse  auparavant  avoir  l'honneur  de 
recevoir  les  commandements  de  votre  altesse ,  les- 
quels auront  toujours  plus  de  pouvoir  sur  moi 
qu'aucune  autre  chose  qui  soit  au  monde.  Je  loue 
Dieu  de  ce  que  vous  avez  maintenant  une  parfaite 
santé;  mais  je  vous  supplie  de  me  pardonner  si 
j'ose  contredire  à  votre  opinion  touchant  ce  qui 
est  de  ne  point  user  de  remèdes,  pourceque  le  mal 
que  vous  aviez  aux  mains  est  passé;  car  il  est  à 
craindre,  aussi  bien  pour  votre  altesse  que  pour 
madame  votre  sœur,  que  les  humeurs  qui  se  pur- 
geoient  en  cette  façon  aient  été  arrêtées  par  le  froid 
de  la  saison,  et  qu'au  printemps  elles  ne  ramènent 
le  même  mal, ou  vous  mettent  en  danger  de  quel- 
que autre  maladie,  si  vous  n'y  remédiez  par  une 
bonne  diète,  n'usant  que  de  viandes  et  de  breuvages 
qui  rafraîchissent  le  sang  et  qui  purgent  sans  aucun 
effort;  car  pour  les  drogues,  soit  des  apothicaires, 
soit  des  empiriques,  je  les  ai  en  si  mauvaise  es- 
time que  je  n'oserois  jamais  conseiller  à  personne 
de  s'en  servir.  Je  ne  sais  ce  que  je  puis  avoir  écrit  à 
votre  altesse ,  touchant  le  livre  de  Régius,  qui  vous 
donne  occasion  de  vouloir  savoir  ce  que  j'y  ai  ob- 
servé; peut-être  que  je  n'en  ai  pas  dit  mon  opi- 
nion, afin  de  ne  pas  prévenir  votre  jugement  en  cas 
que  vous  eussiez  déjà  le  livre  ;  mais ,  puisque  j  ap- 
prends que  vous  ne  l'avez  point  encore,  je  vous 
dirai  ici  ingénument  que  je  n'estime  pas  qu'il  mé- 


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34  LETTRES. 

rite  que  votre  altesse  se  donne  la  peine  de  le  lire. 
Il  ne  contient  rien  touchant  la  physique,  sinon  mes 
assertions  mises  en  mauvais  ordre  et  sans  leurs 
vraies  preuves,  en  sorte  qu'elles  paroissent  para- 
doxes ,  et  que  ce  qui  est  mis  au  commencement  ne 
peut  être  prouvé  que  par  ce  qui  est  vers  la  fin.  Il 
n'y  a  inséré  presque  rien  du  tout  qui  soit  de  lui, 
et  peu  de  choses  de  ce  que  je  n'ai  point  fait  impri- 
mer ;  mais  il  n'a  pas  laissé  de  manquer  à  ce  qu'il  me 
devoit,  en  ce  que,  faisant  profession  d'amitié  avec 
moi,  et  sachant  hien  que  je  ne  désirois  point  que 
ce  que  j'avois  écrit  touchant  la  description  de  l'ani- 
mal fût  divulgué,  jusque  là  que  je  n'avois  pas  voulu 
lui  montrer,  et  m'en  étois  excusé  sur  ce  qu'il  ne  se 
pourroit  empêcher  d'en  parler  à  ses  disciples  s'il 
l'avoit  vu ,  il  n'a  pas  laissé  de  s'en  approprier  plu- 
sieurs choses;  et,  ayant  trouvé  moyen  d'en  avoir 
copie  sans  mon  su,  il  en  a  particulièrement  trans- 
crit tout  l'endroit  où  je  parle  du  mouvement  des 
muscles,  et  où  je  considère,  par  exemple,  deux  des 
muscles  qui  meuvent  l'œil ,  de  quoi  il  a  deux  ou 
trois  pages  qu'il  a  répétées  deux  fois  de  mot  à  mot 
en  son  livre,  tant  cela  lui  a  plu.  Et  toutefois  il  n'a 
pas  entendu  ce  qu'il  écrivoit,  car  il  en  a  omis  le 
principal ,  qui  est  que  les  esprits  animaux  qui  cou- 
lent du  cerveau  dans  les  muscles  ne  peuvent  re- 
tourner par  les  mêmes  conduits  par  où  ils  viennent, 
sans  laquelle  observation  tout  ce  qu'il  écrit  ne  vaut 


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LETTRES.  25 

rien;  et  pourcequ'il  n'avoit  pas  ma  figure,  il  en  a 
fait  une  qui  montre  clairement  son  ignorance.  On 
m'a  dit  qu'il  a  encore  à  présent  un  autre  livre  de 
médecine  sous  la  presse ,  où  je  m'attends  qu'il  aura 
mis  tout  le  reste  de  mon  écrit,  selon  qu'il  aura  pu 
le  digérer.  Il  en  eût  sans  doute  pris  beaucoup  d'au- 
tres choses ,  mais  j'ai  su  qu'il  n'en  avoit  eu  une 
copie  que  lorsque  son  livre  s  achevoit  d'imprimer. 
Mais  comme  il  suit  aveuglément  ce  qu'il  croit  être 
de  mes  opinions  en  tout  ce  qui  regarde  la  physique 
ou  la  médecine,  encore  même  qu'il  ne  les  entende 
pas,  ainsi  il  y  contredit  aveuglément  en  tout  ce 
qui  regarde  la  métaphysique,  de  quoi  je  Tavois 
prié  de  n'en  rien  écrire,  pourceque  cela  ne  sert 
point  à  son  sujet,  et  que  j'étois  assuré  qu'il  ne 
pouvoit  en  rien  écrire  qui  ne  fût  mal.  Mais  je  n'ai 
rien  obtenu  de  lui ,  sinon  que,  n'ayant  pas  dessein 
de  me  satisfaire  en  cela,  il  ne  s'est  plus  soucié  de 
me  désobliger  aussi  en  autre  chose.  Je  ne  laisserai 
pas  de  porter  demain  à  mademoiselle  la  P.  S.  un 
exemplaire  de  son  livre,  dont  le  titre  est  Henrici 
regii  fundamenta  physices,  avec  un  autre  petit  livre 
de  mon  bon  ami  monsieur  de  Hogelande,  qui  a 
fait  tout  le  contraire  de  Régius,  en  ce  queRégius 
n'a  rien  écrit  qui  ne  soit  pris  de  moi,  et  qui  ne  soit 
avec  cela  contre  moi,  au  lieu  que  l'autre  n'a  rien 
écrit  qui  soit  proprement  de  moi  (car  je  ne  crois 
pas  même  qu'il  ait  jamais  bien  lu  mes  écrits);  et 


26  LETTRES. 

toutefois  il  n'a  rien  qui  ne  soit  pour  moi ,  en  ce 
qu'il  a  suivi  les  mêmes  principes.  Je  prierai  ma- 
dame L.  de  faire  joindre  ces  deux  livres,  qui  ne 
sont  pas  gros,  avec  les  premiers  paquets  qu'il  lui 
plaira  envoyer  par  Hambourg,  à  quoi  je  joindrai 
la  version  françoise  de  mes  Méditations,  si  je  les 
puis  avoir  avant  que  de  partir  d'ici,  car  il  y  a  déjà 
assez  long-temps  qu'on  m'a  mandé  que  l'impres- 
sion en  est  achevée.  Je  suis ,  etc. 

A  M.  DESCARTES. 

(Lettre  19  du  tome  II.  Version.) 

Monsieur, 

Nous  n'avons  pas  plus  tôt  reçu  les  lettres  que 
vous  avez  pris  la  peine  de  nous  écrire  dligmond 
le  quatrième  de  ce  mois,  que  nous  avons  donné 
jour  au  recteur  de  l'académie,  et  aux  professeurs 
en  théologie  et  philosophie,  et  aussi  aux  recteurs 
du  collège  de  théologie,  pour  comparoître  devant 
nous;  et  nous  leur  avons  défendu  très  expressé- 
ment à  tous ,  et  à  chacun  d'eux  en  particulier,  de 
faire  dorénavant  aucune  mention  de  vous,  ni  de 
vos  opinions,  dans  leurs  leçons,  disputes,  ou  au- 
tres exercices  académiques,  et  leur  avons  ordonné 


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I 


LETTRES.  J*7 

de  s'en  taire  entièrement  ;  en  quoi  ayant  satisfait , 
comme  nous  pensons,  autant  que  nous  avons  pu 
à  votre  désir,  nous  ne  doutons  point  que  de  votre 
côté  vous  ne  correspondiez  au  nôtre.  C'est  pour- 
quoi nous  vous  prions  aussi  de  tout  notre  pouvoir 
de  vous  abstenir  de  parler  et  d'agiter  davantage 
cette  question,  que  vous  dites  avoir  été  impugnée 
par  les  professeurs  de  notre  académie,  par  un  ré- 
gent de  notre  collège  et  par  nos  théologiens ,  de 
peur  des  inconvénients  qui  en  pourroient  arriver 
de  part  et  d'autre,  que  nous  jugeons  être  de  notre 
devoir  et  du  bien  de  la  république  de  prévenir. 
Enfin,  nous  prions  Dieu  qu'il  veuille  vous  conduire 
par  son  esprit  et  vous  conserver  en  santé.  Donné 
à  Leyde  le  i3  des  calendes  de  juin  1647. 

Par  les  curateurs  de  l'académie,  et  les  consuls  de 
la  ville  de  Leyde.  Par  leur  secrétaire,  Jean  de  We- 
velichoven. 

A  M.  DESCARTES. 

(Lettre  20  du  tome  II.  Version.) 

Monsieur, 

Puisque  ,  dans  le  même  temps  que  vous 
avez  bien  voulu  exposer  les  sujets  de  vos  plaintes 


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2b  LETTRES. 

à  MM.  les  curateurs  de  l'académie,  et  à  MM.  les 
consuls  de  la  ville  de  Leyde,  vous  m'avez  aussi 
fait  l'honneur  de  m  écrire,  j'ai  cru  que,  pour 
répondre  à  votre  attente,  il  étoit  de  mon  devoir 
d'accompagner  leurs  lettres  publiques  des  miennes; 
et  je  me  suis  acquitté  d'autant  plus  volontiers  de 
cette  partie  de  mon  devoir,  que  j'ai  reconnu  que 
vous  aviez  quelque  confiance  en  moi  et  en  ma  re- 
commandation; non  que  pour  cela  je  veuille  me 
vanter  que  le  soin  que  j'ai  apporté  en  cette  affaire 
vous  ait  en  aucune  façon  été  utile  ;  car  ce  n'est  qu'à 
vous  seul,  et  à  l'équité  de  MM.  les  curateurs 
et  de  MM.  les  consuls,  que  vous  devez  attri- 
buer ce  dont  votre  courtoisie  me  vouloit  aussi  être 
redevable.  Mais  pourceque  je  vois  par  là  que  je 
puis  avoir  quelque  espérance  de  pouvoir  vous 
rendre  service  quand  l'occasion  s'en  présentera , 
c'est  pourquoi  je  prie  Dieu  qu'il  vous  conserve 
toujours  en  bonne  santé.  A  La  Haye,  le  1 3  des  ca- 
lendes de  juin  16^7. 


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LETTRES.  29 


A  MESSIEURS  LES  CURATEURS 

DE  L'ACADÉMIE  ET  DE  LA  VILLE  DE  LE  Y  DE» 

(Lettre  21  du  tome  II.  Version.) 

Messieurs, 

Comme  je  tiens  à  très  grand  honneur  la  faveur 
que  vous  m'avez  faite  d'avoir  eu  quelque  égard  à 
mes  lettres,  et  d'y  avoir  répondu  avec  tant  d'hon- 
nêteté ;  de  même  aussi  je  m'étonne  fort  de  ce  que 
je  ne  puis  comprendre  votre  pensée ,  ou  plutôt  de 
ce  que  je  n'ai  pu  exposer  la  mienne  assez  claire- 
ment pour  vous  donner  à  entendre  ce  que  je  dési- 
rois  de  vous  :  car  je  vois  que  vous  me  priez  que  je 
m'abstienne  de  parler  et  d'agiter  davantage  cette 
question  que  j'ai  dit  avoir  été  impugnée  par  deux 
de  vos  théologiens.  Mais  permettez -moi  de  vous 
dire  que  je  ne  sache  point  avoir  jamais  dit  qu'ils 
aient  impugné  aucune  de  mes  opinions,  ou,  du 
moins,  aucune  dont  j'aie  fait  bruit  et  dont  je  me 
sois  vanté;  mais  je  me  suis  plaint  de  ce  que,  par 
une  calomnie  noire  et  tout-à-fait  inexcusable, 
ils  m'ont  attribué  à  dessein  dans  leurs  thèses 
des  choses  que  je  n'ai  jamais  écrites  ni  pensées. 
Par  exemple,  j'ai  écrit  que  Dieu  est  très  grand,  et 


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30  LETTRES. 

plus  grand  sans  comparaison  que  toutes  les  créa- 
tures; et  votre  régent,  au  contraire,  feint  que  j'aie 
écrit  que  l'idée  de  notre  libre  arbitre  est  plus 
grande  que  l'idée  de  Dieu,  ou  bien  que  notre  libre 
arbitre  est  plus  grand  que  Dieu  même;  et,  par 
cette  médisance  puérile,  il  m'attribue  plus  que  le 
pélagianisme.  De  plus,  j'ai  écrit  que  Dieu  n'est  point 
trompeur,  et  même  qu'il  répugne  entièrement  qu'il 
puisse  être  trompeur;  et  votre  principal  régent  de 
théologie  assure  que  je  tiens  Dieu  pour  un  impos- 
teur et  pour  un  trompeur,  et  ainsi  il  me  fait  passer 
pour  un  blasphémateur  :  voilà  de  quoi  je  me  suis 
plaint.  Ce  n'est  pas  que  je  ne  veuille  bien  que  mes 
opinions  soient  examinées  par  vos  professeurs,  ou 
par  toute  autre  sorte  de  personnes;  car  au  con- 
traire, lorsque  je  les  ai  données  au  public ,  j'ai  sup- 
plié toutes  les  personnes  de  lettres  de  se  donner 
la  peine  de  les  examiner,  afin  que,  si  j  etois  tombé 
dans  quelque  erreur,  elles  me  fissent  la  faveur  de 
me  les  montrer;  ou,  si  j'avois  rencontré  la  vérité  en 
quelque  chose,  qu'elles  n'en  eussent  point  de  ja- 
lousie. Or,  voyant  que  vos  deux  théologiens  n'im- 
pugnoient  aucune  de  mes  opinions,  mais  seulement 
qu'ils  m'en  attribuoient  quelques  unes  qui  sont 
fort  éloignées  de  ma  pensée,  j'ai  bien  cru  qu'il 
m'étoit  permis  de  leur  répondre  par  un  écrit  pu- 
blic, et,  par  ce  moyen,  de  faire  connoître  à  tout  le 
monde  leur  malice  et  leur  calomnie.  Car  je  ne 


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1  LETTRES.  3l 

pense  pas  qu'ils  soient  venus  à  ce  point  d'orgueil, 
que  de  croire  qu'il  leur  soit  permis ,  ou  même  qu'il 
leur  ait  été  permis  de  nous  attaquer  par  des  écrits 
publics  ,  et  de  nous  charger  d'injures  outrageuses 
sans  qu'à  nous  autres,  chétifs  et  misérables,  il  nous 
soit  presque  permis  d'ouvrir  la  bouche  pour  la 
juste  et  légitime  défense  de  notre  honneur  ;  cela 
seroit  contre  tout  droit  des  gens,  et  l'on  n'a  même 
jamais  vu,  dans  pas  un  siècle,  ni  parmi  aucune  na- 
tion, du  moins  qui  se  vantât  d'être  libre,  qu'il  fût 
permis  à  des  personnes  d'en  calomnier  d'autres 
publiquement  sans  qu'il  leur  fût  aussi  permis  de 
les  accuser  publiquement  de  leurs  calomnies.  Mais 
d'autant  que  j'aurois  pu  négliger  de  si  lâches  et  de 
si  ridicules  calomniateurs,  n'étoit  qu'ils  sont  parmi 
vous  dans  des  emplois  qui  leur  donnent  quelque 
autorité;  et  par  conséquent,  quand  j'aurois  voulu 
mépriser  leurs  propres  noms  (que  je  ne  rendrai 
jamais  plus  célèbres  en  les  attaquant  à  découvert, 
de  peur  que  l'amour  d'un  pareil  châtiment  n'en 
portât  d'autres  à  une  semblable  médisance),  il  me 
les  eût  toujours  fallu  désigner  par  ceux  qui  leur 
donnent  chez  vous  cette  autorité;  j'ai  cru  que  cela 
ne  pou  voit  être  honorable  à  votre  académie  ;  c'est 
pourquoi  j'ai  mieux  aimé  vous  donner  avis  de  ce 
qui  se  passoit ,  non  que  cela  me  fût  avantageux , 
car  je  pouvois  bien  toujours  me  venger  de  telles 
injures  par  d'autres  voies  très  faciles  et  très  justes; 


32  LETTRES.  * 

mais,  pour  ne  rien  faire  qui  vous  pût  déplaire,  et 
pour  vous  témoigner  qu'après  de  si  grandes  inju- 
res reçues,  je  me  contenterois  d'une  médiocre  sa- 
tisfaction, pourvu  seulement  qu'elle  fût  telle  qu'elle 
réparât  le  tort  qui  a  été  fait  à  mon  honneur.  Mais 
pardonnez-moi  si  je  dis  que  je  ne  puis  reconnoître 
la  moindre  ombre  de  satisfaction  dans  vos  lettres; 
car  vous  me  mandez  avoir  expressément  défendu 
à  tous ,  et  à  chacun  de  vos  professeurs  en  particu- 
lier, de  faire  le  moins  du  monde  mention  de  moi 
ou  de  mes  opinions  dans  leurs  exercices  académi- 
ques. Je  ne  pense  pas  avoir  rien  fait  qui  mérite 
cela  de  vous;  et  je  n'ai  jamais  cru  qu'aucune  de 
mes  opinions  fût  si  abominable,  et,  qui  plus  est, 
si  infâme  ;  et  je  n'ai  jamais  aussi  ouï  dire  que  les 
autres  les  aient  tenues  pour  telles  qu'il  ne  fût  pas 
même  permis  d'en  parler.  Il  n'y  a  que  les  person- 
nes détestables  et  les  scélérats  de  la  terre  qu'on 
tienne  pour  des  infâmes,  c'est-à-dire  pour  des  per- 
sonnes dont  il  n'est  pas  même  permis.de  proférer 
le  nom.  Croyez-vous  donc  que  désormais  je  doive 
être  estimé  pour  tel  parmi  tous  vos  professeurs  : 
cela  même  ne  me  peut  encore  tomber  en  la  pen- 
sée; mais  plutôt  je  me  persuade  que  je  ne  com- 
prends pas  bien  le  sens  de  vos  lettres.  De  même 
aussi,  lorsque  vous  demandez  que  je  m'abstienne 
de  parler  et  d'agiter  davantage  cette  question  que 
vous  dites  avoir  été  impugnée  par  les  vôtres,  je 


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LETTRES.  33 

ne  puis  encore  comprendre  votre  demande.  Vou- 
driez-vous  donc  que  je  ne  crusse  pas  que  Dieu  est 
plus  grand  que  toutes  les  créatures  ensemble,  et 
qu'il  ne  peut  être  trompeur  ;  car  c'a  toujours  été 
mon  opinion,  et  je  n'en  ai  jamais  parlé  autrement; 
ou  bien  voudriez-vous  que  je  ne  me  défendisse 
point  de  ces  monstres  d'opinion  qui  m'ont  été 
faussement  attribués  par  les  vôtres;  car,  comme 
j'en  ai  toujours  été  très  éloigné,  on  ne  sauroit  dé- 
sirer de  moi  que  je  m'abstienne  d'en  parler  da- 
vantage et  de  les  publier.  C'est  pourquoi  je  vous 
conjure  autant  que  je  puis  que ,  si  je  ne  conçois 
pas  bien  encore  le  sens  de  vos  paroles,  vous  ne 
vous  rebutiez  point,  en  me  l'expliquant,  de  soula- 
ger la  tardiveté  de  mon  esprit.  Et  si ,  par  ci-devant, 
je  ne  me  suis  pas  assez  expliqué  sur  ce  que  je  dé- 
sirois  de  vous,  je  vous  prie  maintenant  de  le  bien 
comprendre,  et  de  ne  pas  croire  que,  pour  m'ètre 
plaint  à  vous  des  injures  que  l'on  m'a  faites,  il  soit 
juste  que  j'en  reçoive  encore  de  plus  grandes.  Or, 
ce  que  je  demande  de  votre  justice  et  de  votre 
clémence  est  que  vos  deux  théologiens  soient 
obligés  de  se  dédire,  et  de  me  décharger  des  ca- 
lomnies atroces  et  tout-à-fait  inexcusables  que  j'ai 
ici  marquées ,  et  qu'ils  m'en  fassent  une  satisfac- 
tion qui  soit  égale  à  leur  crime  et  à  leur  médisance. 
Et  remarquez,  je  vous  prie,  qu'il  n'est  ici  nulle- 
ment question  de  la  doctrine,  mais  seulement  d'un 

10.  3 


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LETTRES. 

fait,  qui  est  de  savoir  si  ce  qu'ils  feignent  que  j'ai 
écrit  se  trouve  ou  non  dans  mes  écrits ,  ce  que 
toute  personne  qui  entend  tant  soit  peu  la  langue 
latine  peut  très  aisément  reconnoître.  Vous  saurez 
aussi  que  je  me  soucie  fort  peu  que  l'on  fasse 
désormais  mention  de  moi  dans  votre  académie, 
ou  que  l'on  n'en  fasse  point;  mais,  comme  je  ne 
m'étudie  qu'à  avoir  des  opinions  très  vraies,  et  que 
je  compte  même  entre  mes  opinions  toute  sorte 
de  vérités  connues,  je  n'estime  pas  qu'on  les  puisse 
bannir  d'aucun  lieu,  si  l'on  ne  veut  en  même  temps 
que  la  vérité  en  soit  bannie;  ni  aussi  qu'on  puisse 
défendre  à  personne  de  bien  parler  de  celui  dont 
il  a  bonne  estime,  à  moins  que  ceux  qui  font  cette 
défense  le  tiennent  pour  un  scélérat  et  pour  un 
infâme ,  ou  qu'ils  le  veuillent  eux-mêmes  charger 
d'injures  et  d'ignominie.  Enfin,  pourceque  je  sais 
assurément  n'avoir  point  mérité  cela  de  vous,  j'at- 
tendrai, s'il  vous  plaît,  de  votre  courtoisie  une 
autre  explication  de  vos  lettres,  et  de  la  part  de 
mes  adversaires  une  autre  satisfaction  des  injures 
qu'ils  m'ont  faites.  Et  cela  étant,  je  serai  toute  ma 
vie,  etCt 


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L ETTR  ES. 


35 


A  M.  WEVELICHOVEN. 

(Lettre  a  a  du  tome  II.  Version.) 

Monsieur, 

Je  vous  suis  bien  obligé  de  ce  que  vous  avez  eu 
la  bonté  de  joindre  vos  lettres  à  celles  de  MM.  les 
curateurs  ;  et  l'offre  que  vous  me  faites  de  nou- 
veau de  votre  service,  si  jamais  l'occasion  se  pré- 
sente que  j'en  aie  besoin,  est  une  faveur  qui  accroît 
de  beaucoup  mes  premières  obligations;  et,  pour 
ne  vous  rien  dissimuler,  je  vous  dirai  qu'il  s'en 
présente  déjà  une  où  vous  me  pouvez  beaucoup 
servir;  car  vous  verrez  par  la  réponse  que  j'ai  faite 
à  MM.  les  curateurs  que  je  ne  comprends  pas 
bien  le  sens  de  leur  lettre  ,  à  cause  que ,  sachant 
la  bonté,  la  justice  et  la  prudence  qu'ils  observent 
en  toutes  choses,  je  ne  puis  m'imaginer  que, pour 
m'être  plaint  à  eux  des  injures  que  j'ai  reçues,  et 
dont  je  pouvois  très  aisément  et  avec  justice  me 
venger  par  une  autre  voie ,  ils  aient  eu  dessein 
de  m'en  faire  de  plus  grandes  :  c'est  pourquoi 
je  les  supplie  de  me  vouloir  expliquer  plus  ouver- 
tement leur  pensée;  et  d'autant  que  la  dextérité 
que  vous  apportez  dans  les  affaires,  et  le  crédit 

3. 


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36  LETTRES. 

que  vous  avez  auprès  de  MM.  les  consuls ,  me 
fait  croire  que  vous  aurez  la  meilleure  part  à  tout 
ce  qu'ils  résoudront,  je  vous  aurai  aussi  le  plus 
d'obligation  de  tout  ce  qui  sera  résolu  par  eux  à 
mon  avantage,  et  en  attribuerai  la  plus  grande  par- 
tie à  l'affection  que  vous  avez  pour  moi.  Je  suis,  etc. 

A  MONSIEUR  ***  \ 

(Lettre  114  du  tome  II.) 

Monsieur, 

La  générosité,  la  franchise,  l'amour  de  la  vérité 
et  de  la  justice,  que  j'ai  éprouvées  être  en  vous,  et 
que  j'y  estime  d'autant  plus  que  je  vois  que  ce 
sont  des  qualités  inconnues  à  plusieurs  autres,  sont 
cause  que  j'ai  derechef  recours  à  vous  à  l'occasion 
d'une  lettre  que  j'ai  reçue  ce  matin  de  MM.  les 
curateurs  de  l'université  de  Leyde.  Vous  en  trou- 
verez ici  la  copie  avec  celle  de  la  réponse  que 
j'y  ai  faite  à  l'heure  même,  par  où  vous  verrez  de 
quelle  façon  je  suis  traité,  et  comment,  après  avoir 
été  calomnié  par  leurs  théologiens,  et  leur  en  avoir 
demandé  justice,  au  lieu  de  me  la  faire ,  ils  me  met- 

*  «  Cette  lettre  est  écrite  par  Descartes  à  un  de  ses  intimes  amis  dont 
nous  ignorons  le  nom ,  mais  qui  était  protestant.  Elle  est  datée ,  comme 
le»  ate  et  aae,  du  aa  mai,  1647.  • 


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LETTRES.  O7 

tent  au  nombre  des  Érostrates  et  des  plus  infâmes 
qui  aient  jamais  été  au  monde,  en  défendant  qu'on 
ne  parle  de  moi  ni  en  bien  ni  en  mal.  Je  n'avois 
pas  attendu  d'eux  une  telle  réponse,  et  l'affaire  est 
maintenant  en  tel  point  qu'il  est  nécessaire  qu'on 
me  fasse  raison,  ou  bien  qu'on  déclare  publique- 
ment que  messieurs  vos  théologiens  ont  droit  de 
mentir  et  de  calomnier,  sans  que  les  personnes  de 
ma  sorte  en  puissent  aucunement  avoir  justice 
en  ce  pays.  Et  je  vous  prie  de  remarquer  ces  mots 
en  la  lettre  de  MM.  les  curateurs ,  ab  opinione,  quant 
a  professoribus  academiœ,  et  régente  collegii  theolo- 
gis  impugnatam  retulistî;  car  le  mot  opinio,  mis  en 
telle  sorte,  semble  signifier  quelque  hérésie;  et  en 
parlant  en  pluriel,  de  professoribus  theologis,  bien 
que  je  ne  me  fusse  plaint  que  d'un  seul  qui  soit 
professeur,  ils  semblent  insinuer  que  toute  la  fa- 
culté théologique  de  Leyde  a  souscrit  aux  calom- 
nies dont  je  me  suis  plaint.  Si  cela  est,  et  que  la 
chose  demeure  en  ce  point,  c'est  principalement 
m'avertir  que  j'ai  vos  théologiens  en  corps  pour 
ennemis ,  et  ainsi  que  je  dois  dorénavant  étudier 
les  controverses  et  faire  trois  pas  en  arrière,  afin 
de  me  mettre  en  mesure  pour  me  défendre.  C'est  à 
quoi  je  serois  très  marri  d'être  contraint ,  bien 
qu'il  me  seroit  peut-être  plus  avantageux  que  la 
complaisance  dont  j'ai  usé  jusqu'à  présent.  Au 
reste,  ce  n'est  point  que  je  désire  qu'on  parle  de 


38  LETTRES. 

moi  en  leur  académie  ;  je  voudrois  qiiïl  n'y  eût 
aucun  pédant  en  toute  la  terre  qui  sût  mon  nom  ; 
et  si  entre  leurs  professeurs  il  se  trouve  des  chats- 
1  niants  qui  n'en  puissent  supporter  la  lumière,  je 
veux  bien  que,  pour  favoriser  leur  foiblesse,  ils 
mettent  ordre  en  particulier  que  ceux  qui  jugent 
bien  de  moi  ne  le  témoignent  point  en  public  par 
des  louanges  excessives  :  je  n'en  ai  jamais  recher- 
ché ni  désiré  de  telles;  au  contraire,  je  les  ai  tou- 
jours évitées  ou  empêchées  autant  qu'il  a  été  en 
mon  pouvoir;  mais  de  défendre  publiquement 
qu'on  ne  parle  de  moi  ni  en  bien  ni  en  mal ,  et , 
qui  plus  est,  de  m'écrire  qu'on  a  fait  cette  défense, 
et  vouloir  que  je  cesse  de  maintenir  les  opinions 
que  j'ai,  comme  si  elles  avoient  été  bien  et  légiti- 
mement impugnées  par  leurs  professeurs,  c'est 
vouloir  que  je  me  rétracte  après  avoir  écrit  la  vé- 
rité, au  lieu  que  j 'attend ois  qu'on  fît  rétracter  ceux 
qui  ont  menti  en  me  calomniant;  et,  au  lieu  de 
me  rendre  la  justice  que  j'ai  demandée,  ordonner 
contre  moi  tout  le  pis  qui  puisse  être  imaginé. 
Voilà,  monsieur,  les  sentiments  que  j'ai  touchant 
la  lettre  qu'on  m'a  envoyée,  et  je  les  déclare  ici  en 
confidence,  à  cause  que  je  sais  que  vous  m'aimez,  et 
que  vous  aimez  aussi  la  raison  et  la  justice.  J'ajoute 
que  je  vous  demande  conseil  et  assistance,  comme 
ayant  toujours  éprouvé  votre  secours  très  prompt, 
très  utile  et  très  efficace.  Le  chemin  que  j'estime  le 


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LETTRES.  39 

plus  court  pour  sortir  que  bien  que  mal  de  cette 
affaire ,  si  tant  est  que  MM.  les  curateurs  aient  tant 
soit  peu  d'envie  de  ne  me  pasentièrement  désobliger, 
c'est  que,  sur  ce  que  je  leur  mandai  que  je  n'en- 
tends pas  le  sens  de  leur  lettre,  ils  pourroient  ré- 
pondre que  leur  intention  n'est  point  de  condam- 
ner mes  opinions,  ni  de  bannir  mon  nom  de  leur 
académie,  mais  que,  pour  maintenir  la  paix  et  l'ami- 
tié entre  leurs  professeurs,  ils  ont  trouvé  bon  de 
leur  défendre  de  disputer  dorénavant  dans  leurs 
thèses,  ou  autres  exercices,  touchant  ce  qui  est  ou 
ce  qui  n'est  pas  en  mes  écrits,  afin  qu'ils  s'occupent 
seulement  à  examiner  ce  qui  est  ou  ce  qui  n'est 
pas  vrai ,  plutôt  que  ce  qu'un  tel  a  dit  ou  n'a  pas 
dit;  et  que,  pour  les  deux  théologiens  dont  je  me 
suis  plaint,  ils  ont  eu  tort  de  m'attribuer  des  opi- 
nions directement  contraires  à  celles  que  j'ai  écrites, 
et  qu'ils  leur  en  ont  fait  une  telle  réprimande  qu'ils 
jugent  que  j'en  dois  être  content.  C'est,  selon  mon 
avis,  toute  la  moindre  satisfaction  que  je  doive 
avoir  d'eux  pour  y  pouvoir  acquiescer  ;  et  s'ils  m'en 
veulent  donner  un  grain  de  moins ,  j'aime  mieux 
n'en  recevoir  point  du  tout;  car  ma  cause  sera 
d'autant  meilleure  que  le  tort  qu'on  m'aura  fait 
sera  plus  grand.  Si  donc  vous  approuvez  en  cela 
mon  opinion,  je  vous  prie  de  vouloir  prendre  la 
peine  de  communiquer  le  tout  à  M.  Brasset,  auquel 
je  n'aurai  loisir  d'écrire  que  trois  lignes,  et  d'agir 


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l\0  LETTRES. 

avec  lui  envers  MM.  les  curateurs ,  ou  autres, 
afin  que  les  choses  aillent  comme  elles  doivent.  Je 
n'ajoute  point  ici  de  compliments,  car  je  n'en  sais 
point  qui  ne  soient  fort  au-dessous  de  ce  que  je 
vous  dois ,  et  je  suis  déjà  plus  que  je  ne  dois  expri- 
mer, etc, 

A  MADAME  ÉLIZABETH, 

PRINCESSE  PALATINE,  etc. 

(Lettre  19  du  tome  h) 

Madame, 

Encore  que  je  pourrai  trouver  des  occasions  qui 
me  convieront  à  demeurer  en  France,  lorsque  j'y 
serai,  il  n'y  en  aura  toutefois  aucune  qui  ait  la  force 
de  m'empècher  que  je  ne  revienne  avant  l'hiver, 
pourvu  que  la  vie  et  la  santé  me  demeurent ,  puis- 
que la  lettre  que  j'ai  eu  l'honneur  de  recevoir  de 
votre  altesse  me  fait  espérer  que  vous  retournerez 
à  La  Haye  vers  la  fin  de  1  été.  Mais  je  puis  dire  que 

*  «  Cette  lettre  n'est  pas  datée,  mais  comme  elle  est  écrite  huit  (jours 
après  la  lettre  anx  curateurs  de  Ley  de,  datée  du  4  mai  1647,  cette  lettre 
est  datée  du  1  a  mai  1647.  » 


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LETTRES.  41 

c'est  la  principale  raison  qui  me  fait  préférer  la  de- 
meure de  ce  pays  à  celle  des  autres;  car,  pour  le 
repos  que  j'y  étois  ci-devant  venu  chercher,  je  pré- 
vois que  dorénavant  je  ne  l'y  pourrai  avoir  si  en- 
tier que  je  désirerois,  à  cause  que,  n'ayant  pas  en- 
core tiré  toute  la  satisfaction  que  je  devois  avoir 
des  injures  que  j'ai  reçues  à  Utrecht,  je  vois  qu'elles 
en  attirent  d'autres,  et  qu'il  y  aune  troupe  de  théo- 
logiens, gens  d'école,  qui  semblent  avoir  fait  une 
ligue  ensemble  pour  tâcher  à  m'opprimer  par  ca- 
lomnies ;  en  sorte  que ,  pendant  qu'ils  machinent 
tout  ce  qu'ils  peuvent  pour  tâcher  de  me  nuire,  si 
je  ne  veillois  aussi  pour  me  défendre,  il  leur  seroit 
aisé  de  me  faire  quelques  affronts.  La  preuve  de 
ceci  est  que,  depuis  trois  ou  quatre  mois,  un  cer- 
tain régent  du  collège  des  théologiens  de  Leyde , 
nommé  Révius,  a  fait  disputer  quatre  diverses  thè- 
ses contre  moi ,  pour  pervertir  le  sens  de  mes  Mé- 
ditations, et  faire  croire  que  j'y  ai  mis  des  choses 
fort  absurdes  et  contraires  à  la  gloire  de  Dieu, 
comme,  qu'il  faut  douter  qu'il  y  ait  un  Dieu,  et 
même  que  je  veux  qu'on  nie  absolument  pour  quel- 
que temps  qu'il  y  en  ait  un,  et  choses  semblables. 
Mais  pourceque  cet  homme  n'est  pas  habile,  et 
que  même  la  plupart  de  ses  écoliers  se  moquoient 
de  ses  médisances,  les  amis  que  j'ai  à  Leyde  ne  dai- 
gnoient  pas  seulement  m'avertir  de  ce  qu'il  faisoit, 
jusques  à  ce  que  d'autres  thèses  ont  aussi  été  faites 


42  LETTRES. 

parTrigl.  \  leur  premier  professeur  en  théologie, 
où  il  a  mis  ces  mots  fff.  Sur  quoi  mes  amis  ont 
jugé,  même  ceux  qui  sont  aussi  théologiens,  que 
l'intention  de  ces  gens-là,  en  m 'accusant  d'un  si 
grand  crime  comme  est  le  blasphème,  n'étoit  pas 
moindre  que  de  tâcher  à  faire  condamner  mes  opi- 
nions comme  très  pernicieuses,  premièrement  par 
quelque  synode  où  ils  seroient  les  plus  forts,  et  en- 
suite de  tâcher  aussi  à  me  faire  faire  des  affronts 
par  les  magistrats,  qui  croient  en  eux;  et  que,  pour 
obvier  à  cela,  il  étoit  besoin  que  je  m'opposasse  à 
leurs  desseins  :  ce  qui  est  cause  que  depuis  huit  jours 
j'ai  écrit  une  longue  lettre  aux  curateursr rte  l'aca- 
démie de  Leyde,  pour  demander  justice  contre  les 
calomnies  de  ces  deux  théolog'  as.  Je  ne  sais  point 
encore  la  réponse  que  j'en  aurai  ;  mais ,  selon  que 
je  connois  l'humeur  des  personnes  de  ce  pays ,  et 
combien  ils  révèrent,  non  pas  la  probité  et  la  vertu, 
mais  la  barbe,  la  voix  et  le  sourcil  des  théologiens, 
en  sorte  que  ceux  qui  sont  les  plus  effrontés  et  qui 
savent  crier  le  plus  haut  ont  ici  le  plus  de  pouvoir 
(comme  ordinairement  en  tous  les  états  populai- 
res), encore  qu'ils  aient  le  moins  de  raison,  je  n'en 
attends  que  quelques  emplâtres,  qui,  n'ôtant  point 
la  cause  du  mal,  ne  serviront  qu'à  le  rendre  plus 
long  et  plus  importun  ;  au  lieu  que  de  mon  côté 
je  pense  être  obligé  de  faire  mon  mieux  pour  tirer 

*  «  Triglandius.  » 


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Lettres.  43 

une  entière  satisfaction  de  ces  injures,  et  aussi  par 
même  occasion  de  celles  d'Utrecht;  et,  en  cas  que 
je  ne  puisse  obtenir  justice  (comme  je  prévois  qu'il 
sera  très  malaisé  que  je  l'obtienne  ) ,  de  me  reti- 
rer tout-à-fait  de  ces  provinces.  Mais,  pourceque 
toutes  choses  se  font  ici  fort  lentement,  je  m'assure 
qu'il  se  passera  plus  d'un  an  avant  que  cela  arrive. 
Je  ne  prendrois  pas  la  liberté  d'entretenir  votre  al- 
tesse de  ces  petites  choses,  si  la  faveur  qu'elle  me 
fait  de  vouloir  lire  les  livres  de  M.  Hoguelande,  et 
de  Régius,  à  cause  de  ce  qu'ils  ont  mis  qui  me  re- 
garde, ne  me  faisoit  croire  que  vous  n'aurez  pas 
désagréable  de  savoir  de  moi-même  ce  qui  me  tou- 
che, outre  que  l'obéissance  et  le  respect  que  je  vous 
dois  m'obligent  à  vous  rendre  compte  de  mes  ac- 
tions. Je  loue  Dieu  de  ce  que  ce  docteur,  à  qui  votre 
altesse  a  prêté  le  livre  de  mes  Principes,  a  été  long- 
temps sans  vous  retourner  voir,  puisque  c'est  une 
marque  qu'il  n'y  a  point  du  tout  de  malades  à  la 
cour  de  madame  l'électrice;  et  il  semble  qu'on  a  un 
degré  de  santé  plus  parfait  quand  elle  est  générale 
au  lieu  où  l'on  demeure,  que  lorsqu'on  est  envi- 
ronné de  malades.  Ce  médecin  aura  eu  d'autant 
plus  de  loisir  de  lire  le  livre  qu'il  a  plu  à  votre  al- 
tesse de  lui  prêter,  et  vous  en  aura  pu  mieux  dire 
depuis  son  jugement.  Pendant  que  j'écris  ceci,  je 
reçois  des  lettres  de  La  Haye  et  de  Leyde,  qui  m'ap 
prennent  que  l'assemblée  des  curateurs  a  été  dif* 


44  LETTRES. 

férée,  en  sorte  qu'on  ne  leur  a  point  encore  donné 
mes  lettres;  et  je  vois  qu'on  fait  d  une  brouillerie 
une  grande  affaire.  On  dit  que  les  théologiens  en 
veulent  être  juges,  c'est-à-dire  me  mettre  ici  en 
une  inquisition  plus  sévère  que  ne  fut  jamais 
celle  d'Espagne,  et  me  rendre  l'adversaire  de  leur 
religion  ;  sur  quoi  on  voudroit  que  j'employasse 
le  crédit  de  M.  l'ambassadeur  de  France ,  et 
l'autorité  de  M.  le  prince  d'Orange ,  non  pas 
pour  obtenir  justice,  mais  pour  intercéder  et  em- 
pêcher que  mes  ennemis  ne  passent  outre.  Je  crois 
pourtant  que  je  ne  suivrai  point  cet  avis,  je  de- 
manderai seulement  justice,  et  si  je  ne  la  puis 
obtenir,  il  me  semble  que  le  meilleur  sera 
que  je  me  prépare  tout  doucement  à  la  retraite; 
mais,  quoi  que  je  pense  ou  que  je  fasse,  et  en 
quelque  lieu  du  monde  que  j'aille ,  il  n'y  aura  ja- 
mais rien  qui  me  soit  plus  cher  que  d'obéir  à  vos 
commandements,  et  de  témoigner  avec  combien  de 
zèle  je  suis ,  etc. 


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LETTRES.  45 

A  M.  CHANUT. 

(  Lettre  36  du  tome  I.  ) 

Monsieur, 

Comme  je  passois  par  ici  pour  aller  en  France, 
j'ai  appris  de  M.  Brasset  qu'il  m'avoit  envoyé  de 
vos  lettres  à  Egmond ,  et  bien  que  mon  voyage 
soit  assez  pressé,  je  me  proposois  de  les  attendre; 
mais  ayant  été  reçues  en  mon  logis  trois  heures 
après  que  j'en  étois  parti ,  on  me  les  a  incontinent 
renvoyées.  Je  les  ai  lues  avec  avidité.  J'y  ai  trouvé 
de  grandes  preuves  de  votre  amitié  et  de  votre 
adresse.  J'ai  eu  peur  en  lisant  les  premières  pages , 
où  vous  m'apprenez  que  M.  Durier  avoit  parlé  à 
la  reine  d'une  de  mes  lettres ,  et  qu'elle  demandoit 
de  la  voir.  Par  après  je  me  suis  rassuré  étant  à  l'en- 
droit où  vous  écrivez  qu'elle  en  a  ouï  la  lecture 
avec  quelque  satisfaction;  et  je  doute  si  j'ai  été 
touché  de  plus  d'admiration  de  ce  qu'elle  a  si  faci- 
lement entendu  des  choses  que  les  plus  doctes  es- 
timent très  obscures ,  ou  de  joie,  de  ce  qu'elles  ne 
lui  ont  pas  déplu.  Mais  mon  admiration  s'est  re- 
doublée ,  lorsque  j'ai  vu  la  force  et  le  poids  des  ob- 
jections que  sa  majesté  a  remarquées  touchant  la 


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46  LETTRES. 

grandeur  que  j'ai  attribuée  à  l'univers.  Et  je  sou- 
haiterois  que  votre  lettre  m  eût  trouvé  en  mon  sé- 
,  jour  ordinaire,  pourceque,  y  pouvant  mieux  re- 
cueillir mon  esprit  que  dans  la  chambre  d'une 
hôtellerie,  j'aurois  peut-être  pu  me  démêler  un  peu 
mieux  d'une  question  si  difficile,  et  si  judicieuse- 
ment proposée.  Je  ne  prétends  pas  toutefois  que 
cela  me  serve  d'excuse;  et  pourvu  qu'il  me  soit 
permis  de  penser  que  c'est  à  vous  seul  que  j'écris, 
afin  que  la  vénération  et  le  respect  ne  rendent  point 
mon  imagination  trop  confuse,  je  m'efforcerai  ici 
de  mettre  tout  ce  que  je  puis  dire  touchant  cette 
matière. 

En  premier  lieu ,  je  me  souviens  que  le  cardinal 
de  Cusa  et  plusieurs  autres  docteurs  ont  supposé 
le  monde  infini ,  sans  qu'ils  aient  jamais  été  repris 
de  l'église  pour  ce  sujet;  au  contraire,  on  croit  que 
c'est  honorer  Dieu  que  de  faire  concevoir  ses  œu- 
vres fort  grands;  et  mon  opinion  est  moins  difficile  à 
recevoir  que  la  leur,  pourceque/je  nedis  pas  que  le 
monde  soit  infini,  mais  indéfini  seulement.  En  quoi 
il  y  a  une  différence  assez  remarquable  :  car  pour 
dire  qu'une  chose  est  infinie,  on  doit  avoir  quel- 
que raison  qui  la  fasse  connoître  telle ,  ce  qu'on 
ne  peut  avoir  que  de  Dieu  seul  ;  mais  pour  dire 
qu'elle  est  indéfinie,  il  suffit  de  n'avoir  point  de 
raison  par  laquelle  on  puisse  prouver  qu'elle  ait 
des  bornes.  Ainsi  il  me  semble  qu'on  ne  peut  prou- 


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LETTRES.  47 

ver ,  ni  même  concevoir  qu'il  y  ait  des  bornes  en 
la  matière  dont  le  monde  est  composé.  Car  en  exa- 
minant la  nature  de4  cette  matière,  je  trouve  qu'elle 
ne  consiste  en  autre  chose  qu'en  ce  qu  elle  a  de 
l'étendue  en  longueur ,  largeur  et  profondeur ,  de 
façon  que  toutce  qui  a  ces  trois  dimensions  est  une 
partie  de  cette  matière,  et  il  ne  peut  y  avoir  aucun 
espace  entièrement  vide ,  c'est-à-dire  qui  ne  con- 
tienne aucune  matière,  à  cause  que  nous  ne  sau- 
rions concevoir  un  tel  espace ,  que  nous  ne  conce- 
vions en  lui  ces  trois  dimensions,  et  par  conséquent 
de  la  matière.  Or ,  en  supposant  le  monde  fini ,  on 
imagine  au-delà  de  ses  bornes  quelques  espaces 
qui  ont  leurs  trois  dimensions,  et  ainsi  qui  ne  sont 
pas  purement  imaginaires,  comme  les  philosophes 
les  nomment,  mais  qui  contiennent  en  soi  de  la  ma- 
tière ,  laquelle  ne  pouvant  être  ailleurs  que  dans  le 
monde ,  fait  voir  que  le  monde  s'étend  au-delà  des 
bornes  qu'on  avoit  voulu  lui  attribuer.  N'ayant 
donc  aucune  raison  pour  prouver  et  même  ne 
pouvant  concevoir  que  le  monde  ait  des  bornes, 
je  le  nomme  indéfini;  mais  je  ne  puis  nier  pour 
cela  qu'il  n'en  ait  peut-être  quelques  unes  qui  sont 
connues  de  Dieu,  bien  qu'elles  me  soient  incom- 
préhensibles :  c'est'pourquoi  je  ne  dis  pas  absolu- 
ment qu'il  est  infini. 

Lorsque  son  étendue  est  considérée  en  cette 
sorte,  si  on  la  compare  avec  sa  durée,  il  me  sem- 


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48  LETTRES. 

ble  qu'elle  donne  seulement  occasion  de  penser 
qu'il  n'y  a  point  de  temps  imaginable  avant  la  créa- 
tion du  monde  auquel  Dieu  n'eût  pu  le  créer,  s'il 
eût  voulu  ;  et  qu'on  n'a  point  sujet  pour  cela  de 
conclure  qu'il  l'a  véritablement  créé  avant  un 
temps  indéfini ,  à  cause  que  l'existence  actuelle  ou 
véritable  que  le  monde  a  eue  depuis  cinq  ou  six 
mille  ans  n'est  pas  nécessairement  jointe  avec 
l'existence  possible  ou  imaginaire  qu'il  a  pu  avoir 
auparavant;  ainsi  que  l'existence  actuelle  des  es- 
paces qu'on  conçoit  autour  d'un  globe  (c'est-à-dire 
du  monde  supposé  comme  fini  )  est  jointe  avec 
l'existence  actuelle  de  ce  même  globe.  Outre  cela , 
si  de  l'étendue  indéfinie  du  monde  on  pouvoit  infé- 
rer l'éternité  de  la  durée  au  regard  du  temps  passé , 
on  la  pourroit  encore  mieux  inférer  de  l'éternité 
de  la  durée  de  l'avenir.  Car  la  foi  nous  enseigne 
que  bien  que  la  terre  et  les  cieux  périront ,  c'est-à- 
dire  changeront  de  face,  toutefois  le  monde,  c'est- 
à-dire  la  matière  dont  ils  sont  composés,  ne  périra 
jamais;  comme  il  paroît  de  ce  qu'elle  promet  une 
vie  éternelle  à  nos  corps  après  la  résurrection,  et 
par  conséquent  aussi  au  monde  dans  lequel  ils  se- 
ront; mais  de  cette  durée  infinie  que  le  monde 
doit  avoir  à  l'avenir,  on  n'infère  point  qu'il  ait  été 
ci-devant  de  toute  éternité ,  à  cause  que  tous  les 
moments  de  sa  durée  sont  indépendants  les  uns  des 
autres. 


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LETTRES.  49 

Pour  les  prérogatives  que  la  religion  attribue 
à  l'homme,  et  qui  semblent  difficiles  à  croire,  si 
l'étendue  de  l'univers  est  supposée  indéfinie ,  elles 
méritent  quelque  explication  :  car  bien  que  nous 
puissions  dire  que  toutes  les  choses  créées  sont 
faites  pour  nous ,  en  tant  que  nous  en  pouvons  tirer 
quelque  usage,  je  ne  sache  point  néanmoins  que 
nous  soyons  obligés  de  croire  que  l'homme  soit  la 
fin  delà  création.  Mais  il  dit  que  omnia  propter  ip- 
sum  (Deum)  fada  sunt,  que  c'est  Dieu  seul  qui 
est  la  cause  finale,  aussi  bien  que  la  cause  efficiente 
de  l'univers;  et  pour  les  créatures,  d'autant  qu'elles 
servent  réciproquement  les  unes  aux  autres,  cha- 
cune se  peut  attribuer  cet  avantage,  que  toutes 
celles  qui  lui  servent  sont  faites  pour  elle.  Il  est 
vrai  que  les  six  jours  de  la  création  sont  tellement 
décrits  en  la  Genèse ,  qu'il  semble  que  l'homme  en 
soit  le  principal  sujet;  mais  on  peut  dire  que  cette 
histoire  de  la  Genèse  ayant  été  écrite  pour  l'homme, 
ce  sont  principalement  les  choses  qui  le  regardent 
que  le  Saint-Esprit  y  a  voulu  spécifier,  et  qu'il  n'y 
est  parlé  d'aucunes,qu'en  tant  qu'elles  se  rapportent 
à  l'homme.  Et  à  cause  que  les  prédicateurs  ayant 
soin  de  nous  inciter  à  l'amour  de  Dieu,  ont  coutume 
de  nous  représenter  les  divers  usages  que  nous  ti- 
rons des  autres  créatures,  et  disent  que  Dieu  les 
a  faites  pour  nous,  et  qu'il  ne  nous  faut  point 
considérer  les  autres  fins  pour  lesquelles  on  peut 

10.  4 


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5o  LETTRES. 

aussi  dire  qu'il  les  a  faites,  à  cause  que  cela  ne  sert 
point  à  leur  sujet,  nous  sommes  fort  enclins  à 
croire  qu'il  ne  les  a  faites  que  pour  nous.  Mais  les 
prédicateurs  passent  plus  outre,  car  ils  disent  que 
chaque  homme  en  particulier  est  redevable  à  Jésus- 
Christ  de  tout  le  sang  qu'il  a  répandu  en  la  croix, 
tout  de  même  que  s'il  n'étoit  mort  que  pour  un 
seul;  en  quoi  ils  disent  bien  la  vérité;  mais  comme 
cela  n'empêche  pas  qu'il  n'ait  racheté  de  ce  même 
sang  un  très  grand  nombre  d'autres  hommes  ;  ainsi 
je  ne  vois  point  que  le  mystère  de  l'incarnation , 
et  les  autres  avantages  que  Dieu  a  faits  à  l'homme, 
empêchent  qu'il  n'en  puisse  avoir  fait  une  infinité 
d'autres  très  grands  à  une  infinité  d'autres  créa- 
tures. Et  bien  que  je  n'infère  point  pour  cela  qu'il 
y  ait  des  créatures  intelligentes  dans  les  étoiles,  ou 
ailleurs,  je  ne  vois  pas  aussi  qu'il  y  ait  aucune  rai- 
son par  laquelle  on  puisse  prouver  qu'il  n'y  en  a 
point;  mais  je  laisse  toujours  indécises  les  ques- 
tions qui  sont  de  cette  sorte,  plutôt  que  d'en  rien 
nier  ou  assurer.  Il  me  semble  qu'il  ne  reste  plus  ici 
autre  difficulté,  sinon  qu'après  avoir  cru  long- 
temps que  l'homme  a  de  grands  avantages  par-des- 
sus les  autres  créatures,  il  semble  qu'on  les  perd 
tous  lorsqu'on  vient  à  changer  d'opinion.  Mais 
je  distingue  entre  ceux  de  nos  biens  qui  peuvent 
devenir  moindres,  de  ce  que  d'autres  en  possèdent 
de  semblables,  et  ceux  que  cela  ne  peut  rendre 


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LETTRES.  5l 

moindres.  Ainsi  un  homme  qui  n'a  que  mille  pis- 
toles  seroit  fort  riche  s'il  n'y  avoit  point  d  autres 
personnes  au  monde  qui  en  eussent  tant ,  et  le 
même  seroit  fort  pauvre  s'il  n'y  avoit  personne  qui 
n'en  eût  beaucoup  davantage  ;  et  ainsi  toutes  les 
qualités  louables  donnent  d'autant  plus  de  gloire 
à  ceux  qui  les  ont,  qu'elles  se  rencontrent  en  moins 
de  personnes;  c'est  pourquoi  on  a  coutume  de 
porter  envie  à  la  gloire  et  aux  richesses  d'autrui. 
Mais  la  vertu,  la  science,  la  santé,  et  généralement 
tous  les  autres  biens  étant  considérés  en  eux-mêmes, 
sans  être  rapportés  à  la  gloire,  ne  sont  aucunement 
moindres  en  nous  de  ce  qu'ils  se  trouvent  aussi 
en  beaucoup  d'autres  ;  c'est  pourquoi  nous  n'avons 
aucun  sujet  d'être  fâchés  qu'ils  soient  en  plusieurs. 
Or  les  biens  qui  peuvent  être  en  toutes  les  créa- 
tures intelligentes  d'un  monde  indéfini  sont  de  ce 
nombre ,  ils  ne  rendent  point  moindres  ceux  que 
nous  possédons  :  au  contraire  lorsque  nous  aimons 
Dieu,  et  que  par  lui  nous  nous  joignons  de  volonté 
avec  toutes  les  choses  qu'il  a  créées,  d'autant  que 
nous  les  concevons  plus  grandes,  plus  nobles,  plus 
parfaites,  d'autant  nous  estimons-nous  aussi  davan- 
tage, à  cause  que  nous  sommes  des  parties  d'un 
tout  plus  accompli;  et  d'autant  avons-nous  plus  de 
sujet  de  louer  Dieu ,  à  cause  de  l'immensité  de  ses 
œuvres.  Lorsque  l'Écriture  sainte  parle  en  divers 

endroits  de  la  multitude  innombrable  des  anges, 

4. 


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52  LETTRES. 

elle  confirme  entièrement  cette  opinion  :  car  nous 
jugeons  que  les  moindres  anges  sont  incompara- 
blement plus  parfaits  que  les  hommes.  Et  les  as- 
tronomes, qui  en  mesurant  la  grandeur  des  étoiles 
les  trouvent  beaucoup  plus  grandes  que  la  terre, 
la  confirment  aussi  :  car  si  de  l'étendue  indéfinie 
du  monde  on  infère  qu'il  doit  y  avoir  des  habi- 
tants ailleurs  qu'en  la  terre ,  on  le  peut  inférer 
aussi  de  l'étendue  que  tous  les  astronomes  lui  at- 
tribuent, à  cause  qu'il  n'y  en  a  aucun  qui  ne  juge 
que  la  terre  est  plus  petite  au  regard  de  tout  le 
ciel ,  que  n'est  un  grain  de  sable  au  regard  d'une 
montagne. 

Je  passe  maintenant  à  votre  question,  touchant 
les  causes  qui  nous  incitent  souvent  à  aimer  une 
personne  plutôt  qu'une  autre,  avant  que  nous  en 
connoissions  le  mérite;  et  j'en  remarque  deux ,  qui 
sont ,  l'une  dans  l'esprit ,  et  l'autre  dans  le  corps. 
Mais  pour  celle  qui  n'est  que  dans  l'esprit,  elle  pré- 
suppose tant  de  choses  touchant  la  nature  de  nos 
âmes,  que  je  n'oserois  entreprendre  de  les  déduire 
dans  une  lettre;  je  parlerai  seulement  de  celle  du 
corps.  Elle  consiste  dans  la  disposition  des  parties 
de  notre  cerveau ,  soit  que  cette  disposition  ait  été 
mise  en  lui  par  les  objets  des  sens,  soit  par  quel- 
que autre  cause  :  car  les  objets  qui  touchent  nos  sens 
meuvent  par  l'entremise  des  nerfs  quelques  parties 
de  notre  cerveau  ,  et  y  font  comme  certains  plis, 


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Ï.ETTRliS.  53 

qui  se  défont  lorsque  l'objet  cesse  d'agir;  mais  la 
partie  où  ils  ont  été  faits  demeure  par  après  dispo- 
sée à  être  pliée  derechef  en  la  même  façon  par  un 
autre  objet  qui  ressemble  en  quelque  chose  au  pré- 
cédent, encore  qu'il  ne  lui  ressemble  pas  en  tout. 
Par  exemple ,  lorsque  j  etois  enfant,  j'aimois  une 
fille  de  mon  âge,  qui  étoit  un  peu  louche;  au  moyen 
de  quoi ,  l'impression  qui  se  faisoit  par  la  vue  en 
mon  cerveau,  quand  je  regardois  ses  yeux  égarés, 
se  joignoit  tellement  à  celle  qui  s'y  faisoit  aussi  pour 
émouvoir  en  moi  la  passion  de  l'amour,  que  long- 
temps après  en  voyant  des  personnes  louches,  je 
me  sentois  plus  enclin  à  les  aimer  qu'à  en  aimer 
d'autres ,  pour  cela  seul  qu'elles  avoient  ce  défaut; 
et  je  ne  sa  vois  pas  néanmoins  que  ce  fut  pour  cela; 
au  contraire ,  depuis  que  j'y  ai  fait  réflexion ,  et 
que  j'ai  reconnu  que  cetoit  un  défaut,  je  n'en  ai 
plus  été  ému.  Ainsi  lorsque  nous  sommes  portés  à 
aimer  quelqu'un  sans  que  nous  en  sachions  la  cause, 
nous  pouvons  croire  que  cela  vient  de  ce  qu'il  y  a 
quelque  chose  en  lui  de  semblable  à  ce  qui  a  été 
dans  un  autre  objet  que  nous  avons  aimé  aupara- 
vant, encore  que  nous  ne  sachions  pas  ce  que  c'est  ; 
et,  bien  que  ce  soit  plus  ordinairement  une  perfec- 
tion qu'un  défaut  qui  nous  attire  ainsi  à  l'amour , 
toutefois  à  cause  que  ce  peut  être  quelquefois  un 
défaut,  comme  en  l'exemple  que  j'ai  apporté,  un 
homme  sage  ne  se  doit  pas  laisser  entièrement  al- 


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54  LETTRES. 

1er  à  cette  passion  avant  que  d'avoir  considéré  le 
mérite  de  la  personne  pour  laquelle  nous  nous  sen- 
tons émus.  Mais  à  cause  que  nous  ne  pouvons  pas 
aimer  également  tous  ceux  en  qui  nous  remarquons 
des  mérites  égaux ,  je  crois  que  nous  sommes  seu- 
lement obligés  de  les  estimer  également;  et  que  le 
principal  bien  de  la  vie  étant  d'avoir  de  l'amitié 
pour  quelques  uns ,  nous  avons  raison  de  préférer 
ceux  à  qui  nos  inclinations  secrètes  nous  joignent, 
pourvu  que  nous  remarquions  aussi  en  eux  du 
mérite.  Outre  que  lorsque  ces  inclinations  secrètes 
ont  leur  cause  en  l'esprit,  et  non  dans  le  corps,  je 
crois  qu'elles  doivent  toujours  être  suivies  ;  et  la 
marque  principale  qui  les  fait  connoître ,  est  que 
celles  qui  viennent  de  l'esprit  sont  réciproques ,  ce 
qui  n'arrive  pas  souvent  aux  autres.  Mais  les  preu- 
ves que  j'ai  de  votre  affection  m'assurent  si  fort 
que  l'inclination  que  j'ai  pour  vous  est  réciproque, 
qu'il  faudroit  que  je  fusse  entièrement  ingrat,  et 
que  je  manquasse  à  toutes  les  règles  que  je  crois 
devoir  être  observées  en  l'amitié,  si  je  netois  pas 
avec  beaucoup  de  zèle ,  etc. 

A  La  Haye,  le  6  juin  1647. 


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LETTRES 


A  MADAME  ÉLIZ ABETII  , 

PRINCESSE  PALATINE,    etc.  ». 

(Lettre  20  du  tome  I.  ) 

Madame, 

Passant  par  La  Haye  pour  aller  en  France,  puis- 
que je  ne  puis  y  avoir  l'honneur  de  recevoir  vos 
commandements ,  et  vous  faire  la  révérence,  il  me 
semble  que  je  suis  obligé  de  tracer  ces  lignes,  afin 
d'assurer  votre  altesse  que  mon  zèle  et  ma  dévo- 
tion ne  changeront  point,  encore  que  je  change  de 
terre.  J'ai  reçu  depuis  deux  jours  une  lettre  de 
Suède ,  de  monsieur  le  résident  de  France  qui  est  là , 
où  il  me  propose  une  question  de  la  part  de  la  reine, 
à  laquelle  il  m'a  fait  connoître  en  lui  montrant  ma 
réponse  à  une  autre  lettre  qu'il  m'avoit  ci-devant 
envoyée;  et  la  façon  dont  il  décrit  cette  reine,  avec 
les  discours  qu'il  rapporte  d'elle,  me  la  font  telle- 
ment estimer,  qu'il  me  semble  que  vous  seriez  di- 
gnes de  la  conversation  l'une  de  l'autre  ;  et  qu'il  y 

'  «  Cette  lettre  es»  du  7  juin  1647 1  car  clic  est  écrite  1«  lendemain 
de  la  3<ic  du  touie  I ,  adressée  à  M.  Chanut,  et  fixement  daîéc  du  6 
juin  16/17.  " 


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56  LETTRES. 

en  a  si  peu  au  reste  du  monde  qui  en  soient  dignes, 
qu'il  ne  seroit  pas  malaisé  à  votre  altesse  de  lier 
une  fort  étroite  amitié  avec  elle;  et  qu'outre  le  con- 
tentement d'esprit  que  vous  en  auriez,  cela  pour- 
roit  être  à  désirer  pour  diverses  considérations. 
J'avois  écrit  ci-devant  à  ce  mien  ami,  résident  en 
Suède ,  en  répondant  à  une  lettre  où  il  parloit  d'elle, 
que  je  ne  trouvois  pas  incroyable  cequ'ilm'en  disoit, 
à  cause  que  l'honneur  que  j'avois  de  connoître  votre 
altesse ,  m'avoit  appris  combien  les  personnes  de 
grande  naissance  pouvoient  surpasser  les  autres,  etc. 
Mais  je  ne  me  souviens  pas  si  c'est  en  la  lettre 
qu'il  lui  a  fait  voir,  ou  bien  en  une  autre  précé- 
dente ;  et  pourcequ'il  est  vraisemblable  qu'il  lui 
fera  voir  dorénavant  les  lettres  qu'il  recevra  de  moi, 
je  tâcherai  toujours  d'y  mettre  quelque  chose  qui 
lui  donne  sujet  de  souhaiter  l'amitié  de  votre  al- 
tesse, si  ce  n'est  que  vous  me  le  défendiez.  On  a 
fait  taire  les  théologiens  qui  me  vouloient  nuire , 
mais  en  les  flattant,  et  en  se  gardant  de  les  offen- 
ser le  plus  qu'on  a  pu ,  ce  qu'on  attribue  mainte- 
nant au  temps;  mais  j'ai  peur  que  ce  temps  durera 
toujours,  et  qu'on  leur  lairra  prendre  tant  de  pou- 
voir, qu'ils  seront  insupportables.  On  achève  l'im- 
pression de  mes  Principes  en  françois  ,  et  pource- 
que  c'est  l'Épître  qu'on  imprimera  la  dernière ,  j'en 
envoie  ici  la  copie  à  votre  altesse ,  afin  que  s'il  y 
a  quelque  chose  qui  ne  lui  agrée  pas,  et  qu'elle 


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LETTRES.  f>7 

juge  devoir  être  mis  autrement,  il  lui  plaise  me 
faire  la  faveur  d'en  avertir  celui  qui  sera  toute  sa 
vie,  etc. 

A  MADAME  ÉLIZABETH, 

PRINCESSE  PALATINE,  CtC. 

(Lettre  21  du  tome  I.) 
Madame , 

Mon  voyage  ne  pouvoit  être  accompagné  d'au- 
cun malheur,  puisque  j'ai  été  si  heureux  en  le  fai- 
sant que  d'être  en  la  souvenance  de  votre  altesse  : 
la  très  favorable  lettre  qui  m'en  donne  des  mar- 
ques est  la  chose  la  plus  précieuse  que  je  pusse 
recevoir  en  ce  pays.  Elle  m  auroit  entièrement  rendu 
heureux,  si  elle  ne  m'a  voit  appris  que  la  maladie 
qu'avoit  votre  altesse  auparavant  que  je  partisse 
de  La  Haye  lui  a  encore  laissé  quelques  restes  d'in- 
disposition en  l'estomac.  Les  remèdes  qu'elle  a  choi- 
sis, à  savoir  la  diète  et  l'exercice,  sont  à  mon  avis 

»  «  Il  est  constant,  par  la  fin  de  cette  lettre,  qu'elle  est  datée  de  Pari»; 
et  comme  il  partit  de  Paris  vers  le  i5  juillet  pour  la  Bretagne  et  le 
Poitou,  il  est  clair  que  cette  lettre  a  été  écrite  de  Paris  vers  le  10 
juillet  1647.  " 


58  LETTRES. 

les  meilleurs  de  tous,  après  toutefois  ceux  de  lame, 
qui  a  sans  doute  beaucoup  de  force  sur  le  corps , 
ainsi  que  montrent  les  grands  changements  que  la 
colère,  la  crainte  et  les  autres  passions  excitent 
en  lui.  Mais  ce  n'est  pas  directement  par  sa  volonté 
qu'elle  conduit  les  esprits  dans  les  lieux  où  ils  peu- 
vent être  utiles  ou  nuisibles ,  c'est  seulement  en 
voulant  ou  pensant  à  quelque  autre  chose  :  car  la 
construction  de  notre  corps  est  telle ,  que  certains 
mouvements  suivent  en  lui  naturellement  de  cer- 
taines pensées;  comme  on  voit  que  la  rougeur  du 
visage  suit  de  la  honte,  les  larmes  de  la  com- 
passion ,  et  les  ris  de  la  joie.  Et  je  ne  sache  point 
de  pensée  plus  propre  pour  la  conservation  de  la 
santé,  que  celle  qui  consiste  en  une  forte  persua- 
sion et  ferme  créance  que  l'architecture  de  nos 
corps  est  si  bonne ,  que  lorsqu'on  est  une  fois 
sain ,  on  ne  peut  pas  aisément  tomber  malade  , 
si  ce  n'est  qu'on  fasse  quelque  excès  notable ,  ou 
bien  que  l'air  ou  les  autres  causes  extérieures  nous 
nuisent  ;  et  qu'ayant  une  maladie,  on  peut  aisément 
se  remettre  par  la  seule  force  de  la  nature,  prin- 
cipalement lorsqu'on  est  encore  jeune.  Cette  per- 
suasion est  sans  doute  beaucoup  plus  vraie  et  plus 
raisonnable  que  celle  de  certaines  gens  qui ,  sur 
le  rapport  d'un  astrologue  ou  d'un  médecin,  se  font 
accroire  qu'ils  doivent  mourir  en  certain  temps  , 
et  par  cela  seul  deviennent  malades,  el  même  en 


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LETTRES.  59 

meurent  assez  souvent,  ainsi  que  j'ai  vu  arriver  à 
diverses  personnes.  Mais  je  ne  pourrois  manquer 
detre  extrêmement  triste,  si  je  pensois  que  l'indis- 
position de  votre  altesse  durât  encore;  j'aime  mieux 
espérer  qu'elle  est  toute  passée;  et  toutefois  le  dé- 
sir d'en  être  certain  me  fait  avoir  des  passions  ex- 
trêmes de  retourner  en  Hollande.  Je  me  propose 
de  partir  d'ici  dans  quatre  ou  cinq  jours  pour  pas- 
ser en  Poitou  et  en  Bretagne,  où  sont  les  affaires 
qui  m'ont  amené;  mais  sitôt  que  je  les  aurai  pu 
mettre  un  peu  en  ordre,  je  ne  souhaite  rien  tant 
que  de  retourner  vers  les  lieux  où  j'ai  été  si  heu- 
reux que  d'avoir  l'honneur  de  parler  quelquefois 
à  votre  altesse  :  car  bien  qu'il  y  ait  ici  beaucoup  de 
personnes  que  j'honore  et  estime,  je  n'y  ai  toute- 
fois encore  rien  vu  qui  me  puisse  arrêter.  Et  je  suis 
au-delà  de  tout  ce  que  je  puis  dire  ,  etc. 

A  LA  REINE  DE  SUÈDE. 

(Lettre  ire  du  tome  III.) 

Madame, 

J'ai  appris  de  M.  Chanut  qu'il  plait  à  votre  ma- 
jesté que  j'aie  l'honneur  de  lui  exposer  l'opinion 


60  LETTRES. 

que  j'ai  touchant  le  souverain  bien,  considéré  au 
sens  que  les  philosophes  anciens  en  ont  parlé;  et 
je  tiens  ce  commandement  pour  une  si  grande 
faveur,  que  le  désir  que  j'ai  d'y  obéir  me  dé- 
tourne de  toute  autre  pensée,  et  fait  que  sans 
excuser  mon  insuffisance ,  je  mettrai  ici  en  peu 
de  mots  tout  ce  que  je  pourrai  savoir  sur  cette 
matière.  On  peut  considérer  la  bonté  de  chaque 
chose  en  elle-même  ,  sans  la  rapporter  à  autrui , 
auquel  sens  il  est  évident  que  c'est  Dieu  qui  est 
le  souverain  bien,  pourcequ'ii  est  incomparable- 
ment plus  parfait  que  les  créatures;  mais  on  peut 
aussi  la  rapporter  à  nous ,  et  en  ce  sens  je  ne  vois 
rien  que  nous  devions  estimer  bien,  sinon  ce  qui 
nous  appartient  en  quelque  façon ,  et  qui  est  tel 
que  c'est  perfection  pour  nous  de  l'avoir.  Ainsi 
les  philosophes  anciens,  qui,  n'étant  point  éclai- 
rés de  la  lumière  de  la  foi,  ne  savoicnt  rien  de 
la  béatitude  surnaturelle  ,  ne  considéroient  que 
les  biens  que  nous  pouvons  posséder  en  cette 
vie ,  et  c'étoit  entre  ceux  là  qu'ils  cherchoient  le- 
quel étoit  le  souverain,  c'est-à-dire  le  principal 
et  le  plus  grand.  Mais  afin  que  je  le  puisse  déter- 
miner, je  considère  que  nous  ne  devons  estimer 
biens  à  notre  égard  que  ceux  que  nous  possé- 
dons, ou  bien  que  nous  avons  pouvoir  d'acqué- 
rir; et  cela  posé,  il  me  semble  que  le  souverain 
bien  de  tous  les  hommes  ensemble  est  un  amas 


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LETTRES.  6l 

ou  un  assemblage  de  tous  les  biens ,  tant  de  lame 
que  du  corps  et  de  la  fortune ,  qui  peuvent  être 
en  quelques  hommes  ;  mais  que  celui  d'un  cha- 
cun en  particulier  est  tout  autre  chose,  et  qu'il 
ne  consiste  qu'en  une  ferme  volonté  de  bien 
faire ,  et  au  contentement  qu'elle  produit  :  dont 
la  raison  est  que  je  ne  remarque  aucun  autre 
bien  qui  me  semble  si  grand ,  ni  qui  soit  entiè- 
rement au  pouvoir  d'un  chacun.  Car  pour  les 
biens  du  corps  et  de  la  fortune ,  ils  ne  dépendent 
point  absolument  de  nous:  et  ceux  de  l'âme  se 
rapportent  tous  à  deux  chefs,  qui  sont;  l'un  de 
connoître ,  et  l'autre  de  vouloir  ce  qui  est  bon  ; 
mais  la  connoissance  est  souvent  au-delà  de  nos 
forces;  c'est  pourquoi  il  ne  reste  que  notre  vo- 
lonté dont  nous  puissions  absolument  disposer. 
Et  je  ne  vois  point  qu'il  soit  possible  d'en  disposer 
mieux ,  que  si  l'on  a  toujours  une  ferme  et  con- 
stante résolution  de  faire  exactement  toutes  les 
choses  que  Ton  jugera  être  les  meilleures ,  et  d'em- 
ployer toutes  les  forces  de  son  esprit  à  les  bien 
connoître  ;  c'est  en  cela  seul  que  consistent  tou- 
tes les  vertus;  c'est  cela  seul  qui,  à  proprement 
parler,  mérite  de  la  louange  et  de  la  gloire;  en- 
fin, c'est  de  cela  seul  que  résulte  toujours  le  plus 
grand  et  le  plus  solide  contentement  de  la  vie  : 
ainsi  j'estime  que  c'est  en  cela  que  consiste  le  sou- 
verain bien.  Et  par  ce  moyen  je  pense  accorder  les 


6'2  LETTRES. 

deux  plus  contraires  et  plus  célèbres  opinions  des 
anciens,  à  savoir  celle  de  Zénon ,  qui  Ta  mis  en  la 
vertu  ou  en  l'honneur ,  et  celle  dTÈpicure ,  qui  l'a 
mis  au  contentement  auquel  il  a  donné  le  nom 
de  volupté.  Car  comme  tous  les  vices  ne  viennent 
que  de  l'incertitude  et  de  la  foiblesse  qui  suit  l'i- 
gnorance, et  qui  fait  naître  les  repentirs;  ainsi  la 
vertu  ne  consiste  qu'en  la  résolution  et  la  vigueur 
avec  laquelle  on  se  porte  à  faire  les  choses  qu'on 
croit  être  bonnes,  pourvu  que  cette  vigueur  ne 
vienne  pas  d'opiniâtreté ,  mais  de  ce  qu'on  sait  les 
avoir  autant  examinées  qu'on  en  a  moralement 
de  pouvoir;  et  bien  que  ce  qu'on  fait  alors  puisse 
être  mauvais,  on  est  assuré  néanmoins  qu'on  fait 
son  devoir;  au  lieu  que  si  on  exécute  quelque  ac- 
tion de  vertu,  et  que  cependant  on  pense  mal  faire, 
ou  bien  qu'on  néglige  de  savoir  ce  qui  en  est ,  on 
n'agit  pas  en  homme  vertueux.  Pour  ce  qui  est  de 
l'honneur  et  de  la  louange,  on  les  attribue  souvent 
aux  autres  biens  de  la  fortune;  mais  pourceque 
je  m'assure  que  votre  majesté  fait  plus  d'état  de  sa 
vertu  que  de  sa  couronne ,  je  ne  craindrai  point 
ici  de  dire  qu'il  ne  me  semble  pas  qu'il  y  ait  rien 
que  cette  vertu  qu'on  ait  juste  raison  de  louer. 
Tous  les  autres  biens  méritent  seulement  d'être 
estimés,  et  non  point  d'être  honorés  ou  loués, *si 
ce  n'est  en  tant  qu'on  présuppose  qu'ils  sont  acquis 
ou  obtenus  de  Dieu ,  par  le  bon  usage  du  libre  ar- 


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LETTRES.  G3 

bitre  ;  car  l'honneur  et  la  louange  est  une  espèce 
de  récompense ,  et  il  n'y  a  rien  que  ce  qui  dépend 
de  la  volonté  qu'on  ait  sujet  de  récompenser  ou 
de  punir.  Il  me  reste  encore  ici  à  prouver  que  c'est 
de  ce  bon  usage  du  libre  arbitre  que  vient  le  plus 
grand  et  le  plus  solide  contentement  de  la  vie ,  ce 
qui  me  semble  n'être  pas  difficile,  pourceque  con- 
sidérant avec  soin  en  quoi  consiste  la  volupté  ou 
le  plaisir,  et  généralement  toutes  les  sortes  de  con- 
tentements qu'on  peut  avoir,  je  remarque  en  pre- 
mier lieu  qu'il  n'y  en  a  aucun  qui  ne  soit  entière- 
ment en  l'âme,  bien  que  plusieurs  dépendent  du 
corps  ;  de  même  que  c'est  aussi  1  ame  qui  voit ,  bien 
que  ce  soit  par  l'entremise  des  yeux.  Puis  je  re- 
marque qu'il  n'y  a  rien  qui  puisse  donner  du  con- 
tentement à  l'âme,  sinon  l'opinion  qu'elle  a  dépos- 
séder quelque  bien ,  et  que  souvent  cette  opinion 
n'en  est  qu'une  représentation  fort  confuse,  et 
même  que  son  union  avec  le  corps  est  cause  qu'elle 
se  représente  ordinairement  certains  biens  incom- 
parablement plus  grands  qu'ils  ne  sont;  mais  que 
si  elle  connoissoit  distinctement  leur  juste  valeur, 
son  contentement  seroit  toujours  proportionné  à 
la  grandeur  du  bien  dont  il  procéderoit.  Je  remar- 
que aussi  que  la  grandeur  d'un  bien  à  notre  égard 
ne  doit  pas  seulement  être  mesurée  par  la  valeur 
de  la  chose  en  quoi  il  consiste,  mais  principale- 
ment aussi  par  la  façon  dont  il  se  rapporte  à  nous; 


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64  .LETTRES. 

et  qu'outre  que  le  libre  arbitre  est  de  soi  la  chose 
la  plus  noble  qui  puisse  être  en  nous,  d autant 
qu'il  nous  rend  en  quelque  façon  pareils  à  Dieu , 
et  semble  nous  exempter  de  lui  être  sujets,  et  que 
par  conséquent  son  bon  usage  est  le  plus  grand  de 
tous  nos  biens ,  il  est  aussi  celui  qui  est  le  plus 
proprement  nôtre,  et  qui  nous  importe  le  plus; 
d'où  il  suit  que  ce  n'est  que  de  lui  que  nos  plus 
grands  contentements  peuvent  procéder  ;  aussi  voit- 
on  ,  par  exemple ,  que  le  repos  d'esprit  et  la  satis- 
faction intérieure  que  sentent  en  eux-mêmes  ceux 
qui  savent  qu'ils  ne  manquent  jamais  à  faire  leur 
mieux ,  tant  pour  connoître  le  bien  que  pour  l'ac- 
quérir, est  un  plaisir  sans  comparaison  plus  doux , 
plus  durable  et  plus  solide  que  tous  ceux  qui  vien- 
nent d'ailleurs.  J'omets  encore  ici  beaucoup  d'au- 
tres choses ,  pourceque  me  représentant  le  nombre 
des  affaires  qui  se  rencontrent  en  la  conduite  d'un 
grand  royaume ,  et  dont  votre  majesté  prend  elle- 
même  les  soins,  je  n'ose  lui  demander  plus  longue 
audience;  mais  j'envoie  à  monsieur  Chanut  quel- 
ques écrits  où  j'ai  mis  mes  sentiments  plus  au 
long  touchant  la  même  matière ,  afin  que  s'il  plaît 
à  votre  majesté  de  les  voir,  il  m'oblige  de  les  lui 
présenter ,  et  que  cela  aide  à  témoigner  avec  com- 
bien de  zèle  et  de  dévotion  je  suis  ,  etc. 

D'Egraond,   ce  ao  novembre  1G47. 


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L  KTTRES. 


65 


A  M.  CHANUT. 

- 

(Lettre  2  du  tome  II.) 
Monsieur, 

* 

II  est  vrai  que  j'ai  coutume  de  refuser  d  écrire 
mes  pensées  touchant  la  morale ,  et  cela  pour  deux 
raisons  :  l'une,  qu'il  n'y  a  point  de  matière  d'où 
les  malins  puissent  plus  aisément  tirer  des  prétex- 
tes pour  calomnier  ;  l'autre ,  que  je  crois  qu'il  n'ap- 
partient qu'aux  souverains,  ou  à  ceux  qui  sont  au- 
torisés par  eux ,  de  se  mêler  de  régler  les  mœurs 
des  autres.  Mais  ces  deux  raisons  cessent  en  l'oc- 
casion que  vous  m'avez  fait  l'honneur  de  me  don- 
ner en  m'écrivant ,  de  la  part  de  l'incomparable 
reine  auprès  de  laquelle  vous  êtes,  qu'il  lui  plaît 
que  je  lui  écrive  mon  opinion  touchant  le  souve- 
rain bien  ;  car  ce  commandement  m'autorise  assez, 
et  j'espère  que  ce  que  j'écris  ne  sera  vu  que  d'elle 
et  de  vous  :  c'est  pourquoi  je  souhaite  avec  tant  de 
passion  de  lui  obéir  que,  tant  s'en  faut  que  je  me 
réserve ,  je  voudrois  pouvoir  entasser  en  une  lettre 
tout  ce  que  j'ai  jamais  pensé  sur  ce  sujet.  En  effet, 
j'ai  voulu 'mettre  tant  de  choses  en  celle  que  je  me 
suis  hasardé  de  lui  écrire,  que  j'ai  peur  de  n'y  avoir 


66  LETTRES. 

rien  assez  expliqué;  mais,  pour  suppléer  à  ce  dé- 
faut, je  vous  envoie  un  recueil  de  quelques  autres 
lettres,  où  j'ai  déduit  plus  au  long  les  mêmes  cho- 
ses; et  j'y  ai  joint  un  petit  Traité  des  Passions,  qui 
n'en  est  pas  la  moindre  partie  :  car  ce  sont  princi- 
palement elles  qu'il  faut  tâcher  de  connoître  pour 
obtenir  le  souverain  bien  que  j'ai  décrit.  Si  j'avois 
aussi  osé  y  joindre  les  réponses  que  j'ai  eu  l'hon- 
neur de  recevoir  de  la  princesse  à  qui  ces  lettres 
sont  adressées,  ce  recueil  auroit  été  plus  accom- 
pli ;  et  j'en  eusse  encore  pu  ajouter  deux  ou  trois 
des  miennes ,  qui  ne  sont  pas  intelligibles  sans  cela  : 
maisj'aurois  dû  lui  en  demander  permission ,  et  elle 
est  maintenant  bien  loin  d'ici.  Au  reste,  je  ne  vous 
prie  point  de  présenter  d'abord  ce  recueil  à  la 
reine,  car  j'aurois  peur  de  ne  pas  garder  assez  le 
respect  et  la  vénération  que  je  dois  à  sa  majesté, 
si  je  lui  envoyois  des  lettres  que  j'ai  faites  pour 
une  autre  personne ,  plutôt  que  de  lui  écrire  à  elle- 
même  ce  que  je  pourrai  juger  lui  être  agréable; 
mais  si  vous  trouvez  bon  de  lui  en  parler,  disant 
que  c'est  à  vous  que  je  les  ai  envoyées ,  et  qu'après 
cela  elle  désire  de  les  voir,  je  serai  libre  de  ce  scru- 
pule ;  et  je  me  suis  persuadé  qu'il  lui  sera  peut- 
être  plus  agréable  de  voir  ce  que  j'ai  ainsi  écrit  à 
une  autre,  que  s'il  lui  avoit  été  adressé,  pource- 
qu'elle  pourra  s'assurer  davantage  que  je  n'ai  rien 
changé  ou  déguisé  en  sa  considération.  Mais  je 


i 


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LETTRES.  67 

vous  prie  que  ces  écrits  ne  tombent  point,  s'il  est 
possible ,  en  d'autres  mains,  et  de  vous  assurer  que 
je  suis  autant  que  je  puis  être,  etc. 

D'Egmont,  ce  ao  novembre  1647. 

A  MADAME  ÉLIZABEÏH, 

•  » 

PRINCESSE  PALATINE,  etC.  ». 

(Lettre  3i  du  tome  I.) 

Madame, 

Puisque  j'ai  déjà  pris  la  liberté  d'avertir  votre 
altesse  de  la  correspondance  que  j'ai  commencé 
d'avoir  en  Suède,  je  pense  être  obligé  de  continuer, 
et  de  lui  dire  que  j'ai  reçu  depuis  peu  des  lettres 
de  l'ami  que  j'ai  en  ce  pays-là,par  lesquelles  il  m'ap- 
prend que  la  reine  ayant  été  à  Upsal,  où  est  l'aca- 
démie du  pays,  elle  avoit  voulu  entendre  une  ha- 
rangue du  professeur  en  l'éloquence  qu'il  estime 
pour  le  plus  habile  et  le  plus  raisonnable  de  cette 
académie,  et  qu'elle  lui  avoit  donné  pour  son  su- 
jet à  discourir  du  souverain  bien  de  cette  vie  :  mais 

1  •  Comme  la  lettre  à  la  reine  de  Suède  est  écrite  du  ao  novembre 
1647,  et  que  celle-ci  est  écrite  le  lendemain  ou  deux  jours  après,  on 
peut  aisément  s'en  convaincre  par  la  seule  lecture  de  celle  lettre,  je  la 
fixe  an  ao  novembre  1647.  » 

5. 


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68  LETTRES, 

qu'après  avoir  ouï  cette  harangue,  elle  a\ oit  dit 
que  ces  gens-là  ne  faisoient  qu'effleurer  les  ma- 
tières, et  qu'il  en  faudroit  savoir  mon  opinion  ;  à 
quoi  il  lui  avoit  répondu  qu'il  savoit  que  j'étois 
fort  retenu  à  écrire  de  telles  matières;  mais  que, 
s'il  plaisoit  à  sa  majesté  qu'il  me  la  demandât  de  sa 
part,  il  ne  croyoit  pas  que  je  manquasse  à  tâcher 
de  lui  satisfaire  ;  sur  quoi  elle  lui  avoit  très  expres- 
sément donné  charge  de  me  la  demander,  et  lui 
avoit  fait  promettre  qu'il  m'en  écriroit  au  prochain 
ordinaire;  en  sorte  qu'il  me  conseille  d'y  répon- 
dre, et  d'adresser  ma  lettre  à  la  reine,  à  laquelle  il 
la  présentera,  et  dit  qu'il  est  caution  quelle  sera 
bien  reçue.  J'ai  cru  ne  devoir  pas  négliger  cette 
occasion;  et  considérant  que ,  lorsqu'il  m'a  écrit 
cela ,  il  ne  pouvoit  encore  avoir  reçu  la  lettre  où 
je  parlois  de  celles  que  j'ai  eu  l'honneur  d  écrire  à 
votre  altesse  louchant  la  même  matière ,  j'ai  pensé 
que  le  dessein  que  j'avois  en  cela  étoit  failli,  et  qu'il 
le  falloit  prendre  d'un  autre  biais  :  c'est  pourquoi 
j'ai  écrit  une  lettre  à  la  reine,  où,  après  avoir  mis 
brièvement  mon  opinion,  j'ajoute  que  j'omets  beau- 
coup  de  choses,  parceque,  me  représentant  le  nom- 
bre des  affaires  qui  se  rencontrent  en  la  conduite 
d'un  grand  royaume ,  et  dont  sa  majesté  prend 
elle-même  les  soins,  je  n'ose  lui  demander  plus 
longue  audience;  mais  que  j'envoie  à  M.  Chanut 
quelques  écrits  où  j'ai  mis  mes  sentiments  plus  au 


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LETTRES.  6l) 

long  touchant  la  même  matière,  afin  que,  s'il  lui 
plaît  de  les  voir,  il  puisse  les  lui  présenter.  Ces  écrits 
que  j'envoie  à  M.  Chanut  sont  les  lettres  que  j'ai 
eu  l'honneur  d'écrire  à  votre  altesse  touchant  le 
livre  de  Sénèque,  De  Vita  beata ,  jusques  à  la  moi- 
tié de  la  sixième,  où,  après  avoir  défini  les  passions 
en  général ,  je  mets  que  je  trouve  de  la  difficulté  à 
les  dénombrer;  en  suite  de  quoi  je  lui  envoie  aussi 
le  petit  Traité  des  Passions  ,  lequel  j'ai  eu  assez  de 
peine  à  faire  transcrire  sur  un  brouillon  fort  con- 
fus que  j'en  avois  gardé  ;  et  je  lui  mande  que  je  ne 
le  prie  point  de  présenter  d'abord  ces  écrits  à  la 
reine,  pourceque  j'aurois  peur  de  ne  pas  garder 
assez  le  respect  que  je  dois  à  sa  majesté  si  je  lui  en- 
voyois  des  lettres  que  j'ai  faites  pour  une  autre,  plu- 
tôt que  de  lui  écrire  à  elle-même  ce  que  je  pourrois 
juger  lui  être  agréable;  mais  que,  s'il  trouve  bon 
de  lui  en  parler,  disant  que  c'est  à  lui  que  je  les  ai 
envoyées,  et  qu'après  cela  elle  désire  de  les  voir,  je 
serai  libre  de  ce  scrupule;  et  que  je  me  suis  per- 
suadé qu'il  lui  sera  peut-être  plus  agréable  devoir 
ce  qui  a  été  ainsi  écrit  à  une  autre  que  s'il  lui  étoit 
adressé,  pourcequ'elle  pourra  s'assurer  davantage 
que  je  n'ai  rien  changé  ou  déguisé  en  sa  considéra-- 
tion.  Je  n'ai  pas  jugé  à  propos  d'y  mettre  rien  de 
plus  de  votre  altesse,  ni  même  d'en  exprimer  le 
nom,  lequel  toutefois  il  ne  pourra  ignorer  à  cause 
de  mes  lettres  précédentes;  mais  considérant  que , 


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70  LETTRES. 

nonobstant  qu'il  soit  homme  très  vertueux  et  grand 
estimateur  des  personnes  de  mérite ,  en  sorte  que 
je  ne  doute  point  qu'il  n'honore  votre  altesse  au- 
tant qu'il  doit,  il  ne  m'en  a  toutefois  parlé  que  ra- 
rement en  ses  lettres,  bien  que  je  lui  en  aie  écrit 
quelque  chose  en  toutes  les  miennes ,  j'ai  pensé 
qu'il  faisoit  peut-être  scrupule  d'en  parler  à  la 
reine,  pourcequ'il  ne  sait  pas  si  cela  plairoit  ou 
déplairoit  à  ceux  qui  l'ont  envoyé.  Mais,  si  j'ai 
dorénavant  occasion  de  lui  écrire  à  elle-même ,  je 
n'aurai  pas  besoin  d'interprète;  et  le  but  que  j'ai 
eu  cette  fois  en  lui  envoyant  ces  écrits  est  de  tâ- 
cher à  faire  quelle  s'occupe  davantage  à  ces  pen- 
sées ,  et  que  si  elles  lui  plaisent,  ainsi  qu'on  me  fait 
espérer,  elle  ait  occasion  d'en  conférer  avec  votre 
altesse ^de  laquelle  je  serai  toute  ma  vie,  etc. 

A  MONSIEUR  *  *\ 

(Lettre  99  du  tome  I.) 

Monsieur, 

Sans  user  aujourd'hui  de  l'autorité  que  vous  avez 
sur  moi,  qui  seroit  capable  (si  vous  me  le  comman- 

*  «  Remarques  à  l'occasion  d'an  placard  imprimé  aux  Pays-Ras  vers  la 
fin  de  l'année  1647.  Ces  remarques  sont  du  20  décembre  iô4f.  » 


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LETTRES.  71 

diez)  de  me  faire  supprimer  des  choses  que  j'aurois 
estimées  les  plus  justes  et  les  plus  raisonnables,  je 
vous  prie  de  ne  faire  intervenir  que  votre  raison 
au  jugement  que  je  vous  demande  sur  la  réponse 
que  j'ai  faite  à  un  certain  placard  qui  contient  une 
vingtaine  d'assertions  touchant  Yâme  raisonnable. 
Mon  écrit  que  je  vous  envoie  vous  fera  connoître 
les  raisons  qui  m'ont  porté  à  y  faire  réponse;  et, 
quoique  leur  auteur  ait  supprimé  son  nom,  je  ne 
doute  point  que  vous  ne  le  reconnoissiez  par  le 
style,  ou  même  que  vous  ne  l'appreniez  du  bruit 
commun ,  ainsi  que  je  l'ai  appris  et  reconnu  moi- 
même;  mais,  puisqu'il  a  tâché  de  se  mettre  à  cou- 
vert ,  je  ne  vous  le  décèlerai  point.  Seulement  je 
vous  demande  un  peu  de  patience  pour  cette  lec- 
ture ,  et  beaucoup  d'attention  ;  car  j'attends  votre 
jugement  pour  me  déterminer  si  je  le  dois  donner 
au  public,  et  pour  cela  je  vous  l'envoie  tel  que  je 
rne  propose  de  le  faire  paroître,  si  vous  ne  Tiin- 
prouvez  point. 

REMARQUES  DE  RENÉ  DESCARTES 

SUR  UN  CERTAIN  PLACARD 

IMPRIMÉ  AUX  PAYS-BAS  VERS  LA  FIN  DE  l' ANNEE  1647. 

Il  m'a  été  mis  depuis  peu  de  jours  deux  livrets 
entre  les  mains,  dans  l'un  desquels  on  s'attaque 


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L  K  TT  R  ES. 

ouvertement  et  directement  à  moi,  et  dans  l'autre 
on  ne  s'y  attaque  que  couvertement  et  indirecte- 
ment. Pour  le  premier1,  je  ne  m'en  tourmente  pas 
beaucoup  :  au  contraire,  je  rends  grâces  à  son  au- 
teur de  ce  que,  ne  l'ayant  rempli  que  d'inutiles  ca- 
villations,  et  de  calomnies  si  noires  quelles  ne 
pourront  être  crues  de  personne,  il  montre  par  là 
clairement  qu'il  n'a  pu  rien  trouver  en  mes  écrits 
qu'il  pût  justement  reprendre;  et  ainsi  il  en  con- 
firme mieux  la  vérité  que  s'il  les  avoit  publique- 
ment loués  ,  et  cela  aux  dépens  de  sa  réputa- 
tion. Pour  l'autre  ,  je  m'en  mets  davantage  en 
peine;  car,  bien  qu'il  ne  contienne  rien  qui  s'a- 
dresse ouvertement  à  moi ,  et  qu'il  paroisse  sans 
aucun  nom,  ni  de  l'auteur  ni  de  l'imprimeur,  tou- 
tefois, pourcequ'il  contient  des  opinions  que  je 
juge  être  très  pernicieuses  et  très  fausses,  et  qu'il  a 
été  imprimé  en  forme  de  placard,  afin  qu'il  pût 
être  commodément  affiché  aux  portes  des  temples , 
et  ainsi  qu'il  fût  exposé  à  la  vue  de  tout  le  monde  ; 
et  aussi  pourceque  j'ai  appris  qu'il  a  déjà  été  une 
autre  fois  imprimé  en  une  autre  forme,  sous  le  nom 
d'un  certain  personnage  qui  s'en  dit  l'auteur  que 
la  plupart  estiment  n'enseigner  point  d'autres  opi- 
nions que  les  miennes;  je  me  trouve  obligé  d'en 
découvrir  les  erreurs ,  de  peur  qu'elles  ne  me  soient 

■  «  Intitulé ,  Consideratio  Reviana  ,  composé  par  Revins,  théologien 
de  Leyde.  » 


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LETTRES.  70 

imputées  par  ceux  qui,  n'ayant  pas  lu  mes  écrits, 
pourront  par  hasard  jeter  les  yeux  sur  de  telles 
affiches. 

Voici  maintenant  le  placard ,  tel  qu'il  a  paru  la 
dernière  fois. 

EXPLICATION  DE  L'ESPRIT  HUMAIN, 
OU  DE  L'AME  RAISONNABLE, 

OU  XL  EST  MONTRÉ  CE  QU'ELLE  EST  ET  CE  QUELLE  PEUT  ETRE. 

(Version.) 

Art.  Ier  L'esprit  humain  est  ce  par  quoi  les  actions  de  la 
pensée  sont  immédiatement  exercées  dans  l'homme;  et  il  ne 
consiste  précisément  que  dans  ce  principe  interne,  ou  dans 
cette  faculté  que  l'homme  a  de  penser. 

II.  Pour  ce  qui  est  de  la  nature  des  choses ,  rien  n'empêche, 
ce  semble ,  que  l'esprit  ne  puisse  être ,  ou  une  substance ,  ou 
un  certain  mode  de  la  substance  corporelle;  ou,  si  nous  vou- 
lons suivre  le  sentiment  de  quelques  nouveaux  philosophes, 
qui  disent  que  l'étendue  et  la  pensée  sont  des  attributs  qui 
sont  en  certaines  substances,  comme  dans  leurs  propres  su- 
jets ,  puisque  ces  attributs  ne  sont  point  opposés ,  mais  sim- 
plement divers ,  je  ne  vois  pas  que  rien  puisse  empêcher  que 
l'esprit,  ou  la  pensée,  ne  puisse  être  un  attribut  qui  convienne 
à  un  même  sujet  que  l'étendue,  quoique  la  notion  de  l'un  ne 
soit  point  comprise  dans  la  notion  de  l'autre  :  dont  la  raison 
est  que  tout  ce  que  nous  pouvons  concevoir  peut  aussi  être  ; 
or  est-il  que  l'on  peut  concevoir  que  l'esprit  humain  soit 

1  «  Leroi.  » 


74  LETTRES. 

quelqu'une  de  ces  choses,  car  il  n'y  a  en  cela  aucune  contra- 
diction ,  et  partant  il  en  peut-être  quelqu'une. 

III.  C'est  pourquoi  ceux-là  se  trompent  qui  soutiennent 
que  nous  concevons  clairement  et  distinctement  l'esprit  hu- 
main comme  une  chose  qui  actuellement  et  par  nécessité  est 
distincte  réellement  du  corps. 

IV.  Mais  maintenant  qu'il  soit  vrai  que  l'esprit  humain  soit 
en  effet  une  substance,  ou  un  être  distinct  réellement  du 
corps,  et  qu'il  en  puisse  être  actuellement  séparé,  et  subsister 
de  soi-même  sans  lui ,  cela  nous  est  révélé  en  plusieurs  lieux 
de  la  sainte  Écriture  ;  et  ainsi  ce  qui  de  sa  nature  peut  être 
douteux  pour  quelques  uns  (  au  moins  si  nous  ne  nous  con- 
tentons pas  d'une  légère  et  morale  connoissance  des  choses , 
mais  si  nous  en  voulons  rechercher  exactement  la  vérité  )  nous 
est  maintenant  devenu  certain  et  indubitable,  par  la  révéla- 
tion qui  nous  en  a  été  faite  dans  les  saintes  lettres. 

V.  Et  cela  ne  fait  rien  de  dire  que  nous  pouvons  douter 
de  l'existence  du  corps,  mais  que  nous  ne  pouvons  aucune- 
ment douter  de  celle  de  l'esprit  ;  car  cela  prouve  seulement 
que  pendant  que  nous  doutons  de  l'existence  du  corps,  nous 
ne  pouvons  pas  alors  dire  que  l'esprit  en  soit  un  mode. 

VI.  Quoique  l'esprit  humain  ou  l'âme  raisonnable  soit  une 
substance  distincte  réellement  du  corps,  néanmoins  pendant 
qu'elle  est  dans  le  corps  elle  est  organique  en  toutes  ses  ac- 
tions :  c'est  pourquoi,  selon  les  diverses  dispositions  du  corps, 
les  pensées  de  l'âme  sont  aussi  diverses. 

VII.  Comme  elle  est  d'une  nature  différente  du  corps  et 
de  ses  diverses  dispositions,  dont  elle  ne  peut  tirer  son  ori- 
gine, elle  est  incorruptible. 

VIII.  Et  comme  la  notion  que  nous  en  avons  ne  nous  fait 
concevoir  en  elle  aucunes  parties  ni  aucune  étendue,  c'est 


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LETTRES.  7D 

en  vain  que  Ton  demande  si  elle  est  tout  entière  dans  le  tout , 
et  tout  entière  dans  chaque  partie. 

IX.  Comme  les  choses  qui  ne  sont  qu'imaginaires  peuvent 
aussi  bien  faire  impression  sur  l'esprit,  ou  sur  l'âme,  que 
celles  qui  sont  vraies ,  il  s'ensuit  qu'il  est  naturellement  in- 
certain si  nous  apercevons  véritablement  aucun  corps  (  au 
moins  si ,  comme  il  a  déjà  été  dit ,  nous  ne  voulons  pas  nous 
contenter  d'une  légère  et  morale  connoissance  de  la  vérité, 
mais  que  nous  veuillons  connoître  les  choses  avec  certitude  ). 
Mais  la  révélation  qui  nous  a  été  faite  dans  les  saintes  lettres 
nous  a  encore  relevés  de  ce  doute;  car  elle  nous  apprend 
certainement  que  Dieu  a  créé  le  ciel  et  la  terre ,  et  toutes  les 
choses  qui  y  sont  contenues,  et  qu'il  les  conserve  encore  à 
présent. 

X.  Le  lien  qui  tient  l'âme  unie  et  conjointe  au  corps 
n'est  autre  que  la  loi  de  l'immutabilité  de  la  nature,  qui  est 
telle ,  que  chaque  chose  demeure  en  l'état  qu'elle  est  pendant 
que  rien  ne  la  change. 

XI.  Comme  elle  est  une  substance ,  et  que  dans  la  généra- 
tion de  chaque  homme  en  particulier  il  s'en  produit  une  nou- 
velle, ceux-là  sans  doute  ont  très  bonne  raison  qui  disent 
que  l'âme  raisonnable  est  produite  par  une  immédiate  créa- 
tion de  Dieu. 

XII.  L'esprit  n'a  pas  besoin  d'idées,  ou  de  notions,  ou 
d'axiomes  qui  soient  nés  ou  naturellement  imprimés  en  lui  ; 
mais  la  seule  faculté  qu'il  a  de  penser  lui  suffit  pour  exercer 
ses  actions. 

XIII.  Et  partant  toutes  les  communes  notions  qui  se  trou- 
vent empreintes  en  l'esprit  tirent  toutes  leur  origine,  ou  de 
l'observation  des  choses ,  ou  de  la  tradition. 


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76  LETTRES. 

XIV.  Bien  plus,  l'idée  même  de  Dieu  a  été  mise  en  l'esprit, 
ou  par  la  révélation  divine,  ou  par  la  tradition,  ou  par  l'ob- 
servation des  choses. 

XV.  La  notion  que  nous  avons  de  Dieu ,  ou  cette  idée  de 
Dieu  qui  est  existante  en  notre  esprit ,  n'est  pas  un  argument 
assez  fort  et  convaincant  pour  prouver  que  Dieu  existe , 
puisqu'il  est  certain  que  toutes  les  choses  dont  nous  avons 
en  nous  les  idées  n'existent  pas  actuellement,  et  qu'il  est  cer- 
tain aussi  que  cette  idée ,  étant  une  conception  de  notre  es- 
prit, et  même  une  conception  imparfaite,  n'est  pas  plus  au- 
dessus  de  la  portée  de  notre  esprit,  ou  de  notre  pensée,  et 
n'excède  pas  davantage  la  vertu  naturelle  que  nous  avons  de 
penser,  que  l'idée  d'aucune  autre  chose  que  ce  soit. 

XVI.  La  pensée  de  l'esprit  est  de  deux  sortes,  à  savoir, 
l'entendement  et  la  volonté. 

XVII.  L'entendement  est  la  perception  et  le  jugement. 

XVIII.  La  perception  est  le  sentiment ,  la  réminiscence  et 
l'imagination. 

XIX.  Tout  sentiment  est  une  perception  de  quelque  mou- 
vement corporel ,  laquelle  ne  demande  point  l'entremise  d'au- 
cunes espèces  intentionnelles  :  et  le  lieu  où  se  fait  le  senti- 
ment n'est  pas  l'organe  extérieur  du  sens,  mais  le  cerveau 
seul. 

XX.  La  volonté  est  libre ,  et  indifférente  à  se  déterminer 
aux  choses  opposées,  à  l'égard  des  choses  naturelles,  comme 
nous  le  savons  par  notre  propre  expérience. 

XXI.  C'est  elle-même  qui  se  détermine.  Et  elle  ne  doit  pas 
être  dite  aveugle ,  non  plus  que  l'œil  ne  doit  pas  être  appelé 
sourd. 


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LETTRES.  77 

II  n'y  en  a  point  qui  parviennent  plus  aisément  à  une  haute 
réputation  de  piété  que  les  superstitieux  et  les  hypocrites. 

EXAMEN  DU  SUSDIT  PLACARD. 

(Version.) 

REMARQUES  SUR   LE  TITRE. 

Je  remarque  que  par  le  litre  on  ne  promet 
pas  de  simples  assertions  ou  propositions  tou- 
chant l'âme  raisonnable,  mais  qu'on  en  promet 
une  entière  explication;  de  sorte  que  nous  devons 
croire  que  toutes  les  raisons,  ou  du  moins  les  prin- 
cipales de  celles  que  l'auteur  a  eues,  non  seulement 
pour  prouver  mais  même  pour  expliquer  les  cho- 
ses qu'il  a  proposées,  sont  contenues  dans  ce  pla- 
card, et  qu'il  n'y  a  pas  d'apparence  d'en  attendre 
jamais  de  lui  de  meilleures.  Quant  à  ce  qu'il  ap- 
pelle Vâme  raisonnable  du  nom  d'esprit  humain,  je 
lui  en  sais  bon  gré  :  car  par  ce  moyen  il  évite  l'équi- 
voque qui  est  dans  le  mot  d'âme  ;  et  je  puis  dire 
qu'en  cela  il  m'a  voulu  imiter. 

■ 

REMARQUES  SUR  CHAQUE  ARTICLE. 

Dans  le  premier  article ,  il  semble  vouloir  défi- 
nir cette  âme  raisonnable;  mais  il  le  fait  fort  im- 
parfaitement, car  il  en  omet  le  genre,  à  savoir 
qu'elle  est  ou  une  substance,  ou  un  mode,  ou  quel- 
que autre  chose;  et  il  en  donne  seulement  la  diffé- 
rence, laquelle  il  a  empruntée  de  moi  :  car  per- 


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78  LETTRES. 

sonne  que  je  sache  n'a  dit  avant  moi  qu'elle  ne  con- 
siste  précisément  que  dans  ce  principe  interne,  ou 
dans  cette  faculté  que  l'homme  a  de  penser. 

Dans  le  second  article,  il  commence  à  chercher 
quel  est  son  genre,  et  dit  en  ce  lieu-là  qu'il  sem- 
ble quil  ne  répugne  point  à  la  nature  des  choses  que 
l' esprit  humain  puisse  être ,  ou  une  substance,  ou  un 
certain  mode  de  la  substance  corporelle. 

Laquelle  assertion  enferme  une  contradiction 
qui  n'est  pas  moindre  que  s'il  avoit  dit  qu'il  ne 
répugne  point  à  la  nature  des  choses  qu'une  mon- 
tagne soit  sans  vallée  ou  avec  une  vallée  :  car  il 
faut  bien  prendre  garde  de  faire  distinction  entre 
ces  choses  qui  de  leur  nature  sont  susceptibles  de 
changement,  comme,  que  j'écrive  maintenant  ou 
que  je  n'écrive  pas;  qu'un  tel  soit  prudent,  un  au- 
tre imprudent  ;  et  celles  qui  ne  se  changent  jamais , 
comme  sont  toutes  les  choses  qui  appartiennent  à 
l'essence  de  quelque  chose,  ainsi  que  tous  les  phi- 
losophes demeurent  d'accord.  Et  de  vrai,  il  n'y  a 
point  de  doute  qu'à  l'égard  des  choses  contingen- 
tes, on  peut  dire  qu'il  ne  répugne  point  à  la  nature 
des  choses  qu'elles  soient  d'une  façon  ou  d'une  au- 
tre :  par  exemple,  il  ne  répugne  point  que  j'écrive 
maintenant  ou  que  je  n'écrive  pas  ;  mais  lorsqu'il 
s'agit  de  l'essence  d'une  chose,  il  est  tout-à-fait  ab- 
surde et  même  il  y  a  de  la  contradiction  de  dire 
qu'il  ne  répugne   point  à  la  nature  des  choses 


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LETTRES.  79 

qu'elle  soit  d'une  autre  façon  qu'elle  n'est  en  effet  ; 
et  il  n'est  pas  plus  de  la  nature  d'une  montagne  de 
n'être  point  sans  vallée  ,  qu'il  est  de  la  nature  de 
l'esprit  humain  d'être  ce  qu'il  est,  à  savoir  d'être 
une  substance,  si  en  effet  il  en  est  une,  ou  d'être 
un  certain  mode  de  la  substance  corporelle,  s'il  est 
vrai  qu'il  soit  un  tel  mode.  Et  c'est  ce  que  notre 
auteur  tâche  ici  de  persuader;  et  pour  le  prouver 
il  ajoute  ces  mots,  ou  si  nous  voulons  suivre  le  sen- 
timent de  quelques  nouveaux  philosophes,  etc.,  par 
lesquelles  paroles  il  est  aisé  à  connoître  que  c'est 
de  moi  de  qui  il  entend  parler;  car  je  suis  le  pre- 
mier qui  ai  considéré  la  pensée  comme  le  principal 
attribut  de  la  substance  incorporelle ,  et  l'étendue 
comme  le  principal  attribut  de  la  substance  corpo- 
relle :  mais  je  n'ai  pas  dit  que  ces  attributs  étoient 
en  ces  substances  comme  en  des  sujets  différents 
d'eux.  Et  il  faut  bien  prendre  garde  que  par  ce 
mot  $  attribut ,  que  je  donne  à  la  pensée  et  à  l'é- 
tendue, nous  n'entendons  ici  rien  autre  chose  que 
ce  que  les  philosophes  appellent  communément  un 
mode  ou  une  façon  ;  car  il  est  bien  vrai  qu'à  parler 
généralement  nous^  pouvons  donner  le  nom  d'at- 
tribut à  tout  ce  qui  a  été  attribué  à  quelque  chose  par 
la  nature  ,  et  en  ce  sens  le  nom  d'attribut  peut  con- 
venir .également  au  mode,  qui  peut  être  changé, 
et  à  l'essence  même  d'une  chose,  qui  est  tout-à-fait 
immuable.  Mais  ce  n'est  pas  ainsi  universellement 


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80  LETTRES. 

que  je  l'ai  pris  quand  j'ai  considéré  la  pensée  et 
l'étendue  comme  les  principaux  attributs  des  sub- 
stances où  elles  résident,  mais  au  sens  qu'on  le 
prend  d'ordinaire,  et  quand  par  ce  mot  d'attribut 
on  entend  une  chose  qui  est  immuable  et  insépa- 
rable de  l'essence  de  son  sujet ,  comme  celle  qui 
la  constitue ,  et  qui  pour  cela  même  est  opposée  au 
mode.  C'est  en  ce  sens-là  qu'on  s'en  sert  quand 
on  dit  qu'il  y  a  en  Dieu  plusieurs  attributs,  mais 
non  pas  plusieurs  modes.  C'est  ainsi  que  l'un  des 
attributs  de  chaque  substance,  quelle  qu'elle  soit, 
est  qu'elle  subsiste  par  elle-même.  De  même  aussi 
l'étendue  d'un  certain  corps  en  particulier  peut 
bien  à  la  vérité  admettre  en  soi  une  variété  de  mo- 
des :  car,  par  exemple ,  quand  ce  corps  est  sphéri- 
que  ,  il  est  d'une  autre  façon  que  quand  il  est 
carré,  et  ainsi  être  sphérique  et  être  carré  sont 
deux  diverses  façons  d'étendue  ;  mais  l'étendue 
même  qui  est  le  sujet  de  ces  modes ,  étant  considé- 
rée en  soi,  n'est  pas  un  mode  de  la  substance  cor- 
porelle, mais  bien  un  attribut  qui  en  constitue  l'es- 
sence et  la  nature.  Ainsi  enfin  la  pensée  peut  rece- 
voir plusieurs  divers  modes  ;  car  assurer  est  une 
autre  façon  de  penser  que  nier,  aimer  en  est  une 
autre  que  désirer,  et  ainsi  des  autres;  mais  la  pen- 
sée même,  en  tant  qu'elle  est  le  principe  interne 
d'où  procèdent  tous  ces  modes ,  et  dans  lequel  ils 
sont  comme  dans  leur  sujet,  n'est  pas  conçue 


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LETTRES.  8l 

comme  un  mode,  mais  comme  un  attribut  qui 
constitue  la  nature  de  quelque  substance;  et  la 
question  est  maintenant  de  savoir  si  cette  sub- 
stance quelle  constitue  est  corporelle  ou  incor- 
porelle. 

Il  ajoute  que  ces  attributs  ne  sont  pas  opposés, 
mais  simplement  divers  ;  en  quoi  il  y  a  encore  une 
contradiction  :  car  lorsqu'il  s'agit  d'attributs  qui 
constituent  l'essence  de  quelques  substances,  il 
ne  sauroit  y  avoir  entre  eux  de  plus  grande  op- 
position que  d'être  divers  ;  et  lorsqu'il  confesse  que 
l'un  est  différent  de  l'autre,  c'est  de  même  que  s'il 
disoit  que  l'un  n'est  pas  l'autre  ;  or  être  et  n'être 
pas  sont  opposés.  Il  poursuit  :  puisqu'ils  ne  sont  pas 
opposés  ,  mais  divers  ,  Je  ne  vois  pas  que  rien  puisse 
empêcher  que  l'esprit  ne  puisse  être  un  attribut  qui 
convienne  à  un  même  sujet  que  l'étendue,  quoique  la 
notion  de  l'un  ne  soit  point  comprise  dans  la  notion 
de  l'autre.  Dans  lesquelles  paroles  il  y  a  un  mani- 
feste paralogisme  :  car  il  conclut  de  toutes  sortes 
d'attributs  ce  qui  ne  peut  être  vrai  que  des  mo- 
des proprement  dits;  et  néanmoins  il  ne  prouve 
nulle  part  que  l'esprit ,  ou  ce  principe  interne  par 
lequel  nous  pensons,  soit  un  tel  mode;  mais  au 
contraire  je  prouverai  tout  maintenant,  par  ce  qu'il 
dit  lui-même  dans  le  cinquième  article,  que  ce 
n'en  est  pas  un.  Pour  ce  qui  est  de  ces  autres  sor- 
tes d'attributs  qui  constituent  la  nature  des  choses , 
10-  0 


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82  LETTRES. 

on  ne  peut  pas  dire  que  ceux  qui  sont  divers,  et 
qui  ne  sont  en  aucune  façon  compris  dans  la  no- 
tion l'un  de  l'autre,  conviennent  à  un  seul  et  même 
sujet  :  car  c'est  de  même  que  si  l'on  disoit  qu'un 
seul  et  même  sujet  a  deux  natures  diverses  ;  ce  qui 
enferme  une  manifeste  contradiction,  au  moins 
lorsqu'il  est  question,  comme  ici,  d'un  sujet  simple , 
et  non  pas  d'un  sujet  composé.  Mais  il  y  a  ici  trois 
choses  à  remarquer ,  lesquelles  si  cet  écrivain  eût 
bien  entendues,  jamais  il  ne  seroit  tombé  en  des 
erreurs  si  manifestes. 

La  première  est  qu'il  est  de  la  nature  du 
mode  que  bien  que  nous  puissions  concevoir 
aisément  la  substance  sans  lui ,  nous  ne  pouvons 
pas  toutefois  réciproquement  concevoir  claire- 
ment le  mode  sans  concevoir  en  même  temps  la 
substance  dont  il  dépend  et  dont  il  est  le  mode  , 
comme  j'ai  expliqué  en  l'article  soixante-unième 
de  la  première  partie  de  mes  Principes;  et  en  cela 
tous  les  philosophes  conviennent.  Or  il  est  mani- 
feste que  notre  auteur  n'a  pas  pris  garde  à  cette 
règle,  par  ce  qu'il  dit  en  l'article  cinquième;  car 
il  avoue  lui-même  en  ce  lieu-là  que  nous  pouvons 
douter  de  l'existence  du  corps ,  lors  même  que  nous 
ne  doutons  point  de  l'existence  de  l'esprit  :  d'où 
il  suit  que  l'esprit  peut  être  conçu  sans  le  corps,  et 
partant  que  ce  n'en  est  pas  un  mode. 

La  seconde  chose  que  je  désire  que  Ton  remar- 


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LETTRES.  83 

que  ici,  est  la  différence  qu'il  y  a  entre  les  êtres 
simples  et  les  êtres  composés;  car  cet  être-là  est 
composé,  dans  lequel  se  rencontrent  deux  ou  plu- 
sieurs attributs,  chacun  desquels  peut  être  conçu 
distinctement  sans  l'autre  ;  car  de  cela  même  que 
Pan  est  ainsi  conçu  distinctement  sans  l'autre , 
on  connoît  qu'il  n'en  est  pas  le  mode,  mais  qu'il 
est  une  chose  ou  l'attribut  d'une  chose  qui  peut 
subsister  sans  lui.  L'être  simple  au  contraire  est 
celui  dans  lequel  on  ne  remarque  point  de  sem- 
blables attributs  :  d'où  il  paroît  que  ce  sujet -là 
est  simple,  dans  lequel  nous  ne  remarquons  que  la 
seule  étendue,  et  quelques  autres  modes  qui  en 
sont  des  suites  et  des  dépendances,  comme  aussi 
celui  dans  lequel  nous  ne  reconnoissons  que  la 
seule  pensée,  et  dont  tous  les  modes  ne  sont  que 
des  diverses  façons  de  penser  ;  mais  que  celui-là  est 
composé ,  dans  lequel  nous  considérons  1  étendue 
jointe  avec  la  pensée,  c'est  à  savoir  l'homme, qui 
est  composé  de  corps  et  d'âme ,  lequel  notre  au- 
teur semble  ici  avoir  pris  seulement  pour  le  corps, 
dont  l'esprit  est  un  mode. 

Enfin  il  faut  remarquer  ici  que  dans  les  sujets 
qui  sont  composés  de  plusieurs  substances,  sou- 
vent il  y  en  a  une  qui  est  la  principale,  et  qui  est 
tellement  considérée  que  tout  ce  que  nous  lui 
ajoutons  de  la  part  des  autres  n'est  à  son  é^ard 
autre  chose  qu'un  mode  ,  ou  une  façon  de  la  con- 


84  LETTRES. 

sidérer.  Ainsi  un  homme  habillé  peut  être  consi- 
déré comme  un  certain  tout  composé  de  cet 
homme  et  de  ses  habits;  mais  être  habillé*  au 
regard  de  cet  homme,  est  seulement  un  mode 
ou  une  façon  d'être  sous  laquelle  nous  le  consi- 
dérons, quoique  ses  habits  soient  des  substances. 
C'est  ainsi  que  notre  auteur  a  pu  dans  l'homme, 
qui  est  composé  de  corps  et  d'âme,  considérer  le 
corps  comme  la  principale  partie,  au  respect  de 
laquelle  être  animé  y  ou  être  capable  de  penser  ,  n'est 
rien  autre  chose  qu'un  mode  ;  mais  il  est  ridicule 
d'insérer  de  là  que  l'âme  même,  ou  ce  principe 
par  lequel  le  corps  est  dit  être  capable  de  penser, 
n'est  pas  une  substance  différente  du  corps. 

Il  tâche  après  cela  de  confirmer  ce  qu'il  a  dit 
par  ce  syllogisme  :  Tout  ce  que  nous  pouvons  conce- 
voir peut  aussi  être.  Or  est-il  que  nous  pouvons 
concevoir  que  l'esprit  humain  soit9  ou  une  substance, 
ou  un  mode  de  la  substance  corporelle;  car  il  n'y  a 
en  cela  aucune  contradiction  :  donc  l'esprit  humain 
peut  être  l'une  ou  l'autre  de  ces  deux  choses.  Sur 
quoi  il  faut  remarquer  que  cette  règle,  à  savoir, 
Que  tout  ce  que  nous  pouvons  concevoir  peut  aussi 
être,  quoiqu'elle  soit  de  moi,  et  véritable  toutes 
et  quantes  fois  qu'il  s'agit  d'une  conception  claire 
et  distincte,  laquelle  enferme  la  possibilité  de  la 
chose  qui  est  conçue,  à  cause  que  Dieu  est  capable 
de  faire  tout  ce  que  nous  sommes  capables  de  con- 


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LETTRES.  85 

cevoir  clairement  comme  possible  ;  cette  règle  , 
dis-je,  ne  doit  pas  être  témérairement  usurpée , 
pourcequ'il  peut  aisément  arriver  que  quelqu'un 
croira  entendre  et  apercevoir  clairement  quelque 
chose,  laquelle  néanmoins,  à  cause  de  quelques 
préjugés  dont  il  est  prévenu  et  comme  aveuglé, 
il  n'entendra  et  n'apercevra  point  du  tout.  Et  c'est 
ce  qui  est  arrivé  à  cet  auteur,  lorsqu'il  a  prétendu 
qu'il  n'y  avoit  point  de  contradiction  qu'une  seule 
et  même  chose  eût  l'une  ou  l'autre  de  deux  natu- 
res entièrement  diverses ,  c'est  à  savoir,  qu'elle  fût 
ou  une  substance  ou  un  mode.  A  la  vérité  s'il  eût 
seulement  dit  qu'il  ne  voyoit  point  de  raison  pour- 
quoi l'esprit  humain  dût  plutôt  être  estimé  une 
substance  incorporelle  qu'un  mode  de  la  sub- 
stance corporelle,  son  ignorance  auroit  pu  être 
excusée.  Si  d'ailleurs  il  avoit  dit  qu'il  n'est  pas 
possible  à  la  raison  humaine  de  trouver  jamais 
aucune  preuve  par  laquelle  on  puisse  démontrer 
que  l'esprit  humain  soit  l'un  plutôt  que  l'autre, 
certes  son  arrogance  seroit  blâmable  ,  mais  du 
moins  il  n'y  auroit  point  de  contradiction  en  ses 
paroles.  Mais  en  disant,  comme  il  fait,  qu'il  ne 
répugne  point  à  la  nature  des  choses  qu'une 
même  chose  soit  une  substance  ou  un  mode,  il  dit 
des  choses  qui  se  contredisent ,  et  fait  paroître  en 
cela  l'absurdité  de  son  esprit. 

Dans  le  troisième  article,  il  expose  le  jugement 


86  LETTRES. 

qu'il  fait  de  moi  ;  car  c'est  moi  qui  ai  écrit  que  l'es- 
prit humain  peut  être  clairement  et  distinctement 
conçu  comme  une  substance  différente  de  la  sub- 
stance corporelle  :  et  quoique  cet  auteur  n'al- 
lègue point  d'autres  raisons  que  celles  que  j'ai  fait 
voir  en  l'article  précédent  enfermer  tant  de  con- 
tradictions ,  il  ne  laisse  pas  de  prononcer  hardi- 
ment que  je  me  trompe.  Mais  je  ne  veux  pas  m'ar- 
rêter  à  cela,  ni  m  amuser  à  examiner  ces  mots 
d'actuellement  ou  par  nécessité  \  lesquels  contien- 
nent quelque  ambiguïté,  car  ils  ne  sont  pas  de 
grande  importance. 

Je  ne  veux  pas  non  plus  examiner  les  choses 
qui,  dans  i 'article  quatrième ,  concernent  la  sainte 
Écriture,  de  peur  qu'il  ne  semble  que  je  me  veuille 
attribuer  le  droit  de  juger  de  la  religion  d'autrui. 
Mais  je  dirai  seulement  qu'il  y  a  trois  genres  de 
questions  qu'il  faut  ici  bien'  distinguer.  Car,  il  y 
a  des  choses  qui  ne  sont  crues  que  par  la  foi,  comme 
sont  celles  qui  regardent  le  mystère  de  l'incarna- 
tion, de  la  trinité,  et  semblables.  Il  y  en  a  d'au- 
tres qui ,  bien  qu'elles  appartiennent  à  la  foi ,  peu- 
vent néanmoins  être  recherchées  par  la  raison 
naturelle,  entre  lesquelles  les  théologiens  ont  cou- 
tume de  mettre  l'existence  de  Dieu  et  la  distinc- 
tion de  1  ame  humaine  d'avec  le  corps  ;  enfin  il  y 
en  a  d'autres  qui  n'appartiennent  en  aucune  façon 
à  la  foi ,  mais  qui  sont  seulement  soumises  à  la  re- 


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LETTRES.  07 

cherche  du  raisonnement  humain,  comme  la  qua- 
drature du  cercle ,  la  pierre  philosophale ,  et  au- 
tres semblables.  Et  comme  ceux-là  abusent  des 
paroles  de  la  sainte  Écriture ,  qui ,  par  quelque 
mauvaise  explication  qu'ils  leur  donnent,  croient 
en  pouvoir  déduire  ces  dernières;  de  même  aussi 
ceux-là  dérogent  à  son  autorité,  qui  entrepren- 
nent de  démontrer  les  premières  par  des  argu- 
ments tirés  de  la  seule  philosophie  :  mais  néan- 
moins tous  les  théologiens  soutiennent  que  Ton 
peut  entreprendre  de  montrer  que  celles-là  même 
ne  répugnent  point  à  la  lumière  de  la  raison ,  et 
c'est  en  cela  qu'ils  mettent  leurs  principales  étu- 
des. Mais  pour  les  secondes,  non  seulement  ils 
estiment  qu'elles  ne  répugnent  point  à  la  lumière 
naturelle ,  mais  même  ils  exhortent  et  encoura- 
gent les  philosophes  de  faire  tous  leurs  efforts 
pour  tâcher  de  les  démontrer  par  des  moyens 
humains  ,  c'est-à-dire    tirés  des  seules  lumières 
de  la  raison.  Mais  je  n'ai  encore  jamais  vu  per- 
sonne qui  assurât  qu'il  ne  répugne  point  à  la 
nature  des  choses  qu'une  chose  soit  autrement 
que  la  sainte  Écriture  nous  enseigne  qu'elle  est, 
si  ce  n'est  qu'il  voulut  montrer  indirectement 
qu  il  ajoute  peu  de  foi  à  cette  Écriture.  Car  comme 
nous  avons  été  premièrement  hommes,  il  n'est 
pas  croyable  que ,  faits  chrétiens ,  quelqu'un  em- 
brasse sérieusement  et  tout  de  bon  des  opinions 


88  LETTRES. 

qu'il  juge  contraires  à  la  raison  qui  le  fait  homme, 
pour  s'attacher  à  la  foi  par  laquelle  il  est  chrétien. 
Mais  peut-être  aussi  que  notre  auteur  ne  dit  pas 
cela ,  car  il  dit  seulement  que  ce  qui  de  sa  nature 
peut  être  douteux  pour  quelques  uns  ,  nous  est  main- 
tenant devenu  certain  et  indubitable  par  la  révéla- 
tion qui  nous  en  a  été  faite  dans  les  saintes  lettres; 
dans  lesquelles  paroles  je  trouve  encore  deux 
contradictions  :  la  première ,  en  ce  qu'il  suppose 
que  l'essence  d'une  seule  et  même  chose  est  dou- 
teuse de  sa  nature,  et  par  conséquent  sujette  au 
changement;  car  il  répugne  que  l'essence  d'une 
chose  ne  demeure  pas  toujours  la  même ,  à  cause 
que  si  l'on  suppose  qu'elle  devienne  autre  qu'elle 
n'étoit,  de  cela  même  ce  ne  sera  plus  la  même 
chose  ,  mais  une  autre,  qu'il  faudra  appeler  d'un 
autre  nom.  La  seconde  est  clans  ces  mots  pour  quel- 
ques uns,  d'autant  que  tous  les  hommes  ayant  une 
même  nature,  ce  qui  ne  peut  être  douteux  que 
pour  quelques  uns  n'est  pas  douteux  de  sa  na- 
ture. 

L'article  cinquième  doit  plutôt  être  rapporté  au 
second  que  non  pas  au  quatrième  ;  car  notre  au- 
teur ne  parle  point  en  cet  article  de  la  révélation 
divine,  mais  de  la  nature  de  l'esprit,  savoir  s'il  est 
une  substance  ou  un  mode  ;  et  pour  montrer  que 
l'on  peut  soutenir  qu'il  n'est  autre  chose  qu'un 
mode,  il  tache  de  résoudre  une  objection  qui  est 


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LETTRES.  89 

prise  de  mes  écrits.  Car  j'ai  écrit  en  quelque  en- 
droit que  nous  ne  pouvions  nous-mêmes  douter 
de  l'existence  de  notre  esprit,  parceque  de  cela 
même  que  nous  doutons,  il  suit  nécessairement 
que  notre  esprit  existe  ;  mais  que  dans  ce  temps- 
là  même  nous  pouvions  douter  qu'il  y  eût  aucun 
corps  au  monde:  d'où  j'ai  inféré  et  démontré  que 
nous  concevions  clairement  notre  esprit  comme 
une  chose  existante ,  ou  comme  une  substance ,  en- 
core que  nous  ne  conçussions  aucun  corps  comme 
existant,  ou  même  que  nous  niassions  qu'il  y  en 
eût  aucun  dans  le  monde  ;  d'où  il  suit  que  la  no- 
tion de  l'esprit  ne  contient  rien  en  soi  qui  ap- 
partienne en  aucune  façon  à  la  notion  du  corps. 
Et  toutefois  notre  auteur  pense  comme  dissiper 
et  réduire  en  fumée  tout  ce  raisonnement,  et  en 
faire  voir  suffisamment  la  foiblesse ,  lorsqu'il  dit 
que  cet  argument  prouve  seulement  que  pendant 
que  nous  doutons  de  l'existence  du  corps,  nous  ne 
pouvons  pas  alors  dire  que  l'esprit  en  soit  un  mode  > 
où  il  fait  voir  qu'il  ignore  entièrement  ce  que  les 
philosophes  entendent  par  le  nom  de  mode;  car 
c'est  en  cela  que  consiste  la  nature  du  mode ,  de  ne 
pouvoir  aucunement  être  conçu,  sans  enfermer 
dans  sa  notion  celle  de  la  chose  dont  il  est  le 
mode,  comme  j'ai  déjà  expliqué  ci-dessus;  cepen- 
dant il  demeure  d'accord  que  l'esprit  peut  quel- 
quefois être  conçu  sans  le  corps,  à  savoir,  lors- 


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90  LETTRES. 

qu'on  doute  de  l'existence  du  corps:  d'où  il  suit 
que  pour  lors  au  moins  il  ne  peut  être  dit  un 
mode  du  corps.  Or  est-il  que  ce  qui  est  une  fois 
vrai  de  l'essence  ou  de  la  nature  d'une  chose  est 
toujours  vrai;  et  néanmoins  il  ne  laisse  pas  d'assu- 
rer qu'il  ne  répugne  à  la  nature  des  choses  que  l'es- 
prit soit  seulement  un  mode  du  corps;  mais  il  est 
évident  que  ces  deux  choses  se  contrarient. 

Je  ne  comprends  point  ce  qu'il  veut  dire  dans  le 
sixième  article  par  ces  paroles  :  Quoique  l'esprit 
humain  ou  l'âme  raisonnable  soit  une  substance  dis- 
tincte réellement  du  corps,  néanmoins, pendant  qu' elle 
est  dans  le  corps,  elle  est  organique  en  toutes  ses  ac- 
tions. Je  me  souviens  bien  d'avoir  autrefois  ouï 
dire  dans  les  écoles,  que  l'âme  est  l'acte  du  corps  or-, 
ganique  ;  mais  qu  elle-même  soit  organique ,  je 
confesse  que  je  ne  l'avois  point  encore  ouï  dire 
jusqu'à  présent  :  c'est  pourquoi ,  comme  je  n'ai  ici 
rien  de  certain  que  je  puisse  écrire,  je  supplie 
notre  auteur  de  me  permettre  d'exposer  ici  mes 
conjectures,  que  je  ne  donne  pas  pour  quelque 
chose  de  vrai ,  mais  seulement  pour  telles  qu'elles 
sont. 

Il  me  semble  que  j'aperçois  en  ce  qu'il  dit 
deux  choses  qui  se  contrarient.  L'une  desquelles 
est  que  l'esprit  humain  est  une  substance  réelle- 
ment distincte  du  corps;  et  j'avoue  que  notre  au- 
teur le  dit  ouvertement  :  mais  il  dissuade  aiftant 


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LKTT11ES.  91 

qu'il  peut  par  ses  raisons  de  le  croire ,  et  soutient 
que  cela  ne  peut  être  prouvé  que  par  le  témoignage 
seul  de  la  sainte  Écriture.  L'autre  est  que  ce  même 
esprit  humain  en  toutes  ses  actions  est  organique , 
ou  ne  sert  que  d'instrument,  comme  n'agissant 
point  de  soi-même,  mais  dont  le  corps  se  sert, 
comme  il  fait  de  la  conformation  de  ses  membres, 
et  des  autres  modes  corporels;  et  ainsi,  s'il  ne  le 
dit  de  paroles ,  il  assure  néanmoins  en  effet  que 
l'esprit  n'est  rien  autre  chose  qu'un  mode  du  corps  ; 
comme  aussi  ne  semble-t-il  avoir  disposé  toutes 
ses  raisons  que  pour  la  preuve  de  cela  seul.  Or  ces 
deux  choses  sont  si  manifestement  contraires,  à  sa- 
voir, que  l'esprit  humain  soit  une  substance  et 
un  mode ,  que  je  ne  pense  pas  que  cet  auteur 
veuille  que  ses  lecteurs  les  croient  toutes  deux 
ensemble ,  mais  bien  qu'il  les  a  ainsi  à  dessein 
entremêlées  pour  contenter  les  simples,  et  satis- 
faire en  quelque  façon  ses  théologiens  sur  l'auto- 
rité  de  l'Ecriture  sainte,  mais  néanmoins  pour 
faire  en  sorte  que  les  plus  clairvoyants  puissent 
reconnoître  que  ce  n'est  pas  tout  de  bon  qu'il 
dit  que  l'esprit  ou  lâme  est  distincte  du  corps,  et 
qu'en  effet  son  opinion  est  qu'elle  n'est  rien  autre 
chose  qu'un  mode. 

Dans  les  septième  et  huitième  articles  ,  il  semble 
continuer  à  dire  les  choses  autrement  qu'il  ne  les, 
pense,  et  se  sert  encore  de  cette  figure  de  rhétori^ 


92  LETTRES. 

que,  qu'on  nomme  ironie,  vers  la  fin  du  neuvième 
article;  mais  au  commencement  il  ajoute  la  raison 
de  ce  qu'il  avance  :  c'est  pourquoi  il  y  a  lieu  de 
croire  qu'en  cet  endroit-là  il  parle  tout  de  bon, 
et  qu'il  agit  de  bonne  foi.  Voici  ce  qu'il  dit  :  11 
est  naturellement  incertain  si  nous  apercevons  véri- 
tablement aucun  corps;  et  la  raison  qu'il  en  apporte 
est  que  les  c/ioses  qui  ne  sont  qu  imaginaires  peu- 
vent aussi  bien  faire  impression  sur  l'esprit  que 
celles  qui  sont  vraies.  Mais  cette  raison  ne  peut 
être  bonne,  si  l'on  suppose  que  nous  ne  pouvons 
en  aucune  façon  nous  servir  de  cette  faculté  que 
les  philosophes  appellent  d'un  nom  propre  l'en- 
tendement, mais  seulement  de  celle  qu'ils  nom- 
ment le  sens  commun,  dans  laquelle  les  images  des 
choses  soit  vraies  soit  imaginaires  sont  reçues  pour 
toucher  l'esprit,  et  qu'ils  disent  nous  être  commune 
avec  les  bêtes.  Mais  certes  ceux  qui  ont  de  l'enten- 
dement, et  qui  ne  ressemblent  pas  tout-à-fait  aux 
chevaux  et  aux  mulets,  encore  qu'ils  ne  soient 
pas  seulement  touchés  par  les  images  que  la  pré- 
sence des  choses  vraies  imprime  dans  le  cerveau, 
mais  aussi  par  celles  que  d'autres  causes  y  excitent, 
comme  il  arrive  dans  les  songes;  ceux-là,  dis-je, 
discernent  néanmoins  très  clairement  par  la  lu- 
mière de  la  raison  les  unes  d'avec  les  autres.  Et 
j'ai  expliqué  si  nettement  et  si  exactement  dans 
mes  écrits  par  quel  moyen  cela  se  peut  infaillible- 


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LETTRES.  93 

ment  reconnoitre  ,  que  je  m'assure  qu'il  n'y  a  per- 
sonne, qui  ait  un  peu  d'entendement,  qui  après 
les  avoir  lus  puisse  être  encore  en  cela  scep- 
tique. 

Dans  les  dixième  et  onzième  articles,  il  y  a  encore 
lieu  de  soupçonner  qu'il  ne  parle  pas  tout  de  bon  : 
car  si  l'on  croit  que  lame  soit  une  substance,  il 
est  ridicule  et  impertinent  de  dire  que  le  lien  qui 
tient  l'âme  unie  et  conjointe  au  corps  n'est  autre  que 
la  loi  de  l'immutabilité  de  la  nature,  qui  est  telle, 
que  chaque  chose  demeure  en  Vètat  qu'elle  est  :  car 
les  choses  qui  sont  séparées  ,  aussi  bien  que  celles 
qui  sont  conjointes,  demeurent  dans  leur  même 
état,  pendant  que  rien  ne  le  change;  mais  ce  n'est 
pas  de  quoi  il  s'agit  en  ce  lieu-là,  mais  bien  de  sa- 
voir comment  et  par  quel  moyen  l'esprit  est  joint 
avec  le  corps,  et  n'en  est  pas  séparé.  Mais  si  l'on 
suppose  que  l'âme  soit  un  mode  du  corps ,  c'est 
bien  répondre  que  de  dire  qu'il  ne  faut  point 
chercher  d'autre  lien  par  quoi  elle  lui  soit  con- 
jointe, sinon  qu'elle  demeure  dans  le  même  état 
où  elle  est  ;  d'autant  que  les  modes  n'ont  point 
d'autre  état  ou  d'autre  manière  d'être  que  celui 
d'être  attachés  ou  inhérents  aux  choses  dont  ils 
sont  les  modes. 

Dans  le  douzième  article,  je  trouve  qu'il  n'est 
différent  de  ce  que  je  dis  qu'en  la  manière  de 
s'exprimer  :  car  quand  il  dit  que  Yesprit  n'a  pas 


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94  LETTRES. 

besoin  d'idées,  ou  de  notions,  ou  d'axiomes  qui  soient 
nés y  ou  naturellement  imprimés  en  lui,  et  que  ce* 
pendant  il  lui  attribue  la  faculté  de  penser,  c'est- 
à-dire  une  faculté  naturelle  et  née  avec  lui,  il  dit  en 
effet  la  même  chose  que  moi,  quoiqu'il  me  sem- 
ble ne  le  pas  dire.  Car  je  n'ai  jamais  écrit  ni  jugé 
que  l'esprit  ait  besoin  d'idées  naturelles  qui  soient 
quelque  chose  de  différent  de  la  faculté  qu'il  a  de 
penser:  mais  bien  est-il  vrai  que,  reconnoissant 
qu'il  y  avoit  certaines  pensées  qui  ne  procédoient 
ni  des  objets  du  dehors,  ni  de  la  détermination  de 
ma  volonté,  mais  seulement  de  la  faculté  que  j'ai 
de  penser,  pour  établir  quelques  différence  entre 
les  idées  ou  les  notions  qui  sont  les  formes  de  ces 
pensées,  et  les  distinguer  des  autres  qu'on  peut 
appeler  étrangères,  ou  faites  à  plaisir,  je  les  ai 
nommées  naturelles;  mais  je  l'ai  dit  au  même  sens 
que  nous  disons  que  la  générosité,  par  exemple, 
est  naturelle  à  certaines  familles,  ou  que  certaines 
maladies,  comme  la  goutte  ou  la  gravelle,  sont 
naturelles  à  d'autres ,  non  pas  que  les  enfants  qui 
prennent  naissance  dans  ces  familles  soient  tra- 
vaillés de  ces  maladies  aux  ventres  de  leurs  mères, 
mais  pareequ'ils  naissent  avec  la  disposition  ou 
la  faculté  de  les  contracter. 

Mais  remarquez,  je  vous  prie,  la  belle  consé- 
quence que,  dans  l'article  treizième,  il  tire  du  pré- 
cédent. Il  avoit  dit  en  cet  article  que  l'esprit  n'a 


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LETTRES.  95 

pas  besoin  d'idées  qui  soient  naturellement  imprimées 
en  lui,  mais  que  la  seule  faculté  quil  a  de  penser  lui 
suffit  pour  exercer  ses  actions;  c'est  pourquoi,  con- 
clut-il dans  celui-ci,  toutes  les  communes  notions 
gui  se  trouvent  empreintes  en  l'esprit  tirent  toutes 
leur  origine  ou  de  l'observation  des  choses  ou  de 
la  tradition  :  comme  si  la  faculté  de  penser  qu'a 
l'esprit  ne  pouvoit  d'elle-même  rien  produire,  et 
qu'elle  n'eût  jamais  aucunes  perceptions  ou  pen- 
sées que  celles  qu'elle  a  reçues  de  l'observation  des 
choses  ou  de  la  tradition ,  c'est-à-dire  des  sens.  Ce 
qui  est  tellement  faux,  que  quiconque  a  bien  com- 
pris jusqu'où  s'étendent  nos  sens,  et  ce  que  ce 
peut  être  précisément  qui  est  porté  par  eux  jus» 
qu'à  la  faculté  que  nous  avons  de  penser ,  doit 
avouer  au  contraire  qu'aucunes  idées  des  choses 
ne  nous  sont  représentées  par  eux  telles  que  nous 
les  formons  par  la  pensée;  en  sorte  qu'il  n'y  a  rien 
dans  nos  idées  qui  ne  soit  naturel  à  l'esprit,  ou  à  la  l'a- 
cuité qu'il  a  de  penser  ;  siseulement  on  excepte  cer- 
taines circonstances  qui  n'appartiennent  qu'à  l'ex- 
périence. Par  exemple,  c'est  la  seule  expérience  qui 
fait  que  nous  jugeons  que  telles  ou  telles  idées, 
que  nous  avons  maintenant  présentes  à  l'esprit, 
se  rapportent  à  quelques  choses  qui  sont  hors  de 
nous;  non  pas,  à  la  vérité ,  que  ces  choses  les  aient 
transmises  en  notre  esprit  par  les  organes  des  sens 
telles  que  nous  les  sentons,  mais  à  cause  qu'elles 


90  LETTRES. 

ont  transmis  quelque  chose  qui  a  donné  occasion 
à  notre  esprit ,  par  la  faculté  naturelle  qu'il  en  a , 
de  les  former  en  ce  temps-là  plutôt  qu'en  un  autre. 
Car,  comme  notre  auteur  même  assure  dans  l'ar- 
ticle dix-neuvième ,  conformément  à  ce  qu'il  a  ap- 
pris de  mes  Principes ,  rien  ne  peut  venir  des  ob- 
jets extérieurs  jusqu'à  notre  âme,  par  l'entremise 
des  sens,  que  quelques  mouvements  corporels; 
mais  ni  ces  mouvements  mêmes ,  ni  les  figures  qui 
en  proviennent ,  ne  sont  point  conçus  par  nous 
tels  qu'ils  sont  dans  les  organes  des  sens,  comme 
j'ai  amplement  expliqué  dans  la  Dioptrique;  d'où 
il  suit  que  même  les  idées  du  mouvement  et  des 
figures  sont  naturellement  en  nous.  Et,  à  plus  forte 
raison,  les  idées  de  la  douleur,  des  couleurs,  des 
sons,  et  de  toutes  les  choses  semblables,  nous  doi- 
vent-elles être  naturelles,  afin  que  notre  esprit,  à 
l'occasion  de  certains  mouvements  corporels  avec 
lesquels  elles  n'ont  aucune  ressemblance,  se  les 
puisse  représenter.  Mais  que  peut-on  feindre  de 
plus  absurde  que  de  dire  que  toutes  les  notions 
communes  qui  sont  en  notre  esprit  procèdent  de 
ces  mouvements,  et  quelles  ne  peuvent  être  sans 
eux.  Je  voudrois  bien  que  notre  auteur  m'apprît 
quel  est  le  mouvement  corporel  qui  peut  former 
en  notre  esprit  quelque  notion  commune;  par 
exemple ,  celle-ci ,  Que  les  choses  qui  conviennent  à 
une  troisième  conviennent  entre  elles ,  ou  telle  autre 


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LETTRES.  97 

qu'il  lui  plaira;  car  tous  ces  mouvements  sont  par- 
ticuliers ,  et  ces  notions  sont  universelles ,  qui  n'ont 
aucune  affinité  ni  rapport  avec  le  mouvement. 

Néanmoins,  dans  V article  quatorzième  y  appuyé 
sur  ce  beau  fondement,  il  continue  d'assurer  que 
l'idée  même  de  Dieu  qui  est  en  nous  ne  vient  pas 
de  la  faculté  que  nous  avons  de  penser,  comme 
une  chose  qui  lui  soit  naturelle ,  mais  qu'elle  vient 
delà  révélation  divine y  ou  de  la  tradition,  ou  de 
l'observation  des  choses.  Et,  pour  mieux  reconnoître 
l'erreur  de  cette  assertion  ,  il  fout  considérer  qu'on 
peut  dire  en  deux  façons  qu'une  chose  vient  d'une 
autre;  à  savoir,  ou  parceque  cette  autre  en  est  la 
cause  prochaine  et  principale,  sans  laquelle  elle  ne 
peut  être,  ou  parcequ'elle  en  est  la  cause  éloignée 
et  accidentelle  seulement,  qui  donne  occasion  à  la 
principale  de  produire  son  effet  en  un  temps  plu- 
tôt qu'en  un  autre.  C'est  ainsi  que  tous  les  ouvriers 
sont  les  causes  principales  et  prochaines  de  leurs 
ouvrages ,  et  que  ceux  qui  leur  ordonnent  de  les 
faire,  ou  qui  leur  promettent  quelque  récompense 
s'ils  les  font,  en  sont  les  causes  accidentelles  et 
éloignées,  à  cause  que  peut-être  ils  ne  les  feroient 
point  si  on  ne  leur  commandoit.  Or,  il  n'y  a  point 
de  doute  que  la  tradition,  ou  l'observation  de3  cho- 
ses, ne  soit  souvent  la  cause  éloignée  qui  fait  que 
nous  venons  à  penser  à  l'idée  que  nous  pouvons 
avoir  de  Dieu,  et  à  la  rendre  présente  à  notre  es- 

io.  7 


<j8  LETTRES. 

prit  ;  mais  que  c'en  soit  la  cause  prochaine,  et  effec- 
trice  de  cette  idée,  cela  ne  se  peut  dire  que  par  ce- 
lui qui  croit  que  nous  ne  concevons  jamais  rien 
autre  chose  de  Dieu,  sinon  quel  est  ce  nom-là, 
Dieu,  ou  quelle  est  la  figure  corporelle  sous  la- 
quelle il  nous  est  ordinairement  représenté  par  les 
peintres.  Car,  de  vrai,  si  l'observation  s'en  fait  par 
la  vue,  elle  ne  peut  d'elle-même  représenter  autre 
chose  à  l'esprit  que  des  peintures,  et  même  des 
peintures  dont  toute  la  vérité  ■  ne  consiste  que 
dans  celle  *  de  certains  mouvements  corporels, 
comme  notre  auteur  même  l'enseigne  ;  si  elle  se  fait 
par  l'ouïe,  elle  ne  peut  représenter  que  des  sons  et 
des  paroles;  que,  si  c'est  par  les  autres  sens  qu'elle 
se  fasse,  une  telle  observation  ne  sauroit  rien  conte- 
nir qui  puisse  être  rapporté  à  Dieu.  Et  certes ,  c'est 
une  chose  si  véritable  que  la  vue  ne  représente  de 
soi  rien  autre  chose  à  l'esprit  que  des  peintures, 
ni  l'ouïe  que  des  sons  et  des  paroles,  que  personne 
ne  le  révoque  en  doute;  si  bien  que  tout  ce  que 
nous  concevons  de  plus  que  ces  paroles  et  ces  pein- 
tures, comme  les  choses  signifiées  par  ces  signes, 
doit  nécessairement  nous  être  représenté  par  des 
idées,  qui  ne  viennent  point  d'ailleurs  que  de  la 
faculté  que  nous  avons  de  penser,  et  qui  par  con- 
séquent sont  naturellement  en  elle,  c'est-à-dire  sont 

V 

•  Les  éditions  :  variété. 
,   »  Les  éditions  :  celles. 


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LETTRES.  99 

toujours  en  nous  en  puissance  ;  car  être  naturelle- 
ment dans  une  faculté  ne  veut  pas  dire  y  être  en 
acte,  mais  en  puissance  seulement,  vu  que  le  nom 
même  de  faculté  ne  veut  dire  autre  chose  que  puis- 
sance. Or  personne,  s'il  ne  veut  passer  ouverte- 
ment pour  un  athée,  et  même  pour  un  homme  qui 
a  perdu  le  sens ,  ne  peut  assurer  que  nous  ne  sau- 
rions rien  connoître  de  Dieu  que  le  nom  ou  la 
figure  corporelle  dont  les  peintres  ou  les  sculpteurs 
se  servent  pour  nous  le  représenter. 

Après  que  notre  auteur  a  exposé  l'opinion  qu'il 
a  touchant  la  manière  dont  nous  pouvons  con- 
noître Dieu,  il  réfute,  dans  l'article  quinzième,  tous 
les  arguments  par  lesquels  j'ai  démontré  son  exis- 
tence; où  je  ne  puis  que  je  n'admire  la  grande 
confiance  ou  présomption  de  cet  homme  de  croire 
qu'il  puisse,  avec  tant  de  facilité  et  en  si  peu  de 
paroles,  renverser  tout  ce  que  j'ai  composé  après 
une  longue  et  sérieuse  méditation ,  et  que  je  n'ai  pu 
expliquer  que  dans  un  livre  entier.  Toutes  les  rai- 
sons que  j'ai  apportées  pour  cette  preuve  se  rap- 
portent à  deux.  La  première  est  que  nous  avons 
une  connoissance  de  Dieu  ou  une  idée  qui  est 
telle,  que,  si  nous  faisons  bien  réflexion  sur  ce 
qu'elle  contient,  si  nous  l'examinons  avec  soin,  en 
la  manière  que  j'ai  montré  qu'il  failoit  faire,  la 
seule  considération  que  nous  en  ferons  nous  fera 
connoître  qu'il  ne  se  peut  pas  faire  que  Dieu 

7- 


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ÎOO  LETTRES. 

n'existe,  d'autant  que  sa  notion  ou  son  idée  ne 
contient  pas  seulement  une  existence  possible  ou 
contingente ,  ainsi  que  celles  de  toutes  les  autres 
choses,  niais  bien  une  existence  absolument  né- 
cessaire et  actuelle.  Cependant  l'auteur  de  ce  pla- 
card, pour  réfuter  cette  preuve,  que  plusieurs 
grands  personnages,  éminents  par-dessus  les  au- 
tres en  esprit  et  en  science,  après  l'avoir  diligem- 
ment examinée,  tiennent  aussi  bien  que  moi  pour 
une  certaine  et  très  évidente  démonstration,  em- 
ploie ce  peu  de  paroles  :  La  notion  que  nom  avons 
de  Dieu,  ou  cette  idée  de  Dieu  qui  est  existante  en 
notre  esprit,  n'est  pas  un  argument  assez  fort  et  con- 
vaincant pour  prouver  que  Dieu  existe,  puisqu'il 
est  certain  que  toutes  les  choses  dont  nous  avons  en 
nous  les  idées  n'existent  pas  actuellement.  Par  où  il 
faut  voir,  à  la  vérité,  qu'il  a  lu  mes  écrits;  mais, 
par  même  moyen,  il  témoigne  qu'il  n'a  pu  en  au- 
cune façon  les  entendre,  ou  du  moins  qu'il  ne  l'a 
pas  voulu;  car  la  force  de  mon  argument  n'est  pas 
prise  de  la  nature  de  cette  idée ,  considérée  en  gé- 
néral ,  mais  d'une  propriété  particulière  qui  lui 
convient ,  laquelle  est  très  évidente  en  l'idée  que 
nous  avons  de  Dieu ,  et  qui  ne  se  peut  rencontrer 
dans  l'idée  de  quelque  autre  chose  que  ce  soit; 
c'est  à  savoir,  de  la  nécessité  de  l'existence  qui  est 
requise  pour  le  comble  et  l'accomplissement  des 
perfections  sans  lequel  nous  ne  saurions  concevoir 


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LETTRES.  101 

Dieu.  L'autre  argument  par  lequel  j'ai  démontré 
qu'il  y  a  un  Dieu,  est  pris  de  ce  que  j'ai  évidem- 
ment prouvé  que  nous  n'aurions  point  eu  la  fa- 
culté de  connoître  et  de  concevoir  toutes  ces  per- 
fections que  nous  reconnoissons  en  Dieu,  s'il  n'é- 
toit  vrai  que  Dieu  existe ,  et  que  nous  avons  été 
créés  par  lui.  Mais  notre  auteur  pense  l'avoir  abon- 
damment réfuté  en  disant,  que  l'idée  que  nous  avons 
de  Dieu  n'est  pas  plus  au-dessus  de  la  portée  de  notre 
esprit  ou  de  notre  pensée,  et  n'excède  pas  davantage 
la  vertu  naturelle  que  nous  avons  de  penser,  que  l'idée 
d'aucune  autre  chose  que  ce  soit.  Toutefois,  si  par  là 
il  entend  seulement  que  l'idée  que  nous  avons  de 
Dieu ,  sans  le  secours  surnaturel  de  la  grâce ,  ne 
nous  est  pas  moins  naturelle  que  le  sont  toutes  les 
autres  idées  que  nous  avons  des  autres  choses,  il  est 
de  mon  avis,  mais  on  ne  peut  de  là  rien  conclure 
contre  moi  :  que  s'il  estime  que  cette  idée  de  Dieu 
ne  contient  pas  plus  de  perfection  objective  que 
toutes  les  autres  idées  prises  ensemble,  il  erre 
manifestement  ;  or  ,  c'est  de  ce  seul  excès  de 
perfection  ,  dont  Vidée  que  nous  avons  de  Dieu 
surpasse  toutes  les  autres,  que  j'ai  tiré  mon  argu- 
ment. 

Dans  les  six  autres  articles  il  ne  dit  rien  qui  mé- 
rite d'être  remarqué,  sinon  que,  voulant  distinguer 
les  propriétés  de  l'âme  les  unes  d'avec  les  autres, 
il  en  parle  en  termes  fort  confus  et  fui  t  impropres. 


102  LETTRES. 

Il  est  vrai  que  j'ai  dit  en  quelque  endroit  qu'elles 

se  rapportent  toutes  à  deux  principales,  à  savoir  à 
la  perception  de  l'entendement  et  à  la  détermina- 
tion de  la  volonté;  mais  notre  auteur  les  appelle 
d'un  nom  fort  impropre  l'entendement  et  la  vo- 
lonté, après  quoi  il  divise  ce  qu'il  a  appelé  enten- 
dement en  perception  et  jugement;  en  quoi  il  s'é- 
loigne de  mon  opinion  :  car  pour  moi,  voyant 
qu'outre  la  perception,  qui  est  absolument  requise 
avant  que  nous  puissions  juger,  il  est  encore  be- 
soin d'une  affirmation  ou  d'une  négation  pour  éta- 
blir la  forme  d'un  jugement  ;  et  prenant  garde  que 
souvent  il  nous  est  libre  d'arrêter  et  de  suspendre 
notre  consentement,  encore  que  nous  ayons  la 
perception  de  la  chose  dont  nous  devons  juger, 
j'ai  rapporté  cet  acte  de  notre  jugement,  qui  ne 
consiste  que  dans  le  consentement  que  nous  don- 
nons, c'est-à-dire  dans  l'affirmation  ou  dans  la 
négation  de  ce  dont  nous  jugeons,  à  la  détermina- 
tion de  la  volonté,  plutôt  qu'à  la  perception  de 
l'entendement.  Après  cela,  faisant  le  dénombre- 
ment des  espèces  de  perception,  il  ne  compte  que 
le  sentiment  s  la  réminiscence,  et  l'imagination  : 
d'où  l'on  peut  inférer  qu'il  n'admet  aucune  in- 
tellection  pure,  c'est-à-dire  aucune  intellection 
qui  soit  indépendante  de  toute  image  corporelle  ; 
et  partant  on  peut  penser  qu'il  est  de  cette  opinion, 
qu'on  ne  peut  avoir  aucune  connoissance  de  Dieu 


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LETTRES.  103 

ni  de  l'âme  humaine,  ni  d'aucune  autre  chose 
incorporelle;  de  quoi  je  ne  puis  m'imaginer  d'au- 
tre cause ,  sinon  que  les  pensées  qu'il  a  de  ces  cho- 
ses sont  si  confuses,  qu'il  n'en  conçoit  aucune  qui 
soit  pure  et  entièrement  détachée  de  toute  image 
corporelle. 

Enfin ,  après  tous  ces  articles,  il  a  ajouté  ces  pa- 
roles, qu'il  a  tirées  d'un  de  mes  écrits  1  :  //  n'y  en 
a  point  qui  parviennent  plus  aisément  à  une  haute 
réputation  de  piété  que  les  superstitieux  et  les  hypo- 
crites; par  lesquelles  je  ne  puis  deviner  ce  qu'il  a 
voulu  dire,  si  ce  n'est  peut-être  qu'il  a  imité  les 
hypocrites,  en  ce  que  souvent  il  a  dit  les  choses 
autrement  qu'il  ne  les  pensoit;  mais  je  ne  pense 
pas  qu'il  puisse  jamais  parvenir  par  ce  moyen  à 
une  grande  réputation  de  piété. 

* 

Au  reste ,  je  suis  ici  contraint  de  confesser 
que  j'ai  beaucoup  de  confusion  d'avoir  autrefois 
loué  ■  cet  auteur  comme  un  homme  d'un  esprit 
fort  vif  et  pénétrant ,  et  d'avoir  écrit  en  quel- 
que endroit  que  je  ne  pensois  pas  qu'il  ensei- 
gnât aucunes  opinions  que  je  ne  voulusse  bien 
reconnoître  pour  miennes.  Il  est  vrai  que  pour 
lors  je  n'avois  encore  vu  de  lui  aucun  écrit 
où  il  n'eût  été  un  fidèle  copiste ,  si  ce  n'est  peut- 
être  en  un  seul  mot  qu'il  s'étoit  hasardé  de  dire 

1  «  Épître  dédicatoire  à  la  princesse  ÉHzabcth ,  en  tête  des  Principes.  «» 
*  «  Lettre  à  G.  Voëtins.  » 


104  LETTRES. 

de  lui  -  même  ,  mais  qui  lui  avoit  si  mal  suc- 
cédé, et  dont  il  avoit  été  si  sévèrement  repris  par 
ses  collègues,  que  cela  me  faisoit  croire  qu'il  n'en- 
treprendroit  plus  rien  de  semblable;  et  pourceque 
je  voyois  qu'en  tout  le  reste  il  embrassoit  avec 
grande  affection  des  opinions  que  j'estimois  être 
très  véritables,  j'attribuois  cela  à  la  force  et  à  la 
vivacité  de  son  esprit.  Mais  maintenant  plusieurs 
expériences  m'obligent  de  croire  que  c'est  plutôt 
l'amour  de  la  nouveauté  que  œlle  de  la  vérité  qui 
l'emporte.  Et  d'autant  qu'il  trouve  trop  vieux  et 
trop  hors  d'usage  tout  ce  qu'il  a  appris  d'autrui , 
et  que  rien  ne  lui  paroît  assez  nouveau  que  ce 
qu'il  tire  de  sa  propre  cervelle,  et  aussi  qu'il  est  si 
peu  heureux  en  ses  inventions,  que  je  n'ai  jamais 
remarqué  aucun  mot  en  ses  écrits (  si  ce  n'est  qu'il 
l'eût  tiré  de  ceux  des  autres)  que  je  ne  jugeasse 
contenir  quelque  erreur  ;  je  me  sens  obligé  d'aver- 
tir ici  tous  ceux  qui  le  tiennent  pour  un  grand  dé- 
fenseur de  mes  opinions  qu'il  n'y  en  a  presque 
aucune,  non  seulement  en  ce  qui  concerne  les 
choses  métaphysiques,  où  il  ne  feint  point  de  me 
contredire  ouvertement,  mais  aussi  en  celles  qui 
concernent  les  choses  physiques,  qu'il  ne  propose 
mal,  et  dont  il  ne  corrompe  le  sens.  De  sorte  que 
je  suis  plus  indigné  de  voir  qu'un  tel  docteur  s'in- 
gère d'enseigner  mes  opinions,  et  prenne  à  tâche 
d'interpréter  mes  écrits  et  d'y  faire  des  cojnmen- 


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LETTRES.  105 

taires,  que  d'en  voir  quelques  autres  qui  les  com- 
battent avec  aigreur  et  animosité. 

Car  je  n'en  ai  encore  vu  pas  un  qui  ne  m  ait 
attribué  des  opinions  tout-à-fait  différentes  des 
miennes,  et  même  si  absurdes  et  si  impertinentes, 
que  je  n'appréhende  pas  qu'on  puisse  jamais  per- 
suader à  des  personnes  tant  soit  peu  raisonnables 
que  je  sois  l'auteur  de  telles  opinions.  C'est  ainsi 
qu'à  ce  moment  même  que  j'écris,  on  me  vient 
d'apporter  deux  libelles  tout  nouvellement  compo- 
sés par  un  écrivain  de  cette  farine ,  dans  le  premier 
desquels  il  est  dit  qu'il  y  a  certains  novateurs  gui 
tâchent  doter  toute  la  créance  que  l'on  peut  avoir 
aux  sens,  et  qui  soutiennent  qu'un  philosophe  peut 
nier  qu'il  y  ait  un  Dieu,  et  douter  de  son  existence, 
après  avoir  admis  d'ailleurs  que  l'idée,  l'espèce  et 
la  connoissance  actuelle  de  Dieu  est  naturellement 
empreinte  en  notre  esprit.  Et  dans  l'autre  il  est  dit 
que  ces  novateurs  prononcent  hardiment  que  Dieu 
ne  doit  pas  être  dit  seulement  négativement ,  mais 
même  positivement  la  cause  efficiente  de  soi-même. 
Voilà  tout  ce  dont  il  s'agit  dans  l'un  et  dans  l'autre 
de  ces  libelles,  qui  ne  contiennent  rien  de  plus, 
sinon  un  ramas  d'arguments  pour  prouver ,  premiè- 
rement, que  les  enfants  dans  le  ventre  de  leurs  mères 
n'ont  aucune  connoissance  actuelle  de  Dieu,  et  par- 
tant ,  que  nous  n'avons  aucune  idée  ou  espèce  ac- 
tuelle de  Dieu  naturellement  empreinte  en  notre  es- 


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106  LETTRES. 

prit;  secondement,  qu'il  ne  faut  pas  nier  qu'il  y  ait 
un  Dieu,  et  que  ceux-là  qui  le  nient  doivent  être 
tenus  pour  des  athées,  et  sont  punissables  par  les  lois; 
enfin,  que  Dieu  n'est  pas  la  cause  efficiente  de  soi- 
même.  Tontes  lesquelles  choses  je  pourrois  à  la  vé- 
rité dissimuler,  comme  n'étant  point  écrites  contre 
moi ,  à  cause  que  mon  nom  ne  se  trouve  point 
dans  ces  écrits,  et  qu'il  n'y  a  pas  une  opinion  de 
celles  qui  y  sont  impugnées  que  je  ne  tienne  pour 
très  fausse  et  tout-à-fait  absurde  :  mais  néanmoins, 
pourcequ  elles  ressemblent  fort  à  quelques  unes 
qui  m'ont  déjà  été  plusieurs  fois  faussement  im- 
putées par  des  gens  de  cette  robe,  et  qu'on  n'en 
connoît  point  d'autres  à  qui  on  les  puisse  attribuer; 
et  aussi  pourceque  tout  le  monde  sait  que  c'est 
contre  moi  que  ces  libelles  ont  été  faits,  je  pren- 
drai ici  occasion  d'avertir  leur  auteur ,  première- 
ment, que  lorsque  j'ai  dit  que  l'idée  de  Dieu  est 
naturellement  en  nous ,  je  n'ai  jamais  entendu 
autre  chose  que  ce  que  lui-même,  dans  la  sixième 
section  de  son  second  livre,  dit  en  termes  exprès 
être  véritable,  c'est  à  savoir,  que  la  nature  a  mis 
en  nous  une  faculté  par  laquelle  nous  pouvons  con- 
nollre  Dieu  ;  mais  que  je  n'ai  jamais  écrit  ni  pensé 
que  telles  idées  fussent  actuelles  oif  qu'elles  fussent 
des  espèces  distinctes  de  la  faculté  même  que  nous 
avons  de  penser.  Et  même  je  dirai  plus,  qu'il  n'y  a 
personne  qui  soit  si  éloigné  que  moi  de  tout  ce 


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LETTRES.  IO7 

fatras  d'entités  scolastiques  ;  en  sorte  que  je  n'ai  pu 
m'empêcher  de  rire  quand  j'ai  vu  ce  grand  nom- 
bre de  raisons  que  cet  homme,  sans  doute  peu 
méchant,  a  ramassées  avec  grand  soin  et  travail, 
pour  montrer  que  les  enfants  n'ont  point  la  con- 
noissance  actuelle  de  Dieu  tandis  quils  sont  au  ven* 
tre  de  leur  mère,  comme  si  par  là  il  avoit  trouvé 
un  beau  moyen  de  me  combattre.  Secondement , 
que  je  n'ai  aussi  jamais  enseigné  qu'il  falloit 
nier  qu'il  y  eût  un  Dieu,  ou  que  Dieu  pouvoit 
nous  tromper;  ou  qu'il  falloit  révoquer  toutes  cho- 
ses en  doute  ;  ou  que  l'on  ne  deooit  donner 
aucune  créance  aux  sens;  ou  que  le  sommeil  ne  se 
pouvoit  distinguer  de  la  veille  >  et  autres  choses 
semblables  qui  m'ont  quelquefois  été  objectées 
par  des  calomniateurs  ignorants  ;  mais  que  j'ai  re- 
jeté toutes  ces  choses  en  paroles  très  expresses,  et 
que  je  les  ai  même  réfutées  par  des  arguments 
très  forts,  et  j'ose  même  dire  plus  forts  qu'aucun 
autre  ait  fait  avant  moi  :  et  afin  de  le  pouvoir  faire 
plus  commodément  et  plus  efficacement ,  j'ai  pro- 
posé toutes  ces  choses  comme  douteuses  au  com- 
mencement de  mes  Méditations;  mais  je  ne  suis 
pas  le  premier  qui  les  ai  inventées;  il  y  a  long- 
temps qu'on  a  les  oreilles  battues  de  semblables 
doutes  proposés  par  les  sceptiques.  Mais  qu'ya-t-il 
de  plus  inique  que  d'attribuer  à  un  auteur  des 
opinions  qu'il  ne  propose  que  pour  les  réfuter? 


lo8  LETTRES. 

Qu'y  a-t-il  de  plus  impertinent  que  de  feindre 
qu'on  les  propose,  et  qu'elles  ne  sont  pas  encore 
réfutées,  et  partant  que  celui  qui  rapporte  les  ar- 
guments dont  se  servent  les  athées  est  lui-même 
un  athée  pour  un  temps  ?  Qu'y  a-t-il  de  plus  puéril 
que  de  dire  que  s'il  vient  à  mourir  avant  que  d'a- 
voir écrit  ou  inventé  la  démonstration  qu'il  espère , 
il  meurt  comme  un  athée  ;  et  qu'il  a  enseigné 
par  avance  une  pernicieuse  doctrine,  contre  la 
maxime  communément  reçue,  qui  dit  qu'il  n'est 
pas  permis  de  faire  du  mal  pour  en  tirer  du  bien,  et 
choses  semblables?  Quelqu'un  dira  peut-être  que 
je  n'ai  pas  rapporté  ces  fausses  opinions  comme 
venant  d'autrui,  mais  comme  miennes;  mais 
qu'importe  cela?  puisque  dans  le  même  livre  où 
je  les  ai  rapportées,  je  les  ai  aussi  toutes  réfutées; 
et  même  qu'on  peut  voir  aisément  par  le  titre  du 
livre  que  j'étois  fort  éloigné  de  les  croire,  puis- 
que j'y  promettois  des  démonstrations  touchant 
l'existence  de  Dieu.  Et  peut-on  s'imaginer  qu'il  y 
en  ait  de  si  sots,  ou  de  si  simples,  que  de  se  per- 
suader que  celui  qui  compose  un  livre  qui  porte 
ce  titre  ignore ,  quand  il  trace  les  premières  pa- 
ges, ce  qu'il  a  entrepris  de  démontrer  dans  les  sui- 
vantes? De  plus,  la  façon  d'écrire  que  je  metois 
proposée,  qui  étoit  en  forme  de  méditations,  et 
que  j'avois  choisie  comme  fort  propre  pour  ex- 
pliquer plus  clairement  les  raisons  que  j'avois  à 


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LETTRES.  109 

déduire,  mobligeoit  de  ne  pas  proposer  ces  ob- 
jections autrement  que  comme  miennes.  Que  si 
cette  raison  ne  satisfait  pas  ceux  qui  se  mêlent  de 
censurer  mes  écrits  ,  je  voudrois  bien  savoir  ce 
qu'ils  disent  des  Écritures  saintes,  avec  lesquelles 
nuls  autres  écrits  qui  viennent  de  la  main  des 
hommes  ne  doivent  être  comparés,  lorsqu'ils  y 
voient  certaines  choses  qui  ne  se  peuvent  bien 
entendre,  si  Ton  ne  suppose  qu'elles  sont  rappor- 
tées comme  étant  dites  par  des  impies,  ou  du 
moins  par  d'autres  que  par  le  saint  Esprit  ou  les 
prophètes;  telles  que  sont  ces  paroles  de  l'Ecclé- 
siastique, chapitre  second  :  Ne  vaut-il  pas  mieux 
boire  et  manger  et  faire  goûter  à  son  âme  des  fruits 
de  son  travail?  et  cela  vient  de  la  main  de  Dieu.  Qui 
est-ce  qui  en  pourra  dévorer  autant,  ou  qui  pourra 
se  gorger  de  plaisirs  autant  que  moi?  Et  au  cha- 
pitre suivant:  J'ai  souhaité  en  mon  cœur,  pensant 
aux  enfants  des  hommes,  que  Dieu  les  éprouvât,  et 
fît  connoitre  qu'ils  sont  semblables  aux  bêtes.  C'est 
pourquoi,  l'homme  et  les  chevaux  périssent  de  même 
façon,  leur  condition  est  pareille;  comme  l'homme 
meurt,  ceux-ci  meurent;  ils  ont  tous  une  pareille  res- 
piration, et  l'homme  n'a  rien  de  plus  que  le  che- 
val, etc.  Pensent-ils  que  le  saint  Esprit  nous  en- 
seigne en  ce  lieu-là  qu'il  faut  faire  bonne  chère, 
qu'il  n'y  a  qu'à  se  donner  du  bon  temps,  et  que 
nos  âmes  ne  sont  pas  plus  immortelles  que  celles 


IIO  LETTRES. 

des  chevaux?  Je  ne  pense  pas  qu'ils  soient  enragés 
et  perdus  à  ce  point;  mais  aussi  ne  doivent-ils  pas 
me  calomnier,  si  je  n'ai  pas  gardé  en  écrivant  des 
précautions  qui  n'ont  jamais  été  observées  par  au- 
cun autre  qui  ait  écrit,  non  pas  même  par  le  Saint- 
Esprit. 

Et  en  troisième  lieu,  je  donne  avis  à  l'auteur  de 
ces  libelles  que  je  n'ai  jamais  écrit  que  Dieu  ne 
doit  pas  être  dit  seulement  négativement,  mais  même 
positivement  la  cause  efficiente  de  soi-même,  ainsi 
qu'il  assure  fort  inconsidérément  en  la  page  8  de 
son  dernier  livre.  Qu'il  cherche  dans  mes  écrits , 
qu'il  les  lise ,  qu'il  les  parcoure  d'un  bout  à  l'au- 


I 

trouvera  tout  le  contraire.  Et  il  n'y  a  pas  un  de 
ceux  qui  ont  lu  mes  écrits,  ou  qui  me  connois- 
sent  tant  soit  peu,  ou  du  moins  qui  ne  me  tien- 
nent pas  tout-à-fait  pour  un  fat  ou  pour  un  in- 
sensé, qui  ne  sache  que  je  suis  fort  éloigné  d'avoir 
des  opinions  si  monstrueuses.  Et  c'est  ce  qui  fait 
que  j'admire  grandement  quel  peut  être  le  dessein 
de  ces  calomniateurs;  car  s'ils  prétendent  de  per- 
suader aux  hommes  que  j'ai  écrit  des  choses  tou- 
tes contraires  à  celles  qui  se  trouvent  dans  mes 
écrits,  ils  devroient  auparavant  prendre  le  soin  de 
supprimer  tous  ceux  que  j'ai  publiés,  et  même  d'ef- 
facer de  la  mémoire  de  ceux  qui  les  ont  lus  tout 
ce  qu'ils  en  ont  retenu;  car  tandis  qu'ils  ne  le  font 


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LETTRES.  ill 

point,  ils  se  nuisent  plus  qu'à  moi.  J'admire  aussi 
qu'ils  s'élèvent  si  fort ,  et  avec  tant  de  chaleur  et 
d'animosité,  contre  une  personne  qui  ne  les  a  ja- 
mais ni  attaqués,  ni  nui  en  aucune  chose,  mais  qui 
pourroit  peut-être  bien  leur  nuire  s'ils  m'avoient 
irrité;  et  que  cependant  ils  ne  disent  mot  à  plu- 
sieurs autres  qui  ont  réfuté  leur  doctrine  par  des 
livres   entiers  ,  et  qui  se  sont  moqués  d'eux  , 
comme  de  gens  simples  et  extravagants.  Je  ne  veux 
pourtant  rien  ajouter  ici  qui  puisse  davantage  les 
détourner  du  dessein  qu'ils  peuvent  avoir  de  m'at- 
taquer  par  leurs  libelles;  c'est  avec  plaisir  que  je 
vois  qu'ils  m'estiment  assez  pour  m'attaquer  de  la 
sorte  ;  mais  cependant  je  souhaite  qu'ils  revien- 
nent en  leur  bon  sens. 

Ceci  a  été  écrit  à  Egraont,  en  Hollande,  sur  la  fin  du  mois  de  dé- 
cembre en  l'année  1647. 


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1  12 


LETTRES. 


A  MONSIEUR  *** 

(Lettre  112  du  tome  III.) 
Monsieur, 

Il  semble,  je  crois,  au  pèreMersenne  que  je  sois 
encore  soldat,  et  que  je  suive  l'armée ,  puisqu'il 
m'adresse  les  lettres  qu'il  vous  écrit.  Celle  que 
vous  trouverez  avec  celle-ci  a  été  huit  jours  à  ve- 
nir de  Leyde  ici,  et  si  vous  êtes  parti  de  La  Haye, 
ainsi  que  la  gazette  me  fait  croire,  je  ne  sais  quand 
elle  vous  pourra  atteindre.  Le  principal  est  qu'il 
n'y  a  rien  dedans  d'importance;  car,  m'ayant  été 
envoyée  ouverte  ,  j'ai  eu  le  privilège  de  la  lire; 
et  pourcequ'il  y  philosophe  principalement  de 
la  propriété  de  l'aimant,  je  joindrai  ici  mon  avis 
au  sien ,  afin  que  ma  lettre  ne  soit  pas  entièrement 
vide.  Je  crois  vous  avoir  déjà  dit  que  j'explique 
toutes  les  propriétés  de  l'aimant  par  le  moyen  d'une 
certaine  matière  fort  subtile,  et  imperceptible,  qui 
sortant  continuellement  de  la  terre  ,  non  seule- 
ment par  le  pôle,  mais  aussi  par  tous  les  autres 

t  «  M.  Huygens  de  Zuitlichem.  »  Cette  lettre  n'est  datée  ni  dans  l'im- 
primé ni  dans  l'exemplaire  de  la  bibliothèque  de  l'Institut.  Je  la  mets  ici 
très  arbitrairement  avec  la  1 18e. 


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LETTRES.  1  1  5 

endroits  de  l'hémisphère  boréal,  passe  de  là  vers 
l'hémisphère  austral     par  tous  les  endroits  du- 
quel elle  entre  derechef  dans  la  terre;  et  d'une  au- 
tre pareille  matière,  qui  sort  de  la  terre,  par  l'hé- 
misphère austral ,  et  y  rentre  par  le  boréal  ;  à  cause 
que  les  parties  de  ces  deux  matières  sont  de  telle 
figure,  que  les  pores  de  la  terre,  ou  de  l'aimant, 
ou  du  fer  touché  de  l'aimant,  par  où  peuvent  passer 
celles  qui  viennent  d'un  hémisphère,  ne  peuvent 
donner  passage  à  celles  qui  viennent  de  l'autre  hé- 
misphère, comme  je  pense  démontrer  dans  ma  phy- 
sique, où  j'explique  l'origine  de  ces  deux  matières 
subtiles,  et  les  figures  de  leurs  parties, qui  sont  lon- 
gues et  entortillées  en  forme  de  vis,  les  boréales  au 
contraire  des  australes.  Or  ce  qui  cause  la  déclinai- 
son des  aiguilles  qui  sont  parallèles  à  l'horizon;  est 
que  la  matière  subtile  qui  les  fait  mouvoir,  sortant 
des  parties  de  la  terre  assez  éloignées  de  là ,  vient 
quelquefois  plus  abondamment  des  lieux  un  peu 
éloignés  de  pôles,  que  des  pôles  mêmes  laquelle 
cause  cesse  en  partie  lorsque  les  aiguilles  sont  per- 
pendiculaires sur  l'horizon;  car  alors  elles  sont 
principalement  dressées  par  la  matière  subtile  qui 
sort  de  l'endroit  de  la  terre  où  elles  sont;  mais  à 
cause  que  l'autre  matière  subtile,  qui  vient  du  pôle 
opposé,  aide  aussi  à  les  dresser,  je  crois  bien 
qu'elles  doivent  moins  décliner  que  les  autres; 

■  Figure  i.  —  "  Figure  a. 

m.  1 


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1  l4  LETTRES. 

mais  non  pas  quelles  ne  déclinent  point  du  tout, 
et  si  l'expérience  exacte  s'en  peut  faire ,  je  serai 
bien  aise  de  la  savoir.  Pour  la  raison  qui  fait  que 
ces  aiguilles  perpendiculaires  se  tournent  toujours 
vers  le  même  côté,  je  l'explique  quasi  comme 
le  père  Mersenne;  car  je  crois  qu  elle  vient  de  ce 
que  le  fer  a  quelque  latitude,  et  que  la  matière 
subtile  qui  passe  par  dedans  ne  monte  pas  tout 
droit  de  bas  en  haut,  mais  prend  son  cours  en 
déclinant  du  pôle  boréal  vers  l'austral  en  cet 
hémisphère;  comme  si  l'aiguille  est  ACBD, 1  la  ma- 
tière subtile  qui  sort  de  la  terre  se  forme  des  pores 
dans  cette  aiguille  qui  sont  penchés  de  B  vers  A; 
et  l'acier  est  de  telle  nature  que  ses  pores  peuvent 
ainsi  être  disposés  à  recevoir  cette  matière  subtile, 
par  l'attouchement  d'une  pierre  d'aimant,  et  qu'ils 
retiennent  après  cette  disposition.  Mon  papier 
finit,  et  je  crains  de  vous  ennuyer.  Je  suis,  etc. 

1  Figure  3. 


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LETTRES 


»i5 


AU  R.  P.  MERSENNE. 

(Lettre  118  du  tome  II.  ) 

Mon  révérend  pere, 

Je  n'ai  lu  que  les  quinze  premières  pages  de  IV- 
crit  que  vous  avez  voulu  que  je  visse  ,  pourceque 
c'est  seulement  jusque  là  que  vous  m'avez  dit 
que  j'y  étois  réfuté;  mais  je  vous  avoue  que  je  les 
ai  admirées,  en  ce  que  je  n'y  ai  trouvé  aucune 
chose  qui  ne  fut  fausse,  excepté  celles  qui  se  trou- 
vent en  mes  écrits,  et  que  l'auteur  montre  en 
avoir  tirées,  d'autant  qu'il  se  sert  de  mes  propres 
paroles  pour  les  exprimer ,  et  s'il  en  change  quel- 
ques unes,  comme  lorsqu'il  nomme  l'impression 
ce  que  je  nomme  la  vitesse ,  et  la  direction  ce  que 
je  nomme  la  détermination  à  se  mouvoir  vers  un  cer- 
tain côté y  cela  ne  sert  qu  a  l'embrouiller.  L'une  des 
principales  fautes  est  à  la  fin  de  la  seconde  page , 
où  ayant  mis  pour  maxime  une  conclusion  qui 
est  de  moi ,  à  savoir ,  que  dans  le  cercle  GBFI ,  le 
mobile  qui  vient  de  G  vers  B  tend  vers  C,  il  le 
prouve  ridiculement ,  en  disant  que  la  nature  ne 

•  Figure  4. 

8. 


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1 


ll6  LETTRES. 

souffre  rien  d'indéterminé,  et  qu'il  n'y  a  point 
d'autre  ligne  que  BC  qui  soit  ici  déterminée  :  car 
qui  empêche  de  dire  que  le  mobile  ira  de  B  vers 
H  plutôt  que  vers  C,  vu  que  BH  est  aussi  bien 
déterminé  que  BC,  et  qu'on  sait  que  le  mobile 
tend  à  s'éloigner  en  ligne  droite  du  centre  A. 

Dans  la  page  neuvième  il  y  a  une  distinction  ab- 
surde entre  deux  sortes  d'impressions;  l'une  par 
laquelle  les  corps  sont  chassés ,  et  l'autre  par  la- 
quelle ils  sont  attirés;  car  il  n'y  a  aucune  attrac- 
tion telle  qu'il  l'imagine.  Et  si  ce  qu'il  nomme  l'im- 
pression est  la  vitesse  du  mouvement  dans  le 
corps  qui  se  meut,  ainsi  qu'on  le  doit  prendre 
pour  donner  quelque  sens  à  tout  ce  qu'il  dit,  il  est 
certain  qu'il  n'y  en  a  que  d'une  sorte  ou  espèce, 
et  qu'elle  est  tout  de  même  dans  l'aimant  ou  dans 
le  fer  que  dans  les  autres  corps. 

Mais  la  principale  de  ses  fautes  est  dans  la  page 
dixième,  où  il  prend  pour  principe  une  chose  qui 
est  apertement  fausse  ,  à  savoir ,  que  si  A  mû 
vers  D  par  une  ligne  perpendiculaire  rencontre  l'ob- 
stacleBC ,  il  sera  réfléchi  en  telle  sorte,  que  s'il  ne 
communique  rien  de  son  impression  à  l'obstacle  ,  il 
reviendra  précisément  en  A ,  etc  ;  car  bien  que  les 
corps  pesants  retournent  à  peu  près  en  cette  sorte 
lorsque  leur  seule  pesanteur  les  porte  directement 
vers  le  centre  de  la  terre ,  c'est  une  chose  absurde 
d'en  faire  un  principe,  pourceque  ce  n'est  pas 


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LETTRES.  117 

l'impression  qu'ils  ont  étant  au  point  D'  qui  les 
fait  ainsi  retourner,  mais  l'action  de  leur  pesan- 
teur qui  continue  en  eux  pendant  qu'ils  remon- 
tent; et  le  même  n'arrive  point  quand  la  ligne 
BC  n'est  pas  parallèle  à  l'horizon,  ni  quand  le 
mobile  est  poussé  d'A  vers  D  par  une  autre  force 
que  sa  seule  pesanteur.  Et  son  absurdité  paroît 
encore  mieux  dans  les  trois  pages  suivantes,  où, 
par  le  moyen  de  ce  faux  principe,  il  prétend  dé- 
montrer la  quantité  des  réflexions  et  des  réfrac- 
tions d'une  façon  que  l'expérience  contredit  évi- 
demment. Car,  par  son  prétendu  raisonnement, 
en  supposant  que  la  balle  qui  vient  d'À  vers  B  ren- 
contre la  superficie  CBE  qui  lui  ôte  la  moitié  de 
son  impression  ou  de  sa  vitesse,  il  dit  que  si  on 
fait  BE  égal  à  CB,  et  qu'on  prenne  El  égal  à 
la  moitié  de  AC%  la  réfraction  fera  aller  cette 
balle  de  B  vers  I.  En  sorte  que ,  de  quelque  gran- 
deur que  soit  l'angle  d'incidence  ABH,  AC,  qui 
est  la  tangente  de  son  complément,  sera  toujours 
double  de  El,  qui  est  la  tangente  du  complément 
de  l'angle  rompu  GBI,  d'où  il  suit  que  les  pro- 
portions qui  seront  entre  les  sinus  de  ces  deux 
angles  ABH  et  GBI  doivent  être  différentes,  se- 
lon que  l'angle  d'incidence  ABH  est  supposé  plus 
grand  ou  plus  petit,  et  qu'il  ne  peut  être  supposé 

1  Figure  5. 

»  Figure  6.  n 


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Il8  LETTRES. 

si  grand,  que  le  mobile  ne  passe  au-dessous  de  la 
superficie  CBE.  Au  lieu  que  l'expérience  montre 
évidemment  que  cet  angle  ABH  peut  être  si 
grand,  que  le  mobile  ne  passera  point  au-dessous 
de  cette  superficie  CBE,  mais  se  réfléchira  de 
l'autre  côté;  et  que  lorsque  le  mobile  passe  au-des- 
sous de  cette  superficie,  il  y  a  toujours  même  pro-» 
portion  entre  les  sinus  de  l'angle  d'incidence  et  de 
l'angle  rompu,  encore  que  la  grandeur  de  cet  an- 
gle d'incidence ,  ABH,    se  change. 

Ensuite  de  ces  beaux  raisonnements,  cet  auteur 
dit,  dans  la  page  I  3,  que  j'ai  manqué,  en  ce  que, 
pour  démontrer  la  réflexion,  je  ne  me  suis  pas 
servi  d'un  raisonnement  semblable  au  sien  ; 
comme  si  c'étoit  une  faute  de  n'avoir  pas  imité 
les  fautes  d'un  autre.  Et  il  montre  n'avoir  point 
de  logique  naturelle  ;  car,  encore  qu'il  n'eût  pas 
failli ,  il  infèreroit  mal  de  dire  que  j'ai  failli,  pour- 
ceque  je  ne  me  suis  pas  servi  de  son  raisonne- 
ment, à  cause  qu'on  peut  souvent  prouver  une 
même  chose  en  plusieurs  façons.  En  second  lieu , 
il  dit  que,  dans  ma  Dioptrique,  page  20,  discours 
premier ,  je  confonds  la  détermination  du  mouve- 
ment avec  la  vitesse ,  ce  qui  est  très  faux.  Car  six 
lignes  auparavant  je  parle  de  la  vitesse  qui  se  rap- 
porte à  tout  le  mouvement,  et  là  je  ne  parle  que 
de  la  détermination  de  gauche  à  droite ,  qui  distin- 
gue deux  parties  en  ce  mouvement.  En  troisième 


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LETTRES.  H  9 

lieu ,  il  prétend ,  dans  la  page  !  4  ?  reprendre  ce 
que  j'ai  écrit  de  la  réflexion  qui  se  fait  sur  la  su- 
perficie de  l'eau,  en  disant  que  je  me  sers  d'un  rai- 
sonnement qui  est  différent  de  certaines  conjectu- 
res impertinentes  qu'il  met  là.  Et  dans  la  page  i5, 
il  met  seulement  ces  mots  :  Enfin,  Af.  Descartes , 
pages  2Ï\  et  25 ,  etc. ,  oîi  par  son  etc.  il  semble  vou- 
loir faire  entendre  qu'il  a  encore  beaucoup  d'autres 
choses  à  reprendre  en  mes  écrits  ;  en  quoi  je  ne  sais 
si  je  dois  plus  admirer,  ou  son  ingratitude,  d'avoir 
tâché  de  me  reprendre,  bien  qu'il  n'y  ait  rien  de 
passable  dans  tout  son  écrit  qu'il  n'ait  eu  de  moi  ; 
ou  sa  stupidité,  d'avoir  commis  de  si  lourdes  fau- 
tes contre  le  raisonnement  et  le  sens  commun  ;  ou, 
enfin,  son  arrogance  ridicule,  de  prétendre  qu'un 
autre  a  failli  pour  cela  seul  qu'il  n'a  pas  suivi  ses 
imaginations,  comme  si  rien  ne  pouvoit  être  bien 
s'il  n'est  conforme  à  ses  fantaisies  :  mais  ce  que 
j'admire  le  plus,  c'est  que,  par  telles  impertinences 
et  vanteries,  il  est  parvenu  à  quelque  réputation, 
et  qu'il  se  trouve  des  hommes  qui  lui  donnent  de 
l'esprit  pour  apprendre  de  lui  des  choses  fausses. 


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x.-x -X  x  xv-x  ».-x -x.  x>-x.-v».-» -v  -x  x  -x  x.  x  x  >  x  ^  v,  ^  -w»  »  »>~-.x^x-v-^-«-%.-.x  xx-«.-xxxx-xx.x.-x-X.x-»  » 


ANNÉE  l648. 
A  MADAME  LA  PRINCESSE  PALATINE. 

(Lettre  2 5  du  tome  I.) 

Madame, 

J'ai  reçu  les  lettres  de  votre  altesse,  du  a3  dé- 
cembre, presque  aussitôt  que  les  précédentes,  et 
j'avoue  que  je  suis  en  peine  touchant  ce  que  je 

»  «  La  a5e  lettre  du  Ier  vol.,  page  78,  est  de  M.  Descartes  à  la  prin- 
cesse Élizabeth  Palatine,  elle  est  sûrement  de  Tannée  1648,  puisque 
M.  Descartes ,  page  79  de  cette  lettre  ,  dit  à  la  princesse  qu'il  n'attend  de 

long-temps  des  lettres  de  la  reine  de  Suède,  parceque  la  lettre  qu'il  lui 
avoit  écrit  le  20  novembre  1647  étoit  demeurée  plus  d'un  mois  à 
Amsterdam.  En  second  lieu  ,  page  79  de  cette  lettre,  il  envoie  à  la  prin- 
cesse un  livret  qui  n'a  été  écrit  que  sur  la  fin  de  1647  *  Gand.  et  im- 
primé en  1648  ,  au  commencement.  Enfin  il  répond  à  des  lettres  de  la 
princesse  du  a3  décembre,  qu'il  n'a  pu  recevoir  qu'à  la  mi -janvier  de 
1648;  mais  ce  qui  me  persuade  que  cette  lettre  n'a  été  écrite  que  vers  le 
Ier  février,  est  que  M.  Descartes ,  page-  79  de  cette  lettre,  dit  â  la  prin- 
cesse qu'il  a  reçu  depuis  sa  lettre  envoyée  de  Suède  des  lettres  de  ce 
pays-là  qui  marquent  que  la  sienne  est  attendue  ;  et  la  lettre  dont  il  parle  a 
été  écrite  par  M.  Chanut  le  18  janvier  1648,  donc  celle-ci  n'a  pu  être 
écrite  avant  le  Ier  février  1648.  »» 


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LETTRES.  131 

dois  répondre  à  ces  précédentes,  à  cause  que  votre 
altesse  y  témoigne  vouloir  que  j'écrive  le  traité  de 
1  érudition,  dont  j'ai  eu  autrefois  l'honneur  de  lui 
parler  ;  et  il  n'y  a  rien  que  je  souhaite  avec  plus  de 
zèle  que  d'obéir  à  vos  commandements,  mais  je 
dirai  ici  les  raisons  qui  sont  cause  que  j'avois  laissé 
le  dessein  de  ce  traité,  et  si  elles  ne  satisfont  pas 
votre  altesse,  je  ne  manquerai  pas  de  le  reprendre. 
La  première  est  que  je  n'y  saurais  mettre  toutes 
les  vérités  qui  y  devroient  être  sans  animer  trop 
contre  moi  les  gens  de  l'école,  et  que  je  ne  me 
trouve  point  en  telle  condition  que  je  puisse  en- 
tièrement mépriser  leur  haine.  La  seconde  est 
que  j'ai  déjà  touché  quelque  chose  de  ce  que  j'a- 
vois envie  d'y  mettre,  dans  une  préface  qui  est  au- 
devant  de  la  traduction  françoise  de  mes  Princi- 
pes, laquelle  je  pense  que  votre  altesse  a  mainte- 
nant reçue.  La  troisième  est  que  j'ai  maintenant 
un  autre  écrit  entre  les  mains ,  que  j'espère  pou- 
voir être  plus  agréable  à  votre  altesse ,  c'est  la  des- 
cription des  fonctions  de  l'animal  et  de  l'homme; 
car  ce  que  j'en  avois  brouillé  il  y  a  douze  ou  treize 
ans,  qui  a  été  vu  par  votre  altesse,  étant  venu 
entre  les  mains  de  plusieurs  qui  l'ont  mal  transcrit, 
j'ai  cru  être  obligé  de  le  mettre  plus  au  net ,  c'est- 
à-dire  de  le  refaire,  et  même  je  me  suis  aventuré 
(  mais  depuis  huit  ou  dix  jours  seulement  )  d'y 
vouloir  expliquer  la  façon  dont  se  forme  l'animal 


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122  LETTRES. 

dès  le  commencement  de  son  origine;  je  dis  l'ani- 
mal en  général,  car  pour  l'homme  en  particulier 
je  ne  l'oserois  entreprendre,  faute  d'avoir  assez 
d'expériences  pour  cet  effet  :  au  reste  je  considère 
ce  qui  me  reste  de  cet  hiver  comme  le  temps  le 
plus  tranquille  que  j'aurai  peut-être  de  ma  vie ,  ce 
qui  est  cause  que  j'aime  mieux  l'employer  à  cette 
étude  qu'à  une  autre  qui  ne  requiert  pas  tant 
d'attention.  La  raison  qui  me  fait  craindre  d'avoir 
ci-après  moins  de  loisir ,  est  que  je  suis  obligé  de 
retourner  en  France  l'été  prochain ,  et"  d'y  passer 
l'hiver  qui  vient;  mes  affaires  domestiques  et  plu» 
sieurs  raisons  m'y  contraignent.  On  m'y  a  fait  aussi 
l'honneur  de  m'y  offrir  pension  de  la  part  du  roi, 
sans  que  je  l'aie  demandée,  ce  qui  ne  sera  point 
capable  de  m'attacher  ;  mais  il  peut  arriver  en  un 
an  beaucoup  de  choses:  il  ne  sauroit  toutefois  rien 
arriver  qui  puisse  m'empêcher  de  préférer  le  bon* 
heur  de  vivre  au  lieu  où  seroit  votre  altesse,  si 
l'occasion  s'en  présentoit,  à  celui  d'être  en  ma  pro- 
pre patrie,  ou  en  quelque  autre  lieu  que  ce  puisse 
être.  Je  n'attends  encore  de  long-temps  réponse  à 
la  lettre  touchant  le  souverain  bien ,  pourcequ'elle 
a  demeuré  près  d'un  mois  à  Amsterdam ,  par  la 
faute  de  celui  à  qui  je  l'avois  envoyée  pour  l'adres- 
ser, mais  sitôt  que  j'en  aurai  quelques  nouvelles, 
je  ne  manquerai  pas  de  le  faire  savoir  à  votre 
altesse  :  elle  ne  contenoit  aucune  chose  de  nouveau 


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LETTRES.  123 

qui  méritât  de  vous  être  envoyée.  J'ai  reçu  depuis 
quelques  lettres  de  ce  pays-là,  par  lesquelles  on 
me  mande  que  les  miennes  sont  attendues,  et  selon 
qu'on  m'écrit  de  cette  princesse,  elle  doit  être 
extrêmement  portée  à  la  vertu ,  et  capable  de  bien 
juger  des  choses;  on  me  mande  qu'on  lui  présen- 
tera la  version  de  mes  Principes,  et  qu'on  m'assure 
qu'elle  en  lira  la  première  partie  avec  satisfaction , 
et  qu'elle  seroit  bien  capable  du  reste,  si  les  affaires 
ne  lui  en  ôtoient  le  loisir.  J'envoie  avec  cette  lettre 
un  livret  de  peu  d'importance,  et  je  ne  l'enferme 
pas  en  même  paquet,  à  cause  qu'il  ne  vaut  pas  le 
port;  ce  sont  les  insultes  de  M.  Regius  qui  m'ont 
contraint  de  l'écrire,  et  il  a  été  plus  tôt  imprimé 
que  je  ne  l'ai  su  :  même  on  y  a  joint  des  vers  et 
une  préface  que  je  désapprouve,  quoique  les  vers 
soient  de  M.  H.1,  mais  qui  n'a  osé  y  mettre  son 
nom ,  comme  aussi  ne  le  devoit-il  pas.  Je  suis,  etc. 

A  M.  CHANUT. 

(  Lettre  37  du  tome  I.) 

Monsieur, 

Il  faut  que  je  vous  dise  que  je  suis  marri  du 
trop  favorable  accueil  que  vous  avez  procuré  aux 

1  «  Heydenu*  ou  Heiusius.  » 


124  LKTTRES. 

écrits  que  je  vous  avois  envoyés  pour  la  reine  de 
Suède;  car  j'ai  peur  que  sa  majesté,  n'y  trouvant 
rien  en  les  lisant  qui  corresponde  à  l'espérance 
que  vous  lui  en  avez  fait  avoir ,  en  ait  d'autant 
moins  bonne  opinion  qu  elle  l'aura  eue  meilleure 
auparavant.  J'ai  encore  un  autre  déplaisir,  qui  est 
que,  puisque  mon  paquet  a  été  retenu  trois  se- 
maines à  Amsterdam  (  ce  que  j'ai  su  être  arrivé 
pourcequ'on  pensoit  le  devoir  envoyer  par  mer,  et 
qu'on  en  attendoit  l'occasion  ),  je  regrette  de  n'a- 
voir pas  employé  ce  temps-là  pour  tâcher  d'écrire 
quelque  chose  qui  fût  moins  indigne  d'un  si  bon 
accueil:  car,  encore  que  j'aie  tâché  de  faire  mon 
mieux ,  toutefois  les  secondes  pensées  ont  coutu- 
me d'être  plus  nettes  que  les  premières,  et  je  ma- 
tois hâté  en  faisant  cette  dépèche,  pour  témoigner 
au  moins  par  ma  promptitude  combien  j'étois  dé- 
sireux d'obéir  à  un  commandement  que  je  ché- 
rissois  comme  le  plus  grand  honneur  que  je  puisse 
recevoir.  Voilà,  monsieur,  tous  les  sujets  de  tris- 
tesse que  je  puisse  imaginer,  afin  de  modérer 
l'extrême  joie  que  j'ai  d'apprendre  que  cette  grande 
reine  veuille  lire  et  considérer  à  loisir  les  écrits 
que  j'ai  envoyés,  car  j'ose  me  promettre  que  si 
elle  goûte  les  pensées  qu'ils  contiennent,  elles  ne 
seront  pas  infructueuses,  et  pourcequ'elle  est  l'une 
des  plus  importantes  personnes  de  la  terre ,  que 
cela  même  peut  n'être  pas  inutile  au  public.  Il  me 


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LETTRES.  125 

semble  avoir  trouvé  par  expérience  que  la  consi- 
dération de  ces  pensées  fortifie  l'esprit  en  l'exer- 
cice de  la  vertu ,  et  qu'elle  sert  plus  à  nous  rendre 
heureux  qu'aucune  autre  chose  qui  soit  au  monde. 
Mais  il  n'est  pas  possible  que  je  les  aie  assez  bien 
exprimées  pour  faire  qu'elles  paroissent  aux  autres 
comme  à  moi ,  et  j'ai  un  désir  extrême  d'apprendre 
quel  jugement  en  fera  sa  majesté,  mais  particuliè- 
rement aussi  quel  sera  le  vôtre.  La  parole  a  beau- 
coup plus  de  force  pour  persuader  que  l'écriture, 
et  je  ne  doute  point  que  vous  ne  lui  en  fassiez 
aisément  avoir  les  mêmes  sentiments  que  vous  au- 
rez, au  moins  s'ils  sont  à  mon  avantage,  car  l'af- 
fection dont  vous  me  donnez  tous  les  jours  des 
preuves  m'assure  que  vous  ne  lui  en  voudriez  pas 
faire  avoir  d'autres.  Je  serai  bien  aise  de  voir  la 
harangue  de  M.  Freinshemius,  à  cause  de  la  matière 
dont  il  traite,  et  je  ne  manquerai  pas  de  la  deman- 
der à  M.  Brasset  lorsqu'il  l'aura  reçue.  Au  reste,  je 
me  propose  d'aller  à  Paris  au  commencement  du 
mois  prochain.  Je  pourrois  dire  que  pour  mon 
intérêt  je  ne  souhaite  pas  d'avoir  sitôt  l'honneur 
de  vous  y  voir ,  à  cause  des  faveurs  que  vous  me 
procurez  au  lieu  où  vous  êtes,  mais  je  n'ai  jamais 
aucun  égard  à  moi  lorsqu'il  peut  y  aller  du  con- 
tentement de  mes  amis ,  et  j'avoue  que  je  ne  sou- 
haiterois  pas  un  emploi  pénible  qui  m'otât  le  loisir 
de  cultiver  mon  esprit,  encore  que  cela  fut  récom- 


126  LETTRES. 

pensé  par  beaucoup  d'honneur  et  de  profit.  Je 
dirai  seulement  qu'il  ne  me  semble  pas  que  le  vô- 
tre soit  du  nombre  de  ceux  qui  ôtent  le  loisir  de 
cultiver  son  esprit,  au  contraire,  je  crois  qu'il 
vous  en  donne  les  occasions ,  en  ce  que  vous  êtes 
auprès  dune  reine  qui  en  a  beaucoup,  et  qu'il  ne 
faut  pas  avoir  manque  d'adresse  pour  satisfaire 
entièrement  à  ses  maîtres ,  agréer  à  ceux  vers  les- 
quels on  est  envoyé,  et  ne  jouer  cependant  aucun 
autre  personnage  que  celui  d'un  homme  d'hon- 
neur, ainsi  que  je  m'assure  que  vous  faites.  On 
peut  toujours  tirer  beaucoup  de  satisfaction  de 
ce  qu'on  occupe  son  esprit  en  des  choses  difficiles, 
lorsqu'on  y  réussit ,  encore  qu'on  ne  l'occupe  pas 
aux  mêmes  choses  qu'on  auroit  peut-être  choisies 
si  on  en  avoit  eu  la  liberté.  Le  vôtre  étant  propre 
à  tout,  je  ne  doute  point  que  vous  ne  tiriez  beau- 
coup de  satisfaction  d'un  emploi  dont  vous  vous 
acquittez  si  bien.  Si  pourtant  vous  approchiez  du 
temps  de  votre  retraite ,  et  que  vous  revinssiez 
bientôt  à  Paris,  je  serois  ravi  d'avoir  l'honneur  de 
vous  y  voir.  Que  si  vous  faites  encore  quelque  sé- 
jour au  lieu  où  vous  êtes,  je  me  consolerai  sur  ce 
que  j'espère  que  vous  continuerez  à  me  procurer 
la  bienveillance  de  cette  grande  reine,  pour  les 
vertus  de  laquelle  vous  m'avez  fait  avoir  beaucoup 
de  vénération  et  de  zèle.  Je  suis ,  etc. 

D^Egmond,  le  ai  février  1C48. 


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LETTRES.  .  127 


A  MONSIEUR  ***  '. 

(Lettre  124  du  tome  III.) 

Monsieur, 

Encore  que  j'aie  un  extrême  ressentiment  des 
bienfaits  que  j'ai  reçus  de  votre  faveur,  tant  lorsque 
j'étoi&  à  Paris  que  depuis  encore,  ainsi  que  j'ai  su 
de  M.  de  Martigny,  qui  m'a  mandé  que  sans 
vous  il  n'eût  pu  rien  faire  en  l'expédition  du  bre- 
vet de  pension  qu'il  m'a  envoyé,  je  ne  vous  en 
ferai  pas  néanmoins  ici  de  grands  remerciements  ; 
il  n'appartient  qu'à  ceux  qui  ont  envie  d'être  ingrats 
de  se  servir  de  cette  monnoie ,  afin  de  payer  avec 
des  paroles  les  véritables  bienfaits  qu'ils  ont  reçus. 
Mais  je  vous  supplie  très  humblement  de  trouver 
bon  que  je  vous  dise  que  je  ne  puis  douter  que 
vous  n'ayez  dorénavant  beaucoup  de  bonne  volonté 
pour  moi,  non  point  pour  aucun  mérite  que  je 

1  ««  Cette  lettre  n'est  pas  datée ,  mais  comme,  dans  la  a5e  letlre manuscrite 
de  M.  Descartes  à  Picot ,  du  4  avril  1648  ,  il  dit  qu'il  se  dispose  à  partir  de 
Hollande  dans  trois  semaines  ,  ce  ne  ponvoit  être  que  le  brevet  de  pension 
qu'il  avoit  reçu  de  Paris  qui  en  fut  cause;  ainsi  il  l'avoit  reçu  :  il  n'y  a  pas 
d'apparence  qu'il  fut  long-temps  à  remercier  cet  ami.  Ainsi  je  juge  que 
cette  lettre  a  été  écrite  le  1"  avril  1648.  * 


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\2&  LETTRES. 

prétende  avoir,  mais  pourceque  vous  m'avez  déjà 
fait  plus  de  bien  que  la  plupart  de  tous  les  parents 
ou  amis  que  j'aie  jamais  eus,  en  sorte  que  vous 
pouvez  à  bon  droit  me  considérer  comme  lune  de 
vos  créatures  ;  et  en  examinant  toutes  les  causes  de 
l'amitié,  je  n'en  trouve  point  d'autre  qui  soit  si 
puissante  ni  si  pressante  que  celle-là.  Ce  que  je 
prends  la  liberté  d'écrire,  afin  que,  lorsque  vous 
saurez  que  je  fais  cette  réflexion ,  vous  ne  puissiez 
aussi  douter  que  je  n'aie  un  zèle  très  particulier 
pour  votre  service.  A  quoi  j'ajouterai  seulement 
encore  un  mot,  qui  est  que  la  philosophie  cfue  je 
cultive  n'est  pas  si  barbare  ni  si  farouche  qu'elle 
rejette  l'usage  des  passions;  au  contraire,  c'est  en 
lui  seul  que  je  mets  toute  la  douceur  et  la  félicité 
de  cette  vie;  et  bien  qu'il  y  ait  plusieurs  de  ces 
passions  dont  les  excès  soient  vicieux,  il  y  en  a 
toutefois  quelques  autres  que  j'estime  d'autant 
meilleures  qu'elles  sont  plus  excessives  ;  et  je  mets 
la  reconnoissance  entre  celles-ci ,  aussi  bien  qu'en- 
tre les  vertus;  c'est  pourquoi  je  ne  croirois  pas 
pouvoir  être  ni  vertueux  ni  heureux ,  si  je  n'avois 
un  désir  très  passionné  de  vous  témoigner  par 
effet  dans  toutes  les  occasions  que  je  n'en  manque 
point.  Et  puisque  vous  ne  m'en  offrez  point  pré- 
sentement d'autre  que  celle  de  satisfaire  à  vos  deux 
demandes,  je  ferai  mon  possible  pour  m'en  bien 
acquitter,  quoique  l'une  de  vos  questions  soit 


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LETTRES.  129 

d'une  matière  qui  est  fort  éloignée  de  mes  spécu- 
lations ordinaires. 

Premièrement  donc  je  vous  dirai  que  je  tiens 
qu'il  y  a  une  certaine  quantité  de  mouvement  dans 
toute  la  matière  créée  qui  n'augmente  ni  ne  dimi- 
nue jamais;  et  ainsi  que,  lorsqu'un  corps  en  fait 
mouvoir  un  autre,  il  perd  autant  de  mouvement 
qu'il  lui  en  donne  j-comrae  lorsqu'une  pierre  tombe 
de  haut  contre  terre,  si  elle  ne  retourne  point  et 
qu'elle  s'arrête,  je  conçois  que  cela  vient  de  ce 
qu'elle  ébranle  cette  terre,  et  ainsi  lui  transfère  son 
mouvement  ;  mais  si  ce  qu'elle  meut  de  terre  con- 
tient mille  fois  plus  de*  matière  qu'elle,  en  lui 
transférant  son  mouvement  elle  ne  lui  donne  que 
la  millième  partie  de  sa  vitesse.  Et  pourceque  si 
deux  corps  inégaux  reçoivent  autant  de  mouvement 
l'un  que  l'autre,  cette  pareille  quantité  de  mouve- 
ment ne  donne  pas  tant  de  vitesse  au  plus  grand 
qu'au  plus  petit,  on  peut  dire  en  ce  sens  que  plus 
un  corps  contient  de  matière  plus  il  a  d'inertie 
naturelle  ;  à  quoi  l'on  peut  ajouter  qu'un  corps  qui 
est  grand  peut  mieux  transférer  son  mouvement 
aux  autres  corps  qu'un  petit,  et  qu'il  peut  moins 
être  mû  par  eux;  de  façon  qu'il  n'y  a  qu'une  sorte 
d'inertie  qui  dépend  de  la  quantité  de  la  matière, 
et  une  autre  qui  dépend  de  l'étendue  de  ses  super- 
ficies. 

Pour  votre  autre  question,  vous  avez,  ce  me 
10.  9 


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l30  LETTRES. 

semble,  fort  bien  répondu  vous-même  sur  la  qua- 
lité de  la  conuoissance  de  Dieu  en  la  béatitude,  la 
distinguant  de  celle  que  nous  en  avons  maintenant, 
en  ce  quelle  sera  intuitive  ;  et  si  ce  terme  ne  vous 
satisfait  pas,  et  que  vous  croyiez  que  cette  connois- 
sance de  Dieu  intuitive  soit  pareille ,  ou  seulement 
différente  de  la  nôtre ,  dans  le  plus  et  le  moins  des 
choses  connues,  et  non  en  la  façon  de  connoître, 
c'est  en  cela  qu'à  mon  avis  vous  vous  détournez 
du  droit  chemin.  La  connoissance  intuitive  est  une 
illustration  de  l'esprit  par  laquelle  il  voit  en  la  lu- 
mière de  Dieu  les  choses  qu'il  lui  plaît  lui  découvrir 
par  une  impression  directe  de  la  clarté  divine  sur 
notre  entendement ,  qui  en  cela  n'est  point  consi- 
déré comme  agent ,  mais  seulement  comme  recevant 
les  rayons  de  la  divinité.  Or,  toutes  les  connois- 
sances  que  nous  pouvons  avoir  de  Dieu  sans  mira- 
cle eu  cette  vie  descendent  du  raisonnement  et  du 
progrès  de  notre  discours,  qui  les  déduit  des  princi- 
.  pes  de  la  foi ,  qui  est  obscure;  ou  viennent  des  idées 
et  des  notions  naturelles  qui  sont  en  nous ,  qui , 
pour  claires  qu'elles  soient,  ne  sont  que  grossières 
et  confuses  sur  un  si  haut  sujet  :  de  sorte  que  ce  que 
nous  avons  ou  acquérons  de  connoissance  par  le 
chemin  que  tient  notre  raison,  a  premièrement  les 
ténèbres  des  principes  dont  il  est  tiré,  et  de  plus 
l'incertitude  que  nous  éprouvons  en  tous  nos  rai- 
sonnements. 


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LETTRES.  1  3  1 

Comparez  maintenant  ces  deux  connoissances , 
et  voyez  «'il  y  a  quelque  chose  de  pareil  en  cette 
perception  trouble  et  douteuse,  qui  nous  coûte 
beaucoup  de  travail,  et  dont  encore  ne  jouissons- 
nous  que  par  moments ,  après  que  nous  l'avons 
acquise  à  une  lumière  pure,  constante,  claire,  cer- 
taine ,  sans  peine  et  toujours  mésente. 

Or  que  notre  esprit,  lorsqu'il  sera  détaché  du 
corps  ou  que  ce  corps  glorifié  ne  lui  fera  plus 
d'empêchement,  ne  puisse  recevoir  de  telles  illus- 
trations et  connoissances  directes ,  en  pouvez-vous 
douter,  puisque  dans  ce  corps  même  les  sens  lui 
en  donnent  des  choses  corporelles  et  sensibles,  et 
que  notre  âme  en  a  déjà  quelques  unes  de  la  béné- 
ficence  de  son  Créateur,  sans  lesquelles  il  ne  seroit 
pas  capable  de  raisonner?  J'avoue  qu'elles  sont  un 
peu  obscurcies  par  le  mélange  du  corps  ;  mais  en- 
core nous  donnent-elles  une  connoissance  première, 
gratuite,  certaine,  et  que  nous  recevons  de  l'esprit 
avec  plus  de  confiance  que  nous  n'en  donnons  au 
rapport  de  nos  yeux.  Ne  m'a  vouerez- vous  pas  que 
vous  êtes  moins  assuré  de  la  présence  des  objets 
que  vous  voyez ,  que  de  la  vérité  de  cette  proposi- 
tion, Jepense  donc^je  suisPOr  cette  connoissance 
n'est  point  un  ouvrage  de  votre  raisonnement,  ni 
une  instruction  que  vos  maîtres  vous  aient  donnée; 
votre  esprit  la  voit,  la  sent  et  la  manie;  et  quoi- 
que votre  imagination,  qui  se  mêle  importunément 


l32  LETTRES. 

dans  vos  pensées,  en  diminue  la  clarté  la  voulant 
revêtir  de  ses  figures ,  elle  vous  est  pourtant  une 
preuve  de  la  capacité  de  nos  âmes  à  recevoir  de 
Dieu  une  connoissance  intuitive.  Il  me  semble  voir 
que  vous  avez  pris  occasion  de  douter,  sur  l'opinion 
que  vous  avez  que  la  connoissance  intuitive  de 
Dieu  est  celle* où  |^>n  connoît  Dieu  par  lui-même; 
et  sur  ce  fondement,  vous  avez  bâti  ce  raisonne- 
ment: Je  connois  que  Dieu  est  un,  parceque  je 
connois  qu'il  est  un  être  nécessaire  ;  or  cette  forme 
de  connoître  ne  se  sert  que  de  Dieu  même;  donc 
je  connois  que  Dieu  est  un  par  lui-même,  et  par 
conséquent  je  connois  intuitivement  que  Dieu  est 
un.  Je  ne  pense  pas  qu'il  soit  besoin  d'un  grand 
examen  pour  détruire  ce  discours.  Vous  voyez  bien 
que  connoître  Dieu  par  soi-même ,  c'est-à-dire  par 
une  illustration  immédiate  de  la  divinité  sur  notre 
esprit,  comme  on  l'entend  par  la  connoissance 
intuitive,  est  bien  autre  chose  que  se  servir  de  Dieu 
même  pour  en  faire  une  induction  d'un  attribut  à 
l'autre ,  ou ,  pour  parler  plus  convenablement ,  se 
servir  de  la  connoissance  naturelle  (et  par  consé- 
quent un  peu  obscure,  du  moins  si  vous  la  compa- 
rez à  l'autre)  d'un  attribut  de  Dieu,  pour  en  former 
un  argument  qui  conclura  un  autre  attribut  de 
Dieu.  Confessez  donc  qu'en  cette  vie  vous  ne  voyez 
pas  en  Dieu  et  par  sa  lumière  qu'il  est  un;  mais 
vous  le  concluez  d'une  proposition  que  vous  avez 


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LETTRES.  l33 

faite  de  lui,  et  vous  la  tirez  par  la  force  de  l'argu- 
mentation, qui  est  une  machine  souvent  défec- 
tueuse. Vous  voyez  ce  que  vous  pouvez  sur  moi , 
puisque  vous  me  faites  passer  les  bornes  de  phi- 
losopher que  je  me  suis  prescrites,  pour  vous 
témoigner  par  là  combien  je  suis ,  etc. 

A  M.  CH  A.NUT  ■. 

(Lettre  4o  du  tome  I.) 

Monsieur, 

Vous  mesurez  merveilleusement  bien  les  temps, 
car  justement  j'ai  trouvé  à  La  Haye,  lorsque  j  etois 
en  chemin  pour  venir  ici,  la  lettre  que  vous  vou- 
liez que  je  pusse  recevoir  avant  mon  partement 
de  Hollande;  elle  vint  seulement  en  cela  trop 
tard ,  que  m  étant  proposé  de  partir  le  jour  même 
qu'on  me  la  rendit ,  je  fus  contraint  de  différer  ma 
réponse  jusqu'à  mon  arrivée  en  cette  ville.  J'ai  eu 
cependant  tout  le  loisir  de  repasser  par  mon  ima- 
gination la  belle  description  que  vous  faites  de 
cette  chasse,  où  l'on  porte  des  livres,  et  où  vous 

1  «  On  voit  qu'elle  est  écrite  de  Paris,  dans  son  voyage  de  1648  ;  ainsi 
je  la  date  de  mai  1648.  » 


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1 34  LETTRES. 

me  donnez  l'espérance  que  mon  écrit  aura  cette 
prérogative  au-dessus  de  beaucoup  d'autres ,  d'être 
revu  par  la  reine  de  Suède.  La  grande  estime  que 
je  fais  de  l'esprit  de  cette  incomparable  princesse 
me  donne  sujet  d'appréhender  que  cet  écrit  ne  lui 
puisse  plaire ,  puisqu'ayant  déjà  pris  la  peine  de 
le  voir ,  ainsi  que  v^pus  me  mandez  qu'elle  a  fait , 
elle  n'a  pas  voulu  néanmoins  vous  en  dire  encore 
son  sentiment;  mais  je  me  console  sur  ce  que  vous 
ajoutez  qu'elle  s'est  proposé  de  le  revoir  :  car 
elle  ne  daigneroit  pas  s'arrêter  à  cela ,  si  elle  n'a- 
voit  rien  trouvé  qu'elle  approuvât.  Et  je  me  flatte 
de  cette  opinion ,  que  c'est  plutôt  l'ordre ,  l'agen- 
cement et  les  ornements  de  l'élocution  qui  y  man- 
quent, que  non  pas  la  vérité  des  pensées;  ce  qui 
me  fait  espérer  plus  d'approbation  de  la  seconde 
lecture  que  de  la  première.  Vous  direz  peut-être 
que  je  me  donne  en  ceci  trop  de  vanité  ;  mais  je 
vous  prie  d'en  attribuer  la  faute  à  l'air  de  Paris 
plutôt  qu'à  mon  inclination  :  car  je  crois  vous 
avoir  déjà  dit  autrefois  que  cet  air  me  dispose  à 
concevoir  des  chimères,  au  lieu  de  pensées  de 
philosophe.  Je  vois  tant  d'autres  personnes  qui  se 
trompent  en  leurs  opinions  et  en  leurs  calculs, 
qu'il  me  semble  que  c'est  une  maladie  universelle. 
L'innocence  du  désert  d'où  je  viens  me  plaisoit 
beaucoup  davantage,  et  je  ne  crois  pas  que  je 
puisse  m'empêcher  d'y  retourner  dans  peu  de 


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LETTRES.  1 35 

temps;  mais  en  quelque  lieu  du  monde  que  je 
sois,  je  vous  prie  de  croire  que  vous  y  aurez,  etc. 

A  MADAME  ÉLIZARETH, 

PRINCESSE  PALATINE,  etc.  •. 
(Lettre  l\\  du  tome  I.) 

Madame, 

Encore  que  je  sache  bien  que  le  lieu  et  la  con- 
dition où  je  suis  ne  me  sauroient  donner  aucune 
occasion  dette  utile  au  service  de  votre  altesse,  je 
ne  satisferois  pas  à  mon  devoir  ni  à  mon  zèle,  si , 
après  être  arrivé  en  une  nouvelle  demeure,  je 
manquois  à  vous  renouveler  les  offres  de  ma  très 
hiimble  obéissance.  Je  me  suis  rencontré  ici  en 
une  conjoncture  d'affaires  que  toute  la  prudence 
humaine  n'eût  su  prévoir.  Le  parlement  joint  avec 
les  autres  cours  souveraines  s'assemblent  mainte- 
nant tous  les  jours,  pour  délibérer  touchant  quel- 
ques ordres  qu'ils  prétendent  devoir  être  mis  au 
maniement  des  finances,  et  cela  se  fait  à  présent 
avec  la  permission  de  la  reine,  en  sorte  qu'il  y  a  de 

»  •  De  quelques  jours  après  sou  arrivée  à  Paris  ,  r\  comme  il  y  arriva 
à  la  fui  de  mai ,  je  crois  celle  -ci  du  H  juin  104  S. 


1 36  LETTRES. 

l'apparence  que  1  affaire  tirera  de  longue  ;  mais  il 
est  malaisé  de  juger  ce  qui  en  réussira.  On  dit 
qu'ils  se  proposent  de  trouver  de  l'argent  suffisam- 
.  ment  pour  continuer  la  guerre,  et  entretenir  de 
grandes  armées,  sans  pour  cela  fouler  le  peuple: 
s'ils  prennent  ce  biais,  je  me  persuade  que  ce  sera 
le  moyen  de  venir  enfin  à  une  paix  générale.  Mais 
en  attendant  que  cela  soit ,  j'eusse  bien  fait  de 
me  tenir  au  pays  où  la  paix  est  déjà;  et  si  ces 
orages  ne  se  dissipent  bientôt,  je  me  propose  de 
retourner  vers  Egmond  dans  six  semaines  ou  deux 
mois ,  et  de  m'y  arrêter  jusqu'à  ce  que  le  ciel  de 
France  soit  plus  serein.  Cependant,  me  tenant 
comme  je  fais  un  pied  en  un  pa^s,  et  l'autre  en 
un  autre,  je  trouve  ma  condition  très  heureuse, 
en  ce  qu'elle  est  libre  ;  et  je  crois  que  ceux  qui 
sont  en  grande  fortune  diffèrent  davantage  des 
autres,  en  ce  que  les  déplaisirs  qui  leur  arrivent 
leur  sont  plus  sensibles,  que  non  pas  en  ce  qu'ils 
jouissent  de  plus  de  plaisirs,  à  cause  que  tous  les 
contentements  qu'ils  peuvent  avoir,  leur  étant  or- 
dinaires ,  ne  les  touchent  pas  tant  que  les  afflic- 
tions, qui  ne  leur  viennent  que  lorsqu'ils  s'y  at- 
tendent le  moins,  et  qu'ils  n'y  sont  aucunement 
préparés  ;  ce  qui  doit  servir  de  consolation  à  ceux 
que  la  fortune  a  accoutumés  à  ses  disgrâces.  Je 
voudrois  qu'elle  fût  aussi  obéissante  à  tous  vos 
désirs,  que  je  serai  toute  ma  vie,  etc. 


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LETTRES. 


•37 


A  M.  DESCARTES 

(Lettre  3  du  tome  II.  Version.) 

Monsieur, 

Je  ne  m'adresse  point  à  vous  dans  le  dessein  de 
troubler  par  de  nouvelles  disputes  un  loisir  qui 
vous  est  si  cher,  et  que  vous  employez  si  utile- 
ment ;  mais  puisque  vous  avez  eu  la  bonté  de 
nous  avertir,  en  plusieurs  endroits  des  doctes 
écrits  que  vous  avez  mis  au  jour,  que  si  Ton  y 
trouvoit  quelque  chose  d'obscur,  ou  qui  ne  sem- 
blât pas  tout-à-fait  hors  de  doute ,  vous  tâcheriez 
de  l'éclaircir  par  votre  réponse,  j'ai  cru  que  vous 
ne  trouveriez  pas  mauvais  si  je  me  servois  aujour- 
d'hui de  l'offre  que  vous  me  faites ,  et  si ,  après  avoir 
lu  avec  admiration  et  approuvé  presque  entière- 
ment tout  ce  que  vous  avez  écrit  touchant  la  pre- 
mière philosophie,  josois  vous  prier  de  me  vou- 
loir délivrer  de  deux  ou  trois  scrupules  qui  me 
restent.  Je  vous  les  proposerai  le  plus  brièvement 

«  «  Cette  lettre  est  de  M.  Arnauld  à  M.  Descartes;  elle  lui  fut  envoyée 
par  M.  de  Beaupuisde  Port-Royal-des-Champs ,  datée  du  i5  juillet  1648. 
Je  sais  tout  cela  par  une  lettre  du  Père  Quesnel.  » 


1 38  LETTRES. 

qu'il  me  sera  possible,  afin  de  ne  vous  pas  arrêter 
davantage. 

DB  L'ESPRIT  HUMAIR. 

Ce  que  vous  avez  écrit  de  la  distinction  qui  est 
entre  l'âme  et  le  corps  me  semble  très  clair,  très 
évident,  et  tout  divin,  et  comme  il  n'y  a  rien  de 
plus  ancien  que  la  vérité ,  j'ai  eu  une  singulière 
satisfaction  de  voir  que  presque  les  mêmes  cho- 
ses  avoient  été  autrefois  agitées  fort  clairement  et 
fort  agréablement  par  saint  Augustin ,  dans  tout  le 
livre  x  de  la  Trinité,  mais  principalement  au  cha- 
pitre x. 

Je  trouve  seulement  de  la  difficulté ,  en  ce  que , 
dans  vos  réponses  aux  cinquièmes  objections,  page 
549  de  l'édition  françoise,  vous  dites  que  lame 
pense  toujours,  à  cause  qu'elle  est  une  substance 
qui  pense;  et  que  ce  qui  fait  que  nous  ne  nous 
ressouvenons  pas  des  pensées  qu'elle  a  eues  lorsque 
nous  étions  dans  le  ventre  de  nos  mères,  ou  pen- 
dant une  léthargie,  vient  de  ce  que  pendant  que 
l'âme  est  unie  au  corps,  pour  se  ressouvenir  de 
nos  pensées,  il  est  nécessaire  qu'il  en  demeure 
quelques  vestiges  imprimés  dans  le  cerveau  ,  vers 
lesquels  l'âme  se  tournant  et  s'y  appliquant,  elle 
se  ressouvient ,  et  qu'on  ne  doit  pas  trouver 
étrange  si  le  cerveau  d'un  enfant  ou  d'un  lé- 
thargique n'est  pas  propre  à  recevoir  ces  imprcs 
sions. 


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LETTRES.  1JQ 

Mais  il  faut,  à  mon  avis,  nécessairement  admet- 
tre en  notre  esprit  deux  sortes  de  mémoires,  l'une 
purement  spirituelle ,  et  l'autre  qui  se  fasse  par 
l'entremise  d'un  organe  corporel:  de  même  que 
l'on  admet  ordinairement  deux  manières  ou  deux 
facultés  de  penser  (  ainsi  que  vous  expliquez  et 
prouvez  vous-même  admirablement  ),  l'une  qui 
conçoit  purement  et  sans  l'aide  d'aucune  faculté 
corporelle ,  et  l'autre  qui  s'applique  aux  images 
qui  sont  dépeintes  dans  le  cerveau.  De  sorte  qu'il 
faut  confesser  que  pour  ce  qui  est  de  ces  derniè- 
res opérations  de  l'esprit ,  c'est  à  savoir  des  ima- 
ginations ,  il  est  impossible  que  nous  nous  en  res- 
souvenions, s'il  n'en  demeure  quelques  vestiges 
imprimés  dans  le  cerveau. 

Mais  il  me  semble  que  l'on  doit  dire  tout  le  con- 
traire à  l'égard  des  conceptions  pures,  c'est  à  sa- 
voir que  pour  s'en  ressouvenir  il  n'est  nullement 
besoin  qu'il  y  en  ait  aucuns  vestiges  dans  le  cer- 
veau ;  et  même  tandis  qu'elles  demeurent  de  pures 
conceptions  il  n'est  pas  possible  que  cela  soit, 
puisqu'elles  n'ont  aucun  commerce  ni  correspon- 
dance avec  le  cerveau ,  ni  avec  aucune  autre  chose 
corporelle. 

Et  véritablement  qui  croiroit  que  l'esprit  peut 
concevoir  sans  l'aide  du  cerveau,  et  qu'il  ne  peut 
se  ressouvenir  de  sa  conception  sans  l'aide  du  cer- 
veau? Et  même  si  cela  étoit,  l'esprit  ne  pourroit 


l4o  LETTRES. 

en  aucune  façon  raisonner  des  choses  spirituelles 
et  incorporelles,  telle  qu'est  Dieu,  et  lui-même, 
vu  que  tout  raisonnement  est  composé  d'une 
suite  de  plusieurs  conceptions  dont  nous  ne  pour- 
rions comprendre  la  liaison,  si  nous  ne  nous  res- 
souvenions des  premières  lorsque  nous  formons 
les  secondes.  Mais  quant  aux  premières,  il  n'en 
demeure  aucun  vestige  dans  le  cerveau,  puisque 
nous  supposons  qu'elles  ont  été  de  pures  concep- 
tions. L'esprit  donc  peut  se  ressouvenir  de  ses 
pensées  ,  sans  qu'il  en  soit  resté  aucuns  vestiges 
dans  le  cerveau.  Il  faut  donc  chercher  une  autre 
raison  pourquoi ,  s'il  est  vrai  que  l'âme  pense  tou- 
jours, personne  néanmoins  jusques  ici  ne  s'est 
ressouvenu  des  pensées  qu'il  a  eues  tandis  qu'il  étoit 
au  ventre  de  sa  mère;  vu  principalement  que  ces 
pensées  ont  dû  être  très  claires  et  très  distinctes, 
si,  comme  vous  dites  en  plusieurs  endroits  ,  et 
même  à  mon  avis  avec  raison,  il  est  véritable  qu'il 
n'y  a  rien  qui  offusque  davantage  les  lumières  de 
notre  âme  que  les  préjugés  des  sens,  desquels 
pour  lors  personne  n'est  prévenu. 

Et  même  il  ne  me  semble  pas  nécessaire  que 
l'âme  pense  toujours  ,  encore  qu'elle  soit  une  sub- 
stance qui  pense  ;  car  il  suffit  qu'elle  ait  toujours 
en  soi  la  faculté  de  penser,  comme  la  substance 
corporelle  est  toujours  divisible ,  encore  qu'en  ef- 
fet elle  ne  soit  pas  divisée. 


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LETTRES 


>4« 


DE  DIEU. 

Les  raisons  dont  vous  vous  servez  pour  prou- 
ver l'existence  de  Dieu  ne  me  semblent  pas  seule- 
ment ingénieuses,  comme  tout  le  monde  l'avoue, 
mais  aussi  de  vraies  et  de  solides  démonstrations, 
particulièrement  les  deux  premières.  Dans  la  troi- 
sième ,  il  y  a  quelque  chose  que  j'aurois  bien  voulu 
que  vous  eussiez  expliqué  plus  exactement. 

1 .  Toute  la  force  de  cette  démonstration  con- 
siste principalement  en  ce  que  ,  comme  le  temps 
présent  ne  dépend  point  de  celui  qui  le  précède 
immédiatement ,  il  ne  faut  pas  une  moindre  puis- 
sance pour  conserver  une  chose  que  pour  la  créer 
la  première  fois.  Mais  on  peut  demander  ici  de 
quel  temps  vous  entendez  parler  ;  car  si  c'est  de  la 
durée  de  l'esprit  même,  que  vous  appelez  du  nom 
de  temps ,  les  philosophes  et  les  théologiens  disent 
ordinairement  que  la  durée  d'une  chose  perma- 
nente ,  et  surtout  d'une  chose  spirituelle ,  telle 
qu'est  l'esprit  ou  l'âme  de  l'homme ,  n'est  pas  suc- 
cessive ,  mais  permanente  et  toute  à  la  fois  (  ce 
qui  est  très  vrai  de  la  durée  de  Dieu  ) ,  et  partant 
qu'on  n'y  doit  point  chercher  des  parties  qui  s'en- 
tre-suivent  les  unes  les  autres  sans  être  dépen- 
dantes ;  ce  qu'ils  accordent  seulement  se  pouvoir 
dire  de  la  durée  du  mouvement ,  qui  seule  est  pro- 
prement ce  qu'on  appelle  temps.  Que  si  vous  répon- 


1 42  LETTRES. 

dez  que  vous  entendez  aussi  proprement  parler  du 
temps ,  qui  est  la  durée  du  mouvement ,  à  savoir  du 
soleil  et  des  autres  astres ,  il  sembleque  cela  n'appar- 
tient en  aucune  façon  à  la  conservation  de  notre  es- 
prit, puisque ,  bien  que  Ton  supposât  qu'il  n'y  eût 
aucun  corps  en  la  nature  (ainsi  que  vous  supposez 
en  la  troisième  méditation  )  par  le  mouvement  du- 
quel le  temps  se  pût  mesurer ,  tout  ce  que  vous 
dites  de  la  nécessaire  conservation  de  notre  esprit 
ne  laisseront  pas  de  se  soutenir  et  avoir  de  la  force. 

C'est  pourquoi ,  afin  que  cette  démonstration  ait 
autant  de  force  que  les  autres,  il  seroit  besoin  que 
vous  prissiez  la  peine  d'expliquer  ce  qui  suit  : 

1.  Ce  que  c'est  que  la  durée,  et  en  quoi  elle 
diffère  de  la  chose  qui  dure. 

2.  Si  la  durée  d'une  chose  permanente  et  spiri- 
tuelle est  successive  ou  permanente. 

3.  Ce  que  c'est  proprement  que  le  temps ,  et  en 
quoi  il  diffère  de  la  succession  d'une  chose  perma- 
nente ;  et  si  l'un  et  l'autre  est  une  chose  successive. 

i.  D'où  le  temps  emprunte  sa  brièveté  ou  sa 
longueur,  et  d'où  le  mouvement  emprunte  sa  tar- 
diveté  ou  sa  vitesse. 

Par  après ,  au  sujet  même  de  la  durée ,  vous 
établissez  pour  axiome  que  ce  qui  peut  faire  ce 
qui  est  plus  grand  ou  plus  difficile,  peut  faire  aussi 
ce  qui  est  moindre.  Toutefois  cela  ne  semble  pas 
universellement  vrai ,  ainsi  que  le  requiert  la  na- 


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LETTRES.  l43 

ture  d'un  axiome.  Car,  par  exemple ,  je  puis  bien 
entendre  et  concevoir,  mais  je  ne  puis  néanmoins 
faire  mouvoir  la  terre  de  sa  place,  quoique  pourtant 
le  premier  soit  beaucoup  plus  grand  que  le  dernier. 

Enfin, il  semble  que  ce  ne  soit  pas  une  chose  plus 
grande  de  me  conserver  moi-même  que  de  me 
donner  les  perfections  que  j'aperçois  qui  me  man- 
quent ,  puisque  je  sens  que  la  toute-puissance  et 
la  science  de  toutes  choses  me  manquent,  les- 
quelles toutefois  je  ne  pourrois  me  donner  sans 
me  faire  Dieu  ;  ce  qui  seroit  beaucoup  plus  grand 
que  de  me  conserver  moi-même. 

QU'UNE  CHOSE  ÉTENDUE  N'EST  PAS  RÉELLEMENT  DISTINCTE 
DE  SON  EXTENSION  LOCALE. 

Vous  soutenez  qu'une  chose  étendue  ne  peut 
en  aucune  façon  être  distinguée  de  son  extension 
locale  ;  vous  m'obligerez  donc  fort  de  me  dire  si 
vous  n'avez  point  inventé  quelque  raison  par  la- 
quelle vous  accordiez  cette  doctrine  avec  la  foi 
catholique ,  qui  nous  oblige  de  croire  que  le  corps 
de  Jésus-Christ  est  présent  au  Saint-Sacrement  de 
l'autel  sans  extension  locale ,  ainsi  que  vous  avez 
très  bien  montré  comment  l'indistinction  des  ac- 
cidents d'avec  la  substance  peut  s'accorder  avec 
le  même  mystère  ;  autrement  vous  voyez  bien  à 
quel  danger  vous  exposez  la  chose  du  monde  la 
plus  sacrée. 


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,44 


LETTRES 


DU  VIDE. 

Vous  assurez  que  non  seulement  il  n'y  a  point  de 
vide  en  la  nature,  mais  même  qu'il  n'y  en  peut 
avoir  :  ce  qui  semble  déroger  à  la  toute-puissance 
de  Dieu.  Quoi  donc  ,  Dieu  ne  peut-il  pas  réduire 
au  néant  le  vin  qui  est  contenu  dans  un  tonneau,  et 
n'y  produire  aucun  autre  corps  en  sa  place,  ou  ne 
pas  souffrir  qu'il  y  entre  aucun  autre,  quoique  ce 
dernier  ne  soit  pas  nécessaire ,  puisque  le  vin  étant 
une  fois  anéanti ,  aucun  autre  corps  ne  pourroit 
rentrer  en  sa  place  qu'il  ne  laissât  une  autre 
place  vide  en  la  nature?  D'où  il  suit ,  ou  que  Dieu 
conserve  nécessairement  tous  les  corps ,  ou  que 
s'il  peut  en  réduire  un  au  néant ,  il  peut  aussi  y 
avoir  du  vide. 

Mais,  dites-vous,  s'ilyavoit  du  vide,  ce  vide 
auroit  toutes  les  propriétés  du  corps  ,  comme  sont 
la  longueur ,  la  largeur ,  la  profondeur ,  Ja  divisi- 
bilité ,  et  ainsi  du  reste ,  et  par  conséquent  ce  se- 
roit  un  vrai  corps. 

Je  réponds  que  ce  vide  qui  est  un  néant  n'a 
aucune  propriété,  mais  seulement  la  concavité  du 
tonneau,  dont  les  parties  sont  éloignées  de  tant  de 
pieds  lune  de  l'autre  ;  et  certes  le  corps  contenu 
entre  les  côtés  de  ce  tonneau  ne  contribue  rien  à 
cela  ;  ce  qui  fait  que  ce  n'est  pas  merveille  si  ce 
corps  étant  ôté  les  mêmes  propriétés  conviennent 


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LETTRES.  l45 

encore  à  cette  concavité.  Car  puisque  le  tonneau 
et  le  vin  ,  ou  quelque  autre  corps  que  ce  puisse  être 
qui  soit  contenu  entre  les  côtés  du  tonneau  ,  sont 
deux  substances  tout-à-fait  diverses,  chacune  des- 
quelles peut  être  conçue  sans  l'autre  comme  une 
chose  complète;  je  vous  demande  si,  lorsque  je 
considère  le  tonneau  séparément,  je  ne  puis  pas 
mesurer  sa  concavité ,  voir  combien  il  y  a  de  pieds 
depuis  un  fond  jusqu'à  l'autre  ,  et  quel  est  le  dia- 
mètre de  sa  concavité  cylindrique ,  et  ainsi  du  reste. 
Aussi  je  prétends  seulement  que  ces  propriétés 
demeurent,  le  corps  qui  étoit  contenu  dedans  étant 
anéanti ,  et  non  pas  celles  qui  appartenoient  par- 
ticulièrement à  ce  corps;  comme  par  exemple,  que 
ses  parties  pouvoient  être  séparées  les  unes  des 
autres  et  être  agitées  en  diverses  façons. 

Quoi  qu'il  en  soit,  j'aimeroi*  mieux  avouer  mon 
ignorance  que  de  me  persuader  que  Dieu  conserve 
nécessairement  tous  les  corps ,  ou  du  moins  qu'il 
n'en  peut  anéantir  aucun,  qu'en  même  temps  il 
n'en  crée  un  autre. 

Voilà  ,  monsieur  ,  ce  que  j'ai  jugé  avoir  besoin 
d'une  explication  plus  exacte  en  ce  que  vous  avez 
écrit.  Que  si  les  prières  d'un  homme  inconnu  n'ont 
pas  assez  de  force  pour  obtenir  cela  de  vous,  j'es- 
père que  le  grand  amour  que  j'ai  pour  la  vérité , 
qui  seule  m'a  donné  la  hardiesse  de  vous  écrire,  et 

qui  vous  fait  aimer  de  tous  ceux  qui  la  chérissent, 

10 


1^6  LETTRE  S. 

vous  portera  à  m'accorder  l'effet  de  ma  prière,  et 
à  satisfaire  à  tous  mes  doutes ,  et  même  à  ma  cu- 
riosité. Je  suis ,  etc. 

0 

RÉPONSE  DE  M.  DESCARTES  V 

(Lettre  4  du  tome  II.  Version.) 

* 

* 

Monsieur, 

Encore  que  Fauteur  des  objections  qui  me  furent 
hier  envoyées  n'ait  point  voulu  être  connu  ni  de 
nom  ni  de  visage,  toutefois  il  n'a  pu  si  bien  se  ca- 
cher qu'il  ne  se  soit  fait  connoître  par  la  partie 
qui  est  en  lui  la  meilleure,  à  savoir  par  l'esprit  ;  et 
poureeque  je  reconnois  qu'il  est  fort  subtil  et  fort 
savant,  je  n'aurai  point  de  honte  d'être  vaincu  et 
enseigné  par  un  homme  de  sa  sorte  :  mais  pour ce- 
qu'il  dit  lui-même ,  qu'il  ne  s'est  point  adressé  à 
moi  à  dessein  de  contester,  mais  seulement  par  un 
pur  désir  de  découvrir  la  vérité,  je  lui  répondrai 
ici  en  peu  de  mots,  afin  de  réserver  quelque, chose 
pour  son  entretien.  Car  je  crois  qu'on  peut  agir 
plus  sûrement  par  lettres  avec  ceux  qui  aiment  la 
dispute;  mais  pour  ceux  qui  ne  cherchent  que 

«  «  Datée  du  iG  juillet  1647.  » 

1 


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LETTRES.  1 47 

la  vérité,  l'entrevue  et  la  vive  voix  est  bien  com- 
mode. 

Je  confesse  avec  vous  qu'il  y  a  en  nous  deux 
sortes  de  mémoires;  mais  je  me  persuade  que  l'âme 
d'un  enfant  n'a  jamais  eu  de  conceptions  pures , 
mais  seulement  des  sensations  confuses;  et  encore 
que  ces  sensations  confuses  laissent  quelques  ves- 
tiges dans  le  cerveau,  qui  y  demeurent  durant 
tout  le  reste  de  la  vie,  ces  vestiges  néanmoins  ne 
suffisent  pas  pour  nous  faire  connoître  que  les  sen- 
sations qui  nous  arrivent  étant  adultes  sont  sem- 
blables à  celles  que  nous  avons  eues  dans  le  ventre 
de  nos  mères,  ni  par  conséquent  pour  nous  en 
faire  ressouvenir,  à  cause  que  cela  dépend  de  quel- 
que réflexion  de  l'entendement,  ou  de  la  mémoire 
intellectuelle,  dont  on  n'a  pas  l'usage  quand  on 
est  au  ventre  de  sa  mère.  Mais  il  me  semble  qu'il 
est  nécessaire  que  l'âme  pense  toujours  actuelle- 
ment, pourcequela  pensée  constitue  son  essence, 
ainsi  que  l'extension  constitue  l'essence  du  corps  ; 
et  la  pensée  n'est  pas  conçue  comme  un  attribut 
qui  pem,t  être  joint  ou  séparé  de  la  chose  qui 
pense,  ainsi  que  l'on  conçoit  dans  le  corps  la  di- 
vision des.  parties ,  ou  Je  mouvement. 

Ce,  que  vous  proposez  ensuite  touchant  ladurée 
et  le  temps  est  fondé  sur  l'opinion  de  l'école, 
de  laquelle  je  suis  fort  éloigné;  à  savoir  que  la 
durée  du.  mouvement  est  d'une  autre  nature  que 

10. 


l4$  LETTRES. 

la  durée  des  choses  qui  ne  sont  point  mues,  ainsi 
que  j'ai  expliqué  en  l'article  57  de  la  première  par- 
tie des  Principes  ;  et  quoiqu'il  n'y  eût  point  du  tout 
de  corps  au  monde,  toutefois  on  ne  pourroit  pas 
dire  que  la  durée  de  l'esprit  humain  fût  tout  à  la 
fois  tout  entière,  ainsi  qu'on  le  peut  dire  de  la 
durée  de  Dieu ,  pourceque  nous  connoissons  mani- 
festement de  la  succession  dans  nos  pensées,  ce 
que  Ton  ne  peut  admettre  dans  les  pensées  de 
Dieu  :  et  i  on  conçoit  clairement  qu'il  se  peut  faire 
que  j'existe  au  moment  auquel  je  pense  à  une  cer- 
taine chose,  et  toutefois  que  je  cesse  d'exister  au 
moment  qui  le  suit  immédiatement,  auquel  je 
pourrai  penser  à  quelque  autre  chose,  s'il  arrive 
que  j'existe. 

Cet  axiome,  à  savoir,  que  ce  qui  peut  faire  le 
plus  peut  aussi  faire  le  moins,  me  semble  clair  de 
soi-même,  lorsqu'il  s'agit  des  causes  premières  et 
non  limitées  ;  mais  lorsqu'il  s'agit  d'une  cause  dé- 
terminée à  quelque  effet,  l'on  dit  ordinairement 
que  c'est  quelque  chose  de  plus,  pour  une  telle 
cause,  de  produire  un  autre  effet  que  de  pro- 
duire celui  auquel  elle  est  déterminée  par  sa  na- 
ture, auquel  sens  c'est  une  chose  plus  grande  à  un 
homme  de  mouvoir  la  terre  de  sa  place  que  d'en- 
tendre et  de  concevoir.  C'est  aussi  une  chose  plus 
grande  de  se  conserver  que  de  se  donner  quel- 
ques unes  des  perfections  que  nous  apercevons 


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LETTRES.  1 49 

qui  nous  manquent  ;  et  cela  suffit  pour  la  force 
de  mon  argument,  encore  que  peut-être  ce  soit 
une  chose  moindre  que  de  se  donner  la  toute- 
puissance  et  toutes  les  autres  perfections  divines. 

Puisque  le  concile  de  Trente  n'a  pas  voulu  expli- 
quer de  quelle  façon  le  corps  de  Jésus-Christ  est 
en  l'Eucharistie ,  et  qu'il  a  dit  qu'il  y  est  d'une 
façon  d'exister  qu'à  peine  pouvons-nous  exprimer 
par  des  paroles,  je  craindrois  d'être  accusé  de  témé- 
rité si  j'osois  déterminer  quelque  chose  là-dessus , 
et  j'aimerois  mieux  en  dire  mes  conjectures  de  vive 
voix  que  par  écrit. 

Enfin  pour  ce  qui  est  du  vide ,  je  n'ai  presque 
rien  à  dire  qui  ne  se  trouve  déjà  quelque  part  dans 
mes  Principes  de  philosophie;  car  ce  que  vous 
nommez  ici  la  concavité  du  tonneau,  à  mon  juge- 
ment, est  un  corps  qui  a  trois  dimensions,  et  que 
vous  rapportez  faussement  aux  côtés  du  tonneau 
comme  si  ce  n'étoit  rien  qui  fût  différent  d'eux. 

Mais  toutes  ces  choses  se  peuvent  plus  facile- 
ment discuter  dans  une  entrevue,  à  laquelle  je 
m'offre  très  volontiers ,  n'ayant  que  de  l'amour  et 
du  respect  pour  tous  ceux  que  je  vois  disposés  à 
suivre  et  embrasser  la  vérité.  Je  suis,  etc. 


i5o 


LETTRES. 


RÉPLIQUE  A  LA  PRÉCÉDENTE  \ 

(Lettre  5  dn  tome  II.  Version.) 

Monsieur, 

Je  ne  doute  point  que  l'entretien  ne  fût  beau- 
coup plus  commode  et  plus  facile  que  les  écrits, 
pour  éclaircir  les  questions  dont  nous  traitons; 
mais  puisque  cela  ne  se  peut,  et  qu'étant  absent  du 
lieu  où  vous  êtes,  il  ne  m  est  pas  permis  dé  jouir 
d'un  entretien  tant  désiré ,  et  offert  de  si  bonne 
grâce,  je  ne  m'envierai  point  à  moi-même  le  seul 
moyen  qui  me  reste  pour  tirer  de  vous  les  instruc- 
tions qui  me  sont  nécessaires  pour  l'intelligence  de 
vos  écrits  ;  car  votre  réponse ,  quoique  très  courte, 
m'ayantdéjà  beaucoup  aidé  à  comprendre  des  cho- 
ses très  difficiles,  j'ai  conçu  une  grande  espérance 
de  pouvoir  venir  à  bout  de  tout  le  reste ,  si  je  pou- 
vois  une  fois  nouer  avec  vous  un  entretien,  tel 
qu'on  le  peut  avec  des  personnes  éloignées,  duquel 
ayant  banni  toute  contestation  (  que  je  sais  vous 

1  ««  Cette  lettre  est  de  M.  Arnauld ,  comme  je  le  sais  par  une  lettre  du 
père  Quesnel.  Elle  n'est  pas  datée;  mais  la  réponse  de  M.  Descartes  étant 
datée  du  29  juillet,  je  peux  bien  fixer  celle-ci  au  25  juillet  1648.  » 


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LKTTRES.  1  5  1 

être  en  horreur,  et  à  laquelle  je  ne  suis  nullement 
porté)  nous  pussions  par  ce  moyen,  d'un  commun 
accord  et  avec  une  franchise  vraiment  philoso- 
phique, ou  plutôt  chrétienne,  travailler  ensemhle 
à  la  recherche  de  la  vérité. 

Je  ne  n'insiste  point  à  ce  que  vous  répondez  à 
l'objection  que  je  vous  ai  faite ,  touchant  les  pen- 
sées d'un  enfant  qui  est  au  ventre  de  sa  mère;  mais 
afin  que  cela  se  conçoive  mieux,  il  me  semble  qu'il 
seroit  à  propos  que  vous  prissiez  la  peine  d'expli- 
quer plus  amplement  ce  qui  suit. 

i .  Pourquoi  l'âme  d'un  enfant  n'a  point  de  con- 
ceptions pures ,  mais  seulement  des  sensations  con- 
fuses. Je  dirai  pourtant  ce  qui  me  vient  mainte- 
nant en  la  pensée.  Pendant  que  l'âme  est  unie  au 
corps  ,  il  semble  qu'elle  ne  puisse  en  aucune  façon 
détourner  sa  pensée  des  impressions  que  les  sens 
font  sur  elle  (ce  qui  toutefois  est  nécessaire  pour 
une  conception  pure),  au  moins  lorsqu'elle  est  tou- 
chée avec  beaucoup  de  force  par  leurs  objets,  soit 
extérieurs,  soit  intérieurs  :  d'où  vient  que  dans  une 
douleur  piquante,  ou  dans  un  plaisir  corporel 
très  véhément,  elle  ne  peut  penser  à  autre  chose 
qu'à  sa  douleur  ou  à  son  plaisir;  et  par  là  il  me 
semble  qu'on  peut  expliquer  pourquoi  les  frénéti- 
ques ont  l'esprit  troublé;  c'est  à  savoir,  à  cause 
que  les  esprits  animaux  qui  sont  dans  le  cerveau 
étant  violemment  agités ,  l'âme  alors  est  si  fort  oc- 


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1ÏJ2  LETTRES* 

cupée  des  imaginations  qu'elle  en  reçoit ,  qu'elle  ne 
peut  porter  ailleurs  sa  pensée ,  ni  penser  à  autre 
chose  qu'à  cela.  Je  voudrois  que  vous  prissiez  la 
peine  d'expliquer  plus  clairement  (si  cela  ne  vous 
incommode  point)  quelle  est  cette  conjecture,  et, 
si  elle  est  vraie,  comment  elle  peut  s'appliquer  aux 
enfants  et  aux  léthargiques. 

2.  Toutefois,  encore  qu'il  n'y  ait  aucunes  con- 
ceptions pures  dans  un  enfant,  mais  seulement 
des  sensations  confuses,  pourquoi  donc  ne  peut-il 
s'en  ressouvenir,  puisque  vous  demeurez  d'accord 
aujourd'hui  qu'il  en  demeure  des  impressions  dans 
le  cerveau  (ce  que  néanmoins  vous  sembliez  avoir 
nié  en  votre  Métaphysique,  page  549)?  C'est,  dites- 
vous,  parceque  le  ressouvenir  dépend  de  quelque 
réflexion  de  l'entendement  ou  de  la  mémoire  intel- 
lectuelle, dont  on  n'a  aucun  usage  quand  on  est 
au  ventre  de  sa  mère  ;  mais  pour  ce  qui  est  de  Ja 
réflexion,  il  semble  que  l'entendement,  ou  la  mé- 
moire intellectuelle,  de  sa  nature,  soit  réflexive.  Il 
reste  donc  à  expliquer  quelle  est  cette  réflexion 
en  laquelle  vous  dites  que  consiste  la  mémoire 
intellectuelle,  et  comment  ou  en  quoi  elle  diffère 
de  la  simple  réflexion  qui  est  naturelle  à  toute  sorte 
de  pensée,  et  d'où  vient  qu'on  n'en  peut  avoir  au- 
cun usage  quand  on  est  au  ventre  de  sa  mère. 

3.  J'approuve  fort  ce  que  vous  dites ,  que  l'es- 
prit pense  toujours;  et  par  là  le  doute  que  je  vous 


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LETTRES.  1 53 

avois  proposé  touchant  la  durée  de  l'esprit  est 
tout-à-fait  ôté.  Il  me  reste  néanmoins  encore  quel- 
que difficulté  touchant  cela. 

1.  Comment  se  peut-il  faire  que  la  pensée  con- 
stitue l'essence  de  l'esprit,  puisque  l'esprit  est  une 
substance,  et  que  la  pensée  semble  n'en  être  qu'un 
mode?  2.  Puisque  nos  pensées  sont  sou  ventes  fois 
différentes  les  unes  des  autres ,  il  sembleroit  que 
l'essence  de  notre  esprit  dût  aussi  souventes  fois 
être  différente.  5.  Puisqu'on  ne  sauroit  nier  que 
je  ne  sois  moi-même  l'auteur  de  la  pensée  que 
j'ai  maintenant ,  s'il  est  vrai  que  l'essence  de  l'esprit 
consiste  dans  la  pensée ,  il  semble  que  je  puisse 
en  quelque  façon  être  considéré  comme  l'auteur 
de  son  essence,  et  partant  que  je  puisse  aussi  me 
conserver  moi-même.  Je  vois  bien  néanmoins  ce 
que  l'on  peut  ici  répondre;  c'est  à  savoir  que  Dieu 
est  cause  que  nous  pensons ,  mais  que  nous-mê- 
mes, aidés  par  le  concours  de  Dieu ,  sommes  cause 
de  ce  que  nous  avons  telles  ou  telles  pensées.  Mais 
il  est  très  difficile  de  comprendre  comment  la 
pensée  en  général  peut  être  séparée  de  telle  et  de 
telle  pensée  en  particulier,  si  ce  n'est  que  cette 
abstraction  se  fasse  par  le  moyen  de  l'entendement. 
C'est  pourquoi  si  l'esprit  est  lui-même  la  cause  de 
ce  qu'il  a  telles  ou  telles  pensées,  il  semble  aussi 
pouvoir  lui-même  être  la  cause  de  ce  qu'il  pense 
simplement,  et  par  conséquent  de  ce  qu'il  est.  De 


1 54  LETTRES. 

plus  ,  une  chose  singulière  et  dont  l'essence  est 
déterminée,  doit  être  singulière  et  déterminée;  et 
partant,  si  l'essence  de  l'esprit  étoit  la  pensée,  ce 
ne  pourroit  être  la  pensée  en  général ,  mais  bien 
telle  ou  telle  pensée  en  particulier,  qui  devroit 
constituer  son  essence  ,  ce  qui  toutefois  ne  se 
peut  dire.  Et  il  n'en  est  pas  de  même  du  corps; 
car  encore  que  le  corps  semble  prendre  une  grande 
variété  d'extensions ,  toutefois  il  retient  toujours 
sa  même  quantité;  et  toute  la  variété  qui  lui  ar- 
rive consiste  en  cela  seul ,  que  s'il  perd  quelque 
chose  de  sa  longueur,  il  augmente  en  largeur  ou 
en  profondeur:  si  ce  n'est  peut-être  qu'on  veuille 
dire  que  la  pensée  de  notre  esprit  est  toujours 
la  même,  qui  regarde  tantôt  un  objet  tantôt  un 
autre ,  ce  que  je  doute  fort  pouvoir  être  dit  avec 
vérité. 

4-  Puisque  la  pensée  est  telle  de  sa  nature ,  que 
nous  en  avons  toujours  connoissance,  si  nous 
pensons  toujours,  nous  devons  toujours  avoir 
connoissance  de  nos  pensées;  ce  qui  semble  con- 
traire à  l'expérience ,  comme  nous  l'expérimentons 
tous  les  jours  dans  le  sommeil.  Or  de  là  naît  une 
autre  difficulté  que  j'avois  dessein,  il  y  a  long- 
temps ,  de  vous  proposer,  mais  elle  ne  me  vint  pas 
en  l'esprit  lorsque  je  vous  écrivis  la  première  fois. 
Vous  dites  que  notre  esprit  a  la  force  de  conduire 
les  esprits  animaux  dans  les  nerfs,  et  parce  moyen 


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LETTRES.  1 55 

de  mouvoir  les  membres;  et  ailleurs  vous  dites 
qu'il  n'y  a  rien  en  notre  esprit  dont  nous  n'ayons 
une  connoissance,  ou  actuelle,  ou  en  puissance, 
c'est-à-dire  que  nous  ne  connoissions  actuellement 
ou  que  nous  ne  puissions  actuellement  connoître. 
Or  est-il  néanmoins  que  l'esprit  humain  semble 
n'avoir  pas  connoissance  de  cette  vertu  qui  conduit 
les  esprits  animaux  dans  les  nerfs ,  puisqu'il  y  en 
a  même  plusieurs  qui  ignorent  s'ils  ont  des  nerfs, 
si  ce  n'est  peut-être  de  nom ,  et  beaucoup  plus  s'ils 
ont  des  esprits  animaux ,  et  quels  ils  sont.  En  un 
mot,  autant  que  j'ai  pu  conjecturer  de  vos  Princi- 
pes ,  cela  seul  se  fait  par  notre  esprit,  lequel  de  sa 
nature  est  une  chose  qui  pense,  qui  se  fait  par 
nous  lorsque  nous  y  pensons,  et  que  nous  nous  en 
apercevons;  mais  de  quelque  façon  que  les  esprits 
animaux  soient  conduits  dans  les  nerfs,  cela  se  fait 
sans  que  nous  y  pensions ,  et  que  nous  nous  en 
apercevions;  et  partant,  cela  se  fait  en  nous  sans 
que  notre  esprit  y  contribue  :  à  quoi  l'on  peut  en- 
core ajouter  qu'il  est  très  difficile  de  comprendre 
comment  une  chose  incorporelle  en  peut  faire 
mouvoir  une  corporelle. 

Pour  ce  qui  est  de  la  durée,  j'ai  vu  le  lieu  que 
vous  m'aviez  marqué,  et  il  m'a  grandement  plu, 
quoique  je  ne  comprenne  pas  bien  encore  ce  que, 
dans  la  durée  successive  d'une  chose  qui  ne  se  meut 
point,  il  faut  prendre  pour  le  devant  et  pour 


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là(3  LETTRES. 

l'après,  qui  sont  des  différences  qui  se  doivent  ren^ 
contrer  dans  toute  succession. 

Pour  ce  qui  est  du  vide,  j'avoue  que  je  ne  puis 
encore  m  accoutumer  à  penser  qu'il  y  a  une  telle 
connexion  entre  les  choses  corporelles,  que  Dieu 
n'ait  pu  créer  un  monde,  s'il  ne  le  créoit  infini,  et 
qu'il  ne  puisse  encore  maintenant  anéantir  aucun 
corps,  que  par  cela  même  il  ne  soit  obligé  d'en 
créer  un  autre  de  pareille  grandeur;  ou  même  que 
sans  aucune  nouvelle  création  il  ne  s'ensuive  que 
l'espace  que  ce  corps  anéanti  occupoit  est  vérita- 
blement et  réellement  un  corps. 

Vous  m'obligerez  beaucoup  de  me  communiquer 
quelque  chose  touchant  la  façon  dont  Jésus-Christ 
est  en  l'Eucharistie.  Adieu. 

RÉPONSE  DE  M.  DESCARTES. 

(Lettre  6  du  tome  II.  Version.) 

Ayant  reçu  ces  jours  passés  des  objections 
comme  de  la  part  d'une  personne  qui  demeuroit 
en  cette  ville,  j'y  ai  répondu  fort  brièvement, 
pourceque  je  croyois  que  si  j'oubliois  quelque 
chose,  l'entretien  le  pourroit  facilement  réparer; 
mais  aujourd'hui  que  je  sais  qu'il  est  absent,  puis- 
qu'il prend  la  peine  de  me  récrire,  je  ne  serai  pas 


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LETTRES.  1 57 

paresseux  à  lui  répondre  :  et  puisqu'il  ne  veut  pas 
dire  son  nom,  de  peur  de  faillir  dans  l'inscription, 
je  m'abstiendrai  de  tout  prélude. 

1 .  Il  me  semble  qufil  est  très  vrai  de  dire  que 
pendant  que  l'âme  est  unie  au  corps,  l'âme  ne  peut 
en  aucune  façon  détourner  sa  pensée  des  impres- 
sions que  les  sens  font  sur  elle,  lorsqu'elle  est  tou- 
chée avec  beaucoup  de  force  par  leurs  objets,  soit 
extérieurs,  soit  intérieurs!/ J'ajoute  aussi  qu'elle  ne 
s'en  peut  dégager,  lorsqu'elle  est  jointe  à  un  cer- 
veau trop  humide,  ou  trop  mou  ,  tel  qu'il  est  dans 
les  enfants  ;  ou  à  un  cerveau  dont  le  tempérament 
est  autrement  mal  affecté,  tel  qu'il  est  dans  les  lé- 
thargiques, dans  les  apoplectiques  et  clans  les 
frénétiques  ;  ou  même  tel  qu'il  a  coutume  d'être 
en  nous,  lorsque  nous  sommes  ensevelis  dans  un 
profond  sommeil  :  car  toutes  les  fois  que  nous 
songeons  à  quelque  chose  dont  nous  nous  res- 
souvenons par  après ,  nous  ne  faisons  que  som- 
meiller. 

2.  Il  ne  suffit  pas  pour  nous  ressouvenir  de 
quelque  chose  que  cette  chose  se  soit  autrefois 
présentée  à  notre  esprit ,  et  qu'elle  ait  laissé  quel- 
ques vestiges  dans  le  cerveau,  à  l'occasion  desquels 
la  même  chose  se  présente  derechef  à  notre  pensée  ; 
mais  de  plus ,  il  est  requis  que  nous  reconnoissions , 
lorsqu'elle  se  présente  pour  la  seconde  fois,  que 
cela  se  fait  à  cause  que  nous  l'avons  auparavant 


1 58  LETTRES. 

aperçue;  ainsi,  souvent  il  se  présente  à  l'esprit  des 
poètes  certains  vers  qu'ils  ne  se  souviennent  point 
avoir  jamais  lus  en  d'autres  auteurs,  lesquels  néan- 
moins ne  se  présenteroient  pas  à  leur  esprit  s'ils 
ne  les  avoicnt  lus  quelque  part. 

D'où  il  paroît  manifestement  que,  pour  se  ressou- 
venir, toutes  sortes  de  vestiges  que  les  pensées 
précédentes  ont  laissés  dans  le  cerveau  ne  sont  pas 
propres,  mais  seulement  ceux  qui  sont  tels  qu'ils 
peuvent  donner  à  connoître  à  l'esprit  qu'ils  n'ont 
pas  toujours  été  en  nous,  mais  ont  été  autrefois 
nouvellement  imprimés.  Or,  afin  que  l'esprit  puisse 
reconnoître  cela,  j'estime  que  lorsqu'ils  ont  été 
imprimés   la  première  fois,  il  a  dû  se,  servir 
d'une  conception  pure,  afin  d'apercevoir  par  ce 
moyen  que  la  chose  qui  lui  vcnoit  alors  en  l'es» 
pritétoit  nouvelle,  c'est-à-dire  qu'elle. ne  lui  avoit 
pas  auparavant  passé  par  l'esprit;  car  il  ne  peut  y 
avoir  aucun  vestige  corporel  de  cette  nouveauté  : 
ainsi  donc,  si  j'ai  écrit  en  quelque  endroit  que  les 
pensées  qu'ont  les  enfants  ne  laissent  d'elles  aucuns 
vestiges  dans  le  cerveau,  j'ai  entendu  parler  de  ces 
vestiges  qui  sont  nécessaires  pour  le  souvenir,  c'estr 
à-dire  de  ceux  que  par  une  conception  pure  nous 
apercevons  être ^nouveaux,  lorsqu'ils  s'impriment; 
en  rnéme  façon  que  nous  disons  qu'il  n'y  a  aucuns 
vestiges  d'hommes<lans  une  plaine  sablonneuse  ,  où 
nous  ne  remarquons  point  la  figure  d'aucun  pied 


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LETTRES.  l59 

d'homme  qui  y  soit  empreinte,  encore  que  peut- 
être  il  s'y  rencontre  plusieurs  inégalités  faites  par 
les  pieds  de  quelques  hommes,  lesquelles  par  con- 
séquent peuvent  en  un  autre  sens  être  appelées 
des  vestiges  d'hommes.  Enfin,  comme  nous  mettons 
distinction  entre  la  vision  directe  et  la  réfléchie, 
en  ce  que  cejle-là  dépend  de  la  première  rencontre 
des  rayons,  et  l'autre  de  la  seconde;  ainsi  j'appelle 
les  premières  et  simples  pensées  des  enfants  qui 
leur  arrivent,  par  exemple,  lorsqu'ils  sentent  de  la 
douleur  de  ce  que  quelque  vent  enfermé  dans  leurs 
entrailles  les  fait  étendre,  ou  du  plaisir  de  ce  que 
le  sang  dont  ils  sont  nourris  est  doux  et  propre  à 
leur  entretien  ;  je  les  appelle,  dis-je,  des  pensées 
directes  et  non  pas  réfléchies:  mais  lorsqu'un  jeune 
homme  sent  quelque  chose  de  nouveau,  et  qu'en 
même  temps  il  aperçoit  qu'il  n'a  point  encore 
senti  auparavant  la  même  chose,  j'appelle  cette 
seconde  perception  une  réflexion,  et  je  ne  la  rapj 
porte  qu'à  l'entendement  seul,  encore  qu'elle  soit 
tellement  conjointe  avec  la  sensation,  qu'elles  se 
fassent  ensemble,  et  qu'elles  ne  semblent  pas  être 
distinguées  l'une  de  l'autre.  h  ■« 

3.  J'ai  tâché  d'ôter  l'ambiguïté  qui  est  en  ce 
mot  de  pensée  dans  l'article  63  et  64  de  la  pre- 
mière partie  des  Principes  ;  car  comme  l'extension» 
qui  constitue  la  nature  du  corps  diffère  beaucoup 
des  diverses  figures  ou  mauières  d'extension  qu'elle 


l6V*  LETTRES. 

prend;  ainsi  la  pensée,  ou  la  nature  qui  pense, 
dans  laquelle  je  crois  que  consiste  l'essence  de 
l'esprit  humain,  est  bien  différente  d'un  tel  ou  tel 
acte  de  penser  en  particulier.  Et  l'esprit  peut  bien 
lui-même  être  la  cause  de  ce  qu'il  exerce  tels  ou 
tels  actes  de  penser,  mais  non  pas  de  ce  qu'il  est 
une  chose  qui  pense.  Tout  de  même  qu'il  dépend 
de  la  flamme  comme  d'une  cause  efficiente,  de  ce 
quelle  s'étend  d'un  côté  ou  d'un  autre,  mais  non 
pas  de  ce  qu'elle  est  une  chose  étendue.  Par  la 
pensée  donc,  je  n'entends  point  quelque  chose 
d'universel  qui  comprenne  toutes  les  manières  de 
penser ,  mais  bien  une  nature  particulière  qui  re- 
çoit en  soi  tous  ces  modes,  ainsi  que  l'extension 
est  aussi  une  nature  qui  reçoit  en  soi  toutes  sortes 
de  figures. 

[\.  C'est  autre  chose  d'avoir  connoissance  de  nos 
pensées  au  moment  même  que  nous  pensons, 
et  autre  chose  de  s'en  ressouvenir  par  après.  Ainsi 
nous  ne  pensons  rien  dans  nos  songes,  qu'à  l'in- 
stant même  que  nous  pensons  nous  n'ayons  con- 
noissance de  notre  pensée,  encore  que  le  plus 
souvent  nous  l'oublions  aussitôt.  Et  il  est  vrai  que 
nous  n'avons  pas  connoissance  de  quelle  façon 
notre  âme  envoie  les  esprits  animaux  dans  les  nerfs  ; 
car  cette  façon  ne  dépend  pas  de  l'âme  seule,  mais 
de  l'union  qui  est  entre  l'âme  et  le  corps;  néan  - 
moins nous  avons  connoissance  de  toute  cette  ao 


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• 


LETTRES.  l6l 

tion,  par  laquelle  l'âme  meut  les  nerfs,  en  tant 
qu'une  telle  action  est  dans  l'âme,  puisque  ce  n'est 
rien  autre  chose  en  elle  que  l'inclination  de  sa  vo- 
lonté à  un  tel  ou  tel  mouvement.  Et  cette  inclina- 
tion  de  la  volonté  est  suivie  du  cours  des  esprits 
dans  les  nerfs,  et  de  tout  ce  qui  est  requis  pour  ce 
mouvement,  ce  qui  arrive  à  cause  de  la  convenable 
disposition  du  corps,  dont  l'âme  peut  bien  n'avoir 
point  de  connoissance ,  comme  aussi  à  cause  de 
l'union  de  l'âme  avec  le  corps,  de  laquelle  sans 
doute  notre  âme  a  connoissance;  car  autrement 
jamais  elle  n'inclineroit  sa  volonté  à  vouloir  mou- 
voir les  membres. 

Maintenant  que  l'esprit,  qui  est  incorporel,  puisse 
faire  mouvoir  le  corps,  il  n'y  a  ni  raisonnement 
ni  comparaison  tirée  des  autres  choses  qui  nous 
le  puisse  apprendre  ;  mais  néanmoins  nous  n'en 
pouvons  douter,  puisque  des  expériences  trop  cer- 
taines et  trop  évidentes  nous  le  font  connoître 
tous  les  jours  manifestement.  Et  il  faut  bien  pren- 
dre garde  que  cela  est  l'une  des  choses  qui  sont 
connues  par  elles-mêmes,  et  que  nous  obscurcis- 
sons toutes  les  fois  que  nous  les  voulons  expliquer 
par  d'autres.  Toutefois,  pour  ne  rien  oublier  de  ce 
que  je  puis  pour  votre  satisfaction,  je  me  servirai 
ici  d'une  comparaison.  La  plupart  des  philosophes 
qui  croient  que  la  pesanteur  d'une  pierre  est  une 
qualité  réelle,  distincte  de  la  pierre,  croient  en- 

10.  Il 


IÔ2  LETTRES. 

tendre  assez  bien  de  quelle  façon  cette  qualité  peut 
mouvoir  une  pierre  vers  le  centre  de  la  terre , 
pourcequ'ils  croient  en  avoir  une  expérience  ma- 
nifeste :  pour  moi  qui  me  persuade  qu'il  n'y  a  point 
de  telle  qualité  dans  la  nature,  et  par  conséquent 
qu'il  ne  peut  pas  y  avoir  d'elle  aucune  vraie  idée 
dans  l'entendement  humain ,  j'estime  qu'ils  se  ser- 
vant de  l'idée  qu'ils  ont  en  eux  -  mêmes  de  la  sub- 
stance incorporelle  pour  se  représenter  cette  pe- 
santeur ;  en  sorte  qu'il  ne  nous  est  pas  plus  difficile 
de  concevoir  comment  1  ame  meut  le  corps ,  qu'à 
eux  de  concevoir  comment  une  telle  qualité  fait 
aller  la  pierre  en  bas.  Et  il  n'importe  pas  qu'ils 
disent  que  cette  pesanteur  n'est  pas  une  substance; 
car  en  effet  ils  la  conçoivent  comme  une  substance, 
puisqu'ils  croient  qu'elle  est  réelle,  et  que  par 
quelque  puissance ,  à  savoir  par  la  puissance  di- 
vine 3  elle  peut  exister  sans  la  pierre.  Il  n'importe 
pas  aussi  qu'ils  disent  qu'elle  est  corporelle  :  car 
si  par  corporel  nous  entendons  ce  qui  appartient 
au  corps,  encore  qu'il  soit  d'une  autre  nature, 
L'âme  peut  aussi  être  dite  corporelle,  en  tant 
qu'elle  est  propre  à  s'unir  au  corps  ;  mais  si  par 
corporel  nous  entendons  ce  qui  participe  de  la 
nature  du  corps ,  cette  pesanteur  n'est  pas  plus 
corporelle  que  notre  âme  même. 

5.  Je  ne  conçois  pas  autrement  la  durée  succes- 
sive des  choses  qui  sont  mues,  ou  même  celle  de 


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LETTItES.  1 65 

• 

leur  mouvement,  que  je  fais  la  durée  des  choses 
non  mues;  car  le  devant  et  laprès  de  toutes  les 
durées ,  quelles  qu'elles  soient ,  me  paroît  par  le 
devant  et  par  Faprès  de  la  durée  successive  que 
je  découvre  en  ma  pensée ,  avec  laquelle  les  autres 
choses  sont  coexistantes. 

6.  La  difficulté  qu'il  y  a  à  connoître  l'impossi-l 
bilité  du  vide  semble  venir  principalement  de 
ce  que  nous  ne  considérons  pas  assez  que  le  néant 
ne  peut  avoir  aucunes  propriétés  :  car,  autrement, 
voyant  que  dans  cet  espace  même  que  nous  appe- 
lons vide  il  y  a  une  véritable  extension ,  et  par 
conséquent  toutes  les  propriétés  qui  sont  requises 
à  la  nature  du  corps ,  nous  ne  dirions  pas  qu'il  est 
tout-à-fait  vide,  c'est-à-dire  qu'il  est  un  pur  néant. 
De  plus ,  cette  difficulté  vient  aussi  de  ce  que  nous 
avons  recours  à  la  puissance  divine  ;  et  comme 
nous  savons  qu'elle  est  infinie ,  nous  ne  prenons 
pas  garde  que  nous  lui  attribuons  un  effet  qui  en- 
ferme une  contradiction  en  sa  conception  ,  c'est-à- 
dire  qui  ne  peut  être  par  nous  conçu. 

Pour  moi ,  il  me  semble  qu'on  ne  doit  jamais  dire 
d'aucune  chose  qu'elle  est  impossible  à  Dieu;  car 
tout  ce  qui  est  vrai  et  bon  étant  dépendant  de  sa 
toute-puissance,  je  n'ose  pas  même  dire  que  Dieu 
ne  peut  faire  une  montagne  sans  vallée ,  ou  qu'un 
et  deux  ne  fassent  pas  trois  ;  mais  je  dis  seulement 
qu'il  m'a  donné  un  esprit  de  telle  nature ,  que  je 


l64  LETTRES. 

ne  sau rois  concevoir  une  montagne  sans  vallée,  ou 
que  l'agrégé  d'un  et  de  deux  ne  fasse  pas  trois,  etc. 
Et  je  dis  seulement  que  telles  choses  impliquent 
contradiction  en  ma  conception.  Tout  de  même 
aussi  il  me  semble  qu'il  implique  contradiction  en 
ma  conception  de  dire  qu'un  espace  soit  tout-à- 
fait  vide ,  ou  que  le  néant  soit  étendu  ,  ou  que 
l'univers  soit  terminé;  pourcequ'on  ne  sauroit 
feindre  ou  imaginer  aucunes  bornes  au  monde,  au- 
delà  desquelles  je  ne  conçoive  de  l'étendue;  et  je 
ne  puis  aussi  concevoir  un  muid  tellement  vide , 
qu'il  n'y  ait  aucune  extension  en  sa  cavité ,  et  dans 
lequel  par  conséquent  il  n'y  ait  point  de  corps  ; 
car  là  ou  il  y  a  de  l'extension  ,  là  aussi  nécessaire- 
ment il  y  a  un  corps ,  etc. 

A  MADAME  ÉLIZABETH, 

PRINCESSE  PALATINE,  etc. 

(Lettre  26  du  tome  LJ 

Madame, 

J'ai  eu  enfin  le  bonheur  de  recevoir  les  trois 
lettres  que  votre  altesse  m'a  fait  l'honneur  de  m'é- 

«  «  La  a6e  lettre  du  Ier  volume  est  de  M.  Desearfcs  à  madame  Élizabeth , 
princesse  Palatine  ;  elle  n'est  point  datée,  mais  deux  raisons  me  persuadent 


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LETTRES.  l65 

crire,et  elles  n'ont  point  passé  en  de  mauvaises 
mains;  mais  la  première,  du  3o  juin ,  ayant  été  por- 
tée à  Paris  pendant  que  j'étois  déjà  en  chemin  pour 
revenir  en  ce  pays,  ceux  qui  l'ont  reçue- pour  moi 
ont  attendu  des  nouvelles  de  mon  arrivée  avant 
que  de  me  l'envoyer,  et  ainsi  je  ne  l'ai  pu  avoir 
qu'aujourd'hui,  que  j'ai  aussi  reçu  la  dernière  du 
25  août,  par  laquelle  j'apprends  un  procédé  inju- 
rieux que  j'admire,  et  je  veux  croire  avec  votre 
altesse  qu'il  ne  vient  pas  de  la  personne  à  qui  on 
l'attribue.  Quoi  qu'il  en  soit,  je  n'estime  pas  qu'on 
doive  être  fâché  de  ne  point  faire  un  voyage  où  , 
comme  votre  altesse  remarque  fort  bien ,  les  incom- 
modités étaient  infaillibles,  et  les  avantages  fort 
incertains.  Pour  moi,  grâce  à  Dieu,  j'ai  achevé  celui 
qu'on  m'avoit  obligé  de  faire  en  France,  et  je  ne 
suis  pas  marri  d'y  être  allé,  mais  je  suis  encore 
plus  aise  d'en  être  revenu.  Je  n'y  ai  vu  personne 

qu'elle  a  été  écrite  le  ier  d'octobre  1648  :  premièrement  parceque  dans  la 
27e  lettre  à  Picot ,  datée  da  6  septembre ,  M.  Descartes  dit  à  cet  ami  qu'il 
a  appris  de  M.  d'Hogheland  qu'il  lui  avoit  envoyé  à  Paris  des  lettres  de 
Berlin,  qui  sont  celles  auxquelles  il  répond  dans  cette  lettre,  et  qu'il  le 
prie  de  les  renvoyer  incessamment  $  or,  pour  écrire  à  Paris  et  renvoyer  ces 

* 

lettres,  il  a  bien  fallu  trois  semaines ,  c'est  pourquoi  j'ai  passable  raison  de 
fiier  cette  lettre  au  Ier  octobre.  Secondement,  parceque,  page  81  de  cette 
lettre ,  M.  Descartes  dit  qu'il  y  a  cinq  mois  qu'il  n'a  reçu  de  nouvelles  de 
Suède;  or,  la  dernière  qu'il  avoit  reçue  à  Egmond  était  datée,  du  4  avril 
1648,  et  il  l'avoit  reçue  sur  la  fin  de  ce  mois  d'avril,  si  l'on  ajoute  cinq 
mois  nous  venons  en  octobre,  et  je  fixe  donc  bien  cette  lettre  au  I  oç> 
tobre  1648.  La  princesse  Élizabeth  était  pour  lors  à  Berlin.  • 


1 66  LETTRES. 

dont  il  m'ait  semblé  que  la  condition  fût  digne  d'en- 
vie ,  et  ceux  qui  y  paroissent  avec  le  plus  d'éclat 
m'ont  semblé  être  les  plus  dignes  de  pitié.  Je  n'y 
pouvois  aller  en  un  temps  plus  avantageux  pour 
me  faire  bien  reconnoître  la  félicité  de  la  vie  tran- 
quille et  retirée ,  et  la  richesse  des  plus  médiocres 
fortunes.  Si  votre  altesse  compare  sa  condition  avec 
celle  des  reines  et  des  autres  princesses  de  l'Eu- 
rope ,  elle  y  trouvera  la  même  différence  qu'entre 
ceux  qui  sont  dans  le  port,  où  ils  se  reposent,  et 
ceux  qui  sont  en  pleine  mer,  agités  par  les  vents 
d'une  tempête;  et  bien  qu'on  ait  été  jeté  dans  le  port 
par  un  naufrage,  pourvu  qu'on  n'y  manque  pas 
des  choses  nécessaires  à  la  vie ,  on  ne  doit  pas  y 
être  moins  content  que  si  on  y  étoit  arrivé  d'autre 
façon.  Les  fâcheuses  rencontres  qui  arrivent  aux 
personnes  qui  sont  dans  l'action ,  et  dont  la  félicité 
dépend  toute  d'autrui,  pénètrent  jusqu'au  fond  de 
leur  cœur,  au  lieu  que  cette  vapeur  venimeuse 
qui  est  descendue  des  arbres  sous  lesquels  se  pro- 
menoit  paisiblement  votre  altesse  n'aura  touché , 
comme  j'espère,  que  l'extérieur  de  la  peau,  laquelle 
si  on  eût  lavée  sur  l'heure  avec  un  peu  d'eau-de- 
vie  ,  je  crois  qu'on  en  auroit  ôté  tout  le  mal.  Je  n'ai 
reçu  aucunes  lettres  depuis  cinq  mois  de  l'ami  dont 
j'avois  écrit  ci-devant  à  votre  altesse,  et  pource- 
qu'en  sa  dernière  il  me  mandoit  fort  ponctuelle- 
ment les  raisons  qui  avoient  empêché  la  personne 


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LETTRES.  167 

à  laquelle  il  avoit  donné  mes  lettres  de  me  faire 
réponse ,  je  juge  que  son  silence  ne  vient  que  de 
ce  qu'il  attend  encore  cette  réponse,  ou  bien  peut- 
être  qu'il  a  quelque  honte  de  n'en  avoir  point  à 
m'envoyer ,  ainsi  qu'il  s'étoit  imaginé.  Je  me  retiens 
aussi  de  lui  écrire  le  premier,  afin  de  ne  lui  sem- 
bler point  reprocher  cela  par  mes  lettres;  et  je  ne 
làissois  pas  de  savoir  souvent  de  ses  nouvelles 
lorsque  j'étois  à  Paris,  par  le  moyen  de  ses  pro- 
ches ,  qui  en  recevoient  tous  les  huit  jours  ;  mais 
lorsqu'ils  lui  auront  mandé  que  je  suis  ici,  je  ne 
doute  point  qu'il  ne  m'y  écrive,  et  qu'il  ne  me  fasse 
entendre  ce  qu'il  saura  du  procédé  qui  touche 
votre  altesse,  pourcequ'il  sait  que  j'y  prends  beau- 
coup d'intérêt.  Mais  ceux  qui  n'ont  point  eu  l'hon- 
neur de  vous  voir,  et  qui  n'ont  point  une  connois- 
sance  très  particulière  dejvos  vertus,  ne  sauroient 
pas  concevoir  qu'on  puisse  être  aussi  parfaitement 
que  je  suis,  etc. 


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l68  LETTRES. 

A  MONSIEUR 

(Lettre  83  du  tome  IL) 

Le  18  décembre  164*, 

MONSIEUR, 

Je  ne  vous  saurois  commodément  envoyer  la 
proposition  que  vous  me  demandez,  parcequ'il  ne 
m'en  souvient  presque  plus,  et  que  je  suis  occupé 
à  d'autres  pensées  ;  c'est  pourquoi  je  vous  supplie 
de  m'en  dispenser,  et  je  vous  l'enverrois  très 
volontiers,  si  vous  ne  la  demandiez  que  pour  vous 
seul  ;  mais  parceque  vous  la  voudriez  faire  impri- 
merie vous  dirai  ici  franchement  que  je  suis  trop 
mal  satisfait  de  certains  géomètres,  pour  leur  vou- 
loir plus  rien  apprendre.  Tout  le  meilleur  qu'ils 
savent  vient  presque  de  moi,  et  néanmoins  ils  veu- 
lent persuader  aux  ignorants  qu'il  n'y  a  personne 
qui  les  égale.  Je  vous  prie,  si  vous  écrivez  à  M.  de 
Carcavi,  de  le  remercier  de  ma  part  du  souvenir 
qu'il  a  de  moi,  et  de  l'offre  qu'il  me  fait  de  m'en- 
voyer  le  livre  d'Italie  qui  traite  du  vide  ;  je  ne  vou- 
drois  pas  lui  en  donner  la  peine,  mais  si  nous  en 
avions  le  titre ,  peut-être  que  nous  le  trouverions 


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LETTRES.  169 

chez  les  libraires  d'ici  ;  et  s'il  lui  plaît  de  le  faire 
voir  à  M.  l'abbé  Picot,  je  pourrai  apprendre  de  lui 
ce  qu'il  contient. 

VOICI  MAINTENANT  LE  BILLET  DE  M.  DE  FERMAT. 

(Version.) 

«  Vouloir  délivrer  entièrement  l'algèbre  des  asy- 
métries ,  c'est  un  ouvrage  difficile,  et  sur  lequel 
les  analystes  ne  se  sont  pas  encore  assez  exercés. 

•  Qu'on  propose,  par  exemple,  plus  de  quatre 
termes  asymètres  qu'il  faut  faire  évanouir  suivant 
les  règles  de  l'art ,  quel  analyste  se  retirera  de  cet 
embarras?  Il  travaillera  beaucoup,  il  se  cassera  la 
tête;  après  une  infinité  d'opérations,  il  se  trouvera 
aussi  avancé  que  s'il  n'avoit  rien  fait.  L'analyse 
restera  donc  en  chemin,  accablée  de  tous  côtés 
par  les  asymétries,  et  ne  pourra  plus  faire  un  seul 
pas.  C'est  à  nos  habiles  à  la  tirer  de  cet  embarras, 
et  à  lui  ouvrir  une  route  pour  arriver  à  son  but. 

•  Soit,  par  exemple,  la  racine  (b  in  a,  a  quar.)\ 
la  racine  (z  quar.-fd  in  a,  \  a  quar.  \  la  racine 
(m  m  a)  -{-la  racine  (d  quar. -a  quar.  )-  la  racine 
(r  in  a\a  quar.)  qu'on  suppose  égaux  û,  a\  b. 

«Que  l'analyste  se  tire  de  cette  asymétrie  selon 
les  règles  de  l'article,  ou  qu'il  avoue  l'inefficacité 
de  ses  règles.  11  me  semble  que  les  illustres  en 
cette  science  ne  sauroient  prendre  un  plus  digne 
et  plus  nécessaire  emploi  que  celui  d'aplanir  ces 


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I70  LETTRES. 

difficultés;  pour  les  y  exciter,  vous  leur  pourriez 
dire  par  avance  que  j'ai  fait  quelques  progrès  en 
cette  matière,  et  qu'il  y  a  beaucoup  à  découvrir 
et  à  inventer;  vous  pourrez  même  en  écrire  en 
Italie  et  en  Hollande,  afin  que  la  prophétie  du 
chancelier  d'Angleterre  s'accomplisse  :  Plusieurs 
passeront,  et  la  science  augmentera.  » 

Pour  le  billet  de  M.  de  Fermât,  puisqu'il  est  en 
latin,  il  faut  que  j'y  réponde  aussi  en  latin,  et  en- 
suite de  ces  mots ,  L'analyse  restera  donc  en  che- 
min, etc. ,  je  réponds  : 

Notre  analyste  ne  s'arrête  pas  en  si  beau  chemin , 
et  voici  une  méthode  pour  y  parvenir.  Otant  tous 
les  signes  de  la  symétrie ,  il  faut  joindre  ensemble 
tous  les  termes  donnés  (qui  de  cette  manière  sont 
devenus  commensurables),  et  ensuite  les  multi- 
plier carrément.  Il  faut  les  multiplier  ainsi  trois 
fois  si  l'on  adonné  cinq  termes  asymètres,  quatre 
fois  si  l'on  en  a  donné  six,  cinq  fois  si  l'on  en  a 
donné  sept,  et  ainsi  à  l'infini. 

Ensuite  des  termes  produits  par  la  dernière  mul- 
tiplication, ou  de  leurs  multiples  joints  ensemble 
par  la  seule  addition  ou  soustraction ,  résulte  une 
équation  qui  n'est  embarrassée  d'aucun  terme  asy- 
mètre,  et  qui  est  égale  à  la  première. 

Ainsi  dans  l'exemple  donné  il  y  a  six  termes  asy- 
mètres que  j'écris  ainsi  :  ba-aafzzf  da  f  aa  f 
ma  f  ddd-aa  \  ra  \  aa  f  bb  \  %ba  f  aa. 


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LKTTRES.  I7I 

Ces  termes  multipliés  une  seule  fois  carrément 
produisent  seulement  vingt-un  termes;  car  il  faut 
observer  qu'on  doit  conserver  à  part  toutes  les 
parties  du  produit  de  chaque  terme  (quand  il  y  en 
a  plusieurs),  et  ne  les  point  confondre  avec  d'au- 
tres termes ,  quoique  entièrement  semblables , 
avant  la  fin  de  l'opération.  Ces  vingt-un  termes  mul- 
tipliés carrément  en  produisent  beaucoup  davan- 
tage ;  mais  parceque  ces  multiplications  se  peuvent 
faire  par  un  simple  calcul  de  plume,  et  qu'un  ha- 
bile analyste  corrige  aisément  les  fautes  qui  se 
pourroient  glisser  dans  le  calcul  d'un  arithméti- 
cien, la  longueur  de  l'opération  ne  doit  pas  être 
mise  au  nombre  des  difficultés;  j'ai  encore  une 
méthode  plus  courte,  mais  qui  ne  seroit  pas  si  fort 
à  la  portée  d'un  simple  arithméticien. 

Mais  je  demande  ici  à  M.  de  Fermât,  et  à  M.  de 
Roberval  (et  principalement  à  ce  dernier  ;  car,  puis- 
qu'il occupe  la  chaire  de  Ramus,  il  doit  répondre 
à  cette  question,  ou  avouer  qu'il  ne  mérite  pas  ce 
poste),  comment  on  trouvera  dans  le  produit  de 
la  dernière  multiplication  quels  sont  les  termes 
qu'il  faut  ajouter  et  quels  sont  ceux  qu'il  faut 
soustraire  pour  avoir  l'équation  demandée.  Que 
M.  de  Roberval  n'aille  pas  dire,  selon  sa  coutume, 
qu'il  lui  faudroit  beaucoup  de  temps  pour  satis- 
faire à  cette  question ,  et  qu'il  a  d'autres  affaires; 
car  j'assure  ici,  et  même,  s'il  est  besoin  ,  je  le  dé- 


I72  LETTRES. 

montrerai,  qu'un  savant  analyste  peut  trouver  en 
très  peu  de  temps  ce  que  je  demande,  et  je  puis 
protester  que  je  n'ai  pas  employé  plus  d'un  demi- 
quart  d'heure  à  chercher  cette  méthode,  à  la  trou- 
ver, et  à  me  convaincre  qu'elle  s'étend  à  toutes  les 
espèces  d'asymétrie. 

PROPOSITION  DÉMONTRÉE  PAR  M.  DES  CARTES. 

■ 

Une  section  conique  quelconque  étant  donnée, 
et  un  point  situé  hors  de  son  plan  à  volonté,  trou- 
ver un  cercle  qui  soit  la  base  du  cône  que  décrit 
une  ligne  droite  menée  du  point  donné  comme 
sommet  autour  de  la  section  conique  donnée;  car 
on  ne  peut  douter  qu'une  surface  ainsi  décrite  ne 
soit  conique,  et  il  est  très  aisé  de  le  démontrer 
quand  on  a  trouvé  le  cercle  qui  fait  sa  base. 

SOLUTION. 

Je  divise  cette  proposition  en  trois  cas.  Le  pre- 
mier est  lorsque  la  section  donnée  est  une  ellipse, 
et  que  le  point  donné  tombe  perpendiculairement 
sur  son  centre.  Le  second  cas  est  lorsque  la  per- 
pendiculaire tirée  du  point  donné  tombe  quelque 
autre  part  sur  l'axe  de  l'ellipse  donnée,  ou  bien  en 
quelque  endroit  de  l'axe  d'une  hyperbole  ou  d'une 
parabole  donnée.  Le  troisième  cas  enfin  est  lors- 
que cette  perpendiculaire  tombe  hors  de  l'axe. 


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LETTRES.  175 

PREMIER  CAS. 

Étant  donné  l'ellipse  BOLf,  et  le  point  À 
étant  élevé  perpendiculairement  sur  le  centre  D 
de  la  hauteur  de  la  ligne  AD ,  je  tire  au  point  A, 
sommet  du  cône,  et  des  points  B  et  L,  extré- 
mités du  petit  diamètre  de  l'ellipse  donnée,  les 
lignes  AB  et  AL.  Je  cherche  ensuite  une  ligne  P 
qui  soit  à  AB  comme  DO  est  à  DO  -j-  DB ,  une 
autre  ligne  Q  qui  soit  à  la  même  AB  comme  DO 
est  à  DO-DB,  et  une  autre  ligne  R  qui  soit 
moyenne  proportionnelle  entre  P  et  Q.  Enfin  du 
centre  A  je  décris  un  cercle  dont  le  rayon  I  soit 
égal  à  la  ligne  R;  ce  cercle  coupe  le  diamètre 
BL  prolongé  en  R,  de  façon  que,  joignant  la  ligne 
AR,  si  du  point  B  on  lui  tire  la  parallèle  BC  ,  BC 
sera  le  diamètre  du  cercle  demandé,  comme  il  est 
aisé  de  le  démontrer  par  l'analyse.  On  peut  éten- 
dre cette  solution  aux  deux  cas  suivants;  car  il  y 
sera  plus  facile  de  trouver  une  ellipse  sur  le  cen- 
tre de  laquelle  tombe  une  perpendiculaire  tirée  du 
sommet  du  cône,  que  de  trouver  le  cercle  qui  est 

base  de  ce  cone. 

•         •  •»  »  * 

SECOND  CAS. 

Étant  donnée  l'ellipse  BFC  *,  et  le  point  A 
étant  élevé  perpendiculairement  sur  E,  point  de 
Taxe  BC  de  la  hauteur  de  la  ligne  AE ,  je  tire 

1  Figure  7.  —  ■  Figure  8. 


1-4  LETTRES. 

les  lignes  BA  et  CA,  et  prenant  sur  la  plus 
longue  CA  sa  partie  AL  qui  soit  égale  à  la  plus 
courte  BA,  j'ai  la  ligne  BL  pour  un  des  diamè- 
tres de  l'ellipse  sur  le  centre  D,  de  laquelle  le  point 
A  tombe  perpendiculairement;  et  une  autre  ligne 
menée  par  le  point  D  perpendiculaire  à  AD,  et 
parallèle  au  plan  de  la  section  BFC  terminée  des 
deux  côtés  dans  la  superficie  conique,  est  un  autre 
diamètre  de  la  même  ellipse  conjugué  avec  la  pre- 
mière. Or  quand  les  diamètres  conjugués  d'une 
ellipse  sont  donnés,  l'ellipse  elle-même  est  donnée; 
et  étant  donnée  une  ellipse  sur  le  centre  de  laquelle 
le  sommet  du  cône  tombe  perpendiculairement, 
on  trouve  de  la  manière  expliquée  ci-dessus  un 
cercle  qui  soit  la  base  de  ce  cône. 

De  même  étant  donnée  la  parabole  BF1,  et  le 
point  A  étant  élevé  perpendiculairement  sur  le 
point  E  de  Taxe  BC  de  la  hauteur  de  la  ligne  A£, 
je  tire  la  ligne  AB,  et  la  ligne  AL  égale  à  AB  et 
parallèle  à  BC,  et  BL  est  un  des  diamètres  de 
l'ellipse  sur  le  centre  D  de  laquelle  le  point  A 
tombe  perpendiculairement.  On  trouvera  par  la 
méthode  ci-dessus  son  autre  diamètre  conjugué. 

De  même  étant  donnée  l'hyperbole  BF",  et 
son  opposée  dont  le  sommet  est  C  étant  aussi 
le  point  A  élevé  perpendiculairement  sur  le  point 
E  de  l'axe  BC  de  la  hauteur  de  la  ligne  AE  ,  je 

i  Figure  9.  —  *  Figure  10. 


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LETTRES.  1^5 

tire  les  lignes  BA  et  CA,  et  prenant  sur  la  plus 
longue  CA  prolongée  au-delà  du  point  A  une  por- 
tion AL  égale  à  la  plus  courte  BA ,  j'ai  la  ligne 
BLpour  un  des  diamètres  de  l'ellipse,  etc.,  comme 
ci-dessus. 

1 

De  même  étant  donnée  l'hyperbole  BF  et  son 
opposée,  dont  C  est  le  sommet,  et  étant  donné  le 
point  A  élevé  perpendiculairement  sur  le  point  E 
de  l'axe  second  HE  de  la  hauteur  de  la  ligne  AE , 
je  prends  sur  Taxe  HE  la  ligne  HG  égale  à  HA, 
et  tirant  les  lignes  ÊG  et  CG  prolongées  en  L,  de 
sorte  que  GL  égale  BG,  BL  est  un  des  diamètres 
conjugués  de  l'ellipse  demandée  sur  le  centre  D  de 
laquelle  le  point;  A  tombe  perpendiculairement  et 
une  autre  ligne  menée  parie  centre  D  perpendicu- 
laire à  CD  ou  AD  (car  les  lettres  A  et  G  ne  repré- 
sentent qu'un  seul  et  même  point  qu'on  doit  s'ima- 
giner être  élevé  en  l'air  au-dessus  du  plan  BCE  ) 
et  parallèle  au  plan  de  la  section  BFC ,  laquelle 
est  terminée  des  deux  cotés  dans  la  superficie  coni- 
que, est  l'autre  diamètre  conjugué,  comme  on  a  dit 
ci-dessus  \ 

Tout  cela  me  paroît  si  clair  qu'il  n'a  pas  besoin 
de  démonstration.  ; 

■   *  ■  ■ 

TROISIÈME  CAS. 

Etant  donnée  la  parabole  BGR*,  dont  G  est 

le  sommet,  et  GY  partie  de  l'axe  égal  à  la  moitié 

•      •      •  •   •  *  . 

. .       .         .  '  •     «  - 

1  Figure  1  r. — *  Figure  1*. 


X'jG  LETTBES. 

du  côté  droit,  étant  aussi  donné  le  point  A  hors  le 
plan  de  la  section,  d'où  tombe  hors  de  l'axe  la 
perpendiculaire  AE  sur  le  point  E  du  plan  de  la 
section. 

Sont  aussi  données  les  lignes  AG  que  j'appelle 
a,  la  perpendiculaire  EF  qui  tombe  du  point  E 
sur  l'axe  que  j'appelle  r,  par  lesquelles  je  prétends 
trouver  le  point  B  auquel  la  parabole  est  touchée 
par  l'ellipse  sur  le  centre  de  laquelle  tombe  une 
perpendiculaire  menée  du  point  A  ;  c'est-à-dire 
je  cherche  la  ligne  BN  perpendiculaire  à  l'axe  GY, 
laquelle  j'appelle  x,  et  je  découvre  par  l'analyse 

+ aa 
—rXX 

a,-3 1|    *  fcrx-ibrr, 

-r-XX 
u 

•  # 

laquelle  équation  me  donne  facilement  le  point  B 
suivant  ma  géométrie ,  car  si  a  et  c  sont  égaux ,  il 
faut  prendre  seulement  sur  l'axe  YR  une  ligne  qui 
soit  égale  à  la  moitié  de  FY  donnée,  et  la  perpen- 
diculaire RS  qui  soit  la  moitié  de  FE  donnée,  et 
le  cercle  décrit  du  centre  S  par  le  sommet  de  la 
section  G  coupera  la  parabole  au  point  B  de- 
mandé; mais  si  a  et  c  ne  sont  pas  égaux,  cette 
construction  sera  un  peu  plus  longue,  mais  non 
plus  difficile.  Or,  le  point  B  étant  trouvé,  je  tire 
la  droite  AB,  et  AL  également  à  AB  et  parallèle 
à  l'axe  GY,  et  BL  est  un  des  diamètres  de  l'ellipse 
demandée  et  une  ligne  menée  par  le  centre  de  cette 


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I 


LETTRES.  I77 

ellipse  D ,  perpendiculaire  à  AD  parallèle  au 
plan  de  la  section,  et  terminée  des  deux  côtés 
dans  la  superficie  conique ,  est  l'autre  diamètre 
conjugué. 

Or,  voici  la  construction  de  l'analyse  pour  trou- 
ver le  point  B  par  les  données  et  supposées  AG, 
EF,  FY,  YG,  GN  et  NB;  on  cherche  AB,  et 
aussi  BP  qui  touche  la  parabole  en  B,  et  faisant 
BH  égale  à  AB  et  parallèle  à  l'axe  GY,  on  trouve 
AH  ,  par  AQ ,  QB ,  et  BH  ,  et  aussi  HK  paral- 
lèle à  la  tangente  BP;  on  trouve  aussi  KM  per- 
pendiculaire du  point  A  sur  Faxe  GY ,  et  aussi 
MG,  et  MY,  et  par  les  données  ou  supposées 
AG,  EF,  FY,  MY,  et  KM,  on  trouve  AK  dont 
le  carré  doit  être  égal  au  carré  du  KH,  plus  le 
carré  de  AH;  pareeque  comme  l'angle  ABD  est 
droit,  l'angle  AHK  l'est  aussi,  et  l'équation  qu'on 
trouve  par  ce  moyen  est, 

a5  il    cc_     t  <*x  —  ï  brr. 

On  se  servira  de  la  même  analyse  pour  l'hyper- 
bole et  pour  l'ellipse;  et  quoiqu'elle  soit  peut- 
être  un  peu  plus  longue  et  plus  embarrassante,  on 
pourra  cependant  et  même  il  faudra  nécessaire- 
ment réduire  le  tout  à  une  équation  qui  n'aura  pas 
plus  de  quatre  dimensions ,  et  en  suivant  ma  Géo- 
métrie on  pourra  en  faire  la  construction  sur  la 

10.  la 


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1?8  LETTRES. 

section  conique  donnée,  avec  le  seul  secours  de 
la  règle  et  du  compas. 

LETTRE  DE  M.  MORUS 

A  M.  DESCARTES. 
(Lettre  66  du  tome  I.  Version.) 

Monsieur, 

Il  n'y  a  que  vous  seul  qui  puissiez  juger  du  plaisir 
que  j'ai  eu  en  lisant  vos  ouvrages.  Je  puis  bien  vous 
assurer  que  j'ai  ressenti  la  même  joie  à  comprendre 
et  à  adopter  vos  théorèmes,  où  je  trouve  une 
beauté  merveilleuse,  que  vous  en  avez  eu  tous- 
même  à  les  inventer ,  et  que  ces  savantes  produc- 
tions de  votre  esprit  me  sont  aussi  chères  que  si 
c'étoient  les  miennes  propres.  Je  vous  dirai  même 
que  je  m'imagine  en  être  en  quelque  façon  l'auteur: 
car  toutes  vos  pensées  se  trouvent  tellement  con- 
formes à  mon  entendement ,  que  je  ne  crois  pas 
que  mon  esprit  puisse  jamais  rencontrer  rien  qui 
lui  convienne  mieux,  et  qui  lui  soit  plus  naturel, 
étant  persuadé  qu'elles  sont  de  la  même  substance 
et  d'une  union  essentielle  et  nécessaire;  et  que  tout 
esprit  qui  ne  pense  pas  comme  vous  ne  peut  ne 


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LETTRES.  l^C) 

pas  s'écarter  de  la  droite  raison  ;  et  pour  vous  dire 
naturellement  ma  pensée  ,  tout  ce  qu'il  y  a  jamais 
eu  de  grands  philosophes ,  et  d'intimes  confidents 
des  secrets  de  la  nature,  n'étoient  que  des  nains  et 
des  pygmées  auprès  de  vous.  Dès  la  première  lec- 
ture que  je  fis  de  vos  ouvrages ,  je  conjecturai  que 
votre  illustre  disciple,  la  princesse  Élizabeth,  pour 
être  entrée  parfaitement  dans  l'intelligence  de  votre 
philosophie,  étoit  infiniment  plus  sage  et  plus  phi- 
losophe que  tous  les  sages  et  les  philosophes  de 
l'Europe.  Je  reconnus  que  je  ne  m'étois  pas  trompé , 
lorsque  j'eus  une  plus  parfaite  connoissance  de  vos 
écrits.  Enfin ,  la  lumière  cartésienne  s'est  montrée 
de  toutes  parts  à  mon  esprit.  Le  raisonnement  y 
est  partout  si  libre,  si  naturel ,  si  net ,  si  uniforme 
et  si  bien  suivi,  qu'il  a  percé  et  dissipé  avec  un 
succès  merveilleux  les  ténèbres  répandues  sur  les 
abîmes  de  la  nature,  et  a  porté  une  clarté  merveil- 
leuse sur  vos  écrits  ;  de  sorte  qu'il  ne  reste  que  peu 
ou  point  d'endroits  ténébreux  que  ce  flambeau  lu- 
mineux n'éclaire,  ou  qu'il  ne  soit  en  état  d'éclairer, 
avec  très  peu  de  travail  de  ma  part  ;  car  tout  ce 
que  vous  avez  écrit  dans  votre  livre  des  Principes, 
et  dans  vos  autres  ouvrages ,  est  d'une  si  grande 
justesse,  d'une  beauté  si  bien  proportionnée,  et 
d  une  conformité  si  parfaite  avec  la  nature ,  qu'il 
n'est  pas  possible  de  procurer  un  spectacle  plus 
agréable  à  l'esprit  et  à  la  raison  humaine. 


l80  LETTRES. 

On  voit  dans  votre  Méthode  une  espèce  de  jeu 
d'esprit,  mais  qui  dans  le  fond  est  une  modestie 
ingénieuse,  qui  nous  représente  comme  dans  un 
fidèle  tableau  le  caractère  le  plus  doux  et  l'esprit 
le  plus  aimable  du  monde ,  et  en  même  temps  le 
génie  le  plus  noble  et  le  plus  élevé  qu'on  sauroit 
s'imaginer  ou  souhaiter.  Je  ne  dis  point  ceci  dans  la 
vue  d'augmenter  votre  gloire,  ou  celle  de  la  répu- 
blique des  lettres;  mais  premièrement,  parceque  je 
ne  puis  me  refuser  de  rendre  hautement  ce  témoi- 
gnage pour  le  plaisir  et  le  fruit  que  j'ai  trouvé  dans  la 
lecture  de  vos  ouvrages;  en  second  lieu,  pour  vous 
faire  connoître  qu'il  y  a  des  Anglois  qui  savent  es- 
timer tout  leur  prix  votre  personne  et  vos  produc- 
tions, et  qui  sont  remplis  d'admiration  pour  vos 
divines  qualités;  qu'il  n'y  a  même  personne  au 
monde  qui  ait  pour  vous  un  amour  plus  sincère 
et  plus  effectif,  et  qui  embrasse  de  meilleur  cœur 
les  sentiments  de  votre  excellente  philosophie. 
Cependant,  pour  ne  vous  rien  dissimuler,  Monsieur, 
bien  que  je  sois  éperdument  amoureux  de  votre 
système,  et  de  tout  le  corps  de  votre  philosophie, 
je  vous  avouerai  qu'il  vous  est  échappé  quelque 
chose  dans  la  seconde  partie  de  vos  Principes,  ou 
que  mon  esprit  n'a  pas  assez  de  lumières  pour  pé- 
nétrer, ou  trop  de  répugnance  pour  admettre; 
mais  ces  difficultés  ne  portent  point  coup  au  fond 
de  votre  philosophie;  car  quand  ce  qui  m'embar- 


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LETTRES.  l8l 

rasse  seroit  ou  faux,  ou  incertain ,  cela  ne  feroit 
rien  à  l'essence  ou  au  fond  de  cette  science,  qui  à 
cela  près  subsisteroit  toujours  très  bien. 

Je  vais  donc  vous  proposer  en  deux  mots  mes 
doutes  si  vous  le  trouvez  bon. 

1 .  Vous  définissez  la  matière  ou  le  corps  d'une 
manière  trop  générale ,  car  il  semble  que  non  seu- 
lement Dieu,  mais  les  anges  mêmes,  et  toute  chose 
qui  existe  par  soi-même,  est  une  chose  étendue; 
en  sorte  que  l  étendue  paroît  être  enfermée  dans 
les  mêmes  bornes  que  l'essence  absolue  des  choses , 
qui  peut  néanmoins  être  diversifiée  selon  la  variété 
des  essences  mêmes.  Or  la  raison  qui  méfait  croire 
que  Dieu  est  étendu  à  sa  manière,  c'est  qu'il  est 
présent  partout,  et  qu'il  remplit  intimement  tout 
l'univers  et  chacune  de  ses  parties;  car  comment 
communiqueroit-il  le  mouvement  à  la  matière, 
comme  il  a  fait  autrefois,  et  qu'il  le  fait  actuelle- 
ment selon  vous,  s'il  ne  touchoit  pour  ainsi  dire 
précisément  la  matière,  ou  du  moins  s'il  ne  l'avoit 
autrefois  touchée?  ce  qu'il  n'aurait  certainement 
jamais  fait  s'il  ne  se  fût  trouvé  présent  partout,  et 
s'il  n'avoit  rempli  chaque  lieu  et  chaque  contrée. 
Dieu  est  donc  étendu  et  répandu  à  sa  manière  ;  par 
conséquent  Dieu  est  une  chose  étendue. 

Il  ne  s'ensuit  pourtant  pas  de  là  qu'il  soit  ce 
corps  ou  cette  matière  que  votre  esprit,  comme 
un  habile  ouvrier ,  a  su  si  bien  figurer  eu  globules 


l82  LETTRES, 

et  eu  parties  cannelées;  c'est  pourquoi  la  substance 
étendue  est  quelque  chose  de  plus  général  que  le 
corps.  Cette  preuve  louche ,  ou  plutôt  cette  espèce 
de  sophisme  dont  vous  vous  servez  pour  confirmer 
votre  définition ,  me  donne  encore  du  courage  pour 
vous  combattre  sur  cet  article.  Le  corps,  dites- 
vous,  peut  être  sans  mollesse,  sans  dureté,  sans 
poids,  sans  légèreté,  etc.,  et  la  matière  subsister 
en  son  entier  sans  ces  qualités ,  et  les  autres  que 
les  sens  aperçoivent  en  elles;  c'est  comme  si  vous 
disiez  qu'une  livre  de  cire  pourroit  être  ce  qu'elle 
est,  quoiqu'elle  ne  fût  ni  ronde,  ni  cubique,  ni 
pyramidale,  et  demeurer  livre  de  cire, sans  avoir 
aucune  figure,  ce  qui  ne  se  peut  pas;  car  bien 
qu'une  telle  ou  telle  figure  ne  soit  pas  tellement 
adhérente  à  la  cire,  qu'elle  ne  puisse  s'en  dépouil- 
ler, cependant  il  est  d'une  nécessité  indispensable 
que  la  cire  ait  une  figure.  Ainsi ,  quoique  la  ma- 
tière ne  soit  nécessairement  ni  molle,  ni  dure,  ni 
chaude,  ni  froide,  il  est  cependant  absolument 
nécessaire  qu'elle  soit  sensible,  ou  si  vous  voulez 
tactile ,  comme  l'a  très  bien  défini  Lucrèce. 

Toucher,  être  touché  n'appartient  qu'au  seul  corps. 

Cette  notion  doit  être  d'autant  moins  éloignée  de 
votre  manière  de  penser,  que  votre  philosophie, 
d'accord  avec  celle  des  anciens ,  dont  parle  Théo- 
phraste,  place  tout  sentiment  dans  le  toucher:  ce 


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LETTRES.  l85 

que  je  crois  la  chose  du  monde  la  plus  véritable. 
Que  si  vous  ne  voulez  pas  définir  le  corps  par  le 
rapport  qull  a  à  nos  sentiments  ,  je  veux  bien  que 
le  toucher  soit  pris  d'une  manière  plus  générale 
et  plus  diffuse ,  et  qu'il  signifie  le  contact  mutuel 
et  ce  pouvoir  de  toucher;  soit  que  ces  corps  soient 
animés  ou  inanimés  ,  et  que  ce  soit  la  position  im- 
médiate de  deux  superficies  ou  de  plusieurs  corps. 

Ce  qui  nous  découvre  une  autre  propriété  de  la 
matière  ou  du  corps ,  que  vous  pourrez  appeler 
impénétrabilité,  laquelle  consiste  à  ne  pouvoir 
pénétrer  les  autres  corps ,  ni  à  en  être  pénétré  :  de 
là  cette  différence  manifeste  entre  la  nature  cor- 
porelle et  la  nature  divine.  Celle-ci  peut  pénétrer 
les  corps ,  et  l'autre  ne  se  peut  pénétrer  soi-même; 
d'où  je  vois  que  Virgile  a  mieux  rencontré  en  phi- 
losophie avec  ses  platoniciens ,  que  Descartes  lui- 
même,  lorsque  ce  poète  fait  dire  à  Anchise  selon 
leurs  principes  : 

Par  le  vaste  univers  cette  âme  répandue 
De  ces  immenses  corps  anime  l'étendue. 

Je  passe  sous  silence  plusieurs  autres  qualités 
plus  remarquables  de  l'étendue  divine,  qu'il  n'est 
pas  besoin  d'expliquer  ici.  En  voilà  assez  pour  dé- 
montrer qu'il  auroit  mieux  valu  définir  le  corps 
une  substance  tactile,  ou  ,  comme  j  ai  dit  ci-dessus, 
une  substance  impénétrable,  qu'une  chose  éten- 


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1 84  LETTRES. 

due;  carie  toucher  ou  l'impénétrabilité  convien- 
nent totalement  au  corps;  au  lieu  que  votre  défi 
nition  pèche  contre  les  règles ,  et  ne  convient  point 
au  seul  défini. 

a.  Quand  vous  insinuez  que  Dieu  même  ne  sau- 
roit  faire  qu'il  y  ait  véritablement  du  vide  dans 
la  nature ,  et  que  si  par  exemple  on  ôtoit  d'un  vase 
tout  l'air  qu'il  contient,  ou  tout  autre  corps  ,  ses 
côtés  se  joindroient  nécessairement;  ce  sentiment 
me  paroît  non  seulement  faux,  mais  contraire  à 
ce  que  vous  avez  dit  auparavant  ;  car  si  c'est  Dieu 
qui  imprime  le  mouvement  à  la  matière  ,  comme 
vous  l'avez  avancé,  ne  peut-il  pas  imprimer  un 
mouvement  contraire ,  qui  empêche  que  les  côtés 
du  vase  ne  s'approchent  ;  mais  il  y  a  de  la  contra- 
diction ,  dites-vous,  qu'il  y  ait  une  distance  entre 
les  côtés  du  vase ,  et  qu'il  n'y  ait  rien  cependant 
au  milieu.  La  savante  antiquité,  Épicure ,  Démo- 
crite,  Lucrèce,  et  les  autres  philosophes  ne  le 
croyoient  pas. 

Mais  laissons  cette  preuve,  qui  n'est  pas  assez 
considérable  pour  nous  arrêter.  Je  soutiens  que 
l'extension  divine  remplit  cet  espace  ,  et  que  votre 
principe ,  qu'il  n'y  a  que  la  matière  qui  soit  éten- 
due, est  un  faux  principe;  qu'à  la  vérité  ces  cotés 
ne  s'approcheroient  pas  l'un  de  l'autre  par  une  né- 
cessité absolue,  mais  par  une  nécessité  naturelle, 
et  que  Dieu  seul  peut  empêcher  cette  réunion:  car 


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LETTHE3.  1 85 

comme  les  parties  du  premier  et  du  second  élé- 
ment sont  agitées  par  un  mouvement  violent  et 
rapide ,  il  est  nécessaire  quelles  se  jettent  avec 
impétuosité  dans  l'endroit  qui  cède  ,  et  qu'elles 
entraînent  même  avec  elles  les  parties  voisines.  Il 
est  donc  fâcheux  pour  vous  que  vous  appuyiez  sur 
un  fondement  si  peu  solide  votre  beau  théorème 
de  la  manière  dont  se  font  la  raréfaction  et  la  con- 
densation ,  lequel  je  crois  très  vrai  d'ailleurs. 

5.  Je  ne  comprends  pas  la  subtilité  du  raison- 
nement dont  vous  vous  servez  pour  prouver  qu'il 
n'y  a  point  d'atomes ,  ou  de  parties  de  matière  in- 
divisibles de  leur  nature  ;  car  quoique  Dieu  ait 
fait ,  dites-vous ,  ces  parties  telles  que  nulle  créa- 
ture ne  sauroit  les  diviser,  il  n'a  pu  s'oter  ce  pou- 
voir à  lui-même  sans  diminuer  sa  puissance  ;  or 
on  pourroit  prouver  par  la  même  raison  que  Dieu 
ne  fit  pas  lever  hier  le  soleil ,  puisque  sa  puissance 
ne  sauroit  faire  que  le  soleil  d'hier  ne  soit  pas  le- 
vé ,  et  que  le  plus  vil  insecte  ne  peut  pas  même 
mourir  , 

é 

S'il  est  vrai  qu'étant  déjà  mort , 
On  ne  paisse  subir  ce  sort. 

Comme  le  dit  élégamment  Ovide  de  soi-même  ; 
ou  que  Dieu  n'a  pas  créé  la  matière ,  puisqu'elle 
est  divisible  en  des  parties  qui  peuvent  toujours 
se  diviser,  division  qui  épuiseroit  enfin  la  pui&- 


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1 86  LETTRES. 

sance  divine  ;  car  il  resteroit  toujours  une  partie 
non  divisée,  quoique  divisible  :  ainsi  la  puissance 
divine  seroit  sans  effet,  et  Dieu  ne  pourroit  exer- 
cer tout  son  pouvoir  et  parvenir  à  sa  fin. 

4-  Je  ne  comprends  pas  mieux  cette  étendue  in- 
définie du  monde;  car  ou  elle  est  infinie  en  elle- 
même  ,  ou  par  rapport  à  nous.  Si  vous  l'entendez 
dans  le  premier  sens ,  pourquoi  vous  envelopper 
dans  des  mots  obscurs  et  affectés.  Si  elle  n'est  in- 
finie que  par  rapport  à  nous ,  cette  étendue  est 
réellement  finie  ;  car  notre  esprit  n'est  ni  la  me- 
sure, ni  la  règle  des  choses  et  de  la  vérité  ;  ainsi , 
comme  il  y  a  une  autre  étendue  absolument  in- 
finie qui  appartient  à  l'essence  divine,  la  matière 
de  vos  tourbillons  s'éloignera  de  leurs  centres ,  et 
toute  la  machine  du  monde  se  perdra  en  atomes 
et  en  petites  parties  qui  se  dissiperont  çà  et  là  dans 
cette  vaste  immensité  de  Dieu. 

Au  reste,  j'admire  ici  votre  retenue,  et  votre 
crainte ,  de  prendre  tant  de  précautions  pour  ne 
pas  admettre  une  matière  infinie ,  tandis  que  vous 
reconnoissez  des  parties  actuellement  infinies  et 
divisées,  dans  l'art.  34  et  55 ,  p.  98  et  99  ,  et  quand 
vous  ne  l'avoueriez  pas  ,  on  pourroit  vous  con- 
traindre de  le  faire  en  cette  manière.  La  quantité 
étant  divisible  à  l'infini ,  elle  doit  avoir  des  parties 
actuellement  infinies;  car  comme  il  est  absolument 
impossible  de  séparer  réellement  avec  un  couteau , 


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LETTRES.  187 

ou  tout  autre  instrument  que  vous  voudrez ,  un 
corps  en  parties  sensibles  et  palpables ,  et  qui  ne 
soient  point  actuellement  telles ,  de  même  il  est 
contre  toute  raison  de  diviser  par  la  pensée  une 
quantité  en  des  parties  qui  n'existent  point  réelle- 
ment et  actuellement  dans  le  tout. 

A  quoi  on  peut  ajouter  qu'en  supposant  le  monde 
réellement  et  simplement  infini ,  il  sera  aussi  aisé 
d'expliquer  et  de  prouver  par  cette  hypothèse  la 
raréfaction  et  la  condensation  des  corps  dont  vous 
parlez  aux  art.  6  et  7,  p.  70,  qu'en  établissant 
votre  principe  ,  que  le  seul  corps  est  étendu ,  et  que 
le  rien  ne  peut  avoir  de  l'étendue  ;  car  ce  que  vous 
y  établissez  par  une  suite  nécessaire  de  raisonne- 
ments, se  fera  de  même  par  la  nécessité  des  opéra- 
tions physiques  et  métaphysiques. 

Car  tout  étant  rempli  à  l'infini  de  matière  ou 
de  corps ,  la  loi  de  la  pénétration  empêchera ,  ou 
qu'il  ne  se  rencontre  un  espace  entièrement  vide 
de  corps  dans  la  raréfaction  ,  ou  que  dans  la  con- 
densation les  parties  ne  puissent  s'unir  sans  chasser 
les  petits  corps  qui  étoient  auparavant  entre  elles, 

Ce  que  j'ai  dit  jusqu'ici  paroît  extrêmement  clair 
à  mon  esprit ,  et  même  beaucoup  plus  certain  que 
votre  sentiment.  Au  reste,  de  toutes  vos  opinions 
sur  lesquelles  je  pense  différemment  de  vous,  je 
ne  sens  pas  une  plus  grande  révolte  dans  mon  es- 
prit, soit  mollesse  ou  douceur  de  tempérament, 


1$6  LETTRES. 

que  sur  le  sentiment  meurtrier  et  barbare  que  vous 
avancez  dans  votre  Méthode,  et  par  lequel  vous 
arrachez  la  vie  et  le  sentiment  à  tous  les  animaux; 
ou  plutôt  vous  soutenez  qu'ils  n'en  ont  jamais  joui  ; 
car  vous  ne  sauriez  souffrir  qu'ils  aient  jamais  vé- 
cu. Ici  les  lumières  pénétrantes  de  votre  esprit  ne 
me  causent  pas  tant  d'admiration  que  d'épouvante: 
alarmé  du  destin  des  animaux,  je  considère  moins 
en  vous  cette  subtilité  ingénieuse,  que  ce  fer  cruel 
et  tranchant  dont  vous  paroissez  armé  pour  ôter 
comme  d'un  seul  coup  la  vie  et  le  sentiment  à  tout 
ce  qui  est  presque  animé  dans  la  nature,  et  pour 
les  métamorphoser  en  marbres  et  en  machines. 
Mais  voyons ,  je  vous  prie ,  le  motif  qui  vous  porte 
à  prononcer  un  édit  si  sévère  sur  toutes  les  bètes. 
Elles  ne  sauroient  parler,  ni  plaider  leur  cause 
devant  leur  juge  ,  quoiqu'elles  aient  (  ce  qui  ag- 
grave leur  crime)  tous  les  organes  nécessaires  pour 
user  de  la  parole,  comme  on  le  remarque  aux  pies 
et  aux  perroquets;  vous  prenez  de  là  un  sujet  de 
les  priver  du  sentiment  et  de  la  vie. 

Mais ,  de  bonne  foi ,  est-il  possible  que  les  perro- 
quets ou  les  pies  pussent  imiter  nos  sons,  s'ils  n'en- 
tendoient  et  s'ils  n'apercevoient  par  leurs  orga- 
nes ce  que  nous  disons  ;  mais  ils  ne  comprennent 
pas ,  dites-vous ,  ce  que  signifient  les  paroles  qu'ils 
prononcent  par  imitation  :  mais  pourquoi  ne  vou- 
lez-vous pas  qu'ils  prononcent  ce  qu'ils  désirent, 


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LETTRES.  189 

savoir  leur  nourriture  qu'ils  viennent  à  bout  d'ob- 
tenir  de  leur  maître  par  ce  moyen.  Donc  ils  croient 
demander  comme  par  charité  leur  nourriture,  puis 
qua  force  de  parler  ils  obtiennent  si  souvent  ce 
qu'ils  désiroient;  et  sans  cela  les  oiseaux  qui  peu- 
vent chanter  apporteroient-ils  tant  d'attention  à 
écouter  ce  qu'on  leur  dit,  s'ils  n'avoient  ni  senti- 
ment ni  réflexion  ?  D'où  pourroit  venir  sans  cela 
cette  finesse  et  cette  sagacité  des  renards  et  des 
chiens?  D'où  vient  que  les  menaces  et  les  paroles 
répriment  les  bêtes  quand  elles  donnent  des  mar- 
ques de  leur  férocité?  Pourquoi,  lorsqu'un  chien 
pressé  par  la  faim  a  volé  quelque  chose,  s'enfuit- 
il,  et  se  cache-t-il  comme  sachant  qu'il  a  mal  fait, 
et  marchant  avec  crainte  et  défiance,  ne  flatte 
personne  en  passant,  mais  se  détournant  de  leur 
chemin, cherche  la  tète  baissée  un  lieu  écarté,  usant 
d'une  sage  précaution ,  pour  n'être  pas  puni  de  son 
crime?  Comment  expliquer  tout  cela  sans  un  sen- 
timent intérieur?  Le  nombre  infini  de  petits  contes 
qu'on  fait  pour  prouver  qu'il  y  a  de  la  raison  dans 
les  animaux  ne  doivent-ils  pas  du  moins  prouver 
qu'il  y  a  en  eux  du  sentiment  et  de  la  mémoire? 
On  n'auroit  jamais  fait  de  rapporter  ici  tout  ce 
qu'on  dit  là-dessus;  mais  je  sais  bien  qu'il  y  a  tels 
faits  qui  dénotent  en  eux  une  force  et  une  subtilité 
d'esprit  qui  est  au-dessus  de  la  matière ,  et  qu'on 
ne  sauroit  éluder.  Je  vois  bien  que  le  motif  qui 


190  LETTRES. 

vous  a  porté  à  regarder  les  brutes  comme  des 
machines,  est  l'immortalité  de  l'âme,  que  vous 
avez  voulu  établir.  Ayant  donc  supposé  que  le 
corps  étoit  incapable  de  penser,  vous  avez  conclu 
que  partout  où  se  trouvoit  la  pensée,  là  devoit 
être  une  substance  réellement  distincte  du  corps, 
et  par  conséquent  immortelle;  d'où  il  s'ensuit 
que  si  les  bêtes  pensoient ,  elles  auroient  des  âmes 
qui  seroient  des  substances  immortelles. 

Mais  dites-moi,  je  vous  prie ,  monsieur,  puisque 
votre  démonstration  vous  conduit  nécessairement, 
ou  à  priver  les  bètes  de  tout  sentiment ,  ou  à  leur 
donner  l'immortalité ,  pourquoi  aimez-vous  mieux 
en  faire  des  machines  inanimées ,  que  des  corps 
remués  par  des  âmes  immortelles  ;  d'autant  plus 
que  le  premier  sentiment  est  absolument  contraire 
aux  phénomènes  de  la  nature,  et  entièrement 
inouï  jusqu'ici ,  au  lieu  que  l'autre  a  été  suivi  par 
les  plus  savants  philosophes  de  l'antiquité,  Pytha- 
gore,  Platon  et  tant  d'autres;  d'ailleurs,  il  n'y  a 
rien  qui  puisse  confirmer  davantage  tous  les  pla- 
toniciens dans  leur  sentiment  sur  l'immortalité 
de  l'âme  des  bêtes ,  que  de  voir  un  aussi  grand 
génie  que  le  vôtre  réduit  à  n'en  faire  que  des  ma- 
chines insensibles,  de  peur  de  les  rendre  immor- 
telles. 

Voilà,  monsieur,  les  seuls  endroits  de  votre  phi- 
losophie sur  lesquels  je  n'ai  pas  cru  devoir  être 


1 


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LETTRES.  191 

de  votre  sentiment  ;  tout  le  reste  est  tellement  de 
mon  goût,  et  me  plaît  si  fort ,  que  j'en  fais  mes  dé- 
lices; et  ces  sentiments  se  rapportent  si  intime- 
ment aux  miens ,  et  me  sont  si  propres,  que  je  me 
sens  la  force  et  le  courage ,  non  seulement  de  les 
expliquer  facilement  à  ceux  qui  auroient  de  la 
peine  à  les  entendre,  mais  encore  de  les  défendre 
hardiment  contre  ceux  qui  seroient  les  plus  aguer- 
ris à  la  dispute  sur  ces  matières,  et  qui  oseroient 
les  attaquer. 

Je  n'ai  plus  qu'une  prière  à  vous  faire,  monsieur, 
c'est  de  prendre  en  bonne  part  ce  que  j'ai  pris  la 
liberté  de  vous  proposer,  et  de  ne  pas  croire  que 
je  l'aie  entrepris  ou  par  légèreté  ou  par  vaine  gloire, 
et  pour  ambitionner  la  connoissance  et  l'amitié  des 
hommes  illustres,  puisque,  s'il  dépendoit  de  moi, 
je  tâcherois  de  ne  pas  me  faire  connoître ,  regar- 
dant le  nom  et  la  réputation  comme  sujet  à  l'orage , 
et  ennemi  du  loisir  d'un  particulier. 

Au  reste,  quelque  penchant  que  je  sente  en  moi 
pour  votre  personne,  je  ne  vous  eusse  jamais  dé- 
couvert mes  pensées ,  si  je  n'y  avois  été  poussé  par 
d'autres  ;  je  me  serois  contenté  d'aimer  votre  per- 
sonne et  vos  ouvrages  en  secret ,  et  de  vous  hono- 
rer dans  le  silence. 

Je  n'ose  pas  même  vous  demander  avec  empres- 
sement une  réponse,  parceque  je  vous  crois  occu- 
pé à  des  méditations  très  profondes,  et  à  des  ex- 


192  LETTRES. 

périènces  aussi  utiles  que  difficiles.  Je  vous  permets 
donc  d'user  de  votre  droit,  afin  de  ne  point  pécher 
contre  le  public.  Que  si  vous  voulez  pourtant  hono- 
rer mes  petites  questions  d'une  réponse  telle  que 
vous  le  jugerez  à  propos,  vous  vous  acquerrez 
une  éternelle  reconnoissance  sur  le  plus  humble 
et  le  plus  obéissant  de  vos  serviteurs. 

A  Cambridge,  du  Collège  de  Christ,  le  11  décembre  1648. 


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ANNÉE  l649. 


RÉPONSE  DE  M.  DESCARTES 

A  M.  MORUS. 
(Lettre  67  du  tome  I.  Version.) 

Monsieur, 

Les  louanges  dont  vous  me  comblez  sont  plutôt 
des  marques  de  votre  bonté  qu'un  effet  de  mon 
mérite,  qui  ne  sauroit  jamais  les  égaler. 

Cette  bienveillance  que  vous  m'accordez,  et  que 
je  dois  à  la  lecture  que  vous  avez  faite  de  mes 
écrits,  me  découvre  si  à  plein  la  candeur  et  la  gé- 
nérosité de  votre  âme ,  qu'elle  vous  a  gagné  toute 
mon  amitié,  quoique  je  n  aie  pas  l'honneur  de  vous 
connoître  d'ailleurs;  c'est  pourquoi  je  me  ferai  un 
véritable  plaisir  de  répondre  à  vos  questions.  Votre 
première  difficulté  est  sur  la  définition  du  corps, 
que  j'appelle  une  substance  étendue,  et  que  vous 
aimeriez  mieux  nommer  une  substance  sensible, 

in-  1  > 


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194  LETTRES.  j 

tactile,  ou  impénétrable;  mais  prenez  garde,  s'il 
vous  plaît,  qu'en  disant  une  substance  sensible, 
vous  ne  la  définissez  que  par  le  rapport  qu'elle  a 
à  nos  sens,  ce  qui  n'en  explique  qu'une  propriété, 
au  lieu  de  comprendre  l'essence  entière  des  corps, 
qui ,  pouvant  exister  quand  il  n'y  auroit  point 
d'hommes ,  ne  dépend  pas  par  conséquent  de  nos 
sens.  Je  ne  vois  donc  pas  pourquoi  vous  dites 
qu'il  est  absolument  nécessaire  que  toute  matière 
soit  sensible;  au  contraire,  il  n'y  en  a  point  qui 
ne  soit  entièrement  insensible,  si  elle  est  divisée  en 
parties  beaucoup  plus  petites  que  celles  de  nos 
nerfs,  et  si  elles  ont  d'ailleurs  chacune  en  particu- 
lier un  mouvement  assez  rapide. 

A  l'égard  de  ma  preuve,  que  vous  appelez  louche 
et  presque  sophistique,  je  ne  l'ai  employée  que 
pour  réfuter  la  proposition  de  ceux  qui  croient 
avec  vous  que  tout  corps  est  sensible,  ce  que  je  fais, 
à  mon  avis,  d'une  manière  claire  et  démonstra- 
tive ;  car  un  corps  peut  conserver  toute  sa  nature 
corporelle ,  bien  que  les  sens  n'y  aperçoivent  ni 
mollesse,  ni  dureté , ni  froideur,  ni  chaleur,  ni  en- 
fin aucune  autre  qualité  sensible. 

A  l'égard  de  l'erreur  que  vous  semblez  vouloir 
m'attribuer  par  la  comparaison  que  vous  faites  de 
a  cire,  qui  peut  bien  à  la  vérité  n'être  ni  carrée 
ni  ronde,  mais  qui  ne  peut  pas  absolument  n'a- 
voir point  de  figure,  faites,  s'il  vous  plaît,  attention 


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lettres.  \g\y 

au  principe  que  j'ai  établi,  que  toutes  les  qualités 
sensibles  du  corps  consistent  dans  le  seul  mou- 
vement ,  ou  le  seul  repos  de  ces  petites  parties  ; 
ainsi ,  pour  tomber  dans  Terreur  dont  vous  parlez , 
j'aurois  dû  soutenir  que  le  corps  peut  exister 
sans  que  ses  petites  parties  se  meuvent  ou  soient 
en  repos:  c'est  ce  qui  ne  m'est  jamais  venu  dans 
l'esprit;  donc  on  ne  définit  pas  bien  le  corps  une  i 
substance  sensible. 

Voyons  présentement  si  on  ne  pourroit  pas 
mieux  le  définir  une  substance  impénétrable  ou 
tactile  dans  le  sens  que  vous  l'expliquez.  Mais  en- 
core un  coup,  ce  pouvoir  d'être  touché,  ou  cette 
impénétrabilité  dans  le  corps,  est  seulement  comme 
la  faculté  de  rire  dans  l'homme,  le  proprium  quarto 
modo  des  règles  communes  de  la  logique  :  mais  ce 
n'est  pas  sa  différence  véritable  et  essentielle,  qui, 
selon  moi,  consiste  dans  l'étendue;  et  par  consé- 
quent comme  on  ne  définit  point  l'homme  un  ani- 
mal risible,  mais  raisonnable,  on  ne  doit  pas  aussi 
définir  le  corps  par  son  impénétrabilité,  mais  par 
1  étendue,  d'autant  plus  que  la  faculté  de  toucher 
et  l'impénétrabilité  ont  relation  à  des  parties,  et 
présupposent  dans  notre  esprit  l'idée  d'un  corps 
divisé  ou  terminé ,  au  lieu  que  nous  pouvons  fort 
bien  concevoir  un  corps  continu  d'une  grandeur 
indéterminée  ou  indéfinie,  dans  lequel  on  ne  con- 
sidère que  l'étendue.  Mais  Dieu,  dites-vous,  un 


I96  LETTRES. 

ange,  et  tout  ce  qui  subsiste  par  soi-même  est  éten- 
du, ainsi  votre  définition  est  plus  étendue  que  le 
défini.  Je  n'ai  pas  coutume  de  disputer  sur  les  mots; 
c'est  pourquoi  si  l'on  veut  que  Dieu  soit  en  un  sens 
étendu,  parcequ'il  est  partout,  je  le  veux  bien: 
mais  je  nie  qu'en  Dieu,  dans  les  anges,  dans  notre 
âme,  enfin  en  toute  autre  substance  qui  n  est  pas 
t  corps,  il  y  ait  une  vraie  étendue,  et  telle  que  tout 
le  monde  la  conçoit;  car  par  un  être  étendu  on 
entend  communément  quelque  chose  qui  tombe 
sous  l'imagination  ;  que  ce  soit  un  être  de  raison 
ou  un  être  réel,  cela  n'importe.  Dans  cet  être  on 
peut  distinguer  par  l'imagination  plusieurs  parties 
d'une  grandeur  déterminée  et  figurée,  dont  l'une 
n'est  point  l'autre;  en  sorte  que  l'imagination  peut 
en  transférer  l'une  en  la  place  de  l'autre,  sans  qu'on 
en  puisse  pourtant  imaginer  deux  à  la  fois  dans  le 
même  lieu.  On  n'en  sauroit  dire  autant  de  Dieu 
ni  de  notre  âme,  car  ni  l'un  ni  l'autre  n'est  du  res- 
sort de  l'imagination,  mais  simplement  de  l'intel- 
lection,et  on  ne  sauroit  les  séparer  par  parties, 
surtout  en  parties  qui  aient  des  grandeurs  et  des 
figures  déterminées.  Enfin  nous  comprenons  aisé- 
ment que  l'âme,  Dieu,  et  plusieurs  anges  ensem- 
ble, peuvent  être  en  même  temps  dans  le  même 
lieu;  d'où  l'on  conclut  visiblement  que  nulles  sub- 
stances incorporelles  ne  sauroient  être  proprement 
étendues,  et  qu'on  ne  peut  les  concevoir  que  comme 


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LETTRES.  197 

une  certaine  vertu  ou  force,  qui,  bien  qu'appliquée 
à  des  choses  étendues,  ne  sont  pas  pour  cela  éten- 
dues, comme  le  feu  est  dans  le  fer  rouge,  sans 
qu'on  puisse  dire  pour  cela  que  le  feu  est  fer.  Si 
quelques  uns  confondent  l'idée  de  la  substance 
avec  la  chose  étendue,  cela  vient  du  préjugé  où  ils 
sont  que  tout  ce  qui  existe  ou  est  intelligible,  est 
en  même  temps  imaginable.  En  effet,  rien  ne  tombe 
sous  l'imagination  qui  ne  soit  en  quelque  manière 
étendu;  et  comme  on/ peut  dire  que  la  santé  ne 
convient  qu'à  l'homme  seul,  quoiqu'on  puisse  dire 
par  analogie  que  la  médecine,  l'air  tempéré,  et  plu- 
sieurs autres  choses  sont  saines;  ainsi,  je  dis  qu'il  n'y 
a  d'étendue  que  dans  les  choses  qui  tombent  sous 
l'imagination,  comme  ayant  des  parties  distinctes 
les  unes  des  autres,  et  qui  sont  d'une  grandeur  et 
d'une  figure  déterminées,  quoiqu'on  nomme  aussi 
d?autres  choses  étendues ,  mais  seulement  par  ana- 
logie. 

A  l'égard  de  votre  seconde  difficulté  ,  si  nous 
examinons  ce  que  c'est  que  cet  être  étendu  que  j'ai 
écrit,  nous  trouverons  que  ce  n'est  autre  chose 
que  l'espace  que  le  vulgaire  croit  être  quelquefois 
plein,  quelquefois  vide,  quelquefois  réel , d'autres 
fois  imaginaire;  car  dans  un  espace,  quelque  vide 
qu'on  se  l'imagine,  on  se  figure  aisément  différen- 
tes parties  de  grandeur  et  de  figure  déterminées, 
et  on  les  peut  transférer  par  un  effet  de  la  même 


198  LETTRES. 

imagination  les  unes  dans  le  lieu  des  autres  t  mais 
on  n'en  sauroit  concevoir  en  aucune  manière  deux 
se  pénétrer  mutuellement  ensemble  dans  le  même 
lieu ,  parcequ'il  répugne  au  bon  sens  que  cela  arrive, 
et  qu'aucune  partie  de  l'espace  ne  soit  ôtée.  Or,  . 
comme  je  faisois  attention  que  des  propriétés  si 
réelles  ne  pouvoient  se  trouver  que  dans  un  corps 
réel ,  j'ai  osé  assurer  qu'il  n'y  avoit  aucun  espace 
absolument  vide,  et  que  tout  être  étendu  étoit  véri- 
tablement corps  ;  en  quoi  je  n'ai  pas  fait  difficulté 
d'être  d'un  sentiment  contraire  à  celui  de  ces  grands 
hommes  dont  vous  parlez  :  je  veux  dire  Épicure , 
Démocrite  et  Lucrèce;  car  j'ai  vu  que,  bien  loin  de 
s'attacher  à  une  raison  solide ,  ils  se  sont  laissés  en- 
traîner aux  préjugés  communs  de  l'enfance;  car 
bien  que  nos  sens  ne  nous  représentent  pas  tou- 
jours les  corps  qui  sont  hors  de  nous  tels  qu'ils 
sont  absolument  selon  le  rapport  qu'ils  ont  avec 
nous,  et  qu'ils  peuvent  nous  être  utiles  ou  nui- 
sibles (comme  j'ai  dit  dans  l'art.  5  de  la  seconde 
partie,  pag.  67),  nous  avons  cependant  porté  ce 
jugement  dans  notre  enfance,  qu'il  n'y  a  dans  le 
monde  que  ce  que  les  sens  nous  représentent; 
qu'ainsi  il  n'y  avoit  point  de  corps  qui  ne  fût  sen- 
sible ,  et  que  tout  lieu  où  nous  ne  sentons  rien  étoit 
vide.  Puisque  Épicure,  Démocrite  et  Lucrèce  ont 
donné  dans  ce  préjugé  comme  les  autres,  je  ne  dois 
rien  à  leur  autorité.  fu  ;  i-rv.lr.w.:  .;> 


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LETTRES.  199 

Mais  je  suis  surpris  qu'avec  toute  votre  péné- 
tration, et  voyant  d'ailleurs  que  vous  ne  sauriez 
nier  que  tout  espace  ne  soit  rempli  de  quelque 
substance,  puisqu'il  a  réellement  toutes  les  pro- 
priétés de  l'étendue  ,  vous  aimiez  mieux  dire 
que  l'étendue  divine  remplit  l'espace  où  il  n'y  a 
nul  corps  ,  que  d'avouer  qu'il  ne  peut  y  avoir  ab- 
solument d'espace  sans  corps;  car,  comme  j'ai  dit 
ci-dessus,  cette  prétendue  extension  de  Dieu  ne 
sauroit  être  en  aucune  manière  le  sujet  des  pro- 
priétés véritables  que  nous  apercevons  distinc- 
tement en  tout  espace  ;  car  enfin  Dieu  ne  peut 
tomber  sous  l'imagination  ,  on  ne  peut  distinguer 
en  lui  des  parties  qui  soient  figurées  et  qu'on 
puisse  mesurer.  Vous  n'avez  point  de  peine  , 
dites-vous,  à  croire  qu'il  n'y  a  pas  naturellement 
de  vide;  mais  vous  voudriez  sauver  la  puissance 
divine,  qui  en  ôtant  tout  ce  qui  est  dans  un  vase, 
peut,  selon  vous,  empêcher  que  ses  côtés  ne  se 
réunissent. 

Je  sais  que  mon  intelligence  est  finie, et  que  le 
pouvoir  de  Dieu  est  infini ,  ainsi  je  n'y  prétends 
pas  mettre  de  bornes  ;  mais  je  me  contente  d'exa- 
miner ce  que  je  puis  concevoir  ou  non ,  et  je  me 
garde  bien  de  porter  aucun  jugement  contraire  à 
ma  perception  :  c'est  pourquoi  j'assure  hardiment 
que  Dieu  peut  faire  tout  ce  que  je  conçois  possi- 
ble, sans  avoir  la  témérité  de  dire  qu'il  ne  peut 


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200  LETTRES. 

pas  faire  ce  qui  répugne  à  ma  manière  de  conce- 
voir: je  dis  seulement,  cela  implique  contradic- 
tion. Ainsi,  voyant  qu'il  répugne  à  ma  manière  de 
concevoir  qu'on  ôte  tout  corps  d'un  vase  ,  et 
qu'il  y  reste  cependant  une  étendue  que  je  ne 
conçois  pas  autrement  que  je  concevois  aupa- 
ravant le  corps  qui  y  étoit  contenu,  je  dis  qu'il 
implique  contradiction  qu'une  telle  étendue  y 
reste  après  que  le  corps  en  a  été  ôté ,  et  que  par 
conséquent  les  côtés  d'un  vase  doivent  se  rappro- 
cher ,  ce  qui  s'accorde  avec  mes  autres  opinions  ; 
car  je  dis  ailleurs  que  tout  mouvement  est  en 
quelque  façon  circulaire;  d'où  il  s'ensuit  qu'on 
ne  comprend  pas  bien  distinctement  que  Dieu  ôte 
toute  la  matière  d'un  vase,  sans  qu'un  autre  corps 
ou  du  moins  les  côtés  du  vase  prennent  sa  place 
par  un  mouvement  circulaire. 

3.  C'est  dans  le  même  sens  que  je  dis  aussi  qu'il 
y  a  de  la  contradiction  à  dire  qu'il  y  ait  des  ato- 
mes que  l'on  conçoive  étendus  ,  et  en  même 
temps  indivisibles ,  parceque ,  bien  que  Dieu  ait 
pu  les  former  tels  qu'aucune  créature  ne  peut 
les  diviser  certainement ,  nous  ne  pouvons  com- 
prendre qu'il  ait  pu  se  priver  de  la  faculté  de  les 
diviser  lui-même.  Pour  votre  comparaison,  que  ce 
qui  est  fait  ne  sauroit  ne  pas  l'être  ,  elle  n'est 
point  du  tout  juste.  Nous  ne  prenons  pas  pour 
marque  d'impuissance  quand  quelqu'un  ne  peut 


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LETTRES.  201 

pas  faire  ce  que  nous  ne  comprenons  pas  être 
possible ,  mais  seulement  lorsqu'il  ne  peut  pas 
faire  quelque  chose  que  nous  concevons  claire- 
ment être  possible.  Or  nous  concevons  que  la 
division  d'un  atome  est  une  chose  possible ,  puis- 
que nous  le  concevons  étendu  ;  ainsi ,  si  nous 
jugeons  que  Dieu  ne  peut  pas  faire  ce  que  nous 
concevons  pourtant  être  possible,  nous  ne  con- 
cevons pas  de  la  même  manière  qu'il  puisse  se 
faire  que  ce  qui  a  été  fait  ne  le  soit  pas  ;  au  con- 
traire, nous  concevons  bien  clairement  que  cela 
est  impossible,  et  qu'ainsi  il  n'y  a  aucun  défaut  de 
puissance  en  Dieu  de  ce  qu'il  ne  le  fait  pas.  A  l'é- 
gard de  la  divisibilité  de  la  matière,  ce  n'est  pas 
la  même  chose;  car  bien  que  je  ne  puisse  pas 
compter  toutes  les  parties  en  quoi  elle  est  divisible, 
et  que  par  conséquent  je  dise  que  leur  nombre 
est  indéfini,  cependant  je  ne  saurois  assurer  que 
Dieu  ne  puisse  jamais  terminer  cette  division, 
parceque  je  sais  que  Dieu  peut  faire  plus  que  je 
ne  saurois  comprendre ,  et  j'ai  même  avoué  dans 
l'article  34 ,  page  98  ,  que  cette  division  indéfinie 
de  certaines  parties  de  la  matière  devoit  arriver. 

4.  Ne  regardez  point  comme  une  modestie  af- 
fectée, mais  comme  une  sage  précaution,  à  mon 
avis,  lorsque  je  dis  qu'il  y  a  certaines  choses  plutôt 
indéfinies  qu'infinies;  car  il  n'y  a  que  Dieu  seul 
que  je  conçoive  positivement  infini.  Pour  le  reste, 


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202  LETTRES» 

comme  l'étendue  du  monde,  Je  nombre  des  par- 
ties divisibles  de  la  matière,  et  autres  semblables, 
j  avoue  ingénument  que  je  ne  sais  point  si  elles 
sont  absolument  infinies  ou  non  :  ce  queje  sais , 
c'est  que  je  n'y  connois  aucune  fin  ,  et  à  cet  égard 
je  les  appelle  indéfinies. 

Et  bien  que  notre  esprit  ne  soit  ni  la  règle  des 
choses  ni  celle  de  la  vérité  ,  du  moins  doit  -  il 
l'être  de  ce  que  nous  affirmons  ou  nions  :  en 
effet,  rien  de  plus  absurde  et  de  plus  inconsidéré 
que  de  vouloir  porter  un  jugement  sur  des  choses 
auxquelles,  de  notre  propre  aveu,  nos  perceptions 
ne  sauroient  atteindre. 

Or  je  suis  surpris  que  non  seulement  vous 
sembliez  vouloir  le  faire,  puisque  vous  dites,  si 
l'étendue  est  seulement  infinie  par  rapport  à  nous, 
elle  sera  véritablement  finie  ,  etc. ,  mais  que  vous 
imaginiez  encore  une  étendue  divine  qui  aille  au- 
delà  de  celle  des  corps;  car  c'est  supposer  que 
Dieu  a  des  parties  séparées  les  unes  des  autres 
qu'il  est  divisible ,  et  que  toute  l'essence  des  corps 
lui  convient  entièrement. 

Mais  pour  lever  tous  vos  doutes ,  lorsque  je  dis 
que  1  étendue  de  la  matière  est  infinie,  je  crois 
que  cela  suffit  pour  empêcher  qu'on  ne  s'imagine 
un  lieu  au-delà  d'elle ,  où  les  petites  parties  de 
mes  tourbillons  puissent  s'échapper  ;  car  quelque 
part  où  l'on  conçoive  ce  lieu -là,  il  y  a  selon  moi 


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LETTRES.  ^05 

quelque  matière,  parcequen  disant  qu'elle  est 
étendue  d'une  manière  indéfinie ,  je  dis  qu'elle 
s  étend  au-delà  de  tout  ce  que  nous  pouvons 
concevoir. 

Cependant  je  crois  qu'il  y  a  une  grande  diffé- 
rence entre  l'amplitude  ou  la  grandeur  de  cette 
étendue  corporelle  et  celle  de  Dieu  que  je  ne 
nomme  point  étendue ,  parcequa  proprement 
parler  il  n'y  en  a  point  en  lui,  mais  seulement 
immensité  de  substance  ou  d'essence  ,  c'est  pour- 
quoi j'appelle  celle-ci  simplement  infinie:,  et  l'autre 
indéfinie. 

Au  reste  je  n'admets  point  ce  que  vous  m'ac- 
cordez honnêtement,  que  mes  autres  opinions 
peuvent  subsister  indépendamment  de  l'étendue 
de  la  matière;  car^  selon  moi,  c'est  là  un  des  prin- 
cipaux fondements  de  ma  Physique,  et  j'ajoute 
que  rien  ne  me  sauroit  satisfaire  dans  cette  science, 
que  ce  qui  comprend  cette  nécessité  logique  ou 
contradictoire,  comme  vous  l'appelez,  c'est-à-dire 
nécessité  où  nous  conduit  notre  raisonnement, 
pourvu  que  vous  en  exceptiez  ce  que  l'on  ne  peut 
connoître  que  par  la  seule  expérience,  comme 
qu'il  n'y  a  qu'un  soleil,  qu'une  lune  autour  de 
cette  terre,  etc. 

Et  comme  vous  n'êtes  pas  éloigné  de  mes  senti- 
ments pour  lé  reste ,  j'espère  que  vous  admettrez 
facilement  ceux-ci,  si  vous  considérez  que  c'est  un 


2<>4  LETTRES. 

préjugé  de  ne  pas  regarder  comme  vraie  substance 
corporelle  tout  être  étendu  qui  n'a  rien  qui  frappe 
les  sens ,  et  de  lui  donner  seulement  le  nom  de 
vide;  enfin  qu'il  n'y  a  aucun  corps  qui  ne  soit 
sensible,  et  qu'il  n'y  a  aucune  substance  qui  ne 
tombe  sous  l'imagination,  et  qui  par  conséquent 
ne  soit  étendue. 

Mais  le  plus  grand  de  tous  les  préjugés  que  nous 
ayons  retenu  de  notre  enfance,  est  celui  de  croire  que 
les  bétes  pensent.  La  source  de  notre  erreur  vient 
d'avoir  vu  que  plusieurs  membres  des  bêtes  n'é- 
toient  pas  bien  différents  des  nôtres  pour  la  figure 
et  les  mouvements ,  et  d'avoir  cru  que  notre  âme 
étoit  le  principe  de  tous  les  mouvements  qui  sont 
en  nous,  qu'elle  donnoit  le  mouvement  au  corps, 
et  qu'elle  étoit  la  cause  de  nos  pensées.  Cela  sup- 
posé ,  nous  n'avons  point  fait  de  difficulté  de  croire 
qu'il  y  eût  dans  les  bêtes  quelque  âme  semblable  à 
la  nôtre  ;  mais  ayant  pris  garde,  après  y  avoir  bien 
pensé,  qu'il  faut  distinguer  deux  différents  princi- 
pes de  nos  mouvements,  l'un  tout-à-fait  mécanique 
et  corporel ,  qui  ne  dépend  que  de  la  seule  force 
des  esprits  animaux  et  de  la  configuration  des  par- 
ties, et  que  l'on  pourroit  appeler  âme  corporelle, 
et  l'autre  incorporel,  c'est-à-dire  l'esprit  ou  l'âme, 
que  vous  définissez  une  substance  qui  pense,  j'ai 
cherché  avec  grand  soin  si  les  mouvements  des  ani- 
maux provenoient  de  ces  deux  principes  ou  d'ua 


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LKTTRES.  205 

seul.  Or,  ayant  connu  clairement  qu'ils  pouvoient 
venir  d'un  seul ,  c'est-à-dire  du  corporel  et  du  mé- 
canique, j'ai  tenu  pour  démontré  que  nous  ne  pou- 
vions prouver  en  aucune  manière  qu'il  y  eût  dans 
les  animaux  une  âme  qui  pensât.  Je  ne  m'arrête 
point  à  ces  tours  et  finesses  des  chiens  et  des  re- 
nards, ni  à  toutes  les  choses  que  les  bêtes  font,  ou 
par  crainte,  ou  pour  attraper  à  manger,  ou  enfin 
pour  le  plaisir:  je  m'engage  à  expliquer  tout  cela 
très  facilement  par  la  seule  conformation  des 
membres  des  animaux.  Cependant,  quoique  je 
regarde  comme  une  chose  démontrée  qu'on  ne 
sauroit  prouver  qu'il  y  ait  des  pensées  dans  les  bê- 
tes, je  ne  crois  pas  qu'on  puisse  démontrer  que  le 
contraire  ne  soit  pas,  parceque  l'esprit  humain  ne 
peut  pénétrer  dans  le  cœur  pour  savoir  ce  qui  s'y 
passe  :  mais  en  examinant  ce  qu'il  y  a  de  plus  pro- 
bable là  dessus,  je  ne  vois  aucune  raison  qui  prouve 
que  les  bêtes  pensent,  si  ce  n'est  qu'ayant  des  yeux, 
des  oreilles,  une  langue,  et  les  autres  organes  des 
sens  tels  que  nous,  il  est  vraisemblable  qu'elles 
ont  du  sentiment  comme  nous,  et  que  comme  la 
pensée  est  enfermée  dans  le  sentiment  que  nous 
avons,  il  faut  attribuer  au  leur  une  pareille  pensée. 
Or,  comme  cette  raison  est  à  la  portée  de  tout  le 
monde,  elle  a  prévenu  tous  les  esprits  de  l'enfance. 
Mais  il  y  en  a  d'autres  plus  fortes,  et  en  plus  grand 
nombre,  pour  le  sentiment  contraire,  qui  ne  se 


206  LETTRES. 

présentent  pas  si  facilement  à  l'esprit  de  tout  le 
monde;  comme,  par  exemple,  qu'il  est  plus  proba- 
ble de  faire  mouvoir  comme  des  machines  les  vers 
de  terre,  les  moucherons ,  les  chenilles,  et  le  reste 
des  animaux,  que  de  leur  donner  une  âme  im- 
mortelle. 

Parcequ'il  est  certain  que  dans  le  corps  des 
animaux ,  ainsi  que  dans  les  nôtres ,  il  y  a  des  os , 
des  nerfs,  des  muscles,  du  sang,  des  esprits  animaux , 
et  autres  organes  disposés  de  telle  sorte  qu'ils  peu- 
vent produire  par  eux-mêmes,  sans  le  secours 
d'aucune  pensée,  tous  les  mouvements  que  nous 
observons  dans  les  animaux,  ce  qui  paroît  dans  les 
mouvements  convulsifs,  lorsque,  malgré  l'âme 
même,  la  machine  du  corps  se  meut  souvent  avec 
plus  de  violence  et  en  plus  de  différentes  manières 
qu'il  n'a  coutume  de  le  faire  avec  le  secours  de  la 
volonté  :  d'ailleurs,  parcequ'il  est  conforme  à  la 
raison  que  l'art  imitant  la  nature ,  et  les  hommes 
pouvant  construire  divers  automates,  où  il  se 
trouve  du  mouvement  sans  aucune  pensée,  la  na- 
ture puisse  de  son  côté  produire  ces  automates,  et 
bien  plus  excellents ,  comme  les  bnltes,  que  ceux 
qui  viennent  demain  d'homme,  surtout  ne  voyant 
aucune  raison  pour  laquelle  la  pensée  doive  se 
trouver  partout  où  nous  voyons  une  conformation 
de  membres  telle  que  celle  des  animaux,  et  qu'il 
est  plus  surprenant  qu'il  y  ait  une  âme  dans  chaque 


LETTRES.  tiO'J 

corps  humain,  que  de  n'en  point  trouver  dans  les 
bêtes. 

Mais  la  principale  raison,  selon  moi,  qui  peut 
nous  persuader  que  les  bêtes  sont  privées  de  rai- 
son ,  est  que ,  bien  que  parmi  celles  d  une  même 
espèce  les  unes  soient  plus  parfaites  que  les  au- 
tres, comme  dans  les  hommes,  ce  qui  se  remar- 
que particulièrement  dans  les  chevaux  et  dans  les 
chiens,  dont  les  uns  ont  plus  de  disposition  que  les 
autres  à  retenir  ce  qu'on  leur  apprend,  et  bien 
qu'elles  nous  fassent  toutes  connoître  clairement 
leurs  mouvements  naturels  décolère,  de  crainte, 
de  faim,  et  d'autres  semblables,  ou  par  la  voix,  ou 
par  d'autres  mouvements  du  corps,  on  n'a  point 
cependant  encore  observé  qu'aucun  animal  fût 
parvenu  à  ce  degré  de  perfection  d'user  d'un  vé- 
ritable langage,  c'est-à-dire  qui  nous  marquât  par 
la  voix,  ou  par  d'autres  signes,  quelque  chose  qui 
pût  se  rapporter  plutôt  à  la  seule  pensée  qu'à  un 
mouvement  naturel  ;  car  la  parole  est  l'unique  si- 
gne et  la  seule  marque  assurée  de  la  pensée  cachée 
et  renfermée  dans  le  corps;  or  tous  les  hommes  les 
plus  stupides  et  les  plus  insensés, ceux  mêmes  qui 
sont  privés  des  organes  de  la  langue  et  de  la  parole, 
se  servent  de  signes,  au  lieu  que  les  bêtes  ne  font 
rien  de  semblable,  ce  que  l'on  peut  prendre  pour 
la  véritable  différence  entre  l'homme  et  la  bête. 

Je  passe,  pour  abréger,  les  autres  raisons  qui  ôtent 


U08  LETTRES. 

la  pensée  aux  bètes.  Il  faut  pourtant  remarquer 
que  je  parle  de  la  pensée ,  non  de  la  vie,  ou  du  sen- 
timent; car  je  n'ôte  la  vie  à  aucun  animal,  ne  la 
faisant  consister  que  dans  la  seule  chaleur  du  cœur. 
Je  ne  leur  refuse  pas  même  le  sentiment  autant 
qu'il  dépend  des  organes  du  corps.  Ainsi  mon  opi- 
nion n'est  pas  si  cruelle  aux  animaux  qu'elle  est 
favorable  aux  hommes ,  je  dis  à  ceux  qui  ne  sont 
point  attachés  aux  rêveries  de  Pythagore,  puis- 
qu'elle les  garantit  du  soupçon  même  de  crime 
quand  ils  mangent  ou  tuent  les  animaux. 

Je  me  suis  peut-être  plus  étendu  qu'il  ne  falloit, 
et  que  la  vivacité  de  mon  esprit  ne  le  demandoit  ; 
mais  j'ai  voulu  vous  montrer  par  là  que,  de  toutes  les 
objections  qu'on  m'a  faites  jusques  ici,  il  n'y  en  a 
aucunes  qui  m'aient  été  aussi  agréables  que  les 
vôtres ,  et  que  vos  manières  honnêtes  et  votre  can- 
deur vous  ont  entièrement  gagné  celui  qui  a  un 
attachement  inviolable  pour  tous  les  amateurs  de 
la  véritable  philosophie.  Je  suis,  etc. 

A  Egmont,  près  d'Aman,  le  5  février  1649. 


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LETTRES.  20§ 

RÉPLIQUE  DE  M.  MORUS 

A  M.  DESCARTES. 

(  Lettre  68  du  tome  I.  Version.  ) 

Monsieur, 

Je  ne  diminue  rien  dans  mon  esprit  de  la  haute 
idée  que  je  me  suis  formée  de  votre  mérite;  et  mon 
jugement  est  si  constant  là-dessus,  que  je  penserai 
toujours  ce  que  je  vous  en  ai  écrit  dans  ma  pré- 
cédente :  ce  qui  augmente  même  beaucoup  l'es- 
time que  j'ai  conçue  de  vous,  ce  sont  ces  manières 
honnêtes  et  cette  bonté  qui  se  réunissent  si  heu- 
reusement à  une  grandeur  étonnante  de  génie  et  à 
une  divine  pénétration  desprit.  Comme  je  n'en  ai 
jamais  douté  auparavant,  j'en  ai  aujourd'hui  une 
preuve  convaincante  dans  vos  savantes  lettres.  Au 
reste,  afin  que  vous  n'ayez  pas  lieu  de  vous  repen- 
tir d'une  faveur  si  considérable,  et  que  vous  ne  la 
regardiez  pas  comme  placée  sur  la  téte  d'un  es- 
clave, et  de  peur  que  le  zèle  et  l'amour  que  j'ai 
pour  vous  ne  deviennent  une  chose  vile,  comme 
provenant  d'un  esprit  bas  et  rampant,  je  vais  vous 

dire,  avec  toute  la  confiance  qui  convient  à  un 
•o.  ,4 


JIO  LETTRES. 

homme  libre ,  de  quelle  sorte  vos  réponses  mont 
satisfait:  mais  pour  ne  pas  vous  multiplier  la 
peine,  et  à  moi  aussi,  je  retrancherai  toutes  les 
liaisons  du  discours,  et  tout  ce  qui  pourroit  le 
rendre  trop  long,  et  je  me  contenterai  de  renfer- 
mer tout  mon  sujet  en  des  courtes  instances,  ou 
du  moins  en  des  petites  notes  sur  chacune  de  vos 
réponses. 

• 

INSTANCE  A  LA  REPONSE  SUR  LA  PREMIERE  DIFFICULTÉ. 

1.  «  Vous  ne  la  définissez  que  par  le  rapport 
»  qu'elle  a  avec  nos  sens  ,  etc.  » 

On  pourroit  répliquer,  comme  la  racine  et  l'es- 
sence des  choses  sont  cachées  et  ensevelies  dans 
des  ténèbres  éternelles,  il  faut  de  nécessité  définir 
chaque  chose  par  le  rapport  quelle  peut  avoir  à 
d'autres.  Ce  rapport  se  peut  appeler  propriété 
dans  les  substances,  puisqu'il  n'est  pas  lui-même 
substance ,  quoique  je  reconnoisse  d'ailleurs 
qu'il  y  a  des  propriétés  que  l'on  conçoit  les  unes 
avant  les  autres;  jai  voulu  dire  seulement  qu'il 
valoit  mieux  définir  une  chose  par  une  propriété 
qui  la  comprît  entièrement ,  que  par  ce  qu'on  ap- 
pelle la  forme,  qui  est  plus  étendue  que  le  défini. 
De  plus,  quand  vous  définissez  ie  corps  une  chose 
étendue,  je  remarque  que  cette  même  étendue 
consiste  dans  un  rapport  des  parties  les  unes  aux 
autres ,  en  tant  que  les  unes  ont  été  produites  des 


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LETTRES.  5  1  1 

autres;  rapport  qui  ne  convient  pas  absolument  à 
la  chose. 

2,  «Quand  il  n'y  auroit  point  d'hommes,  n 

Quand  tous  les  hommes  fermeroient  les  yeux, 
le  soleil  n'en  perdroit  pas  pour  cela  la  faculté  d'ê- 
tre vu  aussitôt  qu'il  plairoit  aux  hommes  de  les 
ouvrir  ;  comme  une  cognée  ne  perdroit  pas  la  fa- 
culté de  couper  du  bois,  ou  autre  chose  semblable, 
lorsqu'on  l'y  appliqueroit. 

3.  «  Si  elle  est  divisée  en  parties  beaucoup  plus 
«petites  que  celles  de  nos  nerfs.  » 

Je  crois  cependant  que  Dieu  est  un  assez  excel- 
lent ouvrier  pour  proportionner  des  nerfs  à  ces 
petites  parties  de  matière ,  et  que  dans  une  telle 
proportion  la  matière  deviendroit  sensible:  or  ces 
petites  parties  peuvent  cesser  de  se  mouvoir  et 
se  réunir,  et  de  cette  manière  devenir  derechef 
sensibles  à  nos  nerfs;  ce  qui  ne  sauroit  convenir 
en  aucune  façon  à  la  substance  incorporelle. 

4-  «  Bien  que  les  sens  n'y  aperçoivent  ni  mol- 
»  lesse ,  etc.  * 

Il  est  certain,  ou  que  le  corps  sera  dur  ou 
mou,  etc.,  à  nos  nerfs,  tels  qu'ils  sont  aujourd'hui, 
ou  du  moins  à  ceux  que  Dieu  pourroit  lui  propor- 
tionner, comme  nous  avons  dit  ci-dessus;  ce  qui 

suffit ,  quand  même  Dieu  n'en  feroit  jamais  de  pa- 

«4. 


2  12  LETTRES. 

reils  ;  comme  les  parties  qui  sont  au  centre  de  la 
terre  sont  visibles  par  elles-mêmes,  quoiqu'elles  ne 
doivent  jamais  paroi tre  à  la  lumière  de  soleil,  et  que 
jamais  personne  n  y  descende  avec  un  flambeau. 

5.  «  Est  seulement  comme  la  faculté  de  rire  dans 
»  l'homme  ,  le  proprium  quarto  modo  de  logique.  » 

Si  la  raison  convenoit  aussi  aux  autres  animaux, 
il  seroit  mieux  de  définir  l'homme  un  animal  risi- 
ble  qu'un  animal  raisonnable  ;  mais  personne  n'a 
encore  démontré  que  la  faculté  d'être  touché,  ou 
l'impénétrabilité,  soient  des  propriétés  qui  convien- 
nent à  la  substance  étendue,  quoique  tous  les  phi- 
losophes avouent  avec  raison  qu'elles  sont  les  pro- 
priétés du  corps.  Je  puis  bien  à  la  vérité  concevoir 
une  substance  étendue ,  qui  ne  soit  en  aucune  fa- 
çon tactile  ou  impénétrable;  donc  la  faculté  d'être 
touché,  ou  l'impénétrabilité,  ne  suivent  pas  im- 
médiatement la  substance  étendue  en  tant  qu'elle 
est  étendue. 

6.  «Mais  je  nie  qu'en  Dieu  il  y  ait  une  véritable 
»  étendue ,  etc.  » 

Par  véritable  étendue,  vous  entendez  celle  qui 
est  accompagnée  de  la  faculté  d'être  touché  et  de 
l'impénétrabilité.  Je  conviens  avec  vous  qu'elle  ne 
se  trouve  pas  en  Dieu ,  dans  un  ange ,  et  dans  l'âme , 
qui  sont  dépouillés  de  matière;  mais  je  soutiens 
qu'il  se  trouve  dans  les  anges  et  dans  les  âmes  une 


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LETTRES.  2l3 

étendue  aussi  véritable ,  quoique  moins  connue  du 
vulgaire  de  1  école;  que  cette  étendue  a  ses  termes 
comme  sa  figure  sujette  à  varier  suivant  la  volonté 
de  l'ange  ou  de  l'âme ,  et  que  nos  âmes  et  les  anges 
peuvent  se  resserrer  ou  s'étendre  en  conservant 
toujours  néanmoins  leur  même  substance. 

7.  «  Que  toute  idée  de  pure  intellection  vient 
•  des  images  sensibles ,  etc.  » 

Je  me  sens  quelque  penchant  pour  cet  axiome 
d'Aristote,  il  n'y  a  rien  dans  l'intellect  qui  n'ait 
passé  par  les  sens;  mais  là-dessus  que  chacun  con- 
sulte les  forces  de  son  esprit. 

PREMIÈRE  INSTANCE  SUR  LA  REPONSE  A  LA  SECONDE  DIFFICULTÉ. 

1.  «En  sorte  que  l'imagination  peut  en  trans- 
férer l'une  à  la  place  de  l'autre.  » 

C'est  ce  que  mon  imagination  ne  peut  faire  ni 
concevoir  dans  un  tel  transport,  que  les  parties 
de  l'espace  vide  n'absorbent  les  autres,  qu'elles  ne 
tombent  les  unes  dans  les  autres ,  et  qu'elles  ne  se 
pénètrent  mutuellement. 

2.  «En  quoi  je  n'ai  pas  fait  difficulté  de  m'é- 
«loigner  du  sentiment  de  ces  grands  hommes, 
»  Èpicure ,  Démocrite ,  etc.  » 

Je  ne  doute  point  que  vous  n'ayez  toutes  les  rai- 
sons du  monde  de  le  faire  ;  car  je  vous  regarde 
bien  au-dessus,  non  seulement  de  tous  ces  philoso- 


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!2l4  LETTRES. 

phes,  mais  encore  de  tous  ceux  qui  ont  expliqué 
les  secrets  de  la  nature. 

3.  «  On  ne  sauroit  nier  que  tout  espace  ne  soit 
»  rempli  de  quelque  substance.  » 

Je  l'ai  accordé  pour  le  bien  de  la  paix ,  mais  je 
n'en  ai  pas  une  idée  bien  claire  ;  car  si  Dieu  anéan- 
tissoit  l'univers,  et  qu'il  en  créât  un  autre  de  rien 
long-temps  après ,  cet  inter-monde  ou  cette  priva- 
tion du  monde  auroit  sa  durée,  dont  la  mesure 
seroit  un  certain  nombre  de  jours,  d'années,  ou  de 
siècles.  Il  y  a  donc  la  durée  d'une  chose  qui  n'existe 
point,  laquelle  durée  est  une  espèce  d'extension; 
et  par  conséquent  l'étendue  du  néant ,  c'est-à-dire 
du  vide,  peut  être  mesurée  par  aunes  ou  par 
lieues,  comme  la  durée  de  ce  qui  n'existe  point 
peut  être  mesurée  dans  son  inexistence  par  heures, 
par  jours  et  par  mois.  Mais  je  vous  passe ,  sans  y 
être  néanmoins  forcé,  qu'en  tout  espace  il  y  a 
quelque  substance;  je  ne  la  ferai  pas  néanmoins 
corporelle,  puisque  l'extension  ou  la  présence 
divine  peut  être  le  sujet  de  ce  qui  peut  être  me- 
suré :  je  dirai,  par  exemple,  que  la  présence  ou 
l'extension  divine  occupe  une  ou  deux  lieues  dans 
un  tel  ou  tel  vide ,  sans  qu'il  s'ensuive  que  Dieu 
soit  corporel ,  comme  nous  avons  dit  ci-dessus 
dans  l'instance  cinquième.  Mais  nous  traiterons 
ailleurs  Gette  question. 


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LKTTRKS.  2l5 

4.  «  Je  dis  qu'il  implique  contradiction  qu'une 
»  telle  étendue ,  etc.  » 

Je  demanderois  ici  volontiers  s'il  est  nécessaire, 
ou  qu'il  y  ait  une  étendue  telle  que  vous  la  con- 
cevez dans  le  corps ,  ou  qu'il  n'y  en  ait  aucune. 
En  second  lieu ,  puisque  vous  convenez  qu'il  y  a 
d'autres  choses  que  le  corps  qui  sont  étendues  à 
leur  manière ,  cette  étendue  d'analogie  ou  de  rap- 
port, comme  vous  l'appelez,  ne  peut-elle  pas  tenir 
la  place  de  l'étendue  corporelle,  sans  que  cela 
implique  contradiction ,  surtout  cette  extension 
d'analogie  ayant  tant  de  rapport  à  la  véritable 
étendue ,  qu'elle  est  capable  d  être  mesurée ,  et 
qu'elle  remplit  un  certain  nombre  de  pieds  ou 
d?aunes  ? 

5.  «  Que  tout  mouvement  est  en  quelque  façon 
«circulaire.  » 

J'avoue  que  c'est  une  conséquence  nécessaire  de 
nécessité  physique,  en  supposant  seulement  que 
tout  est  rempli  de  corps  ,  et  qu'aucune  étendue 
n'excède  l'étendue  entière  du  monde,  et  je  n'en 
doute  point  ;  mais  je  vous  avoue  que  je  n'ai  pu 
encore  comprendre  comme  il  faut  cette  contradic- 
tion insurmontable  dont  vous  parlez. 


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2l6 


LETTRES 


A  LA  RÉPONSE  SUR  LA  TROISIEME  DIFFICULTÉ. 

t  Que  l'on  conçoit  étendues  et  en  même  temps 
»  indivisibles.  » 

Après  l'explication  que  vous  venez  de  donner , 
il  n  y  a  plus  de  différents  entre  nous. 

PREMIÈRE  INSTANCE  SUR  LA  RÉPONSE  A  LA  QUATRIEME  DIFFICULTÉ. 

i.  «  J'avoue  que  je  ne  sais  point  si  elles  sont 
»  absolument  infinies  ou  non.  » 

Vous  ne  pouvez  pourtant  pas  ignorer  qu'elles 
sont  absolument  ou  infinies  ou  véritablement  fi- 
nies, quoiqu'il  ne  vous  soit  pas  si  facile  de  déter- 
miner si  c'est  l'un  ou  l'autre  :  toutefois  ce  pour- 
roi  t  être  pour  vous  un  signe  assez  certain  de  l'in- 
finité du  monde ,  que  vos  tourbillons  qui  ne  se 
rompent  point ,  et  auxquels  il  ne  se  fait  pas  la 
moindre  fente.  Pour  moi  en  mon  particulier ,  je 
déclare  librement  que ,  bien  que  je  puisse  sou- 
scrire hardiment  à  cet  axiome ,  le  monde  est  fini,  ou 
non  fini ,  ou  ,  ce  qui  est  ici  la  même  chose,  le  monde 
est  infini,  mon  esprit  ne  sauroit  pourtant  com- 
prendre comme  il  faut  l'infinité  de  quelque  chose 
que  ce  soit;  mais  il  arrive  ici  à  mon  imagination 
ce  que  Jules  Scaliger  dit  quelque  part  de  la  dila- 
tation  et  de  la  contraction  des  anges,  qu'ils  ne 
peuvent  s'étendre  à  l'infini  ,  ni  se  réduire  à  un 
point  imperceptible  ;  cependant  quand  on  recon- 


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LETTRES.  21  7 

noît  Dieu  positivement  infini,  c est-à-dire  existant 
partout,  comme  vous  faites  avec  raison,  je  ne 
vois  pas  qu'on  puisse  hésiter  raisonnablement 
d'admettre  sur-le-champ  qu'il  n'est  oisif  nulle  part, 
mais  qu'il  a  produit  partout  de  la  matière  avec  la 
même  puissance  et  la  même  facilité  qu'il  a  créé 
celle  dans  laquelle  nous  vivons  ,  ou  bien  celle 
jusqu'où  nos  yeux  et  notre  esprit  peuvent  s'éten- 
dre; mais  je  m'aperçois  que  je  m'étends  plus  loin 
que  je  ne  m'étois  proposé  :  j'arrête  cette  ardeur  de 
mon  esprit ,  de  peur  de  vous  déplaire. 

2.  Lorsque  vous  dites ,  «  si  elle  est  seulement  in- 
»  finie  par  rapport  à  nous,  elle  sera  réellement 
»  finie,  » 

Cela  est  vrai ,  et  j'ajoute  de  plus  que  c'est  une 
conséquence  très  claire  et  très  certaine ,  parceque 
la  particule  seulement  exclut  entièrement  toute 
infinité  de  la  chose,  qui  est  dite  infinie  seulement 
par  rapport  à  nous,  et  par  conséquent  ce  sera  une 
extension  réellement  finie ,  et  que  mon  esprit  com- 
prend parfaitement,  puisque  je  suis  évidemment 
certain  que  le  monde  est  ou  fini  ou  infini,  comme 
je  l'ai  dit  ci-dessus. 

3.  «  Car  c'est  supposer  que  Dieu  a  des  parties 
•  séparées  les  unes  des  autres,  qu'il  est  divisible; 
»  et  c'est  lui  attribuer  l'essence  des  corps.  » 

Non,  ce  n'est  pas  lui  en  attribuer;  car  je  nie  que 


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2l8  LETTRES. 

l'étendue  convienne  au  corps  en  tant  que  corps, 
niais  seulement  en  tant  qu'être,  ou  du  moins  en 
tant  que  substance  ;  outre  cela ,  puisque  Dieu,  au- 
tant que  notre  esprit  peut  le  comprendre ,  est 
tout  entier  partout ,  et  que  son  essence  entière 
se  trouve  présente  dans  tous  les  lieux  ou  dans 
tous  les  espaces  ,  et  dans  chaque  point  de  ces 
espaces ,  il  ne  s'ensuit  point  qu'il  auroit  des  parties 
séparées  les  unes  des  autres ,  ou ,  ce  qui  en  est  une 
conséquence,  qu'il  seroit  divisible,  quoiqu'il  oc- 
cupe entièrement  et  précisément  tous  les  lieux , 
sans  laisser  aucun  intervalle  vide ,  ce  qui  fait  que 
je  reconnois  la  présence  de  Dieu  ,  ou  la  grandeur 
divine,  comme  vous  l'appelez,  capables  d'être  me- 
surées, sans  que  Dieu  soit  pour  cela  en  aucune 
façon  divisible.  Que  Dieu  occupe  et  remplisse 
chaque  point  du  monde,  c'est  ce  que  tous  les  phi- 
losophes et  les  ignorants  avouent  également  et 
dont  j'ai  une  idée  claire  et  distincte ,  et  que  mon 
esprit  embrasse  sans  peine  :  son  essence  divine 
est  la  même  au  dedans  et  au  dehors  du  monde; 
en  sorte  que  si  nous  supposons  le  monde  enfermé 
ou  terminé  par  le  ciel  visible  des  étoiles ,  le  centre 
de  l'essence  divine  et  sa  présence  totale  se  réité- 
rera hors  du  ciel  étoilé,  de  la  même  manière  que 
nous  la  concevons  clairement  au  dedans.  Or  cette 
réitération  du  centre  divin  qui  occupe  le  monde , 
continuée  plus  loin  ,  doit  développer  avec  soi  hors 


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LKTTRES.  2  1C) 

du  ciel  visible  des  espaces  infinis ,  et  si  elte  n'est 
accompagnée  de  votre  matière  indéfinie,  adieu 
vos  tourbillons;  mais  afin  que  ceci  se  fasse  mieux 
admettre  à  l'esprit,  essayons  ce  raisonnement  sur 
la  durée  successive  de  Dieu. 

Dieu  est  éternel,  c'est-à-dire  la  vie  divine  em- 
brasse les  révolutions  de  tous  les  siècles,  et  l'ordre 
des  choses  passées ,  futures  et  présentes  ;  cependant 
cette  vie  éternelle  est  présente  à  tous  les  instants 
du  temps  et  les  suit  pas  à  pas,  en  sorte  qu'on  peut 
dire  avec  justice  et  vérité  que  Dieu  jouit  de  son 
éternité  depuis  tant  de  jours,  de  mois  et  d'heures. 
Par  exemple,  si  nous  supposons  que  le  monde  a 
été  créé  depuis  cent  ans,  cette  éternité  de  Dieu 
entière,  et  qui  embrasse  tout,  n'aura- 1- elle  pas 
duré  jusqu'à  ce  jour  par  des  heures ,  des  jours , 
des  mois  et  des  années ,  c'est-à-dire  cent  ans  qui 
se  seront  succédé  jusqu'à  ce  jour  :  or  Dieu  n'est 
point  autre  depuis  la  création  du  monde  qu'il  a 
été  auparavant. 

Il  est  donc  manifeste  qu'outre  l'éternité  infinie, 
la  succession  de  durée  convient  encore  à  Dieu. 
Cela  supposé,  pourquoi  ferons-nous  difficulté  de 
lui  attribuer  une  extension  qui  remplisse  des  es- 
paces infinis ,  aussi  bien  qu'une  succession  infinie 
de  durée. 

Bien  plus,  toutes  les  fois  que  je  reprends  de  plus 
haut  et  plus  originairement  ces  choses,  je  suis 


220  LETTRES. 

dans  ce  sentiment ,  que  Tune  et  l'autre  extension , 
tant  de  l'espace  que  du  temps,  conviennent  égale- 
ment aux  non  êtres  et  aux  êtres  ;  et  je  me  doute 
qu'on  peut  également  se  former  un  préjugé ,  que 
toutes  les  choses  étendues  sont  corporelles  ,  sur 
ce  que  tout  ce  que  nous  manions  et  ce  que  nous 
sentons ,  qui  est  solide  et  corporel ,  est  étendu , 
que  cet  autre  préjugé,  qu'il  y  a  des  choses  non 
corporelles  étendues. 

Et  ce  qui  me  fait  conjecturer  que  l'étendue 
tombe  aussi  sur  le  non-être ,  c'est  qu'être  étendu 
ne  dénote  autre  chose  que  des  parties  qui  existent 
hors  d'autres  parties  ;  or  la  partie  et  le  tout ,  le 
sujet  et  l'adjoint,  la  cause  et  l'effet,  les  contraires 
et  les  relatifs  9  les  contradictoires  et  les  privatifs,  et 
autres  semblables ,  ne  sont  que  termes  de  logique, 
et  nous  les  appliquons  également  aux  non-êtres 
comme  aux  autres;  d'où  il  ne  suit  pas  que  tout 
ce  que  nous  concevons  avoir  des  parties  existantes 
les  unes  hors  des  autres  doive  être  conçu  comme 
un  être  réel. 

Mais  combien  de  fois  l'esprit  humain  lutte  ici 
avec  son  ombre,  semblable  à  ces  petits  chiens  qui 
courent  après  leur  queue:  car  notre  esprit  se  forge 
de  tels  combats  ou  de  tels  jeux ,  lorsque  considé- 
rant les  raisons  et  les  modes  de  logique  sur  le  pied 
des  choses  extérieures ,  il  ne  fait  pas  réflexion  que 
ce  sont  seulement  des  manières  de  penser;  mais 


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LETTRES.  221 

croyant  que  c'est  quelque  chose  de  distinct  dans 
les  choses  mêmes ,  il  se  joue  jusqu'à  se  fatiguer  en 
tâchant  d'attraper  ,  pour  ainsi  dire  ,  sa  propre 
queue ,  et  se  trouve  comme  pris  dans  des  filets. 
Mais  j'ai  discouru  ici  imprudemment  plus  que  je 
ne  voulois;  je  passe  à  ce  qui  reste. 

4-  «  Car  quelque  part  où  l'on  conçoive  ce  lieu- 
»  là ,  il  y  a ,  selon  moi ,  quelque  matière.  » 

Vous  êtes  ici  un  homme  de  grande  précaution  , 
et  d'une  retenue  bien  fine  ;  mais  avec  tous  ces  rai- 
sonnements vous  admettez  le  monde  infini  avec 
Aristote.  Si  ce  philosophe  a  donné  une  bonne  dé- 
finition de  l'infini ,  qu'il  appelle  dans  son  troi- 
sième livre  de  physique  ce  dont  quelque  partie  est 
toujours  par-delà ,  nous  voilà  parfaitement  d'accord. 

5.  «  Cependant  je  crois  qu'il  y  a  une  grande 
»  différence  entre  l'immensité  ou  la  grandeur  de 
■  cette  étendue  corporelle ,  etc.  » 

J'admets  aussi  une  différence  infinie  entre  la 
grandeur  ou  l'immensité  divine  et  la  corporelle  : 
1°  en  ce  que  celle-là  ne  peut  tomber  sous  les  sens, 
à  la  différence  de  celle-ci  ;  2*  en  ce  que  celle-là  est 
incréée  et  indépendante ,  et  celle-ci  dépendante  et 
créée;  la  première,  pénétrable  et  pénétrant  tout  ; 
la  seconde,  solide  et  impénétrable;  enfin  ,  en  ce 
que  celle-là  naît  de  la  reproduction  continuelle  de 
l'essence  divine  en  tous  lieux ,  et  celle-ci  de  l'ap- 


f 


222  LETTRES. 

plication  extérieure  et  immédiate  des  parties  les 
unes  aux  autres;  de  sorte  qu  a  moins  d'être  stupide 
et  souverainement  bête,  on  ne  sauroit  seulement 
soupçonner  : 

Que  ces  raisonnements  nous  conduisent  au  crime , 
Eu  nous  insinuant  quelque  horrible  maxime. 

Comme  dit  Lucrèce ,  surtout  puisqu'il  y  a  des 
théologiens,  et  des  plus  scrupuleux,  qui  recon- 
noissent  que  si  Dieu  eût  voulu ,  il  auroit  pu  créer 
le  monde  dès  l'éternité;  et  cependant  il  paroit 
aussi  absurde  de  donner  au  monde  une  durée  in- 
finie qu'une  étendue  infinie. 

6.  «  Car,  selon  moi,  c'est  là  un  des  principaux 
»  fondements  de  ma  physique.  » 

Je  n'ai  pas  de  peine  à  comprendre  que  ce  ne  soit 
le  fondement  de  votre  physique,  de  dire  que  la 
matière  est  au  moins  indéfiniment  étendue ,  qu'il 
n'y  a  point  de  vide  dans  la  nature.  Je  ne  doute  point 
même  que  ce  principe  ne  soit  vrai;  mais  je  ne  sais 
pas  trop  bien  si  vous  avez  trouvé  la  vraie  manière 
de  le  montrer ,  puisque  le  principe  de  votre  dé- 
monstration est  que  tout  ce  qui  est  étendu  est  réel 
et  corporel  :  ce  dont  je  ne  suis  pas  encore  pleine- 
ment convaincu ,  pour  les  raisons  que  j'ai  dites  ci- 
dessus  ;  au  contraire ,  pour  vous  avouer  ingénu- 
ment ce  qui  me  vient  présentement  dans  la  pen- 


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LETTRES.  223 

sée ,  si  ni  l'espace  privé  de  tout  corp3 ,  tel  qu'est 
celui  de  votre  démonstration ,  ni  Dieu  ne  sont 
point  du  tout  étendus ,  votre  philosophie  n'aura 
pas  besoin  de  cette  matière  indéfinie,  il  vous  suf- 
fira d'avoir  un  nombre  certain  et  défini  de  stades, 
car  les  côtés  de  ce  monde  fini  ne  trouveront  point 
de  lieu  où  se  retirer ,  et  les  tourbillons  qui  seront 
au  milieu  ne  pourront  s'entrouvrir,  pour  donner 
une  étendue  à  l'espace  du  milieu ,  et  afin  que  le 
non-étre  ait  de  nouvelles  dimensions.  Mais  mon 
ardeur  naturelle  me  jette  d'un  autre  côté,  c'est-à- 
dire  dans  la  croyance  que  cette  fécondité  divine  , 
qui  n'est  jamais  oisive,  en  quelque  endroit  que  ce 
soit ,  a  créé  de  la  matière  en  tous  lieux  sans  laisser 
le  moindre  petit  espace  vide  en  admettant  ce  sys- 
tème ;  je  ne  trouve  point  que  votre  philosophie  se 
soutienne  moins  bien  faute  d'admettre  ce  que  vous 
lui  donnez  pour  fondement ,  et  je  vois  clairement 
que  la  vérité  de  votre  physique  ne  se  découvre  pas 
si  ouvertement  et  si  manifestement  par  tel  et  tel 
article,  qu'elle  brille  par  cette  tissure  universelle, 
et  ce  fil  continu  qui  lie  toutes  ses  parties ,  comme 
vous  faites  très  bien  remarquer  à  l'article  125  de 
la  quatrième  partie  ,  p.  4^5.  De  sorte  que  si  quel- 
qu'un envisageoit  la  face  entière  de  votre  philoso- 
phie ,  il  verroit  qu'elle  est  si  régulière  et  si  pro- 
portionnée en  elle-même  et  aux  phénomènes  de  la 
nature,  qu'il  pourroit  s'imaginer  voir  comme  dans 


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22/j.  LETTRES. 

une  glace  polie,  la  nature,  cette  habile  ouvrière, 
parée  de  tous  ses  ornements. 

PREMIÈRE  INSTANCE  A  LA  REPONSE  SUR  LA  DERNIERE  DIFFICULTE» 

«  Mais  le  plus  grand  de  tous  les  préjugés  que 

•  nous  ayons  retenus  de  notre  enfance,  etc.  » 

J  éprouve  en  moi  la  force  de  ce  préjugé  au-delà 
de  tout  ce  que  je  puis  vous  dire ,  et  je  me  sens 
tellement  pris  et  arrêté  dans  ses  filets ,  qu'il  m'est 
impossible  de  m'en  débarrasser  jamais. 

2  «  Je  m'engage  à  expliquer  tout  cela  très  faci- 
»  lement  par  la  seule  conformation  des  membres 

•  des  animaux.  • 

Si  vous  nous  tenez  parole  là-dessus  ,  vous  allez 
nous  procurer  une  joie  bien  ravissante;  j'ai  même 
une  si  haute  idée  de  vous  ,  que  je  crois  que  vous 
ferez  là-dessus  tout  ce  que  l'esprit  humain  est  ca- 
pable de  faire;  ce  sera  dans  la  cinquième  ou  sixième 
partie  de  votre  Physique,  qu'on  dit  être  presque 
achevée,  et  que  j'attends  avec  grande  impatience. 
Je  vous  prie  même  instamment  qu'elles  voient  le 
jour  le  plus  tôt  qu'il  se  pourra,  ou,  pour  mieux  dire, 
afin  que  par  leur  moyen  vous  nous  fassiez  voir 
la  nature  dans  ses  plus  brillantes  clartés. 

Mais  pour  revenir  à  notre  sujet,  si  vous  tenez, 
dis -je,  parole  là -dessus,  j'avoue  que  vous  aurez 
démontré  que  personne  ne  peut  prouver  qu'il  y  ait 


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LETTRES.  225 

um  âme  dans  les  bêtes  :  mais ,  en  attendant ,  il  faut 
convenir  que  vous  ne  l'avez  pas  encore  démontré , 
comme  vous  le  dites  vous  -  même  ,  et  même  que 
vous  ne  le  pouvez  faire  en  aucune  manière. 

3.  «Si  ce  n'est  qu'ayant  des  yeux,  des  oreil- 
»  les ,  etc.  » 

La  plus  grande  preuve,  selon  moi,  est  qu'elles 
évitent  avec  tant  de  soin  ce  qui  leur  est  contraire, 
et  qu'elles  songent  à  leur  conservation,  comme  je 
pourrois  vous  le  montrer,  si  j'avois  le  temps,  par 
de  petites  histoires  aussi  véritables  que  merveil- 
leuses ;  mais  je  crois  que  vous  en  avez  lu  quantité 
de  pareilles,  et  les  miennes  ne  sont  dans  aucun 
livre. 

4.  «  Qu'il  est  plus  probable  de  faire  mouvoir 

•  comme  des  machines  les  vers  de  terre,  les  mou- 

•  cherons ,  les  chenilles.  » 

A  moins  que  nous  ne  nous  imaginions  peut-être 
ces  sortes  d'âmes  comme  une  espèce  de  sable  et  de 
poussière  de  la  vie  du  monde,  selon  que  Ficin  les 
appelle;  et  que  ces  escadrons  presque  infinis  d'âmes 
sortants  tous  les  jours  de  cette  pépinière,  retom- 
bent incessamment,  par  un  mouvement  impétueux 
et  dirigé  par  le  destin ,  dans  cette  matière  qui  est 
préparée  pour  de  semblables  générations;  mais 
j  avoue  qu'il  est  plus  facile  d'avancer  ces  chosçs 
que  de  les  démontrer. 

10.  i5 


2$(>  LETTRES. 

5.  4  Qui  nous  marquât,  par  la  voix  ou  par 
«d'autres  signes,  quelque  chose,  etc.  » 

ïst-ce  que  les  chiens  ne  nous  font  point  certains 
signes  avec  leur  queue,  comme  nous  faisons  avec 
la,  tète?  Est-ce  que,  par  leurs  petits  aboiements,  ils 
ne  nous  demandent  point  comme  par  charité  leur 
nourriture  à  table?  Bien  plus,  ils  poussent  quel- 
quefois avec  leur  patte  le  bras  de  leur  maître  avec 
une  retenue  admirable,  pour  le  faire  souvenir  par 
ce  signe  flatteur  qu'il  les  a  oubliés. 

6.  «  Or,  tous  les  hommes  les  plus  stupides  et 
»  les  insensés ,  etc. ,  au  lieu  que  les  brutes  ne  font 
»  rien  de  semblable ,  etc.  » 

Vous  pourriez  dire  la  même  chose  des  enfants , 
du  moins  durant  l'espace  de  plusieurs  mois;  quoi- 
qu'ils pleurent,  qu'ils  rient  et  se  mettent  en  co- 
lère, etc.,  vous  êtes  pourtant  persuadé  qu'ils  ont 
une  âme  et  une  âme  qui  pense.  Voilà,  monsieur, 
quelles  sont  les  instances  que  j'ai  pris  la  liberté 
de  faire  à  vos  excellentes  réponses  ;  je  ne  sais  si  elles 
vous  seront  aussi  agréables  que  mes  dernières  ob- 
jections. La  bonté  que  vous  avez  marquée  pour  les 
premières,  et  la  longue  habitude  que  j'ai  contractée 
avec  vos  écrits,  m'ont  rendu  plus  hardi  ;  mais  je 
crains  d'avoir  été  trop  long,  et  de  vous  avoir  été 
à  charge. 

Car  j'ai  presque  oublié  mon  dessein  principal , 


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LETTRES.  227 

de  ne  pas  multiplier  à  l'infini  les  objections  et  les 
réponses;  mais  ayant  trouvé  l'occasion  favorable 
d'avoir  votre  décision  sur  les  matières  qui  se  sont 
présentées ,  et  surtout  de  vous  avoir  vous-même 
pour  interprète  des  difficultés  que  je  pourrois  ren- 
contrer dans  la  lecture  de  vos  ouvrages,  je  me  suis 
flatté,  monsieur,  que  vous  m'accorderiez  cette  fa- 
veur. Le  plaisir  que  vous  m'avez  fait  de  me  dévoiler 
les  secrets  de  votre  art  m'engage  à  vous  deman- 
der la  même  grâce  pour  quelques  objections  que 
je  vais  vous  faire.  Je  demande  donc,  i°  s'il  auroit 
pu  arriver,  ou  par  les  décrets  divins,  ou  par  quel- 
que autre  manière,  que  le  monde  fut  fini,  c'est-à- 
dire  borné  par  un  nombre  déterminé  de  millions 
de  lieues;  car  il  me  semble  que  ce  n'est  pas  un 
foible  argument  que  le  monde  puisse  être  fini  ,  en 
ce  que  presque  tout  le  monde  croit  qu'il  est  im- 
possible qu'il  soit  infini.  2°  Je  suppose  que  quel- 
qu'un fut  assis  aux  extrémités  de  ce  monde,  et 
je  demande  s'il  pourroit  enfoncer  son  épée  jus- 
quesà  la  garde  au  travers  les  bornes  du  monde, 
en  sorte  que  toute  la  lame  de  l'épée  fût  hors 
des  confins  du  monde;  d'un  côté  la  chose  pa- 
roît  facile  à  faire,  puisqu'il  n'y  auroit  rien  hors 
du  monde  qui  résistât,  et  de  l'autre  la  chose 
paroît  impossible,  parcequ'il  n'y  auroit  rien  d'é- 
tendu hors  du  monde,  qui  pût  recevoir  la  lame  de 
I  epee. 

i5. 


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I 


U2&  LETTRES. 

3°  A  l'art.  29  de  la  seconde  partie,  p.  91,  si  le 
corps  AB,  transporté  du  voisinage  du  corps  CD, 
je  demande  comment  il  est  certain  que  le  transport 
soit  réciproque;  car  supposons  que  le  corps  CD 
est  une  tour,  et  AB  un  vent  d'occident  qui  passe 
par  le  côté  de  la  tour  :  or,  la  tour  CD  est  en  re- 
pos ,  ou  du  moins  ne  s'éloigne  point  devant  AR  ; 
si  elle  s'en  éloigne,  ou,  comme  vous  dites,  si  elle 
est  transportée  par  le  mouvement ,  elle  est  donc 
mue  vers  l'occident  ;  mais  elle  n'est  point  transpor- 
tée vers  l'occident,  puisque  la  terre  et  les  vents 
sont  portés  vers  l'orient.  Elle  paroît  donc  en  repos 
par  rapport  au  vent,  puisqu'elle  ne  reçoit  aucun 
mouvement  de  lui  ;  cependant  vous  dites  que  le 
transport  de  cette  tour  et  du  vent  (lequel  transport 
est  un  mouvement)  est  réciproque;  ainsi  la  tour 
seroit  en  mouvement  et  en  repos  par  rapport  à  ce 
même  vent.  Ce  qui  n'est  pas  bien  loin  de  la  con- 
tradiction. Lorsque  celui  qui  en  se  promenant 
s'éloigne  de  moi ,  qui  suis  assis,  de  l'espace  de  mille 
pas  par  exemple,  et  s'est  échauffé  et  fatigué,  et  que 
je  ne  le  suis  pas,  c'est  là  un  signe  qu'il  s'est  mû, 
et  que  je  me  suis  tenu  en  repos  pendant  ce  temps- 
là.  Dans  le  mouvement  de  cet  homme  qui  marche, 
je  ne  remarque  qu'un  rapport  que  ma  pensée  y 
fait  des  différentes  distances  où  nous  nous  trou- 
vons, et  aucun  mouvement  réel  et  physique. 

4°  A  l'art.  149  de  la  troisième  partie,  p.  5oo. 


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LETTRES.  22Q 

Et  ainsi  elle  fera  que  la  terre  tournera  sur  son. 
axe,  etc.  Comment  fera  la  lune,  afin  que  la  terre 
achève  dans  un  jour  son  tour  sur  son  propre  cen- 
tre, puisqu'elle-même  emploie  trente  jours  pour 
achever  le  sien  ?  Ce  qui  est  dit  à  l'article  1 5 1 ,  p.  3o  1 , 
ne  touche  point,  selon  moi,  cette  question. 

5°  A  l'égard  de  ces  petites  parties  tournées,  que 
vous  appelez  cannelées,  comment  ont-elles  pu  être 
ainsi  tournées  ?  Ne  devoient-elles  pas  plutôt  être 
brisées  et  rompues  en  une  infinité  de  petites  par- 
ties réduites  en  atomes?  Quelle  lenteur  et  quelle 
consistance  pourrons-nous  imaginer  dans  cette 
première  matière ,  dont  toutes  les  parties  sont  ho- 
mogènes ,  et  entièrement  semblables  en  elles- 
mêmes  ;  d'où  vient  que  ces  petites  parties  étoient 
d'ailleurs  molles,  et  comment  se  sont-elles  dans  la 
suite  endurcies  ? 

6°  A  l'art.  189  de  la  quatrième  partie,  p.  5o3 , 
notre  âme  est  étroitement  jointe  et  unie  au  cerceau  ; 
vous  me  ferez  bien  plaisir  de  m'apprendre  ce  que 
vous  pensez  de  l'union  de  l'âme  avec  le  corps;  si 
elle  est  unie  à  tout  le  corps,  ou  seulement  au  cer- 
veau, ou  si  elle  est  seulement  renfermée  dans  la 
glande  pinéale,  comme  dans  une  espèce  de  petite 
prison;  car  je  regarde  cette  glande,  selon  vos  prin- 
cipes, comme  le  siège  du  sens  commun ,  et  comme 
la  forteresse  de  l'âme.  Je  doute  pourtant  si  l'âme 
n'occupe  pas  tout  le  corps.  Outre  cela,  je  \om 


aÔO  LETTRES. 

prie,  comment  se  peut-il  faire  que  l'âme  n'ayant 
ni  parties  crochues  ni  branchues,  puisse  s'unir  si 
étroitement  au  corps?  Je  vous  demande  encore, 
n'y  a-t-il  pas  des  effets  dans  la  nature,  dont  on  ne 
sauroit  rendre  aucune  raison  mécanique?  Ce  sen- 
timent naturel  que  nous  avons  de  notre  propre 
existence,  d'où  naît-il?  Et  cet  empire  que  notre 
âme  a  sur  les  esprits  animaux ,  d'où  vient-il  aussi  ? 
Comment  s'y  prend-elle  pour  les  faire  couler  dans 
toutes  les  parties  du  corps?  Comment  les  esprits 
de  ces  sorciers,  qu'on  nomme  familiers,  savent-ils 
si  bien  disposer  la  matière  et  la  combiner,  pour  se 
rendre  visibles  et  palpables  à  ces  détestables  vieilles  ? 
c'est  une  vérité  que  j'ai  apprise,  non  seulement  de 
plusieurs  de  ces  vieilles  sorcières,  mais  encore  de 
plusieurs  jeunes,  qui  me  l'ont  avoué  sans  aucune 
contrainte. 

Or,  n'éprouvons-nous  pas  nous-mêmes  en  quel- 
que façon  la  même  chose  dans  nos  âmes,  lorsque 
nous  pouvons,  à  notre  gré  pousser  ou  arrêter  nos 
esprits  animaux;  les  envoyer  ou  les  rappeler, 
comme  il  nous  plaît?  Je  demande  donc  s'il  seroit 
indigne  d'un  philosophe  de  reconnoître  dans  la 
nature  une  substance  incorporelle ,  qui  peut  ce- 
pendant imprimer  dans  quelque  corps  toutes  les 
propriétés  du  corps,  ou  du  moins  la  plupart,  tels 
que  sont  le  mouvement ,  la  figure ,  la  situation  des 
parties,  etc.,  comme  les  corps  peuvent  le  faire  les 


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LETTRES.  2J1 

uns  à  l'égard  des  autres;  mais  de  plus,  comme  il 
est  presque  certain  que  cette  substance  remue  et 
arrête  les  corps ,  ne  pourroit-elle  pas  y  ajouter 
aussi  ce  qui  est  une  suite  du  mouvement,  comme 
diviser,  unir,  dissiper,  lier,  figurer  des  petites  par- 
ties, disposer  les  figures,  faire  circuler  celles  qui 
sont  ainsi  disposées ,  ou  les  mouvoir  en  quelque 
sens  que  ce  soit,  arrêter  leur  mouvement  circu- 
laire, et  autres  choses  semblables  qui  produisent 
nécessairement  la  lumière,  les  couleurs,  et  les  au- 
tres objets  sensibles  selon  vos  principes. 

Outre  cela,  comme  rien  de  corporel  ni  d'incor- 
porel ne  peut  agir  sur  une  autre  chose  que  par 
l'application  de  son  essence,  ce  même  philosophe 
ne  pourroit-il  pas  en  conclure  nécessairement  que, 
soit  que  ce  soit  un  bon  ou  mauvais  ange,  notre 
esprit  ou  Dieu  qui  agisse  sur  la  matière  de  la  ma- 
nière que  nous  l'avons  dit,  il  faut  que  l'essence 
de  cette  chose,  quelle  qu'elle  soit,  se  promène  pour 
ainsi  dire  sur  ces  parties  de  matière  sur  lesquelles 
elle  agit ,  ou  sur  quelques  autres  qui  agissent  sur 
elles,  en  leur  transmettant  leur  mouvement;  bien 
plus,  quelle  se  trouve  quelquefois  présente  à 
toute  cette  matière,  qu'elle  dirige  et  modifie  , 
comme  cela  est  constant  des  anges  bons  et  mau- 
vais qui  se  sont  montrés  à  nos  yeux  ;  car  autre- 
ment, comment  auroient-ils  pu  resserrer  la  matière, 
et  la  contenir  sous  une  telle  ou  telle  figure? 


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232  LETTRES. 

Enfin  la  substance  incorporelle  ayant  une  vertu 
si  merveilleuse  que  par  sa  simple  application  sans 
liens,  sans  crochets,  sans  coins  et  autres  instru- 
ments ,  elle  embrasse  et  resserre  la  matière ,  la  dé- 
veloppe, la  divise,  la  rejette  et  en  même  temps 
la  retienne;  ne  paroît-il  pas  vraisemblable  quelle 
puisse  rentrer  en  elle-même,  puisqu'il  n'y  a  point 
d'impénétrabilité  qui  sy  oppose,  et  se  répandre 
derechef,  et  autres  semblables?  Je  vous  prie, 
monsieur,  si  vos  occupations  vous  le  permettent, 
de  me  faire  la  grâce  de  m 'expliquer  ces  choses , 
sachant  que  vous  avez  pénétré  tous  les  mystères 
de  la  nature,  tant  les  extérieurs  que  les  intérieurs, 
et  que  vous  pouvez  m'en  donner  facilement  la  so- 
lution. 

7.  Sur  les  globules  du  second  élément ,  ou  la 
matière  éthérée,  je  demande,  Si  Dieu  eût  créé  la 
matière  de  toute  éternité,  ces  globules  n'auroient- 
ils  pas  été  diminués  et  brisés  depuis  plusieurs  an- 
nées, et  réduits  en  parties  subtiles  à  l'indéfini ,  à 
force  de  se  rencontrer  et  de  se  heurter,  pour 
prendre  la  force  du  premier  élément  ;  en  sorte  que 
l'univers  entier  auroit  été  réduit  en  une  flamme 
universelle  depuis  plusieurs  siècles? 

8.  Pour  ce  qui  regarde  vos  petites  parties  d'«au  , 
longues,  polies  et  flexibles,  ont-elles  des  pores? 
Cela  ne  me  paroît  pas  probable,  puisqu'elles  sont 
des  corps  simples,  et  les  premières  parties  qui  ne 


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LETTRES.  235 

sont  composées  d'aucunes  autres ,  mais  des  frag- 
ments de  la  première  matière  qui  s'est  brisée,  et 
par  conséquent  entièrement  homogène;  ce  qui  me 
fait  douter  qu'elles  se  puissent  plier  sans  pénétra- 
tion de  leurs  dimensions  :  car  supposons  quelles 
se  courbent  en  forme  d'anneau,  la  superficie  con- 
cave sera  moindre  que  la  convexe ,  etc.  Vous  en- 
tendez parfaitement  cela,  je  ne  m'y  arrête  pas  da- 
vantage. 

Et  quand  même  vous  vous  efforceriez  de  prouver 
qu'elles  ont  des  pores,  ce  que  je  ne  crois  pas  que 
vous  fassiez  jamais,  vous  noteriez  pas  pour  cela  la 
difficulté,  car  ce  seroient  alors  nouvelles  difficultés 
sur  les  bords  et  les  côtés  de  ces  pores ,  car  il  y 
aura  toujours  alors  quelque  chose  qui  n'aura  point 
de  pores,  et  qui  ne  laissera  pas  de  se  plier. 

Cette  difficulté  tombe  non  seulement  sur  ces 
parties  oblongues,  mais  encore  sur  les  rameuses 
et  branchues,  et  presque  sur  toutes  les  autres  qui 
doivent  se  plier  sans  casser. 

Neuvième  et  dernière  difficulté.  Je  demande  si 
la  matière,  soit  que  nous  la  supposions  éternelle, 
ou  créée  d'hier,  laissée  à  elle-même,  et  ne  recevant 
aucune  impulsion  étrangère, seroit  en  mouvement 
ou  en  repos  ;  ensuite  si  le  repos  est  un  mode  pri- 
vatif ou  positif  du  corps,  et,  dans  Tune  ou  l'autre 
supposition,  comment  on  pourroit  le  prouver; 
enfin,  si  une  chose,  quelle  quelle  soit,  peut  avoir 


2,34  LETTRES. 

quelque  propriété  naturelle  par  elle-même  dont 
elle  puisse  être  privée ,  ou  qu'elle  puisse  recevoir  ? 
D'ailleurs  jusques  ici  mon  esprit  s'est  comme  joué 
sur  presque  tous  les  principes  de  votre  excellente 
philosophie,  ou  plutôt  il  s'est  donné  là- dessus 
une  véritable  occupation.  Je  descendrai  au  par- 
ticulier si  vous  avez  la  bonté  de  m'y  inviter ,  ou 
du  moins  de  me  le  permettre.  J'espère  que  vous 
me  ferez  la  grâce  de  m'excuser,  si,  s'agissant  des 
premiers  principes ,  j'ai  examiné  les  choses  un  peu 
scrupuleusement,  et  si, en  sondant  le  gué,  et  ne 
marchant  qu'avec  réserve,  j'ai  avancé  lentement, 
et  pour  ainsi  dire  à  pas  de  tortue;  car  je  vois  que 
tel  est  le  caractère  de  l'esprit  humain ,  qui  voit 
mieux  dans  les  conséquences  que  dans  les  pre- 
miers principes  de  la  nature,  et  que  notre  condi- 
tion n'est  pas  bien  différente  de  celle  d'Archimède, 
qui  demandoit  qu'on  lui  donnât  un  point  fixe ,  et 
qu'il  ébranleroit  la  terre.  Il  nous  est  plus  difficile 
de  trouver  un  endroit  où  placer  le  pied ,  que  d'a- 
vancer quand  nous  l'avons  trouvé. 

Pour  ce  qui  regarde  ces  magnifiques  bâtiments 
que  vous  avez  élevés  sur  vos  principes  généraux , 
quoiqu'ils  nous  parussent  d'abord  si  hauts  et  si 
éloignés  de  la  portée  de  notre  vue,  que  tout  y 
sembloit  enveloppé  de  ténèbres  et  de  nuées,  le 
jour  a  cependant  diminué  ces  difficultés,  et  ces 
obscurités  se  sont  peu  à  peu  évanouies,  en  sorte 


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LETTRES.  255 

qu'il  en  reste  très  peu  en  comparaison  de  ce  qui 
se  montroit  d'abord. 

J'ai  cru  devoir  vous  faire  cet  aveu,  afin  que  vous 
ne  crussiez  pas  que  je  voulusse  vous  multiplier 
éternellement  les  difficultés ,  que  vous  me  fissiez 
plus  volontiers  réponse,  et  que  vous  reçussiez  ces 
nouvelles  difficultés  avec  la  même  bonté  que  vous 
avez  reçu  les  premières.  Si  vous  me  faites  cet  hon- 
neur, monsieur,  vous  trouverez  en  moi  le  plus 
zélé  admirateur  de  votre  philosophie,  et  le  plus 
fidèle  et  le  plus  dévoué  de  vos  serviteurs,  etc. 

A  Cambridge,  du  collège  de  Christ,  ce  5  mars  1649. 

-------  •-■^v  -  --------  -  •«.«.»  -  -  - 

RÉPONSE  DE  M.  DESCARTES 

A  M.  MORUS. 

(  Lettre  69  du  tome  I.  Version.  ) 

Monsieur  , 

Je  viens  de  recevoir  avec  grand  plaisir  votre 
lettre  en  date  du  5  mars ,  mais  dans  un  temps  où 
je  me  trouve  si  fort  occupé ,  que  je  me  vois  dans 
la  nécessité ,  ou  de  vous  écrire  à  la  hâte,  ou  de  dif- 
férer à  un  long  temps  d'ici  ma  réponse.  Dans 


236  LETTRES. 

cette  alternative  je  choisis  le  premier  parti,  aimant 
mieux  paroître  moins  habile  et  plus  officieux. 

AUX  PREMIÈRES  INSTANCES. 

Il  y  a  des  propriétés  que  l'on  conçoit  les  unes 
avant  les  autres,  etc.  La  sensibilité  ne  me  paroît  être 
clans  la  chose  sensible  qu'une  dénomination  ex- 
trinsèque, et  n'est  point  une  qualité  qui  convienne 
à  toute  la  substance  corporelle  ;  car  si  elle  se  rap- 
porte à  nos  sens,  elle  ne  convient  point  aux  par- 
ties les  plus  déliées  de  la  matière  ;  que  si  elle  avoit 
quelque  rapport  à  ces  nerfs  imaginaires  que  vous 
supposez  que  Dieu  pourroit  façonner ,  elle  pour- 
roit  peut-être  convenir  aux  anges  et  aux  âmes  ;  car 
je  ne  conçois  pas  plus  facilement  des  nerfs  ca- 
pables de  sentiment,  et  si  subtils  qu'ils  puissent 
être  mus  par  les  plus  petites  parties  de  la  matière, 
que  quelque  autre  faculté  par  le  moyen  de  laquelle 
notre  âme  puisse  sentir  ou  percevoir  immédiate- 
ment les  autres  âmes  t  mais  bien  que  dans  l'exten- 
sion nous  comprenions  facilement  les  parties  au 
respect  les  unes  des  autres,  il  me  paroît  pourtant 
que  je  conçois  très  bien  l'étendue ,  sans  penser  au 
rapport  que  ces  parties  ont  les  unes  à  1  égard  des 
autres  ;  ce  que  vous  devez  admettre  plus  volon  - 
tiers  que  moi ,  parceque  vous  concevez  l'étendue 
comme  convenant  à  Dieu ,  sans  admettre  en  lui 
aucunes  parties. 


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LETTRES.  2,>7 

Personne  n'a  encore  démontré  que  la  faculté  d'être 
touché,  ou  l'impénétrabilité,  soient  des  propriétés  qui 
conviennent  à  la  substance  étendue.  Si  vous  concevez 
letendue  par  le  rapport  des  parties  les  unes  au- 
près des  autres,  il  ne  paroît  pas  que  vous  puissiez 
dire  que  chacune  de  ses  parties  ne  touche  pas  les 
voisines,  et  cette  faculté  d'être  touché  est  une  vé- 
ritable propriété  qui  est  intime  au  sujet ,  et  non 
celle  que  les  sens  nous  font  appeler  le  toucher. 

On  ne  peut  pas  aussi  comprendre  qu'une  partie 
d'une  chose  étendue  pénètre  une  autre  partie  qui 
lui  soit  égale ,  sans  comprendre  en  même  temps 
que  l'étendue  qui  est  au  milieu  de  ces  deux  par- 
ties est  ôtée  ou  anéantie  ;  or  une  chose  réduite  au 
néant  n'en  sauroit  pénétrer  une  autre  :  ainsi  on 
peut  démontrer  ,  selon  moi ,  que  l'impénétrabilité 
appartient  à  l'essence  de  l'étendue,  et  non  à  l'es- 
sence d'aucuue  autre  chose. 

Je  soutiens  quil  y  a  une  autre  étendue  aussi  vé- 
ritable. Enfin  nous  sommes  d'accord  sur  le  fond, 
et  il  ne  s'agit  plus  entre  nous  que  d'une  question 
de  nom ,  savoir  ,  s'il  faut  donner  le  nom  de  véri- 
table étendue  à  cette  dernière.  Pour  moi,  je  ne  con- 
çois aucune  étendue  de  substance  ,  ni  en  Dieu,  ni 
dans  les  anges,  ni  dans  notre  âme;  mais  seule- 
ment une  étendue  de  puissance,  ou  une  extension 
en  puissance  ;  en  sorte  qu'un  ange  peut  propor- 
tionner ce  pouvoir  d  extension ,  tantôt  à  une  plus 


20S  LETTRES. 

grande  ou  moindre  partie  de  la  substance  corpo- 
relle ;  car  s'il  n'y  avoit  aucun  corps  ,  je  ne .  com- 
prendrois  aussi  aucun  espace  à  qui  Dieu  ou  l'ange 
correspondissent  par  1  étendue.  Quant  à  ce  qu'on 
attribue  à  la  substance  l'étendue  qui  n'appartient 
qu'à  la  puissance,  c'est  un  effet  du  même  préjugé 
qui  nous  fait  supposer  toute  substance  en  Dieu 
même,  comme  tombant  sous  l'imagination. 

AUX  SECONDES  INSTANCES. 

Que  des  parties  de  l'espace  vide  en  absorbent 
d'autres,  etc.  Je  le  répète  ,  si  elles  sont  absorbées  ; 
donc  le  milieu  de  l'espace  est  ôté  et  cesse  d'être. 
Or  ce  qui  cesse  d'être  ne  pénètre  point  une  autre 
chose,  donc  il  faut  admettre  l'impénétrabilité  en 
tout  espace. 

Cet  intermonde  ou  cette  absence  du  monde  aurai i 
sa  durée,  etc.  Je  crois  qu'il  implique  contradiction 
de  concevoir  une  durée  entre  k  destruction  du 
premier  monde  et  la  création  du  nouveau  ;  car  si 
nous  rapportons  cette  durée  ou  quelque  chose  de 
semblable  à  la  succession  des  pensées  divines  ,  ce 
sera  une  erreur  de  l'intellect,  non  une  véritable 
perception  de  quelque  chose.  J'ai  déjà  répondu  à 
la  suite,  en  observant  que  l'étendue  qu'on  attribue 
aux  choses  incorporelles  convient  seulement  à  la 
puissance  et  non  à  la  substance,  laquelle  puis- 
sance étant  seulement  un  mode  clans  la  chose  à 


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LETTRES.  !i^9 

laquelle  elle  est  appliquée,  en  ôtant  cette  chose 
étendue  à  laquelle  elle  correspondent ,  on  ne  sau- 
roit  comprendre  qu'elle  soit  étendue. 

AUX  PÉNULTIÈMES  INSTANCES. 

Que  Dieu  est  positivement  et  réellement  infini , 
c'est-à-dire  existant  partout,  etc.  Je  n'admets  pas 
ce  partout,  car  il  paroît  ici  que  vous  ne  faites 
consister  l'infinité  en  Dieu  qu'en  ce  qu'il  existe 
partout ,  ce  que  je  ne  vous  passe  point  ;  croyant 
au  contraire  que  Dieu  est  partout  à  raison  de  sa 
puissance,  et  qu'à  raison  de  son  essence  il  n'a  ab- 
solument aucune  relation  au  lieu .  or  comme  on 
ne  distingue  point  en  Dieu  le  pouvoir  et  l'essence, 
je  crois  qu'il  est  mieux  de  raisonner  en  pareille 
matière  sur  notre  âme  ou  les  anges,  comme  choses 
plus  proportionnées  à  notre  manière  de  penser. 
Les  difficultés  suivantes  me  paroissent  naître  du 
préjugé  qui  nous  a  fait  croire  que  toutes  sub- 
stances, celles-là  mêmes  que  nous  reconnoissons 
incorporelles,  sont  véritablement  étendues,  et  de 
la  mauvaise  manière  de  philosopher  sur  les  êtres 
de  raison,  en  attribuant  les  propriétés  de  l'être  ou 
de  la  chose  au  non-ètre  ;  mais  n'oublions  jamais  que 
le  non-ètre,  ou  ce  qui  n'existe  pas,  n'a  aucun  véri- 
table attribut,  et  qu'on  ne  sauroit  concevoir  en 
lui  eu  aucune  façon  la  partie,  le  tout,  le  sujet ,  l'ad- 
joint, etc.,  et  c'est  bien  conclure,  lorsque  vous  dites 


a/jO  LKTTRES. 

que  l'esprit  se  joue  aveeses  propres  ombres,  lors- 
qu'il considère  les  êtres  de  raison. 

Un  nombre  certain  et  fini  de  stades  suffira ,  etc. 
Mais  il  répugne  à  mes  idées  d'assigner  des  bornes 
au  monde ,  et  ma  perception  est  la  seule  règle  de 
ce  que  je  dois  affirmer  ou  nier.  C'est  pour  cela 
que  je  dis  que  le  monde  est  indéterminé  ou  indé- 
fini, pareeque  je  n'y  connois  aucunes  bornes  , 
mais  je  n  oserois  dire  qu'il  est  infini ,  pareeque  je 
conçois  que  Dieu  est  plus  grand  que  le  monde, 
non  à  raison  de  son  étendue  que  je  ne  conçois 
point  en  Dieu ,  comme  j'ai  dit  plusieurs  fois,  mais 
à  raison  de  sa  perfection. 

AUX  DERNIKBES  INSTANCES. 

Si  vous  le  faites ,  etc.  Je  ne  sais  point  certaine- 
ment si  le  reste  de  ma  Philosophie  verra  le  jour, 
pareequ'il  faudroit  pour  cela  faire  plusieurs  expé- 
riences ,  lesquelles  je  ne  sais  si  j'aurai  jamais  la 
commodité  de  faire  ;  mais  j'espère  donner  cet  été 
un  petit  Traité  des  passions ,  dans  lequel  on  verra 
clairement  comment  tous  les  mouvements  de  nos 
membres  qui  accompagnent  nos  passions  ou  af- 
fections sont  produits,  selon  moi,  non  par  notre 
âme ,  mais  par  le  seul  mécanisme  de  notre  corps. 
Quant  aux  signes  que  font  les  chiens  avec  leurs 
queues ,  ce  sont  les  seuls  mouvements  qui  accom- 
pagnent les  affections,  et  je  crois  qu'il  faut  les 


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LETTRES.  24l 

distinguer  soigneusement  de  la  parole,  qui  seule 
est  un  signe  certain  de  la  pensée  qui  est  cachée 
dans  le  corps  :  vous  pourriez  dire  la  même  chose 
des  enfants  ,  etc. 

11  y  a  une  grande  différence  entre  les  enfants  et 
les  brutes  ;  cependant  je  ne  croirois  pas  que  les 
enfants  eussent  une  âme ,  si  je  ne  voyois  qu'ils  sont 
de  la  même  nature  que  les  adultes.  Pour  les  brutes, 
elles  ne  parviennent  jamais  à  un  âge  où  Ton  puisse 
remarquer  en  elles  le  moindre  signe  de  pensée. 

AUX  QUESTIONS. 

A  la  première.  Il  répugne  à  ma  pensée  ,  ou ,  ce 
qui  est  le  même,  il  implique  contradiction  que 
le  monde  soit  fini  ou  terminé,  pareeque  je  ne 
puis  ne  pas  concevoir  un  espace  au-delà  des  bor- 
nes du  monde ,  quelque  part  où  je  les  assigne  ;  or 
un  tel  espacé  est  selon  moi  un  vrai  corps.  Je 
ne  m'embarrasse  point  que  les  autres  l'appellent 
imaginaire,  et  que  par  conséquent  ils  croient  le 
monde  fini ,  car  je  sais  de  quel  préjugé  naît  cette 
erreur. 

A  la  seconde.  En  imaginant  une  épée  qui  passe 
au-delà  des  bornes  du  monde,  vous  prouvez  que 
vous  ne  concevez  pas  le  monde  comme  fini  ;  car 
vous  concevez  comme  partie  réelle  du  monde  tout 
lieu  que  l'épée  touche ,  bien  que  vous  donniez  le 
nom  de  vide  à  la  chose  que  vous  concevez. 
10. 


LETTRES. 

A  la  troisième.  Je  ne  saurois  mieux  expliquer 
la  force  réciproque  dans  la  séparation  mutuelle 
de  deux  corps  au  respect  l'un  de  l'autre ,  qu'en 
supposant  un  petit  bateau  dont  le  fond  touche 
le  sable ,  le  long  des  bords  d'un  fleuve ,  et  deux 
hommes,  l'un  desquels  se  tenant  sur  le  rivage, 
pousse  avec  ses  mains  le  petit  bateau  pour  l'écar- 
ter de  la  terre,  et  un  autre  homme  se  tenant  sur 
le  même  bateau  qui  pousse  le  rivage  avec  ses 
mains,  pour  écarter  aussi  le  bateau  de  la  terre 
si  les  forces  de  ces  deux  hommes  sont  égales , 
l'effort  de  celui  qui  est  à  terre  et  qui  par  consé- 
quent est  joint  à  la  terre,  ne  sert  pas  moins  au 
mouvement  du  bateau ,  que  l'effort  de  l'autre  qui 
est  transporté  avec  le  bateau  ;  d'où  il  est  clair  que 
l'action  qui  fait  reculer  le  bateau  de  la  terre  n'est 
pas  moindre  sur  la  terre  même  que  dans  le  bateau , 
et  cet  homme  qui  s'éloigne  de  vous  pendant  que 
vous  êtes  assis  ne  fait  pas  une  difficulté;  car  lors- 
que je  parle  ici  du  transport ,  j'entends  seulement 
celui  qui  se  fait  par  la  séparation  de  deux  corps 
qui  se  touchent  immédiatement. 

A  la  quatrième.  Le  mouvement  de  la  lune  dé- 
termine la  matière  céleste,  et  par  conséquent  la 
terre  qui  fait  un  tout  avec  elle,  en  sorte  qu'elle  est 
emportée  plutôt  d'un  côté  que  d'un  autre  ;  c'est  -à- 
dire,  comme  on  voit  dans  la  figure,  plutôt  de  la 
partie  A  vers  B  que  vers  D,  sans  lui  communiquer 


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LETTRES. 

pour  cela  la  vitesse  du  mouvement  ;  et  comme 
cette  vitesse  dépend  de  la  matière  céleste,  et  qu'elle 
se  meut  à  peu  près  aussi  vite  contre  la  terre  que 
vers  la  lune ,  la  terre  devroit  avoir  un  mouvement 
deux  fois  plus  rapide  que  celui  qu  elle  a  pour 
faire  soixante  fois  son  tour  dans  le  même  temps 
que  la  lune  ne  feroit  qu'une  fois  le  sien ,  plus  grand 
soixante  fois  que  celui  de  la  terre,  si  la  grandeur 
ne  s'y  opposoit,  comme  je  l'ai  dit  à  l'article  1 5  1 
de  la  treizième  partie,  pag.  3oi. 

A  la  cinquième.  Je  ne  suppose  point .  d'autre 
lien  et  d'autre  ténacité  dans  les  plus  petites  par- 
ties de  la  matière ,  que  celle  que  je  conçois  dans 
les  parties  grandes  et  sensibles  qui  dépendent  du 
mouvement  et  du  repos  des  parties;  mais  il  faut 
observer  que  les  parties  cannelées  sont  formées 
d'une  matière  très  subtile,  et  divisée  en  petites 
parties  innombrables  ou  indéfinies  qui  se  joignent 
ensemble  pour  les  composer,  en  sorte  que  je  con- 
çois un  plus  grand  nombre  de  petites  parties  dans 
chaque  partie  cannelée,  que  l'on  n'en  conçoit  com- 
munément dans  les  plus  grands  corps. 

A  la  sixième.  J'ai  tâché  d'expliquer  dans  le 
traité  des  passions  la  plupart  des  choses  que  vous 
demandez  ici.  J'ajoute  seulement  que  je  n'ai  rien 
trouvé  jusqu'ici  sur  la  nature  des  choses  maté- 
rielles dont  je  ne  puisse  donner  très  facilement 

une  raison  mécanique,  et  comme  il  ne  messied 

16. 


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244  LETTRES. 

pas  à  un  philosophe  de  croire  que  Dieu  peut 
mouvoir  le  corps ,  quoiqu'il  ne  pense  pas  que 
Dieu  soit  corporel ,  il  ne  lui  messied  pas  aussi  de 
croire  quelque  chose  de  semblable  des  substances 
incorporelles  :  et  bien  que  je  croie  qu'aucune  ma- 
nière d'agir  ne  convient  dans  le  même  sens  à  Dieu 
et  aux  créatures  ,  j'avoue  cependant  que  je  ne 
trouve  en  moi-même  aucune  idée  qui  me  repré- 
sente une  manière  différente  dont  Dieu  ou  un 
ange  peuvent  mouvoir  la  matière  de  celle  qui  me 
représente  la  matière  dont  je  suis  convaincu  en 
moi-même ,  que  je  puis  mouvoir  mon  corps  par 
ma  pensée;  et  véritablement  ma  pensée  ne  peut 
pas  tantôt  s'étendre ,  tantôt  se  rassembler  par  rap- 
port au  lieu  à  raison  de  sa  substance,  mais  seule- 
ment à  raison  de  sa  puissance,  qu'elle  peut  appli- 
quer à  des  corps  plus  grands  ou  plus  petits. 

A  la  septième.  Si  le  monde  avoit  été  de  toute 
éternité,  certainement  cette  terre  ne  seroit  pas 
depuis  l'éternité;  mais  il  s'en  seroit  produit  d'au- 
tres en  différents  endroits  ,  et  toute  la  matière 
n'auroit  pas  été  réduite  au  premier  élément;  car 
comme  quelques  unes  de  ses  parties  se  brisent  en 
certains  endroits ,  d'autres  s'unissent  ensemble  en 
d'autres  lieux  sans  qu'il  y  ait  plus  de  mouvement 
ou  d'agitation  en  un  temps  qu'en  un  autre  dans 
tout  l'univers. 

A  la  huitième.  Par  la  manière  dont  j'ai  décrit  la 


r 


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LETTRES.  2/|5 

production  de  la  terre,  c'est-à-dire  des  parties  de 
la  matière  du  premier  élément  qui  se  réunissent 
les  uns  aux  autres,  il  s'ensuit  évidemment  que  les 
parties  d'eau  et  toutes  les  autres  qui  sont  dans  la 
terre  ont  des  pores;  car,  comme  ce  premier  élé- 
ment n'est  composé  que  des  parties  indéfiniment 
divisées,  il  s'ensuit  de  là  qu'il  faut  concevoir  des 
pores  jusques  à  la  dernière  division  possible  dans 
tous  les  corps  qui  en  sont  composés. 

À  la  neuvième.  Par  ce  que  j'ai  dit  ci-dessus  de 
deux  hommes ,  dont  l'un  est  mû  avec  le  bateau  et 
l'autre  demeure  immobile  sur  le  rivage,  j'ai  fait 
assez  voir  que  je  ne  crois  pas  qu'il  y  ait  rien  de 
plus  positif  dans  le  mouvement  de  l'un  que  dans 
le  repos  de  l'autre. 

Je  ne  comprends  pas  bien  ce  que  veulent  dire 
ces  derniers  mots  :  An  ulla  res  affectionem  habere 
potest  naturaliter  et  à  se  qut  penitus  potest  destitui, 
vel  quant  aliunde  potest  adsciscere. 

Au  reste,  monsieur,  je  vous  prie  d'être  très 
persuadé  que  je  recevrai  toujours  avec  beaucoup 
de  plaisir  toutes  les  questions  et  les  objections 
que  vous  me  ferez  sur  mes  ouvrages,  et  que  je 
tâcherai  d'y  répoudre  le  mieux  qu'il  rne  sera  possi- 
ble. Je  suis  avec  un  parfait  attachement,  etc. 

A  Egtuond,  le  i5  avril  164^. 


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2^6  LETTRES. 

> 

LETTRE  DE  M.  MORUS  - 

A  M.  DESCARTES. 
(Lettre  70  du  tome  I,  Version.) 

Monsieur, 

J'eus  toutes  les  peines  du  monde,  quand  j'eus 
reçu  votre  dernière  lettre ,  de  m'empècher  de  vous 
récrire  sur-le-champ ,  bien  que  c'eût  été  à  moi  une 
incivilité  de  le  faire ,  ayant  compris  par  les  termes 
de  votre  lettre  que  vous  seriez  occupé  durant  plu- 
sieurs semaines.  De  plus  je  me  trouvai  dans  un  tel 
embarras  depuis  la  mort  de  mon  père ,  que ,  malgré 
tout  mon  empressement ,  je  n'aurois  pu  trouver 
un  moment  commode  pour  cela.  Aujourd'hui  que 
j'ai  assez  de  loisir ,  je  reviens  à  vous ,  et  à  votre  phi- 
losophie, et  je  vous  rends  mille  grâces  de  la  bonté 
que  vous  avez  eue  de  m'accorder  plein  pouvoir  de 
faire  sur  vos  écrits  toutes  les  questions  et  toutes 
les  objections  qu'il  me  plairoit. 

Mais  pour  ne  pas  abuser  de  votre  honnêteté  par 
des  altercations  éternelles  (car  jusques  ici  nous 
n'avons  touché  que  cette  partie  de  la  philosophie 
qui  est  toute  dans  les  combats  des  mots,  et  dans 

«  «  1649  ,  a3  juillet.  •» 


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LETTRES. 

des  subtilités  épineuses,  nous  étant  toujours  tenus 
sur  les  frontières  de  la  physique ,  de  la  métaphysi- 
que et  de  la  logique),  je  me  hâte  présentement 
d'arriver  à  des  questions  qui  demandent  un  juge- 
ment plus  solide  et  plus  ferme.  Je  remarquerai 
seulement  en  passant,  sur  la  réponse  que  vous  avez 
faite  à  mes  premières  instances,  pour  ce  qui  re- 
garde les  anges  et  les  âmes  séparées  du  corps ,  si 
elles  connoissent  immédiatement  et  par  elles-mê- 
mes quelle  est  leur  essence.  Cette  connoissance  ne 
peut  être  appelée  proprement  un  sentiment,  si 
nous  les  supposons  absolument  incorporels.  J'aime- 
rois  donc  mieux  dire  avec  les  platoniciens,  les  an- 
ciens Pères,  et  presque  tous  les  philosophes,  que  les 
âmes  humaines ,  tous  les  génies  tant  bons  que  mau- 
vais, sont  corporels,  et  que  par  conséquent  ils  ont 
un  sentiment  réel ,  c'est-à-dire  qui  leur  vient  du 
corps  dont  ils  sont  revêtus;  et  en  effet,  comme  je 
ne  me  promets  rien  que  de  grand  de  votre  esprit, 
vous  me  feriez  un  sensible  plaisir  si  vous  vouliez  me 
communiquer  en  peu  de  mots  ce  que  vous  pensez 
là-dessus;  cette  pénétration  et  cette  force  d'esprit 
que  je  reconnois  en  vous  me  sont  un  gage  assuré 
que  vos  conjectures  sur  ce  sujet  ne  peuvent  être 
que  très  ingénieuses  :  car,  quant  à  l'ostentation  de 
certains  philosophes  qui  nient  hardiment  l'exis- 
tence de  toute  substance  séparée  du  corps,  comme 
celle  des  démons,  des  anges,  et  des  âmes  après  la 


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248  LETTRES. 

mort ,  et  qui  semblent  s'applaudir  là-dessus  comme 
d'une  heureuse  découverte  et  d'un  effort  de  l'esprit 
humain  qui  les  rend  plus  habiles  que  tous  les  autres 
hommes,  je  ne  fais  aucun  cas  de  ce  sentiment,  car 
j'ai  remarqué  plusieurs  fois  que  ces  sortes  de  gens 
étoient  pour  la  plupart  des  âmes  de  sang  et  de  boue, 
de  noirs  et  d'affreux  mélancoliques  livrés  aux  sens 
et  à  la  volupté,  et  enfin  des  athées  véritables;  car 
ce  que  la  religion  leur  apprend  de  la  nécessité  d'un 
Dieu,  n'opère  en  eux  que  comme  une  vaine  super- 
stition; pour  moi  je  veux  bien  faire  cette  profession 
publique  de  foi,  que  toute  religion  à  part,  je  re- 
connois  volontiers  qu'il  y  a  des  génies  et  un  Dieu 
tel ,  que  les  plus  honnêtes  gens  et  les  plus  sensés 
désireroient  qu'il  fut,  si  par  impossible  il  n'y  en 
a  voit  point  ;  ce  qui  m'a  toujours  fait  regarder  l'a- 
théisme comme  le  comble  de  la  méchanceté  la  plus 
débordée ,  et  de  la  stupidité  la  plus  brutale,  et  la 
gloire  que  les  athées  retirent  de  leur  impiété,  assez 
semblable  à  la  fausse  joie  d'un  peuple  insensé  qui 
se  féliciîeroit  et  se  sauroit  bon  gré  du  meurtre  d'un 
roi  très  sage  et  très  humain  :  mais  je  reviens  de 
l'écart  que  mon  zèle  m'a  fait  faire. 

2.  A  l'égard  de  votre  démonstration ,  à  la  faveur 
de  laquelle  vous  concluez  que  toute  substance 
étendue  est  capable  d'être  touchée,  et  qu'elle  est 
impénétrable,  il  me  semble  qu'on  peut  dire  con- 
tre ,  que ,  dans  la  substance  étendue ,  les  par* 


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LETTRES. 

ties  peuvent  être  les  unes  hors  des  autres,  sans 
une  mutuelle  résistance;  ce  qui  détruit  cette 
faculté  d'être  touchée  :  d'ailleurs  que  l'étendue 
avec  la  substance  se  replie  sur  le  reste  de  l'étendue 
et  de  la  substance ,  et  qu'elle  ne  périt  pas  davantage 
que  cette  partie  de  la  substance  qui  retourne  dans 
l'autre ,  et  de  là  tombe  son  impénétrabilité.  Je  vous 
proteste  que  je  conçois  clairement  et  distinctement 
toutes  ces  choses.  Quant  à  ce  que  quelque  chose 
de  réel  peut  être  renfermé  sans  aucune  diminution 
de  sa  part  dans  des  bornes  plus  ou  moins  étroites, 
cela  se  prouve  par  le  mouvement  même  selon  vos 
Principes;  car,  selon  vous,  le  même  mouvement 
spécifique  occupe  aussi  tantôt  un  plus  grand, 
tantôt  un  moindre  sujet.  Pour  moi  je  conçois  avec 
la  même  facilité  et  la  même  clarté  qu'il  peut  y  avoir 
une  substance  qui  se  dilate  ou  se  resserre  sans  au- 
cune diminution,  soit  que  cela  arrive  par  soi-même 
ou  d'autre  part.  Enfin,  je  suis ,  je  vous  assure,  sur- 
pris que  vous  ne  puissiez  pas  comprendre  que 
l'âme  humaine  ou  l'ange  soient  presque  étendue 
de  cette  manière,  comme  si  cela  impliquent  con- 
tradiction. Je  croirois  plutôt  qu'il  y  auroit  con- 
tradiction que  la  puissance  de  l'âme  rut  étendue, 
lorsque  l'âme  elle-même  ne  le  seroit  en  aucune 
façon;  car  la  puissance  de  l'âme  étant  un  mode 
intrinsèque  de  l'âme,  elle  n'est  pas  hors  de  l'âme 
même,  comme  cela  est  clair.  Il  faut  dire  la  même 


250  LETTRES. 

chose  de  Dieu,  ce  qui  fait  que  je  suis  dans  un  pa- 
reil étonnement  de  ce  que  dans  votre  réponse  à 
nies  pénultièmes  instances  vous  avouez  qu'il  est 
partout  à  raison  de  sa  puissance,  et  non  à  raison 
de  son  essence ,  comme  si  la  puissance  divine ,  qui 
est  un  mode  de  Dieu,  étoit  située  hors  de  Dieu, 
puisque  chaque  mode  réel  est  toujours  intimement 
uni  à  la  chose  dont  il  est  mode;  d'où  il  s'ensuit 
nécessairement  que  Dieu  est  partout,  si  sa  puis- 
sance est  partout. 

Et  je  ne  saurois  soupçonner  que  par  puissance 
divine  vous  vouliez  entendre  un  effet  transmis  à  la 
matière.  Si  vous  entendiez  même  cela,  la  chose, 
selon  moi ,  reviendroit  au  même ,  car  cet  effet  n'est 
transmis  que  par  la  puissance  divine,  qui  touche 
la  matière  qui  reçoit  son  impression,  c'est-à-dire 
qui  est  unie  à  elle  par  quelque  mode  réel ,  et  par 
conséquent  cette  puissance  est  étendue,  sans  être 
pour  cela  séparée  de  l'essence  divine  ;  car  il  semble  , 
comme  j'ai  dit,  qu'il  y  a  là  une  contradiction  ma- 
nifeste, mais  je  ne  veux  pas  m'arrêter  sur  cela  da- 
vantage. 

Je  me  hâte  de  passer  aux  questions,  après  vous 
avoir  dit  la  peine  que  je  sens  de  ne  plus  espérer 
d'avoir  la  suite  de  votre  Philosophie  :  ce  qui  me 
soutient,  c'est  l'espérance  certaine  de  ce  traité  si 
désiré  que  nous  verrons  mettre  au  jour  cet  été;  je 
souhaite  qu'il  vienne  bientôt  et  heureusement. 


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LETTRES*  25l 

AUX  RÉPONSES  SUR  LES  QUESTIONS. 

A  la  première  et  à  la  seconde,  vous  répondez 
toujours  constamment  et  conformément  à  vos  Prin- 
cipes, ce  que  j'attends  et  j'approuve  de  chacun  ,  si 
un  meilleur  sentiment  ne  l'emporte.  A  la  troisième 
voici  le  gain  que  j'ai  fait  avec  votre  petit  bateau: 
1 .  Que  par  rapport  au  mouvement  il  y  a  une  résis- 
tance mutuelle  entre  les  deux  corps  qu'on  dit  être 
mus.  2.  Que  le  repos  est  une  action,  je  veux  dire 
un  effort  pour  résister.  3.  Que  deux  corps  qui  se 
meuvent  sont  immédiatement  séparés.  4-  Que  cette 
séparation  immédiate  est  ce  mouvement,  ou  ce 
transport  précis;  mais  lorsque  deux  corps  se  sépa- 
rent l'un  de  l'autre ,  si  vous  n'ajoutez  à  l'idée  de  ce 
transport  ou  de  ce  mouvement  une  force  dans  l'un 
et  dans  l'autre  qui  les  sépare  et  qui  les  divise,  ce 
mouvement  sera  seulement  un  rapport  extrinsèque 
ou  quelque  chose  même  de  moins;  car  être  séparé 
signifie  ou  que  la  surface  des  corps  qui  se  tou- 
choient  mutuellement  auparavant  est  à  présent 
éloignée  l'une  de  l'autre  (or,  la  distance  des  corps 
est  seulement  un  rapport  extrinsèque),  ou  signifie 
ne  pas  toucher  ce  qui  étoit  touché  auparavant;  ce 
qui  est  seulement  une  privation  ou  une  négation. 
Je  ne  comprends  pas  bien  votre  pensée  là-dessus. 

Pour  moi,  si  je  voulois  m'en  croire,  je  dirois 
que  le  mouvement  est  cette  force  ou  cette  action 


fl5a  LETTRES. 

par  laquelle  les  corps  que  vous  dites  se  mouvoir 
se  détachent  mutuellement  l'un  de  l'autre ,  et  que 
leur  séparation  immédiate  est  l'effet  dudit  mouve- 
ment, quoique  cette  séparation  soit  seulement  ou 
un  rapport  ou  une  privation  ;  mais  vous  avez  rai- 
sonné autrement  dans  l'explication  de  la  définition 
du  mouvement  à  l'article  25  de  la  seconde  partie, 
p.  88,  où,  pour  vous  dire  le  vrai,  je  n'entends  pas 
bien  votre  pensée.  Vous  avez  répondu  d'une  ma- 
nière claire  et  précise  aux  autres  questions  que  je 
vous  ai  proposées  :  mais  pour  avoir  une  plus  par- 
faite intelligence  de  celles  que  j'ai  faites  en  assez 
grand  nombre  à  la  sixième,  j'attends  avec  empres- 
sement votre  livre  des  passions. 

Au  reste,  sur  mes  dernières  paroles,  Si  quelque 
chose  9  etc. ,  il  m'étoit  venu  dans  l'esprit  une  vaine 
subtilité  qui  m'est  échappée,  et  que  je  ne  me  sou- 
cie pas  de  rappeler.  Je  demande  seulement  dere- 
chef si  la  matière  abandonnée  à  elle-même ,  c'est-à- 
dire  ne  recevant  aucune  impulsion  d'ailleurs, 
seroit  en  mouvement  ou  en  repos.  Si  elle  se  meut 
naturellement  d'elle  même,  la  matière  étant  homo- 
gène, et  par  conséquent  le  mouvement  étant  par- 
tout égal,  il  s'ensuit  que  la  matière  seroit  divisée 
en  des  parties  si  infiniment  petites  qu'on  ne  sau- 
roit  rien  ôter  absolument  d'aucune  petite  parcelle, 
car  tout  ce  que  l'on  conçoit  pouvoir  être  ôté  est 
déjà  fait  à  cause  de  la  force  intime  du  mouvement 


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LETTRES.  2clO 

qui  pénètre  toute  la  matière,  ou,  si  vous  voulez, 
qui  lui  est  naturel ,  et  les  parties  ne  s'attacheroient 
pas  davantage  les  unes  aux  autres,  et  les  unes  ne 
prendroient  pas  un  cours  différent  des  autres, 
puisqu'elles  sont  entièrement  semblables,  selon 
toutes  les  manières  qu'on  peut  imaginer;  car  on 
ne  sauroit  s'imaginer  dans  une  figure  aucune 
âpreté  ou  aucun  angle  qui  n'ait  été  brisé,  jus- 
qu'au dernier  point  où  le  mouvement  peut  aller, 
et  il  ne  faut  admettre  aucune  inégalité  de  mou- 
vement dans  aucune  petite  parcelle,  puisque  la 
matière  est  supposée  parfaitement  homogène.  Si 
la  matière  se  mouvoit  donc  naturellement,  il  n'y 
auroit  ni  soleil,  ni  ciel,  ni  terre,  ni  tourbillons, 
ni  rien  d'hétérogène  ou  de  sensible,  et  qui  pût 
tomber  sous  l'imagination  dans  la  nature:  ainsi 
vous  verriez  périr  cet  art  merveilleux  par  lequel 
vous  voulez  que  se  puissent  former  les  cieux, 
la  terre,  et  toutes  les  autres  choses  sensibles. 

Que  si  vous  dites  que  la  matière  est  de  soi- 
même  en  repos,  à  moins  qu'elle  ne  reçoive  le 
mouvement  d'ailleurs,  et  que  ce  repos  est  quel- 
que chose  de  positif,  il  s'ensuivroit  que  la  matière 
souffriroit  une  violence  éternelle ,  et  qu'un  de  ses 
modes  naturels  seroit  détruit  pour  toujours  et  cè- 
deroit  à  son  contraire,  ce  qui  paroît  un  peu  dif- 
ficile à  admettre.  Je  ne  sais  même  s'il  seroit  plus 
sûr  de  dire  que  le  repos  est  la  privation  ou  la  né- 


2L)/f  LETTRES. 

gation  du  mouvement;  car  on  anéantiroit  par  là 
toute  cette  force  de  résister  que  vous  reconnoissez 
dans  la  matière  en  repos,  bien  que  cela  produise 
encore  quelque  embarras  dans  mon  esprit;  car  en 
disant  que  le  repos  est  une  action  de  la  matière,  il 
faut  nécessairement  reconnoître  que  le  mouvement 
n'est  que  cette  même  force  ;  en  effet ,  la  matière 
n'a  point  d'autre  action  que  le  mouvement  actuel , 
ou  bien  un  effort  pour  le  mouvement.  J'ai  donc 
là-dessus  de  furieux  scrupules ,  que  vous  me  ferez 
plaisir  de  m'ôter  le  plus  tôt  que  vous  pourrez.  Bien 
plus,  j'examine  si  rigoureusement  ces  principes, 
qu'il  me  vient  une  nouvelle  difficulté  sur  la  nature 
du  mouvement;  car  si  le  mouvement  est  un  mode 
du  corps,  comme  la  figure,  l'arrangement,  les  par- 
ties, etc.,  comment  se  pourra-t-ii  faire  qu'il  passe 
plutôt  d'un  corps  dans  un  autre,  que  les  autres 
modes  corporels  ?  Et  en  général  je  ne  saurois  con- 
cevoir comment  il  se  peut  faire  que  quelque  chose 
qui  ne  peut  pas  être  hors  du  sujet ,  tels  que  sont 
tous  les  modes,  passe  pourtant  dans  un  autre 
sujet.  Je  demanderai  ensuite  si  lorsqu'un  corps 
heurte  un  moindre  corps  qui  est  en  repos,  et 
qu'il  l'emporte  avec  soi,  le  repos  du  corps  qui 
étoit  en  repos  ne  passe  pas  indifféremment  dans 
celui  qui  étoit  en  mouvement ,  comme  le  mouve- 
ment est  passé  dans  celui  qui  étoit  en  repos;  car 
il  semble  que  le  repos  est  quelque  chose  d'oisif,  et 


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LETTRES.  255 

de  si  paresseux  qu'il  plaint  le  chemin  qu'il  auroit 
à  faire;  cependant  comme  il  n'est  pas  moins  réel 
que  le  mouvement,  la  raison  veut  qu'il  passe  à 
l'autre  corps;  enfin  je  suis  dans  un  vrai  étonne- 
ment  lorsque  je  considère  qu'une  chose  aussi 
légère  et  aussi  vile  que  le  mouvement,  qui  peut 
être  séparée  du  sujet  et  passer  dans  un  autre  corps, 
qui  d'ailleurs  est  d'une  nature  si  foible  et  si  pas- 
sagère qu'il  périroit  entièrement  s'il  n'étoit  sou- 
tenu par  son  sujet,  soit  pourtant  capable  de  lui 
donner  un  si  grand  branle,  et  le  pousser  avec  au- 
tant de  force  de  côté  et  d'autre. 

J'avoue  que  je  me  sens  plus  porté  à  croire  qu'il 
n'y  a  point  de  communication  de  mouvement: 
mais  que  par  la  seule  impulsion  d'un  corps,  un 
autre  corps  sort,  pour  ainsi  dire,  de  son  état  d'in- 
dolence pour  entrer  en  mouvement,  comme  l'âme 
a  une  telle  pensée  par  telle  et  telle  occasion ,  et 
que  le  corps  ne  reçoit  pas  tant  le  mouvement 
qu'il  s'y  détermine,  étant  averti  par  un  autre;  et, 
comme  j'ai  dit  ci-dessus ,  le  mouvement  est  par 
rapport  au  corps  ce  que  la  pensée  est  par  rap- 
port à  l'âme  :  ni  l'un  ni  l'autre  n'est  reçu  dans  son 
sujet,  mais  ils  naissent  du  sujet  dans  lequel  ils  se 
trouvent;  et  véritablement  tout  ce  qu'on  appelle 
corps  n'a  qu'une  vie,  pour  ainsi  dire,  pleine  de 
stupidité  et  d'ivresse,  et  je  ne  le  regarde  que 
comme  la  dernière  et  la  plus  infime  ombre  de  l'es- 


256  LETTRES. 

sence  divine,  qui  est  la  véritable  vie  et  la  vie  très 
parfaite:  enfin  il  est  comme  une  idole  qui  n'a  ni 
sentiment,  ni  réflexion.  Au  reste  ce  passage  des 
mouvements  d'un  sujet  à  un  autre ,  soit  du  plus 
grand  au  moindre ,  ou  réciproquement ,  comme 
j'ai  dit  ci-dessus ,  représente  tout-à-fait  bien  la 
nature  de  mes  esprits  étendus  qui  peuvent  se 
ramasser,  et  puis  s'étendre,  pénétrer  facilement 
la  matière  sans  la  remplir,  l'agiter  en  tous  sens, 
et  la  mouvoir,  et  le  tout  sans  aucunes  machines, 
et  sans  liens  ni  crochets  ;  mais  je  me  suis  arrêté 
ici  plus  long-temps  que  je  ne  pensois.  Je  me  hâte 
d'arriver  à  mon  but ,  je  veux  dire  à  ces  nouvelles 
questions  que  j'ai  à  vous  proposer  sur  chaque 
article  des  principes  de  votre  Philosophie,  dont 
je  ne  comprends  pas  encore  assez  bien  la  force. 

Sur  l'article  8  de  la  première  partie  des  Principes, 

page  5,  ligne  16. 

Nous  connaissons  manifestement,  etc.  Nous  ne 
voyons  pas  manifestement  que  l'étendue ,  la  figure 
et  le  mouvement  local  appartiennent  à  notre  na- 
ture, mais  nous  ne  voyons  pas  aussi  le  contraire. 
Plût  à  Dieu  que  vous  pussiez  me  donner  ici  une 
bonne  démonstration  qu'un  corps  ne  sauroit  pen- 
ser. 

Sur  l'art.  37,  ibùL,  page  25,  ligne  27. 

N'est-ce  pas  une  plus  grande  perfection  que 


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LETTRES. 

l'homme  puisse  seulement  vouloir  ce  qui  lui  seroit 
le  plus  avantageux,  que  de  pouvoir  aussi  le  con- 
traire, puisqu'il  vaut  mieux  toujours  être  heureux, 
que  cl  être  quelquefois  ou  même  toujours  comblé 
de  louanges. 

Sur  l'art.  54  ibid.,  pag.  3g,  lig.  12. 

Je  répète  ici  derechef  qu'il  faut  nous  démontrer 
que  rien  d'étendu  ne  pense ,  ou ,  ce  qui  paroîtra 
plus  facile,  qu'aucun  corps  ne  peut  penser:  c'est 
là  un  sujet  digne  de  votre  esprit. 

Sur  l'art.  60,  ibid.,  pag.  44  et  suiv. 

Quoique  l'âme  puisse  se  considérer  elle-même 
comme  une  chose  qui  pense,  en  excluant  toute 
extension  corporelle  de  cette  pensée,  on  ne  peut 
conclure  de  là,  sinon  que  l'âme  peut  être  corpo- 
relle, ou  incorporelle,  mais  non  pas  que  de  fait  elle 
soit  incorporelle;  il  faut  donc  vous  prier  derechef 
de  démontrer,  par  quelques  opérations  de  1  ame 
qui  ne  puissent  convenir  à  la  matière  corporelle, 
que  notre  âme  est  incorporelle. 

Sur  l'article  a5  de  la  seconde  partie  des  Principes, 

page  88,  ligne  3o. 

Et  non  pas  la  force  ou  l'action  qui  transporte, 
afin  de  montrer  que  le  mouvement  est  toujours  dans 
le  mobile  y  etc.  Est-ce  que  la  force  elle-même  et 
Faction  du  mouvement  ne  sont  pas  dans  la  chose 
mue? 

10*  17 


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LETTRES. 


Sur  l'art.  26,  pag.  89,  lig.  11. 

Y  a-t-il  donc  dans  les  choses  qui  sont  en  repos 
une  certaine  force  continuelle  qui  fait  qu'elles  se 
tiennent  dans  la  même  situation,  ou  une  action 
de  s'arrêter  et  de  se  fortifier  contre  toutes  les 
forces  qui  pourroient  séparer  leurs  parties  et  les 
disjoindre  ou  entraîner,  et  emporter  tout  le  corps 
autre  part;  en  sorte  qu'on  peut  très  bien  définir 
le  repos  une  certaine  force,  ou  une  action  interne 
du  corps  qui  lie  étroitement  les  parties  du  corps 
entre  elles  et  les  comprime,  et  qui  par  là  les  ga- 
rantit de  la  division  ou  de  la  séparation,  par  l'im- 
pulsion d'un  corps  étranger  ?  car  il  s'ensuivroit  de 
là  naturellement,  ce  que  je  croirois  volontiers,  que 
la  matière  est  une  espèce  de  vie  obscure,  que  je 
regarde  comme  la  dernière  ombre  de  la  divinité, 
et  qui  ne  consiste  pas  dans  la  seule  extension  des 
parties,  mais  dans  quelque  action  qu'elle  a  toujours, 
c'est-à-dire ,  ou  dans  le  repos ,  ou  dans  le  mouve- 
ment, auxquels  vous  accordez  vous-même  le  nom 
d'action. 

,  -, 

Sur  l'art.  3o,  ibid.,  pag.  9a,  lig.  a3. 

Cet  article  paroît  contenir  une  démonstration 
très  évidente,  que  le  transport,  ou  le  mouvement 
local,  n'est  réciproque  en  aucune  manière,  à  moins 
qu'on  ne  veuille  faire  seulement  attention  au  rap- 
port extrinsèque  des  corps  voisins. 


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LETTRES.  25<) 
Sur  l'art.  36,  ibid.,  pag.  100,  lig.  3. 

Je  demandes!  l'âme  humaine,  quand  elle  remue 
violemment  ses  esprits  par  une  longue  et  pénible 
attention,  ce  qui  ne  manque  pas  même  d  échauf- 
fer le  corps,  n'augmente  point  le  mouvement  de 
l'univers  ? 

Sur  l'art.  55,  ibid.y  pag.  119,  lig.  29. 

Un  cube  parfaitement  dur  et  plan  étant  mû  sur 
une  table  parfaitement  dure  et  parfaitement  plane, 
dans  le  même  instant  qu'on  arrête  son  mouvement, 
se  réunit-il  aussi  fermement  avec  la  table  que  les 
parties  du  cube  ou  de  la  table  le  sont  entre  elles, 
ou  reste-t-il  toujours  divisé  de  la  table,  ou  du 
moins  pour  un  temps,  après  le  repos?  Car  il  n'y  a 
aucune  compression  du  cube  vers  la  table,  puisque 
nous  imaginons  ce  mouvement  comme  fait  dans  le 
vide  sur  la  table  située  hors  des  murs  du  monde 
s'il  étoit  possible,  et  par  conséquent  dans  un  en- 
droit où  il  n'y  a  pas  lieu  à  la  pesanteur  ou  à  la  lé- 
gèreté ,  et  que  nous  supposons  que  le  mouvement 
est  arrêté  du  côté  auquel  tend  le  cube  :  il  paroît 
donc  par  la  loi  de  la  nature  que  le  cube  et  la  table 
étant  divisés  et  n'y  ayant  aucune  action  réelle  qui 
les  unisse,  il  paroît,  dis-je,  qu'ils  demeureront 
touiours  actuellement  divisés. 

Sur  les  art.  f;6  et  57,  ibid. ,  pag.  120  et  suiv. 
Je  ne  vois  point  la  nécessité  de  tout  cë  jeu  des 


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2Ô0  LETTRES. 

parties  autour  du  corps  B,  et  pourquoi  vous  faites 
décrire  de  si  grands  cercles  aux  petites  parties  de 
l'eau.  Il  suffiroit  d'observer  que  toutes  ces  petites 
parcelles  sont  égales  entre  elles,  soit  par  le  mouve- 
ment que  leur  donne  la  matière  subtile ,  soit  par 
rapport  à  leur  masse.  Car  il  suivra  de  là  que  le  corps 
B  étant  frappé  de  tous  côtés  par  les  petites  parties 
les  plus  voisines,  par  des  lignes  circulaires  ou 
autres,  il  se  tiendra  nécessairement  en  repos,  n'é- 
tant pas  plutôt  poussé  d'un  côté  que  d'un  autre. 

Sur  l'art.  57,  ibid.,  pag.  124,  lig.  22. 

Et  ne  continuent  plus  de  se  mouvoir  selon  des  lignes 
si  droites  y  etc.  Quoi!  parcequ'au  para  van  t  elles 
décrivoient  une  ligne  presque  ovale,  et  qu'elles 
suivent  présentement  une  ligne  qui  approche 
davantage  de  la  circulaire?  Je  ne  comprends  pas 
bien  cela. 

Sur  l'art.  60,  ibid. ,  pag.  128,  lig.  17. 

Mais  seulement  quelles  emploient  l'agitation 
qu'elles  ont  de  reste  à  se  mouvoir  en  plusieurs  autres 
façons.  La  vitesse  du  mouvement  et  sa  détermina- 
tion peuvent-elles  donc  souffrir  un  divorce?  car 
c'est  la  même  chose  que  si  on  supposoit  un  voya- 
geur courant  qui  dirigeât  sa  course  vers  Londres, 
et  que  cependant  la  vitesse  de  sa  course  fut  portée 
vers  Cantorbéry  ou  vers  Oxford;  subtilité  qu'au- 
cune de  ces  universités  ne  comprendra  jamais,  à 


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LETTRES.  26l 

moins  que  vous  ne  compreniez  peut-être  par  le 
mot  de  se  mouvoir  un  effort  de  mouvement  pour 
tendre  quelque  part. 

Sur  l'article  16  de  la  troisième  partie  des  Principes, 

page  i43. 

Est-ce  que  dans  le  système  de  Ptolomée  on  ne 
s'apercevroit  pas  des  changements  de  lumière 
qu'on  remarque  dans  Vénus?  un  peu  moins  sen- 
sibles à  la  vérité  que  ceux  qu'on  aperçoit  dans  la 
lune. 

Sur  l'art.  35,  îbid,,  pag.  i58. 

D'où  vient  que  toutes  les  planètes ,  et  même  les 
taches  du  soleil,  ne  sont  pas  emportées  dans  un 
même  plan,  je  veux  dire  dans  ce  plan  de  l'éclip- 
tique,  ou  du  moins  dans  des  plans  parallèles  à 
l'écliptique?  D'où  vient  pareillement  que  la  lune 
n'est  pas  emportée  ou  dans  le  plan  de  l'équaleur, 
ou  dans  un  plan  parallèle  à  l'équateur ,  puisque 
tous  ces  corps  ne  sont  point  dirigés  par  aucune 
action  intérieure,  mais  qu'ils  sont  tous  entraînés 
par  une  force  étrangère  ? 

Sur  les  art.  36  et  37,  ibid.,  pag.  160  et  161. 

Je  voudrois  aussi  que  vous  m'expliquassiez  la 
raison  des  aphélies,  et  les  périhélies  des  planètes, 
et  la  cause  pourquoi  ces  points  changent  de  lieu, 
surtout  puisqu'elles  sont  dans  le  même  tourbillon  ? 
Pourquoi  on  ne  trouvera  pas  dans  le  même  lieu 


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2Ô2  LETTRES. 

les  aphélies  et  les  périhélies  de  toutes  les  grandes 
planètes?  Comment  l'avance  des  équinoxes  naît  de 
vos  principes?  car  vous  pourrez  expliquer  ici  les 
causes  véritables  et  naturelles  de  ces  phénomènes, 
tandis  que  les  autres  ne  donnent  que  des  hypo- 
thèses feintes. 

Sur  l'art.  55,  ibid.9  pag.  181. 

Tous  les  corps  qui  se  meuvent  en  rond.  Mais  com- 
ment ces  espaces  immenses  de  matière  ont-ils  d'a- 
bord commencé  à  tourner  en  rond  et  à  former 
des  tourbillons? 

Sur  l'art.  57,  ibid.,  pag.  181. 

Mais  seulement  à  celte  partie  dont  l'effet  est  empê- 
ché par  la  fronde.  Il  paroît  plus  difficile  à  concevoir 
que  la  pierre  A  soit  empêchée  de  se  mouvoir  vers 
D ,  puisqu'en  effet  elle  n'y  est  jamais  portée,  et 
qu'elle  ne  continueroit  pas  son  chemin  vers  D,  si 
l'empêchement  étoit  ôté,  car  elle  continueroit  son 
chemin  vers  C. 

Sur  l'art.  59,  ibid.,  pag.  i83. 

Vous  dites  ici  qu'une  nouvelle  force  de  mouve- 
ment est  acquise ,  et  que  cependant  l'effort  est  re- 
nouvelé :  je  ne  sais  si  cela  quadre  bien  ;  car  si  une 
nouvelle  force  est  acquise  et  surajoutée ,  ce  n'est 
pas  un  renouvellement  de  mouvement,  mais  une 
augmentation.  Que  si  la  boule  A  en  se  mouvant 
augmente  son  mouvement,  étant  dans  le  même 


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LETTRES.  263 

point  du  bâton  ,  pourquoi  le  mouvement  en  se 
mouvant  toujours  ne  s'enflamme  et  ne  s'augmente- 
t-il  pas?  Or,  de  cette  manière  tout  seroit  allé  depuis 
long-temps  en  flamme. 

Sur  l'art.  62,  ibid.9  pag.  6a. 

Puisque  la  pression  et  l'effort  des  globules,  en 
quoi  consiste  l'action  de  la  lumière,  se  fait  selon 
toute  l'étendue  du  tourbillon ,  de  façon  que  la  base 
du  triangle  BFD  peut  être  dix  ou  cent  fois  plus 
grande  que  DB,  et  que  les  extrémités  de  cette 
grande  base  BD  fassent  un  effort  oblique  sur  les 
globules  pour  les  pousser  vers  l'œil  du  spectateur, 
qui  sera  au  sommet  du  triangle  en  F,  je  vous  de- 
mande pourquoi  la  lumière  du  soleil  ne  paroît  pas 
plus  grande  que  si  elle  ne  venoit  que  du  petit  cer- 
cle DCB. 

Sur  l'art.  7a,  ibid.,  pag.  199. 

Je  n'entends  point  du  tout  la  manière  ou  l'art 
de  tourner  la  matière  du  premier  élément  en  for- 
mes spirales,  ou  en  limaçon,  surtout  dans  les  lieux 
un  peu  éloignés  de  l'axe ,  à  moins  que  cela  ne  se 
fasse,  non  tant  parceque  les  globules  sont  tournés 
autour  des  parties  du  premier  élément,  que  par- 
ceque le  premier  élément,  peut-être  déjà  déterminé 
par  les  globules  à  tourner  autour  d'eux,  se  glissant 
ensuite  dans  ces  petits  espaces  triangulaires,  prenne 
de  lui-même  cette  figure  spirale.  Je  vous  supplie 


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2Ô4  LETTRES. 

d'expliquer  ici  plus  pleinement  votre  pensée.  Mais 
il  naît  de  là  un  autre  doute.  Comment  ces  petites 
parties  spirales  sont-elles  composées  de  particules 
très  déliées  et  très  rapidement  agitées  ?  comment  ces 
parties  très  petites  s'assemblent-elles  en  une  forme 
ou  en  une  masse  plus  considérable ,  surtout  cette 
contorsion  et  cette  obliquité  du  mouvement  ser- 
vant à  former  ces  petites  parties  cannelées? 

Sur  l'art.  82,  ibid.,  pag.  au. 

Celles  qui  sont  plus  hautes  et  celles  qui  sont  plus 
basses.  Cette  course  rapide  des  globules  d'en  haut 
me  paroît  une  espèce  de  prodige,  surtout  si  on  la 
compare  avec  celles  de  ceux  qui  sont  au  milieu  , 
et  qu'on  fasse  réflexion  qu'elle  excède  de  beaucoup 
les  causes  que  vous  apportez  dans  l'article  suivant. 
Si  vous  pouvez  trouver  quelque  autre  chose  qui 
rende  cette  doctrine  plus  recevable,  vous  me  ferez 
certainement  un  grand  plaisir  de  me  l'apprendre. 

Sur  l'art.  84,  ibid.,  pag.  214. 
Pourquoi  les  queues  des  comètes ,  etc.  Dans  l'im- 
patience où  je  suis  d'avoir  vos  explications  sur  tou- 
tes ces  matières,  je  me  saisis  de  la  première  oc- 
casion que  je  trouve  pour  vous  pousser  à  le  faire  : 
je  vous  prie  de  vouloir  bien  m'expliquer  pareille- 
ment cette  matière  en  deux  mots. 

Sur  l'art.  108,  ibid.,  pag.  239. 
Ou  bien  sont  chassées  vers  les  parties  du  ciel  qui  sont 


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LETTRES.  265 

proches  de  l'écliptique  GH.  D'où  vient  qu'elles  n'y 
sont  presque  pas  toutes  chassées,  plutôt  que  de 
composer  ce  que  vous  appelez  un  tourbillon ,  en 
passant  d'un  pôle  à  un  autre? 

Sur  l'art.  121,  ibid.,  pag.  260. 

Et  cette  détermination  peut  être  continuellement 
changée  par  diverses  causes.  Par  quelles? 

s 

Sur  l'art.  129,  ibid.,  pag.  260. 

Et  même  nous  ne  pouvons  l'y  apercevoir  que 
quand,  etc.  Pourquoi  le  flux  de  cette  matière  étant 
si  transparent  empêche-t-il  la  comète  d'être  aper- 
çue? car  la  matière  de  notre  tourbillon  ne  cache 
pas  à  nos  yeux  la  planète  de  Jupiter;  et  pourquoi 
est-il  nécessaire  que  la  planète  n'en  sorte  qu'enve- 
loppée de  la  matière  du  tourbillon  qu'elle  vient 
de  quitter  ? 

Sur  l'art.  i3o,  ibid.,  pag.  272. 

La  force  des  rayons  est  véritablement  diminuée. 
Pourquoi  pas  entièrement  perdue,  si  le  tourbillon 
ÀEIO  presse  avec  plus  de  force  ou  également  les 
tourbillons  voisins  qu'il  n'en  est  pressé  ? 

Sur  l'art.  iflg,  ibid.,  pag.  3oo. 

Elle  a  dû  venir  bientôt  vers  A,  etc.  Pourquoi  n'a- 
vance-t-elle  pas  jusqu'à  F,  et  ne  heurte-t-elle  pas 
même  la  terre  ? 

Parcequ'en  cette  façon  le  cours  quelle  a  pris  a  été 


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266  LETTRES. 

moins  éloigné  de  la  ligne  droite.  Je  ne  vois  pas  bien 
que  la  ligne  NA  continuée  avec  AB  forme  plutôt 
une  ligne  droite  que  la  même  NA  continuée  avec 
AD;  mais  puisque  la  lune  s'éloigne  du  centre  S 
selon  le  cours  des  globules  de  la  matière  éthérée , 
elle  doit  plus  naturellement  selon  moi  s'élever  vers 
B  que  de  descendre  vers  D. 

Sur  l'article  11  de  la  quatrième  partie  des  Principes, 

page  3a6. 

Et  que  la  terre  n'a  pas  de  soi-même  la  force  qui 
fait  qu  elle  tourne  en  vingt-quatre  heures  sur  son  es- 
sieu, etc.  Je  ne  vois  pas  qu'il  soit  nécessaire  de 
savoir  d'où  vient  ce  mouvement  circulaire,  pourvu 
qu'il  soit  dans  la  terre;  et  je  ne  comprends  pas 
pourquoi  ces  mouvements  circulaires  et  si  prompts 
de  la  terre  ne  repousseroient  pas  vers  les  cieux 
toute  la  matière  qui  l'environne,  quand  même  son 
mouvement  ne  lui  seroit  pas  propre;  mais  qu'il  lui 
viendroit  de  la  matière  céleste  interne,  si  l'agita- 
tion de  la  substance  éthérée  qui  l'entoure,  et  à  qui 
vous  accordez  un  mouvement  plus  rapide,  ne  l'em- 
pêchoit  de  le  faire  :  et  il  me  semble  qu'il  ne  faut 
pas  considérer  la  terre  comme  un  corps  en  repos 
par  rapport  à  l'effort  continuel  de  ses  parties  pour 
s'éloigner  du  centre.  Cela  paroît  nécessaire  en  tout 
corps  mû  circulairement;  mais  la  terre  peut  être 
dite  en  repos  en  tant  qu'elle  est  emportée  avec  la 
substance  éthérée  qui  l'entoure,  et  que  leurs  su- 


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LETTRES.  267 

icies  ne  sont  point  séparées.  Je  dis  ceci  pour 
savoir  de  vous  si  la  raison  pour  laquelle  les  parties 
de  la  terre  ne  sont  point  élancées  de  tous  côtés 
ne  doit  point  être  attribuée  à  la  seule  vitesse  du 
mouvement  des  parties  de  la  matière  éthérée. 

Sur  l'art.  a5,  ibid.,  pag.  329. 

Elles  ont  quelque  légèreté  à  came  du  mouvement 
de  leurs  parties.  Que  pensez-vous  donc  du  fer  qui 
est  froid,  et  de  celui  qui  est  chaud,  lequel  pèse 
davantage?  Outre  cela,  comment  une  certaine  quan- 
tité d'eau  est-elle  plus  légère  à  cause  du  mouvement 
des  parties ,  puisque  le  mouvement  de  ces  parties 
est  enfin  déterminé  en  bas  par  les  globules?  car  on 
doit  juger  que  la  pesanteur  d'un  corps  est  d'autant 
plus  grande  que  sa  chute  est  plus  rapide  ;  et  ainsi 
l'eau  seroit  plus  pesante  que  l'or. 

Sur  l'art.  27,  ibid.,  pag.  33a. 

A  moins  peut-être  que  quelque  cause  extérieure*  etc. 
Quelles  sont  ces  causes?  Faites-moi  la  grâce  de  me 
le  dire  en  deux  mots. 

Sur  l'art.  i33,  lig.  la,  ibid.,  pag.  443. 

Pensons  qu'il  y  a  en  la  moyenne  région  plusieurs 
pores  ou  petits  conduits  parallèles  à  son  essieu.  Le 
mot  de  parallélisme  me  fait  souvenir  ici  de  quel- 
ques difficultés  presque  insurmontables.  1 .  Pour- 
quoi vos  tourbillons  ne  sont-ils  pas  en  forme  de 
colonne  ou  de  cylindre  plutôt  que  d'ellipse,  puis* 


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268  LETTRES. 

que  chaque  point  de  Taxe  est  comme  un  antre 
duquel  la  matière  céleste  se  retire,  et,  autant  qu'il 
me  le  semble,  avec  un  mouvement  entièrement 
égal  :  d'ailleurs  (puisqu'il  faut  partout  que  les  glo- 
bules s'écartent  de  l'axe  avec  une  force  égale)  pour- 
quoi le  premier  élément  n'est-il  pas  également 
étendu  tout  le  long  de  l'axe  en  forme  de  cylindre, 
plutôt  que  d'être  repoussé  presque  vers  le  milieu 
de  l'axe,  et  d'y  être  ramassé  en  forme  de  globe  ;  car 
ce  qui  entre  du  premier  élément  par  les  deux  pôles 
du  tourbillon  n'empêche  point  que  tout  l'axe  ne 
doive  paroître  lumineux;  en  effet,  comme  les  glo- 
bules s'éloignent  avec  une  force  égale  de  tous  les 
points  de  l'axe,  les  courants  de  la  matière  très  sub- 
tile, qui  entre  avec  impétuosité,  trouveront  beau- 
coup plus  de  facilité  à  se  glisser  les  uns  sur  les  au- 
tres pour  arriver  aux  pôles  opposés ,  qu'à  se  former 
et  à  se  creuser  en  quelque  endroit  de  l'axe  un  es- 
pace plus  grand  que  le  tournoiement  actuel  et  uni- 
forme du  tourbillon  ne  pourroit  leur  permettre  et 
leur  céder. 

2.  Enfin ,  comme  les  globules  célestes  sont  em- 
portées autour  de  l'axe  du  tourbillon  d'une  ma- 
nère  parallèle  à  l'axe  et  à  eux-mêmes ,  et  ne  per- 
dent point  le  parallélisme  lorsqu'ils  changent  en 
quelque  façon  de  lieu  entre  eux ,  il  paroît  impossible 
qu'il  se  fasse  absolument  aucune  contorsion  des 
parties  cannelées,  si  ces  parties  cannelés  ne  tour- 


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LETTRES.  269 

nent  autour  de  leurs  propres  axes  dans  ces  espaces 
triangulaires  ;  or  je  ne  vois  pas  que  cela  se  puisse 
faire  commodément ,  comme  j'ai  dit  ci-dessus. 

Sur  l'art.  187,  ibid.,  pag.  A99. 

On  ne  remarque  aucuns  effets  de  sympathie  ou 
d'antipathie  si  merveilleux,  etc.  Plût  à  Dieu  que 
vous  expliquassiez  ici ,  si  cela  se  pouvoit  faire  en 
peu  de  mots,  par  quelle  raison  mécanique  il  arrive 
que  si,  de  deux  cordes  de  divers  instruments  qui  sont 
ou  à  l'unisson ,  ou  à  cet  intervalle  que  les  musi- 
ciens appellent  tempéré,  Ton  en  touche  une 
l'autre  trémousse  dans  un  autre  instrument  tan- 
dis que  celles  qui  sont  plus  proches  et  même  qui 
sont  tendues  dans  le  même  instrument  où  la  corde 
a  été  ébranlée  ne  se  remuent  point  du  tout.  Aucune 
sympathie  ne  me  paroît  plus  difficile  à  expliquer 
mécaniquement  que  cet  accord  des  cordes ,  ce  qui 

• 

est  une  expérience  vulgaire  et  très  commune. 

Sur  l'art.  188,  ibid.,  pag.  5o2. 

L'autre  touchant  celle  de  l'homme ,  etc.  Continuez, 
monsieur,  à  éclaircir  et  à  achever  cette  matière. 
Je  suis  très  persuadé  qu'on  n'a  jamais  rien  mis  au 
jour  qui  soit  plus  agréable  et  plus  utile  à  tous  les 
savants.  Vous  ne  devez  pas  vous  excuser  sur  le  dé- 
faut d'expériences;  car  pour  ce  qui  regarde  votre 
corps ,  j'ai  appris  par  des  auteurs  dignes  de  foi 
que  vous  avez  examiné  avec  une  exactitude  in- 


2")Q  LETTRÉS. 

finie  tout  ce  qui  regarde  Panatomie  du  corps  hu- 
main. Pour  ce  qui  regarde  lame,  vous  en  avez 
reçu  une  en  partage  dont  les  opérations  sont  si 
lumineuses,  et  dont  la  vivacité  et  l'égalité  sont 
telles,  que  par  le  seul  secours  de  cette  force  et  vi- 
gueur céleste ,  comme  par  un  feu  chimique ,  elle 
se  changera  en  toutes  les  formes ,  et  tiendra  lieu 
d'une  infinité  d'expériences. 

Sur  l'art.  ip5,  ibid.,  pag.  5io. 

Comme  j'ai  déjà  expliqué  dans  les  Météores.  Vous 
avez  certainement  donné  une  très  belle  raison  des 
couleurs  dans  les  météores.  Il  reste  pourtant  là-des- 
sus une  méchante  difficulté  qui  embarrasse  beau- 
coup mon  imagination;  car,  disant  que  la  variété  des 
couleurs  naît  de  la  proportion  qu'a  le  mouvement 
circulaire  des  globules  au  mouvement  rectilinaire, 
il  arrivera  nécessairement  que  quelquefois  dans  les 
mêmesglobules  le  mouvement  circulaire  surpassera 
en  même  temps  le  rectilinaire ,  et  le  rectilinaire  le 
circulaire.  Par  exemple ,  dans  deux  murailles  op- 
posées, dont  l'une  est  teinte  en  rouge  et  l'autre  eu 
bleu ,  les  globules  qui  sont  entre  seront  mus  plus 
vite  en  cercle  qu'en  ligne  droite  à  cause  de  la  mu- 
raille rouge ,  et  plutôt  en  ligne  droite  qu'en  cercle 
à  cause  de  la  muraille  bleue,  et  tout  cela  en  même 
temps ,  ce  qui  ne  sauroit  arriver.  Ou  bien  de  cette 
autre  manière  :  dans  la  même  muraille  dont ,  si 


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LETTRES.  271 

vous  voulez,  la  partie  droite  est  rouge,  celle  du 
milieu  noire ,  et  la  gauche  bleue  ;  comme  il  se  fait 
toujours  un  croisement  par  rapport  à  l'œil ,  tous 
les  globules ,  à  cause  du  concours  des  rayons  f 
prendront  la  proportion  du  mouvement  de  chaque 
globule  en  particulier,  c'est-à-dire  du  circulaire  au 
droit ,  en  sorte  qu'il  est  nécessaire  que  toutes  les 
couleurs  se  mêlent  au  fond  de  l'œil ,  et  qu'elles  s'y 
confondent  ;  et  je  ne  saurois  inventer  aucune  ma- 
nière de  lever  cette  difficulté ,  à  moins  qu'il  ne 
faille  peut-être  supposer  que  le  mouvement  cir- 
culaire n'est  pas  un  mouvement  plein ,  mais  une 
tendance  au  mouvement  circulaire  ,  comme  il  ar- 
rive en  effet  dans  le  mouvement  droit  des  mêmes 
globules.  J'aurois  bien  pu  de  moi-même  donner 
une  solution  telle  quelle  à  presque  toutes  les  dif- 
ficultés que  je  vous  ai  proposées;  mais  votre  bonté 
m'ayant  permis  de  vous  les  exposer,  et  y  ayant  été 
invité  par-dessus  cela  par  cette  dextérité  admirable 
que  vous  avez  à  résoudre  ces  difficultés  ,  et  que  j'ai 
reconnue  dans  vos  dernières  lettres  (car,  bien  que 
je  voie  que  vous  avez  été  fort  court  dans  vos  ré- 
ponses, à  cause  du  peu  de  temps  que  vous  aviez  , 
cependant  vous  me  satisfaites  si  pleinement,  et 
vous  me  fortifiez  aussi  bien  dans  mes  pensées 
que  si  j'étois  animé  par  votre  présence ,  et  que 
vous-même  montrassiez  les  choses  au  doigt;  ajou- 
tez à  cela  que  vos  explications  auront  plus  de  poids 


LETTRES. 

auprès  de  moi ,  et  auprès  des  autres  dans  le  be- 
soin )  ;  j'ai  donc  cru  qu'il  étoit  de  mon  intérêt  de 
vous  proposer  toutes  ces  difficultés  :  après  votre 
décision,  j'aurai,  si  je  ne  me  trompe,  une  connois- 
sance  parfaite  de  tous  les  principes  de  votre  phi- 
losophie. Vous  ne  sauriez  croire  combien  j'estime 
ce  bonheur;  et  lorsque  vous  m'aurez  servi  de 
sphinx  sur  ces  questions  ,  ce  qui  me  sera  d'autant 
plus  agréable  que  vous  le  ferez  plus  prompte- 
ment ,  à  cause  de  la  passion  extrême  qui  me  porte 
à  vos  ouvrages ,  vous  recevrez  sur  la  dioptrique 
les  autres  difficultés  qui  vous  seront  proposées 
par  le  plus  affectionné  de  votre  philosophie.  Je 
suis ,  etc. 

LETTRE  DE  M.  MORUS 

A  M.  DESCARTES. 
(Lettre  71  du  tome  I.  Version.) 

Monsieur, 

Je  ressens  une  douleur  bien  vive  de  ce  qu'on 
vous  a  enlevé  si  subitement  de  notre  voisinage,  et 
qu'on  vous  a  emmené  en  un  pays  si  éloigné  :  mais 


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LETTRES.  27.I 

pour  ne  vous  rien  déguiser,  j'ai  de  quoi  adoucir 
ce  déplaisir  et  cette  tristesse,  et  de  quoi  me  con- 
soler moi-même;  en  effet,  ce  n'est  pas  un  petit 
avantage  pour  vous  que  les  nations  les  plus  recu- 
lées aient  rendu  un  tel  honneur  à  votre  mérite , 
et  que  1  éclat  de  votre  réputation  ait  pénétré  avec 
tant  de  force  jusqu'aux  sombres  climats  et  aux 
brouillards  épais  du  septentrion;  et  ce  qui  est  le 
plus  important ,  que  ce  n'ait  pas  été  sans  fruit  , 
puisque  l'amour  des  belles  -  lettres  et  de  ceux  qui 
les  cultivent  a  fait  une  si  forte  impression  sur  le 
cœur  généreux  de  la  sérénissime  reine  de  Suède , 
cette  illustre  héroïne,  que,  non  contente  de  vos 
écrits  et  de  votre  réputation,  elle  n'a  cessé  de  vous 
engager  par  ses  lettres  d  aller  la  voir ,  jusqu'à  ce 
qu'elle  ait  été  au  comble  de  ses  vœux  :  empresse- 
ment qui  ne  manquera  pas  de  tourner,  comme  je  le 
crois,  à  l'avantage  et  à  l'ornement  de  son  royaume. 
Ces  considérations  m'ont  fait  supporter,  je  vous 
l'avoue,  avec  moins  d'impatience  votre  départ,  et 
en  même  temps  la  perte  de  cette  lettre  si  désirée 
que  j'attendois ,  comme  vous  l'aviez  promis,  avant 
votre  départ.  Bien  loin  de  renoncer  à  l'espérance 
que  j'avois  conçue  de  la  recevoir,  j'ai  au  contraire 
une  ferme  espérance  que  non  seulement  vous  ho- 
norerez d'une  de  vos  réponses  celle  que  je  vous 
ai  écrite  auparavant ,  mais  encore  les  présentes  dès 

que  vous  les  aurez  reçues.  Plein  de  cette  confiance, 
10.  18 


LETTRES. 

je  passe  à  votre  Dioptrique,  pour  venir  ensuite  aux 
Météores,  s'il  y  a  quelque  difficulté  qui  m'y  arrête, 
afin  que  je  puisse  décharger  une  fois  pour  toutes 
mon  esprit  de  tout  ce  que  j'avois  résolu  de  vous 
proposer  pour  mon  avantage.  J  espère  par  là  qu'a- 
près avoir  fait  de  ma  part  tout  ce  qui  étoit  en  moi, 
je  me  procurerai  une  plus  grande  tranquillité,  et 
que  je  serai  délivré  de  bien  des  doutes. 

Sur  la  Dioptrique,  discours  2,  page  20,  ligne  24  , 
figure  7 ,  planche  1 . 

A  cause  que  cette  toile  ne  lui  est  aucunement  op- 
posée en  ce  sens-là.  Il  me  paroît  que  la  toile  CE  s'op- 
pose en  quelque  façon  à  la  balle  B,  même  par 
rapport  à  la  détermination  qui  la  fait  tendre  vers 
la  main  droite;  ce  que  je  prouve  ainsi  : 

GH  est  opposé  à  plein  à  la  balle  B,  et  l'em- 
pêche entièrement  de  s'avancer  tant  du  côté  HE 
que  du  côté  IE,  c'est-à-dire  vers  le  bas;  car? 
comme  CE  ne  diffère  de  GH,  qui  est  opposé 
à  plein  au  mouvement  vers  HE ,  que  de  la  quan- 
tité de  l'angle  HBE,  ou  GBC,  il  est  manifeste 
que  CE,  dans  la  position  qu'on  lui  donne,  s'op- 
posera toujours  avec  une  certaine  force  au  mou- 
vement de  la  balle  vers  HE  ;  nous  en  serons  con- 
vaincus davantage  si  nous  supposons  que  CE  est 
une  superficie  d'argile  fort  molle ,  et  qu'une  balle, 
si  vous  voulez  de  cuivre ,  est  poussée  d'A  vers  B  : 


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f 


LETTRES.  275 

elle  s'enfoncera  un  peu  dans  l'argile ,  mais  elle 
perdra  tout  d'un  coup  tout  son  mouvement,  tant 
vers  HE  que  vers  CE ,  ce  qui  n'arriveroit  point  si 
la  balle  étoit  poussée  selon  la  ligne  CBE;  elle  s'a- 
vanceroit  vers  HE  sans  aucun  embarras,  surtout  si 
nous  imaginons  que  cette  balle  n'a  aucune  pesan- 
teur: donc  la  superficie  CE  s'oppose  à  la  balle  qui 
vient  de  A  vers  B  par  rapport  à  la  détermination 
qui  la  porte  vers  HE,  ce  qu'il  falloit  démontrer. 

Ibid. ,  page  1 1 ,  lig.  1 . 

Car  puisqu'elle  perd  la  moitié  de  sa  vitesse.  Je 
veux  bien  qu'elle  perde  quelque  degré  de  vitesse, 
mais  je  ne  puis  comprendre,  ce  que  vous  suppo- 
sez dans  cet  article  et  dans  le  suivant,  que  ce  de- 
gré de  vitesse  n'est  perdu  que  par  rapport  à 
CE  et  non  par  rapport  à  FE;  car,  comme  cette 
balle  n'a  qu'un  mouvement  réel,  quoique  nous 
puissions  l'imaginer  composé  de  plusieurs  détermi- 
nations différentes,  si  ce  mouvement  est  diminué, 
quelque  part  que  la  balle  s'avance ,  son  mouve- 
ment sera  plus  lent  après  cette  diminution.  Ainsi 
ce  qui  porte  la  balle  en  I ,  et  non  point  en  D,  n'est 
pas  son  plus  ou  moins  de  vitesse ,  mais  la  résis- 
tance qui  est  plus  forte  dans  le  grand  angle  CBD, 
et  plus  petite  dans  l'angle  EBD,  parceque  la  pointe 
de  l'angle  aigu  EBD,  jointe  à  la  fluidité  du  liquide , 
doit  moins  résister  à  la  balle  que  la  pointe  émous- 

iS. 


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LETTRES. 

sée  de  l'angle  CBD  ;  sans  cela,  s'il  falloit  avoir  re- 
cours au  plus  ou  moins  de  vitesse,  la  balle  qui  est 
poussée  de  A  vers  B  seroit  portée  vers  D  :  vous 
n'avez  qu'à  considérer  pour  cela  votre  figure  de  la 
Dioptrique  s'il  est  besoin. 

Sur  le  Discours  2  de  la  Dioptrique,  page  22,  lig.  24. 

Mais  si  elle  est  poussée  suivant  une  ligne ,  comme 
AB ,  qui  soit  si  fort  inclinée  sur  la  superficie  de 
Veau  ,  ou  de  la  toile  CBE,  que  la  ligne  FE  étant 
tirée ,  etc.  Il  faut  avouer  qu'il  y  a  beaucoup  de  sub- 
tilité dans  votre  manière  de  montrer  le  chemin 
que  doit  tenir  cette  balle  ;  mais  il  me  paroît 
que  vous  n'arrivez  point  au  but.  La  véritable 
et  unique  cause  que  vous  auriez  dû  rapporter 
est  la  grandeur  de  l'angle  CBD,  la  petitesse  de 
l'angle  EBD,  et  la  grosseur  de  la  balle,  qui,  pour 
se  réfléchir  en  l'air  vers  L,doit  d'autant  moins  faire 
baisser  la  ligne  AB  vers  CE  que  sa  grosseur  est 
plus  grande  ;  car  une  grosse  balle  a  plus  de  peine 
à  ouvrir  et  écarter  la  pointe  d'un  angle  aigu  qu'à 
la  froisser  en  se  réfléchissant. 

Ibid.  page  23,  lig.  i3. 

Qui  augmente  la  force  de  son  mouvement.  L'aug- 
mentation du  mouvement  ne  sert  à  rien  pour 
détourner  la  balle ,  s'il  ne  se  rencontre  quelque 
corps  qui ,  par  sa  position ,  en  change  la  détermi- 
nation ;  ce  qui  arrive  ainsi ,  selon  que  je  me  11- 


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LETTRES.  277 

magine,  surtout  dans  un  lieu  que  vous  dites  ad- 
mettre plus  facilement  les  rayons  de  la  lumière  , 
tel  qu'est  le  cristal ,  le  verre ,  etc.  Comme  dans  ces 
matières  la  pointe  de  l'angle  EBD  est  si  dure  et 
si  inflexible  quelle  ne  peut  céder ,  le  rayon  qui 
tombe  sur  le  sommet  incliné  de  cet  angle,  dont  la 
matière  est  si  serrée,  se  détourne  de  la  ligne  droite, 
et  est  chassé  dedans  en  s'a p prochant  de  la  per- 
pendiculaire; ainsi  ces  deux  réfractions  me  pa- 
roissent  une  véritable  réflexion  commencée;  or, 
comme  dans  une  véritable  et  libre  réflexion  il 
n'arrive  de  changement  que  dans  la  détermina-* 
tion,  et  non  dans  la  quantité  du  mouvement,  il 
paroît  qu'il  ne  faut  pas  avoir  recours  ici  au  plus 
ou  au  moins  de  vitesse  pour  diminuer  ou  chan- 
ger la  détermination  :  donc  la  seule  détermination 
diminuée  ou  augmentée  suffit  pour  les  deux  réfrac- 
tions ;  car  quand  la  balle  B  est  arrivée  à  la  super- 
ficie CE ,  elle  ne  se  détourne  point  de  son  chemin 
parcequ'elle  a  plus  ou  moins  de  vitesse ,  mais 
parcequ'elle  tombe  sur  un  corps  qui  change  la 
détermination  ,  car  autrement,  s'il  n'y  a  qu'une  vi- 
tesse plus  ou  moins  grande,  la  balle,  après  avoir 
passé  de  A  en  B ,  iroit  en  D. 

C'est  pourquoi  dans  la  première  réfraction,  où 
la  balle  s'éloigne  de  la  perpendiculaire,  sa  déter- 
mination vers  le  bas  est  diminuée,  et  si  elle  perd 
du  mouvement ,  c'est  par  accident ,  à  cause  de  la 


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278  LETTRES. 

mollesse  du  milieu  qui  résiste  ;  dans  la  seconde , 
où  la  balle  s'approche  de  la  perpendiculaire,  sa 
détermination  vers  le  bas  est  augmentée;  si  elle 
acquiert  de  la  vitesse,  c'est  par  accident,  à  cause 
qu'elle  pénètre  un  nouveau  milieu  qui  lui  donne 
un  passage  plus  libre.  La  cause  et  le  changement 
de  la  détermination  sont  donc  nécessaires  pour 
les  deux  réfractions,  comme  pour  la  réflexion,  et 
le  plus  ou  moins  de  vitesse  ne  sont  qu'accessoires, 
et  même  entièrement  inutiles  pour  ces  effets  ; 
même  il  est  difficile  d'imaginer  la  cause  qui  donne 
à  la  balle  un  nouveau  degré  de  vitesse  ,  quand 
elle  passe  dans  un  milieu  plus  aisé;  car  tout  ce 
que  ce  milieu  peut  faire ,  c'est  de  laisser  à  la  balle 
toute  la  célérité  qu'elle  avoit  eue,  ne  recevant  par  la 
communication  aucune  partie  de  son  mouvement, 
mais  il  ne  peut  lui  rien  donner  de  nouveau  ;  et  il 
me  paroît  qu'il  seroit  aussi  absurde  de  dire  que 
la  balle,  quand  elle  entre  dans  un  milieu  plus  aisé, 
acquiert  de  nouveaux  degrés  de  vitesse,  soit  par 
pure  libéralité,  soit,  si  vous  l'aimez  mieux ,  par 
restitution  de  ceux  qu'elle  avoit  perdus ,  que  d'ac- 
corder qu'il  y  a  un  instant  de  repos  dans  le  point 
de  la  réflexion,  ce  que  vous  avez  eu  raison  de  re- 
jeter dans  l'art.  2  de  ce  discours. 

Discours  G  de  la  Dioptrique,  page  61,  lig.  6,  fig.  19,  pl.  14. 

Mais  seulement  de  la  situation  des  petites  parties 


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LETTRES.  279 

du  cerveau  d'où  les  nerfs  prennent  leur  origine. 
Ces  petites  parties  sont-elles  visibles  dans  quelques 
parties  du  cerveau,  ou  les  supposez-vous  seule- 
ment par  une  simple  conjecture?  Pour  moi,  il  me 
paroît  qu'on  peut  s'en  passer ,  mais  que  les  mêmes 
organes  qui  transmettent  le  mouvement  font  con- 
noître  nécessairement  à  l'âme  d'où  vient  cette 
transmission,  s'il  ne  se  trouve  en  chemin  aucun 
empêchement. 

Ibid.,  page  64  ,  lig.  19. 
Un  raisonnement  tout  semblable  à  celui  que  font 
les  arpenteurs ,  lorsque  par  le  moyen  de  deux  diffé* 
rentes  stations  ils  mesurent  des  distances  inaccessi- 
bles. Cette  comparaison  me  paroît  obscure,  pour 
ne  pas  dire  un  peu  forcée  ;  je  n'y  vois  rien  de  com- 
mun que  ces  deux  stations  :  caries  géomètres,  ou, 
si  vous  l'aimez  mieux,  les  géodètes,  prennent  leurs 
stations  sur  une  ligne  droite  tirée  depuis  quelque 
arbre  ou  quelque  tour,  et  l'œil  prend  les  siennes 
en  changeant  de  place  sur  une  ligne  à  peu  près 
parallèle  à  l'objet.  Il  me  paroît  que  c'est  tout  ce 
qu'on  peut  déduire  de  cette  comparaison. 

Ibid.,  page  66,  lig.  6. 

Leur  grandeur  s'estime  par  la  connoissance  ou 
l'opinion  qu'on  a  de  leur  distance.  Il  seroit  très 
difficile  de  donner  une  raison  exacte  de  la  grandeur 
apparente  des  corps  ;  mais  je  crois  que  le  jugement 


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9.80  LETTRES. 

que  nous  en  portons  dépend  principalement  de 
la  grandeur  ou  de  la  petitesse  de  l'angle  où  les 
rayons  se  croisent  :  plus  cet  angle  est  grand ,  plus 
l'objet  paroîtra  grand  ;  plus  il  est  petit ,  plus  l'objet 
paroîtra  petit  :  de  plus ,  ce  qui  mérite  attention ,  si 
vous  approchez  de  votre  œil  quelque  objet,  par 
exemple  votre  pouce,  à  la  distance  d'une  ligne , 
l'angle  où  les  rayons  se  croisent  sera  quatre  ou 
cinq  fois  plus  grand  que  si  votre  pouce  étoit 
distant  de  l'œil  de  dix  lignes.  Si  vous  l'éloignez 
encore  de  quelques  dizaines  de  lignes ,  l'angle  di- 
minuera, mais  en  moindre  proportion,  jusqu'à  ce 
qu'il  devienne  si  petit,  qu'on  puisse  le  confondre 
avec  une  seule  ligne  droite:  c'est  pourquoi  per- 
sonne ne  doit  être  surpris  si  son  pouce  lui  paroît 
beaucoup  plus  grand  quand  il  n'est  éloigné  de 
son  œil  que  d'une  ligne,  que  quand  il  est  éloigné 
de  dix  ;  et  si  après  cela  il  paroit  toujours  à  peu 
près  de  la  même  grandeur,  quoiqu'il  1  éloigne  de 
trente,  quarante  lignes,  et  même  davantage,  cepen- 
dant il  peut  si  fort  l'éloigner  qu'il  ne  paroîtra  plus, 
car  l'ouverture  de  l'angle  peut  être  plus  petite  que 
le  diamètre  d'un  des  filaments  du  nerf  optique. 
Mais  je  ne  comprends  pas  ce  que  peut  produire 
en  cela  l'opinion  de  la  distance  comparée  à  la 
grandeur  de  l'image  de  l'objet,  comment  l'œil  ou 
l'âme  peuvent  faire  cette  comparaison;  mais  il 
m'est  aussi  aisé  d'expliquer  que  de  concevoir  conv 


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LETTRES.  28l 

ment ,  par  le  moyen  de  l'angle  où  les  rayons  se 
croisent,  nous  jugeons  de  la  grandeur  des  corps. 
Soient  H,  I  et  R,  L,  le  fond  de  deux  yeux, 
d'un  grand  et  d'un  plus  petit,  CD  le  plus  grand 
objet,  mais  plus  éloigné;  EF  le  plus  petit  objet, 
mais  plus  voisin;  EGF,  ou  RGL,  l'angle  où  les 
rayons  se  croisent  :  d'abord  j'établis  qu'il  y  a  un 
effort  ou  une  transmission  de  mouvement  de  O 
en  L,  et  de  D  en  R,  et  que  ma  réflexion,  se  prome- 
nant sur  la  ligne  droite  RGFD,  parvient  à  D ,  ex- 
trémité de  l'objet  CD,  dans  la  place  où  il  est  véri- 
tablement; tandis  que,  par  une  autre  ligne  droite 
LGEC,  elle  parvient  à  l'autre  extrémité  G,  dans 
l'endroit  où  elle  est  véritablement:  autant  en  est- 
il  de  toutes  les  parties  de  l'objet  CD.  Je  dis  donc 
que  c'est  par  cette  course  de  ma  réflexion  que  je 
découvre  la  grandeur  de  l'objet  qui  est  devant  mes 
yeux,  et  que  la  mesure  de  son  diamètre  apparent 
est  l'angle  Egf.  Je  dis  pareillement  que  si  l'on 
conserve  les  mêmes  lignes  droites  que  parcourt 
ma  réflexion,  et  la  même  ouverture  de  l'angle  à 
l'égard  de  l'œil  HI,  l'objet  DC  doit  lui  paroître 
aussi  grand  qu'à  l'œil  RI  :  d'où  je  conclus  ensuite 
que  la  grandeur  apparente  de  l'objet  dépend  non 
de  la  grandeur  de  l'image ,  mais  de  la  grandeur  de 
l'angle  où  les  rayons  se  croisent.  Enfin,  de  même 
que  la  grandeur  apparente  de  l'objet  ne  vient  pas 
de  la  grandeur  de  l'image  peinte  au  fond  de  l'œil, 


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282  T.ETTR  ES. 

puisque  le  petit  objet  Ef  peint,  soit  dans  l'œil  Hi, 
soit  dans  l'œil  Kl,  une  image  d'égale  grandeur  à 
celle  du  grand  objet  Cd ,  ainsi  elle  ne  vient  pas 
de  la  grandeur  de  l'angle  formé  par  la  rencontre 
des  rayons,  autrement  l'objet  Ef  paroîtroit  aussi 
grand  que  Cd,  cet  angle  étant  le  même  pour  les 
deux;  mais  en  retirant  le  petit  objet  Ef,  Cd  pa- 
roîtra  beaucoup  plus  grand  que  ne  paroîtroit  EEf , 
quoiqu'on  les  vît  tous  deux  sous  un  même  angle, 
d'où  l'on  conclura  avec  raison  que  la  grandeur 
apparente  d'un  objet  vient  en  partie  de  la  gran- 
deur réelle  de  l'objet.  Il  n'est  pas  non  plus  sur- 
prenant que  ma  réflexion,  qui  se  promène  sur  ces 
lignes  formées  par  l'effort  ou  par  la  transmission 
du  mouvement,  pénètre  et  s'arrête  où  le  mouve- 
ment a  commencé  ,  c'est-à-dire  en  c  et  en  d,  et 
qu'ils  paroissent  plus  distants  que  E  et  f ,  puisqu'en 
effet  ils  sont  plus  éloignés  que  Ef ,  et  qu'on  ne  les 
voit  point  sous  un  angle  plus  petit,  et  qu'enfin 
tout  l'objet  Cd  paroisse  simplement  plus  grand 
que  tout  l'objet  Ef. 

Jbid. ,  page  68,  lig.  18. 

De  plus ,  a  cause  que  nous  sommes  accoutumés  de 
juger,  etc.  Que  pensez  vous  donc  de  l'aveugle-né 
que  Jésus-Christ  guérit?  Si  on  lui  eût  présenté  un 
miroir  plan  avant  qu'une  mauvaise  habitude  eût 
dépravé  son  jugement,  auroit-il  vu  son  visage  en- 


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LETTRES.  283 

deçà  du  miroir,  et  non  au-delà  ou  derrière?  Ce 
petit  jeu  de  l'image  derrière  le  miroir,  dont  j'avoue 
que  je  ne  connois  pas  jusques  ici  le  manège,  a 
donné  de  terribles  entraves  à  mon  imagination  ; 
car  je  ne  me  contente  point  de  cette  mauvaise 
habitude  de  jnger.  Vous  me  feriez  grand  plaisir  de 
faire  agir  pour  cela  la  bonne  mécanique,  et  de 
m'en  faire  part  quand  vous  l'aurez  découverte. 

Jbid.,  page  70,  lig.  a 8. 

* 

//  suit  de  là  que  leur  diamètre ,  etc.  Qui  empêche 
que  le  diamètre  du  soleil  ou  de  la  lune  ne  nous 
paroisse  d'un  ou  de  deux  pieds  au  plus,  à  cause  de 
l'angle  formé  par  la  rencontre  des  rayons,  et  ne  di- 
minue d'une  manière  propre  à  nous  faire  paroître 
à  cette  distance  des  corps  de  la  grandeur  réelle 
du  soleil  ou  de  la  lune ,  sans  une  image  d'un  ou 
deux  pieds  ? 

Jbid.  y  page  71,  lig.  11. 

Car  ordinairement  ces  astres  semblent  plus  petits 
lorsqu'ils  sont  fort  hauts  vers  le  midi,  etc.  Donc  le 
soleil  et  la  lune  paroissent  plus  grands  près  de 
l'horizon  qu'ils  ne  devroient,  eu  égard  à  leur 
distance  ;  et  moi  je  dis  qu'une  grandeur  apparente, 
soumise  à  des  lois  constantes,  doit  plutôt  être  ap- 
pelée véritable  et  non  trompeuse,  que  celle  qui  dé- 
pend de  quelques  circonstances  étrangères  et  va- 


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384  LETTRES. 

Sur  le  Discours  7  de  la  Dioptrique,  page  g3,  lig.  23. 

Si  ce  n'est  peut-être  de  fort  peu  en  la  renver- 
sant, etc.  Quel  est  cet  art  de  renverser?  et  pour- 
quoi n'en  dites-vous  rien  ? 

Sur  le  Discours  8  de  la  Dioptrique,  page  220,  lig.  6. 

Ou  parallèles  de  divers  côtés.  Je  ne  comprends 
point  ces  rayons  parallèles  de  plusieurs  divers 
côtés,  car  je  ne  vois  rien  d'approchant  dans  votre 
figure  120  de  la  Dioptrique,  c'est  pourquoi  je 
vous  prie  de  vous  expliquer  plus  nettement.  Si  je 
n'ai  pas  l'esprit  bouché ,  ce  que  vous  avez  mis 
à  la  fin  de  cet  article  n'est  guère  plus  clair  : 
vous  parlez  des  rayons  qui  se  croisent  en  tra- 
versant les  deux  verres  convexes  DBQ ,  et  dbq  ; 
dans  votre  édition  françoise  vous  renvoyez  en 
marge  à  la  page  108,  c'est-à-dire  à  la  figure 
qui  est  à  la  page  112  de  la  nouvelle  édition. 
Pour  moi  ,  je  ne  vois  pas  que  les  rayons  se 
croisent  dans  ces  verres  ,  mais  seulement  au- 
delà  en  I,  qui  est  leur  foyer  commun;  il  paroît 
que  tous  ces  rayons  gardent  un  grand  parallé- 
lisme, jusqu'à  ce  qu'ils  soient  parvenus  à  la  su- 
perficie convexe  des  deux  verres  BD,  bd;  c'est 
là  qu'ils  se  courbent  pour  se  croiser  en  I,  et  non 
ailleurs;  au  lieu  que  vous  dites  que  ces  rayons 
se  croisent  deux  fois  dans  ces  deux  verres  :  pre- 
mièrement, dans  la  superficie  DBQ  ;  secondement, 


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LETTRES.  285 

dans  la  superficie  dbq.  Quelle  superficie  enten- 
dez-vous, la  plane  ou  la  convexe?  Est-ce  la  même 
dans  tous  les  deux  verres?  Vous  ajoutez  :  du  moins 
les  rayons  qui  viennent  de  différentes  parties.  Qu'est- 
ce  que  venir  de  différentes  parties?  Entendez- 
vous  parties  opposées,  car  les  parallèles  qui  par- 
tent du  même  objet  peuvent  être  dits  venus  de 
différentes  parties?  Tirez-moi  de  ces  ténèbres. 

Sur  le  Discours  9  de  la  Dioptrique ,  page  1 36 ,  fig.  9. 

Pourceque  d'autant  que  ces  lunettes  font  que 
les  objets  paroissent  plus  grands ,  d'autant  en  peu- 
vent-elles faire  moins  voir  à  chaque  fois.  Puisque 
ces  lunettes  plus  parfaites  ont  une  plus  grande 
ouverture  du  côté  du  verre  extérieur,  qui  par  con- 
séquent reçoit  de  l'objet  plus  de  rayons  parallèles 
que  les  imparfaites  qui  ont  cette  ouverture  grande , 
et  la  convexité  de  ce  verre  renvoyant  tous  ces 
rayons  au  fond  de  l'œil,  d'où  vient  qu'il  ne  se  peint 
pas  dans  cet  œil  un  plus  grand  nombre  d'objets , 
comme  il  s'y  peint  de  plus  grandes  images  ? 

Sur  le  Discours  10  de  la  Dioptrique,  page  149,  Iig.  11. 

Sera  une  hyperbole  toute  semblable  ,  et  égale  à  la 
précédente.  Vous  supposezdoncque  toutes  les  hyper- 
boles dont  les  foyers  sont  également  distants  des 

sommets,  quoique  les  unes  ayant  été  décrites  par  le 
moyen  du  cône ,  et  les  autres  avec  la  corde  et  la 

règle ,  ont  néanmoins  les  mêmes  propriétés ,  et 


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286  LETTRES. 

même  vous  supposez  cette  égalité  de  distance  des 
sommets.  Quoique  je  n'aperçoive  en  tout  cela  au- 
cune fausseté,  vous  auriez  dû  cependant  le  démon- 
trer, puisque  c'est  le  fondement  de  la  machine  que 
vous  allez  expliquer  :  si  vous  voulez  en  prendre  la 
peine  vous  me  ferez  plaisir  ,  pourvu  que  cela  soit 
aisé  à  comprendre,  sinon  j'aime  mieux  en  croire 
un  aussi  grand  homme  que  vous,  que  de  donner 
la  torture  à  mon  esprit  pour  en  venir  à  bout. 

lbid.y  page  i57,  lig.  i3. 

Car  il  doit  avoir  un  tranchant  et  une  pointe.  Passe 
qu'il  y  ait  un  tranchant  :  mais  comment  aura-tii 
une  pointe,  surtout  puisque  le  tranchant  de  cet 
outil  doit  être  fabriqué  droit ,  et  non  concave  ,  car 
de  cette  façon  il  seroit  sphérique  ?  Si  ce  tranchant 
peut  faire  quelque  chose  vers  l'extrémité  de  la 
roue ,  il  ne  servira  à  rien  vers  le  milieu  ;  car  il  sera 
trop  grand  pour  pouvoir  y  entrer,  c'est  pourquoi 
la  pointe  de  cet  outil  ne  touchera  point  la  matière 
voisine  du  centre  de  la  roue. 

Jbîd.,  page  i58,  lig.  8. 

Doit  être  si  petite  ,  que  lorsque  son  centre  est  vis- 
à-vis  de  la  ligne  55  de  la  machine  quon  emploie  à 
la  tailler,  la  circonférence  ne  passe  pas  au-dessus  de 
la  ligne  12  de  la  même  machine.  N'est-ce  point  à 
cause  que  pour  lors  la  superficie  concave  du  verre 
deviendroit  sphérique  et  non  hyperbolique. 


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LETTRES.  287 
Ibid.,  page  16a,  lig.  26. 

Pour  obliger  quelques  uns  des  plus  curieux  et  des 
plus  industrieux  de  notre  siècle  à  en  entreprendre 
l'exécution.  Je  voudrois  savoir  si  quelque  ouvrier 
industrieux,  a  essayé  d'exécuter  ce  projet  ingénieux , 
et  quel  en  a  été  le  succès.  Quant  à  ce  qu'on  dit 
ici ,  que  quelques  uns  l'ont  tenté  inutilement ,  je 
n'en  crois  rien ,  ou  ces  ouvriers  n'étoient  que  de 
simples  artisans.  Voici  quelques  difficultés  que  j'ai 
aussi  trouvées  dans  vos  Météores ,  mais  elles  sont 
en  petit  nombre  et  peu  considérables. 

Discours  premier  des  Météores,  page  167,  lig.  27. 

Et  contre  la  terre  que  vers  les  nuées.  Ce  que  vous 
dites  des  rayons  du  soleil ,  tant  droits  que  réfléchis; 
mais  je  ne  vois  pas  comment  les  rayons  droits  peu- 
vent augmenter ,  si  ce  n'est  qu'étant  réfléchis  ils 
sont  renvoyés  une  seconde  fois  vers  la  terre:  pour 
lors  ce  ne  sont  pas  seulement  des  rayons  droits, 
mais  des  rayons  droits  joints  avec  des  réfléchis. 
J'ai  encore  une  bien  plus  grande  peine  par  rap- 
port à  la  réflexion  que  vous  donnez  à  ces  rayons. 
La  philosophie  ordinaire  nous  en  rend  une  raison 
très  simple  :  le  rayon  solaire  se  remplit  comme 
un  fil,  d'où  résulte  nécessairement  l'augmentation 
de  la  chaleur ,  ce  qui  ne  peut  avoir  lieu  dans  vos 
Principes;  selon  vous,  ce  n'est  plus  un  fil  qui  se 
plie  en  double,  mais  une  balle  qui  réfléchit.  Mais 


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288  LETTRES. 

comment  prouverez-vous  l'augmentation  de  la  cha- 
leur portée  au  double  quand  la  balle  descend  de  A 
en  B?  Elle  décrit  une  ligne  par  son  mouvement , 
et  cette  ligne  n'est  plus  quand  la  balle  se  dispose 
à  remonter  de  B  en  D  ;  nous  n'avons  donc  qu'une 
ligne  de  mouvement  qui  ne  peut  doubler  la  cha- 
leur :  au  contraire  la  chaleur  diminuera  dans  l'air 
voisin  de  la  terre ,  puisque  le  globule  ou  la  balle 
communique  quelque  chose  de  son  mouvement 
aux  particules  terrestres  qui  l'environnent  ;  c'est 
pourquoi  le  mouvement  sera  plus  lent  en  BD  qu'en 
AB;  il  faut  donc  que  vous  expliquiez  pourquoi 
l'air  s'échauffe  plus  contre  la  terre  que  vers  les 
nues,  et  s'il  ne  peut  faire  que,  quoique  le  mou- 
vement soit  plus  lent  contre  la  terre  que  vers  les 
plus  hautes  régions  de  l'air,  on  y  sent  cependant 
une  plus  grande  chaleur ,  à  cause  de  l'inégalité  de 
ce  mouvement. 

Discours  7  des  Météores ,  page  268 ,  lig.  1 . 

Mais  aussi  les  plus  basses  demeurant  fort  rares. 
Si  les  nues  inférieures  sont  si  rares  ou  si  peu 
compactes ,  comment  peuvent-elles  recevoir  les 
plus  hautes  qui  tombent  sur  elles ,  et  les  arrêter  ? 
Il  paroît  au  contraire  qu'elles  sont  si  minces  , 
qu'elles  devroient  être  entraînées  à  terre  avec  les 
dernières,  si  celles-là  avoient  déjà  pris  ce  che- 
min-là. 


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LETTRES.  289 
Ibid. ,  page  268 ,  lig.  9. 

A  cause  de  la  résonnance  de  l'air,  etc.  C'est  l'o- 
pinion de  Paracelse,  que  le  bruit  affreux  du  ton- 
nerre vient  des  voûtes  du  ciel  ;  c'est  ainsi  qu'on 
entend  un  grand  bruit  lorsque  quelqu'un  décharge 
une  arme  à  feu  dans  une  salle  voûtée;  mais  pour 
vous  qui  ne  reconnoissez  ni  voûte  ni  plafond  au- 
dessus  de  l'air  ,  vous  devez  trouver  plus  vraisem- 
blable que  plus  le  coup  est  éloigné  de  la  terre , 
plus  il  doit  être  foible  ,  le  bruit  étant  d'autant 
moins  sensible  qu'on  est  éloigné  des  corps  qui 
l'ont  produit. 

Discours  9  des  Météores,  page  3oi,  lig.  3o. 

Car  il  ne  se  réfléchit  de  sa  superficie  que  peu  de 
rayons.  Voulez-vous  donc  que  le  petit  nombre  de 
rayons  produise  le  bleu?  Vous  ne  serez  pas  d'accord 
avec  ce  que  vous  avez  dit  d'abord  :  vous  avez  dit  plus 
hau  t  que  les  couleurs  sont  produites  par  la  différente 
proportion  qui  se  trouve  entre  leur  mouvement  en 
ligne  droite,  et  le  tournoiement  sur  leur  propre  cen- 
tre, et  particulièrement  quelebleuparoît  quand  les 
globules  tournoient  moins  vite  sur  leur  centre,  eu 
égard  à  leur  mouvement  en  ligne  droite.  Présente- 
ment vous  avez  recours  au  petit  nombre  des  rayons; 
jevoudrois  donc  savoir  si  vous  pensez  qu'il  n'y  a  au- 
tre cause  des  couleurs  que  celle  que  vous  avez  si 

ingénieusement  expliquée  ci- dessus  ,  ou  si  vous 
10.  19 


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29O  LETTRES. 

croyez qu  elles  peuvent  être  encore  produites  d'au- 
tre façon  sans  aucun  égard  au  tournoiement  et  au 
mouvement  direct  des  globules ,  surtout  puisque 
vous  avancez  que  l'eau  de  la  mer  paroît  bleue  à 
cause  du  peu  de  rayons  qui  sont  réfléchis  ;  et 
certes  il  n'est  pas  aisé  de  dire  pourquoi  la  mer  ne 
paroît  pas  blanche  ou  rouge ,  lorsque  les  globules 
viennent  à  frapper  sa  superficie,  puisque  ces  glo- 
bules y  trouvent  quelquefois  plus  de  résistance 
que  dans  l'air  chargé  de  vapeurs ,  qui  vous  paroît 
blanc  pour  lors. 

Voilà,  monsieur,  tout  ce  que  j'avois  à  vous  pro- 
poser sur  vos  écrits  de  physique,  et  qui  m'a  paru 
ou  difficile  à  comprendre  ou  dont  la  vérité  souf- 
friroit  quelques  difficultés;  sur  quoi  vous  aurez 
sujet  d'être  surpris  du  caractère  et  du  tour  de  mon 
esprit,  qui,  entrant  assez  à  fond  dans  tout  le  reste 
de  vos  écrits,  où  se  trouvent  cependant  bien  des 
choses  plus  difficiles  que  celles  qui  l'arrêtent  en 
plusieurs  endroits,  n'a  pas  la  même  pénétration 
pour  ce  dont  je  vous  demande  l'explication,  ou 
que  je  vous  prie  de  fortifier  par  de  nouvelles 
preuves.  Quelques  efforts  que  j'aie  faits  pour  cor- 
riger cette  disposition  de  mon  esprit ,  que  j'ai  re- 
marquée dès  mon  enfance,  je  veux  dire  de  sur- 
monter  souvent  très  heureusement  les  choses  les 
plus  difficiles ,  et  d'être  arrêté  par  les  plus  petites, 
je  n'ai  pourtant  jamais  pu  en  venir  à  bout.  J'espère 


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LETTRES.  291 

que  votre  bonté  excusera  ce  qu'il  ne  m'est  pas  pos- 
sible de  corriger,  et  qu'elle  n'imputera  ni  à  une 
ignorance  affectée  ni  à  une  sotte  démangeaison 
de  disputer  tant  de  difficultés  que  j'ai  entassées 
les  unes  sur  les  autres  ;  car  je  ne  l'ai  pas  fait  par 
un  désir  effréné  de  disputer,  mais  par  un  zèle  re- 
ligieux pour  tout  ce  qui  vient  de  vous. 

Cest  moins  dans  le  désir  d'obtenir  la  victoire , 
Qne  par  le  zèle  ardent  d'acqnérir  votre  gloire. 

Comme  le  dit  élégamment  le  poète,  et  comme 
je  le  répète  dans  la  dernière  sincérité. 

Au  reste,  monsieur,  je  vous  prie  de  prendre  en 
bonne  part  tout  ce  que  je  vous  ai  écrit,  et  d'y 
faire  réponse  à  votre  loisir  :  si  vous  me  faites  cette 
grâce,  vous  aurez  la  consolation  d'avoir  rendu  très 
savant  celui  qui  a  été  jusques  ici  le  plus  fidèle  par- 
tisan de  votre  philosophie.  Je  suis ,  etc. 

A  Cambridge,  do  collège  de  Christ,  le  ai  octobre  1649. 

(Lettre  72  du  tomel.) 

Ce  qui  suit  a  été  trouvé  parmi  les  papiers  de  M.  Descartes , 
comme  un  projet  ou  commencement  de  la  réponse  .qu'il 
préparoit  aux  deux  précédentes  lettres  de  M.  Morus. 

J'étois  sur  mon  départ  pour  le  voyage  de  Suède, 
lorsque  je  reçus  votre  lettre  datée  du  25  juillet,  etc. 

'9- 


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2()2  LETTRES. 

-  l«  Si  le  sentiment  dans  les  anges  est  proprement 
un  sentiment,  et  s'ils  sont  corporels  ou  non?  Je  ré" 
ponds  que  lame  humaine  séparée  du  corps  n'a 
point  proprement  de  sentiment;  qu'à  l'égard  des 
anges,  nous  n'avons  aucune  raison  naturelle  qui 
nous  fasse  connoître  s'ils  sont  créés  comme  les  âmes 
séparées  des  corps,  ou  comme  les  mêmes  âmes 
qui  sont  unies  aux  corps,  et  que  je  ne  détermine 
jamais  rien  sur  les  choses  dont  je  n'ai  aucune  raison 
certaine  pour  donner  lieu  à  des  conjectures.  J'ap- 
prouve ce  que  vous  dites,  que  nous  ne  devons 
point  nous  former  d'autre  idée  de  Dieu  que  celle 
que  tous  les  gens  de  bien  souhaiteroient  s'il  n'y 
avoit  point  de  Dieu. 

Votre  instance  sur  l'accélération  du  mouvement' 
pour  prouver  que  la  même  substance  peut  occuper 
tantôt  un  plus  grand,  tantôt  un  moindre  lieu,  est 
ingénieuse;  cependant  la  disparité  est  grande,  parce- 
que  le  mouvement  n'est  pas  une  substance,  mais  un 
mode ,  et  un  mode  tel  en  effet  que  nous  concevons 
intimement  comment  il  peut  être  diminué  ou  aug- 
menté dans  le  même  lieu;  car  tous  les  êtres  ont 
certaines  notions  propres  par  lesquelles  seules  il 
en  faut  porter  jugement,  et  non  par  comparaison 
des  êtres  les  uns  aux  autres  :  c'est  ainsi  que  les 
qualités  de  la  figure  ne  conviennent  pas  au  mou- 
vement ,  et  que  les  qualités  de  l'une  et  de  l'autre 
ne  conviennent  point  à  l'étendue.  Quand  on  aura 


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LETTRES.  303 

une  fois  bien  compris  que  le  néant  n'a  aucune 
propriété,  et  que  par  conséquent  ce  qu'oivappelle 
communément  espace  vide  n'est  pas  un  rien ,  mais 
un  vrai  corps  dépouillé  de  tous  ses  accidents,  je 
veux  dire  de  ceux  qui  peuvent  se  trouver  et  ne  se 
pas  trouver  sans  la  corruption  du  sujet,  et  qu'on 
aura  remarqué  comment  chaque  partie  ou  de  cet 
espace  ou  de  ce  corps  est  différente  de  toutes  les 
autres,  et  impénétrable,  on  verra  facilement  que 
la  même  divisibilité,  la  même  faculté  d'être  touché 
et  la  même  impénétrabilité  ne  peuvent  convenir  à 
aucune  autre  chose.  J'ai  dit  que  Dieu  est  étendu 
en  puissance ,  parceque  cette  puissance  se  fait  voir 
ou  se  peut  faire  voir  dans  la  chose  étendue;  et  il 
est  certain  que  l'essence  de  Dieu  doit  être  présente 
partout,  afin  que  sa  puissance  s'y  puisse  mettre 
au  jour;  mais  je  dis  qu'elle  n'y  est  pas  à  la  manière 
des  choses  étendues,  c'est-à-dire  de  la  manière  que 
j'ai  décrit  ci-dessus  la  chose  étendue.  Il  me  paroît 
que  parmi  les  marchandises  que  vous  dites  avoir 
gagnées  sur  mon  petit  bateau  ,  il  y  en  a  deux  qui 
sont  de  contrebande:  la  première,  que  le  repos 
soit  une  action  ou  une  espèce  de  résistance;  car 
bien  que  la  chose  qui  est  en  repos  ait  cette  résis- 
tance, de  cela  même  qu'elle  est  en  repos,  ce  n'est 
pas  à  dire  pour  cela  que  cette  résistance  soit  en 
repos.  La  seconde  est  que  mouvoir  deux  corps, 
c'est  les  séparer  immédiatement;  car  souvent  entre 


294  LETTRES. 

les  choses  qui  sont  ainsi  séparées,  l'une  est  dite 
être  mue,  et  l'autre  être  en  repos ,  comme  j'ai  ex- 
pliqué dans  les  art.  a5  et  3o  de  la  seconde  partie 
des  Principes. 

Ce  transport  que  j'appelle  mouvement  n'est 
point  une  chose  de  moindre  entité  que  la  figure, 
c'est-à-dire  elle  est  un  mode  dans  le  corps,  et  la 
force  mouvante  peut  venir  de  Dieu  qui  conserve 
autant  de  transport  dans  la  matière  qu'il  y  en  a 
rais  au  premier  mouvement  de  la  création,  ou 
bien  delà  substance  créée,  comme  de  votre  âme, 
ou  de  quelque  autre  chose  que  ce  soit,  à  qui  il  a 
donné  la  force  de  mouvoir  le  corps  ;  et  cette  force 
dans  la  substance  créée  est  son  mode,  mais  elle 
n'est  pas  un  mode  en  Dieu;  ce  qui  étant  un  peu 
au-dessus  de  la  portée  du  commun  des  esprits,  je 
n'ai  pas  voulu  traiter  cette  question  dans  mes 
écrits,  pour  ne  pas  sembler  favoriser  le  sentiment 
de  ceux  qui  considèrent  Dieu  comme  l'âme  du 
monde  unie  à  la  matière.  Je  considère  la  matière 
laissée  à  elle-même,  et  ne  recevant  aucune  impul- 
sion d'ailleurs,  comme  parfaitement  en  repos;  et 
elle  est  poussée  par  Dieu  qui  conserve  en  elle  au- 
tant de  mouvement  ou  de  transport  qu'il  y  en  a 
mis  dès  le  commencement;  et  ce  transport  ne  cause 
pas  plus  de  violence  à  la  matière  que  le  repos  ; 
car  le  nom  de  violence  ne  se  rapporte  qu'à  notre 
volonté,  qui  souffre,  dit-on,  violence,  lorsque 


I 


LETTRES.  205 

quelque  chose  se  fait  qui  y  répugne  :  or  dans  la 
nature  il  n'y  a  rien  de  violent,  mais  il  est  aussi 
naturel  aux  corps  de  se  pousser  mutuellement,  ou 
de  se  briser  quand  cela  arrive,  que  de  se  tenir  en 
repos.  Mais  ce  qui  a  été  la  cause,  à  ce  que  je  crois, 
de  la  difficulté  que  vous  avez  proposée,  est  que 
vous  concevez  une  certaine  force  dans  le  corps  qui 
est  en  repos,  par  laquelle  il  résiste  au  mouvement, 
comme  si  cette  force  étoit  quelque  chose  de  po- 
sitif, c'est-à-dire  une  certaine  action  distincte  du 
repos  même,  quoique  ce  ne  soit  qu'une  entité 
modale. 

Vous  remarquez  fort  bien  que  le  mouvement, 
en  tant  qu'il  est  mode  du  corps ,  ne  peut  passer 
d'un  corps  dans  un  autre,  et  je  ne  l'ai  pas  dit 
aussi.  Bien  plus,  je  crois  que  le  mouvement,  en 
tant  qu'il  est  un  tel  mode ,  reçoit  des  changements 
continuels  ;  car  autre  chose  est  le  mode  dans  le 
premier  point  du  corps  A ,  qui  est  séparé  du  pre- 
mier point  du  corps  B,  et  autre  celui  qui  est  séparé 
du  deuxième  et  du  troisième,  etc. 

Or  lorsque  j'ai  dit  qu'il  restoit  toujours  autant 
de  mouvement  dans  la  matière,  j'ai  entendu  cela 
de  la  force  qui  pousse  ses  parties,  laquelle  force 
s'applique  tantôt  à  une  partie  de  la  matière ,  tantôt 
s'applique  aux  autres  ,  selon  les  lois  proposées 
dans  l'art,  /p ,  pag.  1 1  o  ,  et  dans  les  suivantes  de 
la  seconde  partie.  Il  ne  faut  donc  pas  s'embarras- 


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LETTRES. 

ser  du  transport  du  repos  d'un  sujet  à  un  autre , 
puisque  le  mouvement  même,  en  tant  qu'il  est  un 
mode  opposé  au  repos,  ne  passe  point  ainsi.  A  l'é- 
gard de  ce  que  vous  ajoutez  que  le  corps  vous  semble 
jouir  d'une  vie,  maisstupide  et  pleine  d'ivresse,  etc., 
je  regarde  cela  comme  de  fort  belles  paroles  ; 
mais  permettez- moi  une  fois  pour  toutes,  avec 
cette  liberté  dont  vous  m'avez  permis  d'user  à  votre 
égard ,  que  rien  ne  nous  éloigne  plus  du  chemin 
de  la  vérité  que  d'établir  certaines  choses,  comme 
véritables ,  qu'aucune  raison  positive ,  mais  notre 
volonté  seule,  nous  persuade,  c'est-à-dire  lorsque 
nous  avons  inventé  ou  imaginé  quelque  chose  ,  et 
qu'après  cela  nos  fictions  nous  plaisent ,  comme 
vous  faites  à  l'égard  de  ces  anges  corporels ,  de 
cette  ombre  de  l'essence  divine,  et  autres  choses 
semblables  que  personne  ne  doit  admettre,  par- 
ceque  c'est  le  vrai  moyen  de  se  fermer  tout  che^ 
min  à  la  vérité. 


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LETTRES. 


t 

A  MADAME  LA  PKINCESSE  PALATINE  '. 

(Lettre  a;  du  tome  LJ 
Madame, 

Entre  plusieurs  fâcheuses  nouvelles  que  j'ai  re- 
çues de  divers  endroits  en  même  temps,  celle  qui 
ma  le  plus  vivement  touché  a  été  la  maladie  de 
votre  altesse ,  et  bien  que  j'en  aie  aussi  appris  la 
guérison ,  il  ne  laisse  pas  d'en  rester  encore  des 
marques  de  tristesse  en  mon  esprit  qui  n'en  pour- 
ront être  sitôt  effacées.  L'inclination  à  faire  des  vers, 
que  votre  altesse  avoit  pendant  son  mal,  me  fait 
souvenir  de  Socrate ,  que  Platon  dit  avoir  eu  une 
pareille  envie  pendant  qu'il  étoit  en  prison.  Et  je 
crois  que  cette  humeur  de  faire  des  vers  vient 
d'une  forte  agitation  des  esprits  animaux ,  qui 
pourroient  entièrement  troubler  l'imagination  de 

1  «  La  27e  lettre  du  Ier  volume ,  page  8a ,  est  de  M.  Descartes  à  la  prin. 
cesse  Palatine.  Elle  n'est  point  datée,  mais  comme  M.  Descartesdit,  page  83 
de  cette  lettre  ,  que  pendant  qu'il  écrit  ces  lignes  il  reçoit  des  lettres  de 
Suède  de  la  reine  et  de  M.  Cbanut ,  et  que  les  lettres  par  lesquelles  il 
répond  à  ces  deux  lettres  sont  datées  du  26  février  1649  ,  il  y  a  de  l'appa- 
rence qu'il  n'y  avoit  que  peu  de  jours  qu'il  les  avoit  reçues;  ainsi  je  fixe 
cette  lettre  au  20  février  1649.  " 


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298  LETTRES. 

ceux  qui  n'ont  pas  le  cerveau  bien  rassis ,  mais  qui 
ne  fait  qu  échauffer  un  peu  les  plus  fermes  et  les 
disposer  à  la  poésie  ;  et  je  prends  cet  emportement 
pour  une  marque  d'un  esprit  plus  fort  et  plus 
relevé  que  le  commun.  Si  je  ne  reconnoissois  le 
vôtre  pour  tel ,  je  craindrois  que  vous  ne  fussiez 
extraordinairement  affligée  d'apprendre  la  funeste 
conclusion  des  tragédies  d'Angleterre  ;  mais  je  me 
promets  que  votre  altesse  étant  accoutumée  aux 
disgrâces  de  la  fortune,  et  s'étant  vue  soi-même 
depuis  peu  en  grand  péril  de  sa  vie,  ne  sera  pas  si 
surprise  ni  si  troublée  d'apprendre  la  mort  d'un  de 
ses  proches,  que  si  elle  n'avoit  point  reçu  aupa- 
ravant d'autres  afflictions.  Et  bien  que  cette  mort 
si  violente  semble  avoir  quelque  chose  de  plus 
affreux  que  celle  qu'on  attend  en  son  lit ,  toute- 
fois, à  le  bien  prendre,  elle  est  plus  glorieuse,  plus 
heureuse  et  plus  douce ,  en  sorte  que  ce  qui  afflige 
particulièrement  en  ceci  le  commun  des  hommes 
doit  servir  de  consolation  à  votre  altesse  ;  car  c'est 
beaucoup  de  gloire  de  mourir  en  une  occasion 
qui  fait  qu'on  est  universellement  plaint ,  loué  et 
regretté  de  tous  ceux  qui  ont  quelque  sentiment 
humain.  Et  il  est  certain  que  sans  cette  épreuve 
la  clémence  et  les  autres  vertus  du  roi  dernier 
mort  n'auroient  jamais  été  tant  remarquées  ni 
tant  estimées  qu'elles  sont  et  seront  à  l'avenir  par 
tous  ceux  qui  liront  son  histoire.  Je  m'assure 


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LETTRES.  2p9 

aussi  que  sa  conscience  lui  a  plus  donné  de  satis- 
faction pendant  les  derniers  moments  de  sa  vie , 
que  l'indignation ,  qui  est  la  seule  passion  triste 
qu'on  dit  avoir  remarquée  en  lui ,  ne  lui  a  causé 
de  fâcherie.  Et  pour  ce  qui  est  de  la  douleur  ,  je 
ne  la  mets  nullement  en  compte;  car  elle  est  si 
courte,  que  si  les  meurtriers  pouvoient  employer 
la  fièvre  ou  quelque  autre  des  maladies  dont  la 
nature  a  coutume  de  se  servir  pour  ôter  les  hom- 
mes du  monde,  on  auroit  sujet  de  les  estimer  plus 
cruels  qu'ils  ne  sont  lorsqu'ils  les  tuent  d'un 
coup  de  hache.  Mais  je  n'ose  m'arrèter  long-temps 
sur  un  sujet  si  funeste,  j'ajoute  seulement  qu'il 
vaut  beaucoup  mieux  être  entièrement  délivré  d'une 
fausse  espérance  que  d'y  être  inutilement  entre- 
tenu. Pendant  que  j'écris  ces  lignes,  je  reçois  des 
lettres  d'un  lieu  d'où  je  n'en  avois  point  eu  depuis 
sept  ou  huit  mois;  et  une  entre  autres  (pie  la  per- 
sonne à  qui  j'avois  envoyé  le  traité  des  Passions ,  il 
y  a  un  an,  a  écrite  de  sa  main  pour  m'en  remer- 
cier. Puisqu'elle  se  souvient  après  tant  de  temps 
d'un  homme  si  peu  considérable  comme  je  suis , 
il  est  à  croire  qu'elle  n'oubliera  pas  de  répondre 
aux  lettres  de  votre  altesse,  bien  qu'elle  ait  tardé 
quatre  mois  à  le  faire.  On  me  mande  qu'elle  a 
donné  charge  à  quelqu'un  des  siens  d'étudier  le 
livre  de  mes  Principes ,  afin  de  lui  en  faciliter  la 
lecture  ;  je  ne  crois  pas  néanmoins  qu'elle  trouve 


300  LETTRES. 

assez  de  loisir  pour  s'y  appliquer,  bien  qu'elle 
semble  en  avoir  la  volonté.  Elle  me  remercie  en 
termes  exprès  du  traité  des  Passions;  mais  elle  ne 
fait  aucune  mention  des  lettres  auxquelles  il  étoit 
joint,et  l'on  ne  me  mande  rien  du  tout  de  ce  pays- 
là  qui  touche  votre  altesse  :  de  quoi  je  ne  puis  de- 
viner autre  chose,  sinon  que  les  conditions  de  la 
paix  d'Allemagne  n'étant  pas  si  avantageuses  à 
votre  maison  qu'elles  auroient  pu  être,  ceux  qui 
ont  contribué  à  cela  sont  en  doute  si  vous  ne  leur 
en  voulez  point  de  mal ,  et  se  retiennent  pour  ce 
sujet  de  vous  témoigner  de  l'amitié.  J'ai  toujours  été 
en  peine,  depuis  la  conclusion  de  cette  paix, de  n'ap- 
prendre point  que  monsieur  l'électeur  votre  frère 
l'eût  acceptée ,  et  j'aurois  pris  la  liberté  d'en  écrire 
plus  tôt  mon  sentiment  à  votre  altesse ,  si  j'avois 
pu  m'imaginer  qu'il  mît  cela  en  délibération  ;  mais 
pourceque  je  ne  sais  point  les  raisons  particu- 
lières qui  le  peuvent  mouvoir,  ce  seroit  témérité 
à  moi  d'en  faire  aucun  jugement  Je  puis  seule- 
ment dire  en  général  que  lorsqu'il  est  question  de 
la  restitution  d'un  état  occupé  ou  disputé  par 
d'autres  qui  ont  les  forces  en  main  ,  il  me  semble 
que  ceux  qui  n'ont  que  l'équité  et  le  droit  des 
gens  qui  plaide  pour  eux  ne  doivent  jamais  faire 
leur  compte  d'obtenir  toutes  leurs  prétentions,  et 
qu'ils  ont  bien  plus  de  sujet  de  savoir  gré  à  ceux 
qui  leur  en  font  rendre  quelque  partie ,  tant  petite 


LETTRES.  301 

qu'elle  soit ,  que  de  vouloir  du  mal  à  ceux  qui 
leur  retiennent  le  reste  ;  et  encore  qu'on  ne  puisse 
trouver  mauvais  qu'ils  disputent  leur  droit  le  plus 
qu'ils  peuvent,  pendant  que  ceux  qui  ont  la  force 
en  délibèrent,  je  crois  que  lorsque  les  conclusions 
sont  arrêtées,  la  prudence  les  oblige  à  témoigner 
qu'ils  en  sont  contents,  encore  qu'ils  ne  le  fussent 
pas ,  et  à  remercier,  non  seulement  ceux  qui  leur 
font  rendre  quelque  cbose ,  mais  aussi  ceux  qui 
ne  leur  ôtent  pas  tout,  afin  d'acquérir  par  ce  moyen 
l'amitié  des  uns  et  des  autres,  ou  du  moins  d'éviter 
leur  baine;  car  cela  peut  beaucoup  servir  par 
après  pour  se  maintenir.  Outre  qu'il  reste  encore 
un  long  chemin  pour  venir  des  promesses  jusqu'à 
l'effet ,  et  que  si  ceux  qui  ont  la  force  s'accordent 
seuls ,  il  leur  est  aisé  de  trouver  des  raisons  pour 
partager  entre  eux  ce  que  peut-être  ils  n'avoient 
voulu  rendre  à  un  tiers  que  par  jalousie  les  uns 
des  autres,  et  pour  empêcher  que  celui  qui  s'en- 
richiroit  de  ses  dépouilles  ne  fût  trop  puissant ,  la 
moindre  partie  du  Palatinat  vaut  mieux  que  tout 
l'empire  des  Tartares  ou  des  Moscovites ,  et  après 
deux  ou  trois  années  de  paix ,  le  séjour  en  sera 
aussi  agréable  que  celui  d'aucun  autre  endroit  de 
la  terre.  Pour  moi,  qui  ne  suis  attaché  à  la  demeure 
d'aucun  lieu,  je  ne  ferois  aucune  difficulté  de 
changer  ces  provinces  ou  même  la  France  pour 
ce  pays-là ,  si  j'y  pouvois  trouver  un  repos  aussi 


502  LETTRES. 

assuré ,  encore  qu'aucune  autre  raison  que  la 
beauté  du  pays  ne  m'y  fit  aller  ;  mais  il  n'y  a 
point  de  séjour  au  monde  si  rude  ni  si  incom- 
mode auquel  je  ne  m'estimasse  heureux  de  passer 
le  reste  de  mes  jours  si  votre  altesse  y  étoit,  et 
que  je  fusse  capable  de  lui  rendre  quelque  service, 
pourceque  je  suis  entièrement  et  sans  aucune 
réserve,  etc. 

A  MADAME  ÉLIZABETH, 

PRINCESSE  PALATINE,  etC. 

(Lettre  28  du  tome  I.  ) 
Madame, 

J'ai  été  extrêmement  surpris  d'apprendre  par  les 
lettres  de  M.  de  P.  que  votre  altesse  a  été  long- 

»  «  La  28e  lettre  du  ter  volume  est  de  M.  Descartes  à  madame  Élizabeth, 
princesse  Palatine  ;  elle  n'est  point  datée ,  mais  comme  M.  Descartes  té- 
moigne, page  86  de  cette  lettre,  que  les  indispositions  dont  elle  est  atta- 
quée viennent  des  sujets  de  fâcherie  qu'elle  a  sans  cesse ,  et  que  M.  Des- 
cartes parle  sans  cesse  des  grands  sujets  de  tristesse  qu'elle  a,  cela  fait 
juger  que  cette  lettre  est  écrite  depuis  les  sanglantes  tragédies  d'Angleterre 
et  la  conclusion  de  la  paix  de  Munster,  arrivée  le  24  d'octobre  1648. 
Ainsi  je  crois  cette  lettre  écrite  en  mars  1649 ,  je  la  fixe  donc  au  i5  mars 
1649.  Je  devine  un  peu,  mais  rien  ne  fixe  la  date  de  cette  lettre.  » 


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LETTRES.  3o3 

temps  malade,  et  je  veux  mal  à  ma  solitude,  pource- 
qu'elle  est  cause  que  je  ne  l'ai  point  su  plus  tôt.  Il 
est  vrai  que,  bien  que  je  sois  tellement  retiré  du 
monde  que  je  n'apprenne  rien  du  tout  de  ce  qui 
s'y  passe,  toutefois  le  zèle  que  j'ai  pour  le  service 
de  votre  altesse  ne  m'eût  pas  permis  d'être  si  long- 
temps sans  savoir  l'état  de  sa  santé,  quand  j'aurois 
dû  aller  à  La  Haye  tout  exprès  pour  m'en  enquérir, 
sinon  que  M.  de  P. 1  m'ayant  écrit  fort  à  la  hâte, 
il  y  a  environ  deux  mois,  m'avoit  promis  de  m'é- 
crire  derechef  par  le  prochain  ordinaire,  et  pour- 
cequ'il  ne  manque  jamais  de  me  mander  comment 
se  porte  votre  altesse,  pendant  que  je  n'ai  point 
reçu  de  ses  lettres,  j'ai  supposé  que  vous  étiez  tou- 
jours en  même  état;  mais  j'ai  appris  par  ses  dernières 
que  votre  altesse  a  eu  trois  ou  quatre  semaines  du- 
rant une  fièvre  lente,  accompagnée  d'une  toux 
sèche,  et  qu'après  en  avoir  été  délivrée  pour  cinq 
ou  six  jours,  le  mal  est  retourné,  et  que  toutefois 
au  temps  qu'il  m'a  envoyé  sa  lettre  (laquelle  a  été 
près  de  quinze  jours  par  les  chemins),  votre  al- 
tesse commençoit  derechef  à  se  porter  mieux.  En 
quoi  je  remarque  les  signes  d'un  mal  si  considé- 
rable ,  et  néanmoins  auquel  il  me  semble  que  votre 
altesse  peut  si  certainement  remédier,  que  je  ne 
puis  m'abstenir  de  lui  en  écrire  mon  sentiment. 
Car  bien  que  je  ne  sois  pas  médecin,  l'honneur 

•  «  PoUet.  » 


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3o4  LETTRES. 

que  votre  altesse  me  fît  leté  passé  de  vouloir  savoir 
mon  opinion  touchant  une  autre  indisposition 
qu'elle  avoit  pour  lors  me  fait  espérer  que  ma  li- 
berté ne  lui  sera  pas  désagréable.  La  cause  la  plus 
ordinaire  de  la  fièvre  lente  est  la  tristesse;  et  l'opi- 
niâtreté de  la  fortune  à  persécuter  votre  maison  vous 
donne  continuellement  des  sujets  de  fâcherie,  qui 
sont  si  publics  et  si  éclatants,  qu'il  n'est  pas  besoin 
d'user  beaucoup  de  conjectures,  ni  être  fort  dans 
les  affaires,  pour  juger  que  c'est  en  cela  que  con- 
siste la  principale  cause  de  votre  indisposition;  et 
il  est  à  craindre  que  vous  n'en  puissiez  être  du  tout 
délivrée,  si  ce  n'est  que  par  la  force  de  votre  vertu 
vous  rendiez  votre  âme  contente ,  malgré  les  dis- 
grâces de  la  fortune.  Je  sais  bien  que  ce  seroit 
être  imprudent  de  vouloir  persuader  la  joie  à  une 
personne  à  qui  la  fortune  envoie  tous  les  jours  de 
nouveaux  sujets  de  déplaisir,  et  je  ne  suis  point 
de  ces  philosophes  cruels  qui  veulent  que  leur 
sage  soit  insensible;  je  sais  aussi  que  votre  altesse 
n'est  point  tant  touchée  de  ce  qui  la  regarde  en 
son  particulier,  que  de  ce  qui  regarde  les  intérêts 
de  sa  maison  et  des  personnes  qu'elle  affectionne; 
ce  que  j'estime  comme  une  vertu  la  plus  aimable 
de  toutes.  Mais  il  me  semble  que  la  différence  qui 
est  entre  les  plus  grandes  âmes  et  celles  qui  sont 
basses  et  vulgaires  consiste  principalement  en  ce 
que  les  âmes  vulgaires  se  laissent  aller  à  leurs  pas- 


LETTRES.  3o5 

sions,  et  ne  sont  heureuses  ou  malheureuses  que 
selon  que  les  choses  qui  leur  surviennent  sont 
agréables  ou  déplaisantes  ;  au  lieu  que  les  autres 
ont  des  raisonnements  si  forts  et  si  puissants,  que 
bien  qu'elles  aient  aussi  des  passions,  et  même 
souvent  de  plus  violentes  que  celles  du  commun, 
leur  raison  demeure  néanmoins  toujours  la  maî- 
tresse, et  fait  que  les  afflictions  même  leur  servent 
et  contribuent  à  la  parfaite  félicité  dont  elles  jouis- 
sent dès  cette  vie.  Car  d'une  part  se  considérant 
comme  immortelles  et  capables  de  recevoir  de 
très  grands  contentements ,  puis  d'autre  part  con- 
sidérant qu'elles  sont  jointes  à  des  corps  mortels 
et  fragiles,  qui  sont  sujets  à  beaucoup  d'infirmités, 
et  qui  ne  peuvent  manquer  de  périr  dans  peu 
d'années,  elles  font  bien  tout  ce  qui  est  en  leur 
pouvoir  pour  se  rendre  la  fortune  favorable  en 
cette  vie,  mais  néanmoins  elles  l'estiment  si  peu 
au  regard  de  l'éternité,  quelles  n'en  considèrent 
quasi  les  événements  que  comme  nous  faisons 
ceux  des  comédies.  Et  comme  les  histoires  tristes 
et  lamentables  que  nous  voyons  représenter  sur 
un  théâtre  nous  donnent  souvent  autant  de  ré- 
création que  les  gaies,  bien  qu'elles  tirent  des 
larmes  de  nos  yeux  :  ainsi  ces  plus  grandes  âmes 
dont  je  parle  ont  de  la  satisfaction  en  elles- 
mêmes  de  toutes  les  choses  qui  leur  arrivent, 
même  des  plus  fâcheuses  et  insupportables.  Ainsi 

ÎO.  30 


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5û6  LETTRES. 

ressentant  de  la  douleur  en  leurs  corps,  elles  s'exer- 
cent à  la  supporter  patiemment,  et  cette  épreuve 
qu'elles  font  de  leur  force  leur  est  agréable  ;  ainsi 
voyant  leurs  amis  en  quelque  grande  affliction, 
elles  compatissent  à  leur  mal,  et  font  tout  leur  pos- 
sible pour  les  en  délivrer,  et  ne  craignent  pas 
même  de  s'exposer  à  la  mort  pour  ce  sujet,  s'il  en 
est  besoin  :  mais  cependant  le  témoignage  que  leur 
donne  leur  conscience,  de  ce  qu'elles  s'acquittent 
en  cela  de  leur  devoir  et  font  une  action  louable 
et  vertueuse,  les  rend  plus  heureuses  que  toute 
la  tristesse  que  leur  donne  la  compassion  ne  les 
afflige.  Et  enfin  comme  les  plus  grandes  prospérités 
de  la  fortune  ne  les  enivrent  jamais  et  ne  les  rendent 
point  plus  insolentes ,  aussi  les  plus  grandes  ad- 
versités ne  les  peuvent  abattre  ni  rendre  si  tris- 
tes que  le  corps  auquel  elles  sont  jointes  en  de- 
vienne malade.  Je  craindrois  que  ce  style  ne  fût 
ridicule,  si  je  m'en  servois  en  écrivant  à  quel- 
que autre;  mais  pourceque  je  considère  votre 
altesse  comme  ayant  l'âme  la  plus  noble  et  la  plus 
relevée  que  je  connoisse,  je  crois  qu'elle  doit 
aussi  être  la  plus  heureuse,  et  qu'elle  le  sera  véri- 
tablement, pourvu  qu'il  lui  plaise  jeter  les  yeux 
sur  ce  qui  est  au-dessous  d'elle,  et  comparer  la 
valeur  des  biens  qu'elle  possède,  et  qui  ne  lui 
sauroient  jamais  être  ôtés,  avec  ceux  dont  la  fortune 
l'a  dépouillée,  et  les  disgrâces  dont  elle  la  persécute 


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LETTRES.  OO7 

en  la  personne  de  ses  proches  ;  car  alors  elle  verra 
le  grand  sujet  qu'elle  a  d'être  contente  de  ses  pro- 
pres biens.  Le  zèle  extrême  que  j'ai  pour  elle  est 
cause  que  je  me  suis  laissé  emporter  à  ce  discours, 
que  je  la  supplie  très  humblement  d'excuser, 
comme  venant  d'une  personne  qui  est,  etc. 


A  M.  Cn  AN  UT  '. 


(  Lettre  38  du  tome  I.  ) 


Monsieur, 

Vous  avez  grande  raison  de  penser  que  j'ai  beau- 
coup plus  de  sujet  d'admirer  qu'une  reine  perpé- 
tuellement agissante  dans  les  affaires  se  soit  sou- 
venue, après  plusieurs  mois,  d'une  lettre  que  j  avois 
eu  l'honneur  de  lui  écrire,  et  qu'elle  ait  pris  la 
peine  d'y  répondre,  que  non  pas  qu'elle  n'y  ait 
point  répondu  plus  tôt.  J'ai  été  surpris  de  voir  qu'elle 
écrit  si  nettement  et  si  facilement  en  françois  ;  toute 
notre  nation  lui  en  est  très  obligée ,  et  il  me  semble 
que  cette  princesse  est  bien  plus  créée  à  l'image  de 

»  «  La  lettre  de  la  reine  de  Suède  à  M.  Descartes  est  perdue;  elle  éioit 
du  mois  de  décembre  1648.  Voyez  la  lettre  manuscrite  de  Chanut  à  Des- 
cartes ,  du  1 2  de  décembre.  » 

20. 


5o8  LETTRES. 

Dieu  que  le  reste  des  hommes,  d'autant  quelle 
peut  étendre  ses  soins  à  plus  grand  nombre  de  di- 
verses occupations  en  même  temps  :  car  il  n'y  a 
au  monde  que  Dieu  seul  dont  l'esprit  ne  se  lasse 
point,  et  qui  n'est  pas  moins  exact  à  savoir  le  nom- 
bre de  nos  cheveux,  et  à  pourvoir  jusquesaux  plus 
petits  vermisseaux,  qu'à  mouvoir  les  cieux  et  les 
astres.  Mais  encore  que  j'aie  reçu  comme  une  fa- 
veur nullement  méritée  la  lettre  que  cette  incom- 
parable princesse  a  daigné  m'écrire,  et  que  j'ad- 
mire qu  elle  en  ait  pris  la  peine ,  je  n'admire  pas 
en  même  façon  qu'elle  veuille  prendre  celle  de  lire 
le  livre  de  mes  Principes,  à  cause  que  je  me  per- 
suade qu'il  contient  plusieurs  vérités  qu'on  trou- 
veroit  difficilement  ailleurs.  On  peut  dire  que  ce  ne 
sont  que  des  vérités  de  peu  d'importance,  touchant 
des  matières  de  physique,  qui  semblent  n'avoir  rien 
de  commun  avec  ce  que  doit  savoir  une  reine:  mais 
d'autant  que  l'esprit  de  celle-ci  est  capable  de  tout , 
et  que  ces  vérités  de  physique  font  partie  des  fon- 
dements de  la  plus  haute  et  plus  parfaite  morale , 
j'ose  espérer  qu'elle  aura  de  la  satisfaction  de  les . 
connoître.  Je  serois  ravi  d'apprendre  qu'elle  vous 
eût  choisi  avec  M.  Freinshemius  pour  la  soulager 
en  cette  étude;  et  je  vous  aurois  très  grande  obli- 
gation si  vous  preniez  la  peine  de  m'avertir  des 
lieux  où  je  ne  me  suis  pas  assez  expliqué.  Je  serois 
toujours  soigneux  de  vous  répondre  dès  le  jour 


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LETTRES.  009 

même  que  j'aurois  reçu  de  vos  lettres;  mais  cela 
ne  serviroit  que  pour  ma  propre  instruction ,  car 
il  y  a  si  loin  d'ici  à  Stockholm,  et  les  lettres 
passent  par  tant  de  mains  avant  que  d'y  arriver, 
que  vous  auriez  bien  plus  tôt  résolu  de  vous-même 
les  difficultés  que  vous  rencontreriez,  que  vous 
n'en  pourriez  avoir  d'ici  la  solution.  Je  remar- 
querai seulement  en  cet  endroit  deux  ou  trois 
choses  que  l'expérience  m'a  enseignées  touchant 
ce  livre.  La  première  est ,  qu'encore  que  sa  pre- 
mière partie  ne  soit  qu'un  abrégé  de  ce  que  j'ai 
écrit  en  mes  Méditations,  il  n'est  pas  besoin  toute- 
fois pour  l'entendre  de  s'arrêter  à  lire  ces  Médita- 
tions, à  cause  que  plusieurs  les  trouvent  beau- 
coup plus  difficiles,  et  j'aurois  peur  que  sa  majesté 
ne  s'en  ennuyât.  La  seconde  est  qu'il  n'est  pas  be- 
soin non  plus  de  s'arrêter  à  examiner  les  règles  du 
mouvement,  qui  sont  en  l'article  46  de  la  seconde 
partie,  et  aux  suivants,  à  cause  qu'elles  ne  sont 
pas  nécessaires  pour  l'intelligence  du  reste.  La  der- 
nière est  qu'il  est  besoin  de  se  souvenir,  en  lisant 
ce  livre,  que  bien  que  je  ne  considère  rien  dans  les 
corps  que  les  grandeurs,  les  figures  et  les  mouve- 
ments de  leurs  parties,  je  prétends  néanmoins  y 
expliquer  la  nature  de  la  lumière,  de  la  chaleur,  et 
de  toutes  les  autres  qualités  sensibles;  d'autant  que 
je  présuppose  que  ces  qualités  sont  seulement  dans 
nos  sens,  ainsi  que  le  chatouillement  et  la  douleur, 


3lO  LETTRES. 

et  non  point  dans  les  objets  que  nous  sentons,  dans 
lesquels  il  n'y  a  que  certaines  figures  et  mouve- 
ments qui  causent  les  sentiments  qu'on  nomme 
lumière,  chaleur,  etc.  :  ce  que  je  n'ai  expliqué  et 
prouvé  qu'à  la  fin  de  la  quatrième  partie;  et  toute- 
fois il  est  à  propos  de  le  savoir  et  remarquer  dès 
le  commencement  du  livre,  pour  le  pouvoir  mieux 
entendre.  Au  reste,  j'ai  ici  à  m'excuser  de  ce  que  vos 
lettres  me  sont  allées  chercher  à  Paris ,  et  que  je 
ne  vous  avois  point  encore  mandé  mon  retour  en 
Hollande ,  où  il  y  a  déjà  cinq  mois  que  je  suis  ;  mais 
je  supposois  que  M.  Clerselier  vous  l'écriroit ,  à 
cause  qu'il  me  faisoit  souvent  part  de  vos  nou- 
velles lorsque  j'étois  en  France;  et  j'étois  bien  aise 
de  ne  rien  écrire  de  mon  retour,  afin  de  ne  sembler 
point  le  reprocher  à  ceux  qui  m'avoient  appelé. 
Je  les  ai  considérés  comme  des  amis  qui  m'avoient 
convié  à  dîner  chez  eux  ;  et  lorsque  j'y  suis  arrivé, 
j'ai  trouvé  que  leur  cuisine  étoiten  désordre,  et  leur 
marmite  renversée;  c'est  pourquoi  je  m'en  suis  re- 
venu sans  dire  mot,  afin  de  n'augmenter  point 
leur  fâcherie.  Mais  cette  rencontre  m'a  enseigné  à 
n'entreprendre  jamais  plus  aucun  voyage  sur  des 
promesses ,  quoiqu'elles  soient  écrites  en  parche- 
min. Et  bien  que  rien  ne  m'attache  en  ce  lieu ,  si- 
non que  je  n'en  connois  point  d'autre  où  je  puisse 
être  mieux ,  je  me  vois  néanmoins  en  grand  hasard 
d'y  passer  le  reste  de  mes  jours,  car  j'ai  peur  que 


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LETTRES.  Sll 

nos  orages  de  France  ne  soient  pas  sitôt  apaisés , 
et  je  deviens  de  jour  à  autre  plus  paresseux,  en 
sorte  qu'il  seroit  difficile  que  je  pusse  derechef 
me  résoudre  à  souffrir  l'incommodité  d'un  voyage. 
Mais  je  suppose  que  vous  reviendrez  quelque  jour 
du  lieu  où  vous  êtes;  alors  j'espère  que  j'aurai  l'hon- 
neur de  vous  voir  ici  en  passant.  Et  je  serai  toute 
ma  vie,  etc. 

La  lettre  jointe  à  celle-ci  ne  contient  qu'un 
compliment  fort  stérile  :  car ,  n'étant  interrogé  sur 
aucune  matière,  je  n'ai  osé,  par  respect,  en  tou- 
cher aucune ,  afin  de  ne  semhler  pas  vouloir  faire 
le  discoureur,  et  j'ai  cru  néanmoins  que  mon  de- 
voir m'obligeoit  d'écrire. 

A  Egmont,  le  a6  février  1649. 

A  LA  REINE  DE  SUÈDE. 

(Lettre  3g  du  tome  I.) 
Madame, 

1 

S'il  arrivoit  qu'une  lettre  me  fût  envoyée  du 
ciel ,  et  que  je  la  visse  descendre  des  nues ,  je  ne 
serois  pas  davantage  surpris,  et  ne  la  pourrois  re- 
cevoir avec  plus  de  respect  et  de  vénération  que 


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3l2  LETTRES. 

j'ai  reçu  celle  qu'il  a  plu  à  votre  majesté  de  m'é- 
çrire.  Mais  je  me  reconnois  si  peu  digne  des  remer- 
ciements qu'elle  contient,  que  je  ne  les  puis  accep- 
ter que  comme  une  faveur  et  une  grâce,  dont  je 
demeure  tellement  redevable,  que  je  ne  m'en  sau- 
rois  jamais  dégager.  L'honneur  que  j'avois  ci-de- 
vant reçu  d  être  interrogé  de  la  part  de  votre  ma- 
jesté par  M.  Chanut,  touchant  le  souverain  bien , 
ue  m'avoit  que  trop  payé  de  la  réponse  que  j'avois 
faite  ;  et  depuis  ayant  appris  par  lui  que  cette  ré- 
ponse avoit  été  favorablement  reçue,  cela  m'avoit 
si  fort  obligé,  que  je  ne  pouvois  pas  espérer  ni 
souhaiter  rien  de  plus  pour  si  peu  de  chose ,  par- 
ticulièrement d'une  princesse  que  Dieu  a  mise  en  si 
haut  lieu,  qui  est  environnée  de  tant  d'affaires  très 
importantes,  dont  elle  prend  elle-même  les  soins, 
et  de  qui  les  moindres  actions  peuvent  tant  pour 
le  bien  général  de  toute  la  terre,  que  tous  ceux  qui 
aiment  la  vertu  se  doivent  estimer  très  heureux 
lorsqu'ils  peuvent  avoir  occasion  de  lui  rendre 
quelque  service.  Et  pourceque  je  fais  particulière- 
ment profession  d'être  de  ce  nombre,  j'ose  ici  pro- 
tester à  votre  majesté  qu  elle  ne  me  sauroit  rien 
commander  de  si  difficile,  que  je  ne  sois  toujours 
prêt  de  faire  tout  mon  possible  pour  l'exécuter,  et 
que  si  j'étois  né  Suédois  ou  Finlandois ,  je  ne  pour- 
rois  être  avec  plus  de  zèle,  ni  plus  parfaitement 
que  je  suis, etc. 


y 


LETTRES.  3l5 

M.  SCHOOÏEN 

* 

.  .  - 

A  M.   DES  G  ART  ES. 

M 

,     .        i  (Lettre  n6du  tome  III. ) 

■ 

■  « 

A  Leyde,  ce  10  iuars  it>4y. 

Monsieur, 

Je  n'ai  pas  voulu  manquer  de  vous  envoyer  les 
deux  livres  que  je  vous  avois  promis,  savoir, 
Diogenes  Laertius  de  vitis  philosop/iorum,  et  Gre~ 
gorius  a  S.  Vincenlio  de  quadratura  circuit,  et 
sectionum  coni.  Touchant  ce  dernier ,  je  désire 
fort  de  savoir  votre  sentiment,  d'autant  que  le  feu 
père  Mersenne,  dans  un  livre  qu'il  a  naguère  mis 
en  lumière,  qui  sert  de  second  tome  au  livre  in- 
titulé Cogitata  pkysico  -  matkematica  ,  parle  fort 
sobrement  en  faveur  de  cet  auteur,  ne  le  nom- 
mant pas  une  seule  fois,  encore  qu'il  parle  assez 
apertement  et  amplement  de  son  livre.  La  plus 
grande  louange  qu'il  lui  donne  est  qu'il  ait  com- 
posé un  grand  livre,  et  qu'il  a  cherché  cette  qua- 
drature par  des  chemins  fort  longs  et  qui  déjà 
sont  connus.  Ce  que  je  prends  pour  le  jugement 
de  M.  de  Roberval ,  lequel  je  sais  s  être  employé 


y 


3l4  LETTRES. 

à  l'examiner.  Mais  parceque  Vincentius  lui-même 
déclare  que  la  chose  principale  dont  il  s'est  servi 
pour  en  venir  à  bout  est  per  proportionalitates , 
dont  il  a  fait  un  traité,  et  qu'il  traite  aussi  de 
ductu  plani  in  planum,  qui  sans  doute  sont  des 
choses  nouvelles  et  qui  méritent  de  la  louange , 
dont  pourtant  le  père  Mersenne  ne  dit  mot ,  je 
doute  fort  que  ce  sentiment  soit  assez  équitable. 
Si  vous  voulez  lire  ce  que  le  révérend  père  Mer- 
senne  en  a  écrit ,  je  vous  enverrai  son  livre ,  lequel 
je  puis  facilement  obtenir  ici  d'un  de  mes  amis , 
qui  m'a  appris  ce  que  je  vous  en  viens  d'écrire. 
Au  reste  j'ai  écrit  à  M.  Zuitlichera  le  jeune  que 
les  vers  qu'il  avoit  composés  pour  mettre  sous 
votre  effigie  ne  sont  pas  encore  gravés.  Vous  les 
verrez  dans  cette  feuille  ci-jointe,  où  j'ai  ajouté 
ceux  que  M.  Bartholinus  a  composés  sur  le  même 
sujet ,  et  je  l'ai  fait  en  faveur  de  ceux  qui  in  tui 
lundi' m  se  profitentur  poêlas  vel  ptclores  ,  etc.  Sed 
his  omissis  ,  il  faut  que  je  vous  propose  une  petite 
difficulté  qui  m'est  survenue  en  voulant  résoudre 
une  équation  de  quatre  dimensions ,  dont  la  ra- 
cine est  cubique  en  deux  autres,  selon  la  règle 
de  la  page  385,  à  savoir,  de  diviser  12  par  3  — 
\/e  5  —  \/e  2,  ce  que  je  ne  puis  autrement  faire 

qu'en  mettant  ^FfW^PTl  \  mais  je  ne  me  satisfais 
pas  ainsi.  De  plus  je  serois  bien  aise  que  vous 
voulussiez  prendre  la  peine  d'examiner  si  ces  deux 


LETTRES.  3  1  5 

questions  paradoxes  sont  bien  résolues.  Personœ 
duœ  A  et  B ,  societatem  îneuntes ,  lucrati  sunt  1 2  au- 
reos,  qaorum  A  expendit  aureos  5  ;  B  autem  reliqua- 
tur  aureos  2,  hoc  est  habet — 2  aureos.  Quœritur  quan- 
tum cuilibet  ex  hac  summa  debeatur  ?  Respondelur. 
Solvendos  esse  a  B  ipsi  A  8  aureos  ,  quamvis  lucrum 
esse  manifestum  sit.  Aliud  exemptum  de  damno. 
Personœ  duœ  A  et  B  jacturam  faciunt  12  aureo- 
rmn  ,  hoc  est ,  habent  —  12  aureos.  Cum  igitur  A 
conlribuerit  5  aureos ,  et  B  —  2  aureos:  manifes- 
tum fit,  ipsi  A  ex  natura  quœstionis  deberi  —  20 
aureos,  et  ipsi  B  f  8  aureos,  hoc  est,  B  habebit  8 
aureos  :  etiamsi  jacturam  factam  esse  constet.  Eu 
finissant  je  vous  remercie  très  humblement  de 
l'honneur  qtie  j'ai  nouvellement  reçu  en  votre  • 
logis,  vous  assurant  qu'il  n'y  a  chose  au  monde 
que  je  désire  avec  plus  de  passion  que  de  pouvoir 
être  capable  de  vous  rendre  quelque  service ,  et 
dont  je  fasse  plus  d'état  que  d'avoir  acquis  la 
gloire  de  votre  connoissance ,  laquelle  je  tâche- 
rai de  me  conserver,  en  vous  assurant  que  je 
suis,  etc. 


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5i6 


LETTRES. 


RÉPONSE  DE  M.  DESCARTES 

A  M.  SCHOOTEN. 
(Lettre  117  du  tome  III.) 

Monsieur, 

Je  vous  remercie  des  livres  et  de  tous  les  autres 
biens  qu'il  vous  a  plu  m  envoyer  ;  je  n'avois  jamais 
été  si  bien  fourni  de  plumes  que  je  suis  mainte- 
nant, et  pourvu  que  je  ne  les  perde  point,  j'en  ai 
plus  qu'il  ne  m'en  faut  pour  écrire  cent  ans  du- 
rant. Cela  me  donnera  sujet  de  penser  à  vous 
toutes  les  fois  que  j'aurai  la  plume  en  main,  et  il 
m'a  été  beaucoup  plus  aisé  de  faire  la  division 
de  1 2  par  3  —  \/e  3  —  [/e  2  que  vous  m'avez 
demandée,  qu'il  ne  m'eût  été  si  je  n'eusse  point 
eu  de  si  bonnes  plumes;  car  le  calcul  en  est  plus 
long  que  l'invention  n'en  est  difficile.  Il  vient  pour 
le  quotient 

^rrr  t  tW*  f  -tïVt  ^2  f  ^t*rH 
VM  t  iH*,  M  t  m  ^eiS  t        Sei2  f  ff|f 
\Zeo6.  Comme  vous  pourrez  aisément  vérifier  en 
multipliant  ces  neuf  termes  par  3  —  y/e  3  — 
\/e  2;  car  le  produit  sera  12. 


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LETTRES.  5  I  7 

Les  deux  questions  que  vous  nommez  para- 
doxes sont  bien  résolues,  et  encore  qu'il  ne  soit 
pas  ordinaire  qu'un  homme  qui  a  quelque  bien 
se  mette  en  compagnie  avec  un  autre  qui  a  moins 
que  rien,  il  peut  toutefois  arriver  des  cas  aux- 
quels cela  se  pratique.  Par  exemple ,  deux  mar- 
chands d'Amsterdam  ont  chacun  leur  commis  en 
Alep ,  et  pourcequ 'ils  ne  se  fient  pas  trop  en  ces 
deux  commis  et  qu'ils  savent  qu'ils  sont  ennemis 
l'un  de  l'autre,  ils  leur  écrivent  que  du  jour  qu'ils 
auront  reçu  leurs  lettres  ils  se  rendent  compte 
l'un  à  l'autre  de  tout  ce  qu'ils  ont  entre  leurs 
mains  du  bien  de  leur  maître,  et  que  s'il  se 
trouve  que  l'un  d'eux  doive  plus  qu'il  n'a,  que 
cela  soit  payé  de  l'argent  de  l'autre,  et  que  le 
surplus  soit  mis  en  commun  pour  être  employé 
en  marchandise ,  sans  que  l'un  des  commis  puisse 
rien  vendre  ni  acheter  sans  le  su  de  l'autre ,  et 
ils  s'accordent  entre  eux  qu'ils  partageront  ensem- 
ble le  gain  ou  la  perte,  à  raison  de  l'argent  que 
leurs  commis  auront  eu  entre  leurs  mains  lors- 
qu'ils recevront  leurs  lettres.  Ensuite  de  quoi ,  s'il 
arrive  qu'un  de  ces  commis  ait  cinq  mille  livres, 
et  que  l'autre  doive  deux  mille  livres,  ayant  payé 
ces  deux  mille  livres  de  l'argent  du  premier,  il 
restera  trois  mille  livres  qu'ils  emploieront  en  mar- 
chandise, et  si  de  ces  trois  mille  livres  ils  gagnent 
douze  mille  livres  ,  c'est  le  quadruple  de  leur 


5  I  8  LETTRES. 

argent.  C  est  pourquoi  celui  qui  avoit  au  com- 
mencement cinq  mille  livres  en  doit  gagner  vingt 
mille ,  et  par  conséquent  l'autre  qui  étoit  reliqua- 
taire  de  deux  mille  livres  en  doit  perdre  huit  mille. 
Au  contraire,  s'il  y  a  douze  mille  livres  de  perte, 
celui  qui  avoit  cinq  mille  livres  en  doit  perdre 
vingt  mille,  et  l'autre  par  conséquent  en  gagner 
huit  mille,  pourcequ'ayant  payé  ses  deux  mille 
livres  de  l'argent  du  premier ,  il  l'a  empêché  de 
les  employer  en  la  marchandise  où  il  y  avoit  le 
quadruple  à  perdre.  Pour  le  portrait  en  taille- 
douce  vous  m'obligez  plus  que  je  ne  mérite  d'a- 
voir pris  la  peine  de  le  graver ,  et  je  le  trouve  fort 
bien  fait ,  mais  la  barbe  et  les  habits  ne  ressem- 
blent aucunement.  Les  vers  sont  aussi  fort  bons 
et  fort  obligeants;  mais  puisqu'ils  ne  satisfont  pas 
assez  leur  auteur,  j'approuve  extrêmement  le  des- 
sein que  vous  m'avez  dit  que  vous  aviez  de  ne 
vous  point  servir  du  tout  de  ce  portrait ,  et  de  ne 
le  point  mettre  au-devant  de  votre  livre.  Mais  en 
cas  que  vous  l'y  voulussiez  mettre,  je  vous  prie- 
rois  d'en  ôter  ces  mots ,  Perronii  toparcha  ,  naius 
die  uiiimo  martis  iSgô.  Les  premiers  ,  pource- 
que  j'ai  aversion  pour  toutes  sortes  de  titres;  et 
les  derniers  ,  pourceque  j'ai  aussi  de  l'aversion 
pour  les  faiseurs  d'horoscope ,  à  l'erreur  desquels 
on  semble  contribuer  quand  on  publie  le  jour  de 
la  naissance  de  quelqu'un.  Je  ne  vous  renvoie  pas 


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LETTRES.  019 

encore  vos  livres,  pourceque  je  n'ai  pas  eu  le 
temps  de  les  lire  ;  mais  j'en  ai  assez  vu  pour  re- 
marquer un  paralogisme  dans  la  quadrature  du 
cercle  prétendue,  et  je  n'ai  encore  rien  rencontré 
dans  tout  ce  gros  livre ,  sinon  des  propositions  si 
simples  et  si  faciles,  que  l'auteur  me  semble  avoir 
mérité  plus  de  blâme  d'avoir  employé  son  temps 
à  les  écrire  que  de  gloire  de  les  avoir  inventées. 
Pour  trouver  son  paralogisme,  j'ai  commencé  par 
la  1  i34e  page ,  où  il  dit  :  Nota  autem  est  proportio 
segmenli  LMNK,  ad  se  g  ment  um  EGFIF.  Ce  qui 
est  faux  :  et  pour  en  chercher  la  preuve,  j'ai  exa- 
miné les  propositions  qui  précèdent  jusqu'à  la 
trente-neuvième  du  même  livre,  page  1 121,  où  j'ai 
vu  que  sa  faute  consiste  en  ce  qu'il  veut  appliquer 
à  plusieurs  quantités  conjointes  ce  qu'il  a  prouvé 
2      4     8  en  la  proposition  trente-septième  des 
2      6    18  mêmes  quantités  étant  divisées  ,  où 
2      8    32  sa  conséquence  est  très  fausse  ;  car 
2     10    59  ayant,  par  exemple,  les  quantités  2, 
4j  8,  etc.,  bien  qu'il  soit  vrai  que  8  est  à  02  en 
raison  doublée  de  4  à  8,  et  18  à  5o,  aussi  en  rai- 
son doublée  de  6  à  10,  ce  n'est  pas  à  dire  que 
8+18,  c'est-à-dire  26,  soit  à  32-f5o,  c'est-à-dire 
82  ,  en  raison  doublée  de  celle  qui  est  entre  4+6 , 
c'est-à-dire  10,  et  8*j- 1  o ,  c'est-à-dire  1 8.  Tout  ce 
qu'il  décrit  de  proportionalitatibus  et  de  ductibus 
ne  me  semble  aussi  d'aucun  usage,  et  ne  lui  a 


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J20  LETTRES. 

servi  que  pour  s'embrouiller,  et  se  tromper  soi- 
même  plus  aisément.  Je  suis,  etc. 


A  M.  CHANUT  \ 


(Lettre  /,2  du  tome  I.) 


Monsieur, 

La  dernière  que  vous  avez  pris  la  peine  de  m'a- 
dresser  à  Paris  n'est  point  parvenue  jusques  à  moi , 

*  <*  M.  Chanut  ayant  envie  que  M.  Descartes  allât  en  Suède ,  le  sollicita 
d'y  aller,  par  des  lettres  qu'il  adressa  à  M.  Picot  à  Paris,  croyant  que 
M.  Descartes  y  étoit  encore.  M.  Picot  envoya  ces  lettres  à  M.  Descartes, 
qui  les  reçut  vers  la  mi-février,  puisque,  dans  une  lettre  adressée  à  Picot, 
du  ai  février  1649*  il  le  remercie  de  lui  avoir  envoyé  des  lettres.  Cepen- 
dant M.  Chanut  ayant  appris  par  M.  Clerselier  que  M.  Descartes  étoit  de 
retour  en  Hollande,  lui  récrivit  de  secondes  lettres ,  datées  du  27  février. 
M.  Descartes,  qui  avoit  négligé  de  répondre  aux  premières  lettres  sué- 
doises que  Picot  lui  avoit  renvoyées  de  Paris,  ayant  reçu,  sur  la  fin  de 
mars,  ces  secondes  lettres  qui  lui  étoient  adressées  par  la  voie  d'Alcmaer , 
répondit  promptement  à  M.  Chanut,  et  ne  témoigna  pas,  dans  sa  réponse, 
avoir  reçu  ces  secondes  ;  cependant  il  les  avoit  reçues  quand  il  répondit  à 
Chanut  le  3 1  mars  ;  car  dans  la  44e  lettre  du  xer  volume ,  adressée  à  la  priu- 
cesse  Palatine,  et  écrite  le  icr  avril  if>4o, ,  M.  Descartes  dit  à  cette  prin- 
cesse qu'il  lui  avoit  écrit  il  y  avoit  un  mois ,  qu'il  avoit  reçu  des  lettres  de 
Suède  (et  cela  vouloit  dire  les  premières,  qui  avoient  été  le  chercher  â  Paris), 
et  qu'il  en  avoit  reçu  depuis  peu  de  secondes ,  comme  de  la  part  de  la 
reine  de  Suède,  auxquelles  il  avoit  fait  la  réponse  qui  est  enfermée  dans 
les  4  2  et  43e  lettres  du  Ier  volume.  Tout  cela  me  persuade  que  les  42  et 


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LETTRES.  021 

mais  je  viens  d'en  recevoir  la  copie  par  le  soin  de 
M.  Brasset,  et  je  tiens  à  une  très  insigne  faveur 
d'apprendre  par  elle  qu'il  plaît  à  la  reine  de  Suède 
que  j'aie  l'honneur  de  lui  aller  faire  la  révérence. 
J'ai  tant  de  vénération  pour  les  hautes  et  rares  qua- 
lités de  cette  princesse,  que  les  moindres  de  ses 
volontés  sont  des  commandements  très  absolus  à 
mon  regard  :  c'est  pourquoi  je  ne  mets  point  ce 
voyage  en  délibération ,  je  me  résous  seulement  à 
obéir.  Mais  pourceque  vous  ne  me  prescrivez  au- 
cun temps,  et  que  vous  ne  le  proposez  que 
comme  une  promenade  dont  je  pourrois  être  de 
retour  dans  cet  été,  j'ai  pensé  qu'il  seroit  malaisé 
que  je  puisse  donner  grande  satisfaction  à  sa  ma- 
jesté en  si  peu  de  temps,  et  qu'elle  aura  peut- 
être  plus  agréable  que  je  prenne  mes  mesures  plus 

♦ 

43e  de  ce  volume,  qui  oui  été  envoyées  à  M.  Chanut ,  sont  bien  datées 
du  3i  mars  1649;  premièrement,  elles  sont  ainsi  datées  dans  l'imprimé; 
et  dans  le  catalogue  des  lettres  reçues  par  M.  Chanut  il  est  marqué  deux 
lettres  de  M.  Descartes,  reçues  le  3i  mars  1649.  Ainsi,  ces  deux  lettres 
sont  du  3i  mars  1649.»  —  «La  \->.''  du  ier  volume,  page  i35,  est  de 
M.  Descartes  à  M.  Cbauut  ;  il  répond  dans  cette  lettre  à  une  que  M.  Cha- 
nut lui  avoit  écrite  à  Paris,  l'y  croyant  encore  ,  et  que  M.  Descartes  ne 
reçut  que  vers  la  mi-février,  par  le  soin  de  M.  Picot,  qui  lui  en  avoit  en- 
voyé la  copie.  Cette  lettre  et  la  suivante  étoient  datées  dtEgmond,  du  3i 
mars  1648.  Cependant  il  y  a  grande  apparence  qne  toute  cette  date  est 
fautive  ,  et  je  me  persuade  que  cette  lettre  et  la  suivante  43e  sont  écrites 
en  même  temps,  le  i3  mars  1649.  Il  est  toujours  constant  que  cette  lettre 
de  M.  Descartes  et  la  suivante,  qui  n'en  font  qu'une,  sont  dn  mois  de  mars 
1649. » 

10.  ai 


r 

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longues ,  et  fasse  mon  compte  de  passer  l'hiver  à 
Stockholm.  De  quoi  je  tirerai  un  avantage  que  j'a- 
voue être  considérable  à  un  homme  qui  n'est  plus 
jeune,  et  qu'une  retraite  de  vingt  ans  a  entièrement 
désaccoutumé  de  la  fatigue;  c'est  qu'il  ne  sera  point 
nécessaire  que  je  me  mette  en  chemin  au  com- 
mencement du  printemps,  ni  à  la  fin  de  l'au- 
tomne ,  et  que  je  pourrai  prendre  la  saison  la  plus 
sûre  et  la  plus  commode ,  qui  sera  je  crois,  vers  le 
milieu  de  l'été ,  outre  que  j'espère  avoir  cepen- 
dant le  loisir  de  mettre  ordre  à  quelques  affaires 
qui  m'importent.  Ainsi  je  me  propose  d'attendre 
l'honneur  de  recevoir  encore  une  fois  de  vos  let- 
tres avant  que  je  parte  d'ici,  et  je  ne  manquerai 
pas  d'obéir  très  exactement  à  tout  ce  qui  me  sera 
commandé  de  la  part  de  sa  majesté,  ou  bien  à  ce 
qu'il  vous  plaira  me  faire  savoir  lui  être  agréable  ; 
car  je  ne  sais  s'il  est  à  propos  qu'elle  sache  que  j'ai 
demandé  ce  délai ,  et  je  n'oserois  prendre  la  liberté 
de  lui  écrire,  pourceque  le  respect  et  le  zèle  que 
j'ai  me  font  juger  que  mon  devoir  seroit  de  me 
rendre  au  lieu  où  elle  est,  avant  que  les  courriers 
y  pussent  porter  des  lettres  ;  mais  je  me  fie  en 
votre  amitié  et  en  votre  adresse  pour  ménager  mes 
excuses.  Au  reste,  je  ne  sais  en  quels  termes  je 
vous  puis  remercier  de  toutes  les  offres  qu'il  vous 
plaît  me  faire,  jusques  à  me  vouloir  même  loger 
chez  vous.  Je  n'ose  les  accepter  ni  les  refuser.  Je 


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LETTRES.  323 

vous  puis  seulement  assurer  que  je  ferai  tout  mon 
possible  pour  n'en  user  qu'en  telle  sorte  que  ni 
vous  ni  aucun  des  vôtres  n'en  serez  incommodés, 
et  que  je  serai  toute  ma  vie,  etc. 

* 

A  M.  CHANUT. 

(Lettre  43  du  tome  I.) 


Monsieur, 

Je  vous  donnerai,  s'il  vous  plaît,  la  peine  de  lire 
cette  fois  deux  de  mes  lettres,  car  jugeant  que 
vous  en  voudrez  peut-être  faire  voir  une  à  la  reine 
de  Suède,  j'ai  réservé  pour  celle-ci  ce  que  je  pen- 
sois  n'être  pas  besoin  qu'elle  vît ,  à  savoir  que  j'ai 
beaucoup  plus  de  difficulté  à  me  résoudre  à  ce 
voyage  que  je  ne  me  serois  moi-même  imaginé. 
Ce  n'est  pas  que  je  n'aie  un  très  grand  désir  de 
rendre  service  à  cette  princesse.  J'ai  tant  de 
créance  à  vos  paroles ,  et  vous  me  l'avez  représen- 
tée avec  des  mœurs  et  un  esprit  que  j'admire  et 
estime  si  fort,  qu'encore  qu'elle  ne  seroit  point  en 
la  haute  fortune  où  elle  est,  et  n'auroit  qu'une 
naissance  commune,  si  seulement  j'osois  espérer 

31. 


5^4  LETTRES. 

que  mon  voyage  lui  fût  utile,  j'en  voudrois  entre- 
prendre un  plus  long  et  plus  difficile  que  celui  de 
Suède,  pour  avoir  l'honneur  de  lui  offrir  tout  ce 
que  je  puis  contribuer  pour  satisfaire  à  son  désir. 
Mais  l'expérience  m'a  enseigné  que  même  entre  les 
personnes  de  très  bon  esprit,  et  qui  ont  un  grand 
désir  de  savoir,  il  n'y  en  a  que  fort  peu  qui  se 
puissent  donner  le  loisir  d'entrer  en  mes  pensées, 
en  sorte  que  je  n'ai  pas  sujet  de  l'espérer  d'une 
reine  qui  a  une  infinité  d'autres  occupations.  L'ex- 
périence m'a  aussi  enseigné  que,  bien  que  mes  opi- 
nions surprennent  d'abord,  à  cause  qu'elles  sont 
fort  différentes  des  vulgaires  ,  toutefois ,  après 
qu'on  les  a  comprises,  on  les  trouve  si  simples 
et  si  conformes  au  sens  commun,  qu'on  cesse 
entièrement  de  les  admirer,  et  par  même  moyen 
d'en  faire  cas,  à  cause  que  le  naturel  des  hommes 
est  tel,  qu'ils  n'estiment  que  les  choses  qui  leur 
laissent  de  l'admiration,  et  qu'ils  ne  possèdent  pas 
tout-à-fait.  Ainsi,  encore  que  la  santé  soit  le  plus 
grand  de  tous  ceux  de  nos  biens  qui  concernent 
le  corps,  c'est  toutefois  celui  auquel  nous  fai- 
sons le  moins  de  réflexion,  et  que  nous  goûtons 
le  moins.  La  connoissance  de  la  vérité  est  comme 
la  santé  de  l'âme  :  lorsqu'on  la  possède  on  n'y 
pense  plus.  Et,  bien  que  je  ne  désire  rien  tant  que 
de  communiquer  ouvertement  et  gratuitement  à 
un  chacun  tout  le  peu  que  je  pense  savoir,  je  ne 


LETTRES.  '  525 

rencontre  presque  personne  qui  le  daigne  appren- 
dre. Mais  je  vois  que  ceux  qui  se  vantent  d'avoir 
des  secrets,  par  exemple  en  la  chimie  ou  en  l'as- 
trologie judiciaire,  ne  manquent  jamais,  tant 
ignorants  et  impertinents  qu'ils  puissent  être ,  de 
trouver  des  curieux  qui  achètent  bien  cher  leurs 
impostures.  Au  reste ,  il  semble  que  la  fortune  est 
jalouse  de  ce  que  je  n'ai  jamais  rien  voulu  atten- 
dre d'elle,  et  que  j'ai  tâché  de  conduire  ma  vie  en 
telle  sorte  qu'elle  n'eût  sur  moi  aucun  pouvoir; 
car  elle  ne  manque  jamais  de  me  désobliger ,  si- 
tôt qu'elle  en  peut  avoir  quelque  occasion.  Je  l'ai 
éprouvé  en  tous  les  trois  voyages  que  j'ai  faits  en 
France,  depuis  que  je  suis  retiré  en  ce  pays;  mais 
particulièrement  au  dernier,  qui  m'avoit  été  com- 
mandé comme  de  la  part  du  roi.  Et  pour  me  con- 
vier à  le  faire,  on  m'a  voit  envoyé  des  lettres  en 
parchemin,  et  fort  bien  scellées,  qui  contenoient 
des  éloges  plus  grands  que  je  n'en  méritois,  et  le 
don  d'une  pension  assez  honnête;  et  de  plus,  par 
des  lettres  particulières  de  ceux  qui  m'envoyoient 
celles  du  roi,  on  me  promettoit  beaucoup  plus 
que  cela,  sitôt  que  je  serois  arrivé.  Mais  lorsque 
j'ai  été  là,  les  doubles  inopinément  survenus  ont 
fait  qu'au  lieu  de  voir  quelques  effets  de  ce  qu'on 
m'avoit  promis,  j'ai  trouvé  qu'on  avoit  fait  payer 
par  l'un  de  mes  proches  les  expéditions  des  lettres 
qu'on  m'avoit  envoyées,  et  que  je  lui  en  devois 


3^6  LETTRES. 

rendre  l'argent  ;  en  sorte  qu'il  semble  que  je  n  e- 
tois  allé  â  Paris  que  pour  acheter  un  parchemin, 
le  plus  cher  et  le  plus  inutile  qui  ait  jamais  été 
entre  mes  mains.  Je  me  soucie  néanmoins  fort 
peu  de  cela  :  je  ne  Taurois  attribué  qu'à  la  fâcheuse 
rencontre  des  affaires  publiques,  et  n'eusse  pas 
laissé  d'être  satisfait  si  j'eusse  tu  que  mon  voyage 
eût  pu  servir  de  quelque  chose  à  ceux  qui  m'a- 
voient  appelé.  Mais  ce  qui  m'a  le  plus  dégoûté, 
c'est  qu'aucun  d'eux  n'a  témoigné  vouloir  connoî- 
rre  autre  chose  de  moi  que  mon  visage;  en  sorte 
que  j'ai  sujet  de  croire  qu'ils  me  vouloient  seu- 
lement avoir  en  France  comme  un  éléphant  ou  une 
panthère,  à  cause  de  la  rareté,  et  non  point  pour 
y  être  utile  à  quelque  chose.  Je  n'imagine  rien  de 
pareil  du  lieu  où  vous  êtes  ;  mais  les  mauvais  suc- 
cès de  tous  les  voyages  que  j'ai  faits  depuis  vingt 
ans  me  font  craindre  qu'il  ne  me  reste  plus  pour 
celui-ci  que  de  trouver  en  chemin  des  voleurs  qui 
me  dépouillent,  ou  un  naufrage  qui  m'ôte  la  vie. 
Toutefois  cela  ne  me  retiendra  pas,  si  vous  jugez 
que  cette  incomparable  reine  continue  dans  le 
désir  d'examiner  mes  opinions ,  et  qu'elle  en  puisse 
prendre  le  loisir;  je  serois  ravi  d'être  si  heureux, 
que  de  lui  pouvoir  rendre  service.  Mais  si  cela 
n'est  pas,  et  qu'elle  ait  seulement  eu  quelque  cu- 
riosité qui  lui  soit  maintenant  passée,  je  vous 
supplie  et  vous  conjure  de  faire  en  sorte  que  sans 


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LETTRES.  327 

lui  déplaire  je  puisse  être  dispensé  de  ce  voyage  ; 
et  je  serai  toute  ma  vie,  etc. 

D*Egmond  ,  le  3i  mars  1648  x. 

A  MADAME  ÉLIZABETH, 

PRINCESSE  PALATINE,  etc.  ■. 
(Lettre  44  du  tome  I.) 

1 

Madame, 

Il  y  a  environ  un  mois  que  j'ai  eu  l'honneur 
d'écrire  à  votre  altesse,  et  de  lui  mander  que  j'avois 
reçu  quelques  lettres  de  Suède;  je  viens  d'en  rece- 
voir derechef,  par  lesquelles  je  suis  convié  de  la 
part  de  la  reine  d'y  faire  un  voyage  à  ce  printemps, 
afin  de  pouvoir  revenir  avant  l'hiver:  mais  j'ai 
répondu  de  telle  sorte ,  que  bien  que  je  ne  refuse 
pas  d'y  aller,  je  crois  néanmoins  que  je  ne  partirai 
point  d'ici  que  vers  le  milieu  de  l'été.  J'ai  demandé 
ce  délai  pour  plusieurs  considérations ,  et  parti  cu- 

-  1  Datée  du  3i  mars  1649.  Voyet  l'appendice  de  la  lettre  précé- 
dente. » 

•  «  Pas  datée,  mais  la  43e  étant  du  3r  mars  ,  celle-ci  est  immanqua- 
blement du  3i  avril  1649.  Voye»  le  commencement  de  la  lettre,  et  son 
rapport  avec  les  deux  précédentes.  >• 


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328  LETTRES. 

fièrement  afin  que  je  puisse  avoir  l'honneur  de 
recevoir  les  commandements  de  votre  altesse  avant 
que  de  partir.  J  ai  déjà  si  publiquement  déclaré  le 
zèle  et  la  dévotion  que  j'ai  à  votre  service,  qu'on 
auroit  plus  de  sujet  d'avoir  mauvaise  opinion  de 
moi  si  on  remarquoit  que  je  fusse  indifférent  en 
ce  qui  vous  touche,  que  l'on  n'aura  si  on  voit  que 
je  recherche  avec  soin  les  occasions  de  m 'acquitter 
de  mon  devoir.  Ainsi  je  supplie  très  humblement 
votre  altesse  de  me  faire  tant  de  faveur  que  de 
m 'instruire  de  tout  ce  en  quoi  elle  jugera  que  je 
lui  puis  rendre  service,  à  elle  ou  aux  siens,  et  de 
s'assurer  qu'elle  a  sur  moi  autant  de  pouvoir  que 
si  j'avois  été  toute  ma  vie  son  domestique.  Je  la 
supplie  aussi  de  me  faire  savoir  ce  qu'il  lui  plaira 
que  je  réponde,  s'il  arrive  qu'on  se  souvienne  des 
lettres  de  votre  altesse,  touchant  le  souverain 
bien,  dont  j'avois  fait  mention  l'an  passé  dans  les 
miennes,  et  .qu'on  ait  la  curiosité  de  les  voir.,  Je 
fais  mon  compte  de  passer  l'hiver  en  ce  pays-là, 
et  de  n'en  revenir  que  l'année  prochaine  ;  il  est  à 
croire  que  la  paix  sera  pour  lors  en  toute  l'Allema- 
gne, et  si  mes  désirs  sont  accomplis,  je  prendrai 
au  retour  mon  chemin  par  le  lieu  où  vous  serez, 
afin  de  pouvoir  plus  particulièrement  témoigner 
que  je  suis,  etc. 


LETTRES. 


; 

A  M.  CHANUT  \ 

i 

(Lettre  45  du  tome  I.) 

Monsieur, 

La  philosophie  que  j'étudie  ne  m'enseigne  point 
à  rejeter  l'usage  des  passions,  et  j'en  ai  d'aussi 
violentes  pour  souhaiter  le  calme  et  la  dissipation 
des  orages  de  France,  qu'en  sauroit  avoir  aucun 
de  ceux  qui  y  sont  le  plus  engagés  ;  d'où  vous  ju- 
gerez, s'il  vous  plaît,  combien  est  grande  l'obliga- 
tion que  je  vous  ai  d'avoir  pris  la  peine  de  me 
faire  part  des  bonnes  nouvelles  que  vous  avez 
eues  de  Saint-Germain.  Ma  joie  auroit  été  parfaite, 
si  je  n'avois  point  lu  dans  les  dernières  gazettes  que 
l'archiduc  s'avance  vers  Paris ,  et  qu'on  l'a  laissé 
passer  comme  ami  jusques  à  Soissons.  C'est  porter 
les  choses  à  une  grande  extrémité ,  que  d'attendre 
du  secours  de  ceux  dont  on  sait  que  le  principal 
intérêt  est  de  faire  que  notre  mal  dure.  Je  prie 

»  «  Par  deux  lettres  de  M.  Descartes  à  M.  Picot,  datées  des  7  et  x4  de 

f 

mai ,  M.  Chanut  n'étoit  pas  encore  venu  de  Suède  en  Hollande.  Ain>i,  il 

n'arriva  que  sur  la  fin  de  mai,  et  Payant  su  ,  il  lui  écrivit  cette  lettre  45, 

*    \  '  " 

que  je  date  du  iS  niai  164g.  » 


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330  LETTRES. 

Dieu  que  la  fortune  de  la  France  surmonte  les 
efforts  de  tous  ceux  qui  ont  dessein  de  lui  nuire. 
Pour  la  promenade  à  laquelle  on  m'a  fait  l'honneur 
de  m'inviter,  si  elle  étoit  aussi  courte  que  celle  de 
votre  logis  jusques  au  bois  de  La  Haye,  j'y  serois 
bientôt  résolu;  la  longueur  du  chemin  mérite  bien 
qu'on  prenne  quelque  temps  pour  délibérer  avant 
que  de  l'entreprendre;  ainsi ,  encore  qu'il  soit  mal- 
aisé que  je  résiste  à  un  commandement  qui  vient 
de  si  bon  dieu,  je  ne  crois  pas  néanmoins  que  je 
parte  d'ici  de  plus  de  trois  mois.  Et  je  vous  supplie 
de  croire  qu'en  quelque  lieu  du  monde  que  j  aille, 
je  serai  toujours  avec  un  même  zèle ,  etc. 

■ 

A  M.  CHANUT  \ 

(Lettre  A 6  du  tome  I.) 
Monsieur, 

On  n'a  point  trouvé  étrange  quUlysse  ait  quitté 
les  îles  enchantées  de  Calypso  et  de  Circé,  où  il 

*  «  M.  Descartes  n'ayant  pas  témoigné,  dans  les  4a  et  43e,  du  3i  mars 
1649,  qu'il  avoit  reçu  la  lettre  du  27  février,  il  y  fait  ici  une  espèce  de 
réponse ,  sans  marquer  qu'il  Tait  reçue  depuis.  C'est  en  témoiguage  de  la 
peine  qu'il  avoit  de  quitter  son  ermitage  d'Egtnond.  Je  la  date  du  4  avril 
1649.  » 


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LETTRES.  33 1 

pouvoit  jouir  de  tontes  les  voluptés  imaginables , 
et  qu'il  ait  aussi  méprisé  le  chant  des  sirènes ,  pour 
aller  habiter  un  pays  pierreux  et  infertile ,  d'au- 
tant que  c'étoit  le  lieu  de  sa  naissance  :  mais  j'a- 
voue qu'un  homme  qui  est  né  dans  les  jardins  de 
la  Touraine,  et  qui  est  maintenant  en  une  terre 
où  s'il  n'y  a  pas  tant  de  miel  qu'en  celle  que  Dieu 
avoit  promise  aux  Israélites,  il  est  croyable  qu'il 
y  a  plus  de  lait,  ne  peut  pas  si  facilement  se  ré- 
soudre à  la  quitter  pour  aller  vivre  au  pays  des 
ours,  entre  des  rochers  et  des  glaces.  Toutefois 
à  cause  que  ce  même  pays  est  aussi  habité  par  des 
hommes,  et  que  la  reine  qui  leur  commande  a 
toute  seule  plus  de  savoir,  plus  d'intelligence  et 
plus  de  raison  que  tous  les  doctes  des  cloîtres  et 
des  collèges  que  la  fertilité  des  pays  où  j'ai  vécu  a 
produits,  je  me  persuade  que  la  beauté  du  lieu 
n'est  pas  nécessaire  pour  la  sagesse ,  et  que  les 
hommes  ne  sont  pas  semblables  aux  arbres,  qu'on 
observe  ne  croître  pas  si  bien  lorsque  la  terre  où 
ils  sont  transplantés  est  plus  maigre  que  celle  où 
ils  avoient  été  semés.  Vous  direz  que  je  ne  vous 
rends  ici  que  des  imaginations  et  des  fables ,  pour 
les  importantes  et  véritables  nouvelles  dont  il  vous 
a  plu  me  faire  part;  mais  ma  solitude  ne  produit 
pas  à  présent  de  meilleurs  fruits,  et  l'aise  que  j'ai 
de  savoir  que  la  France  a  évité  le  naufrage  en  une 
très  grande  tempête  emporte  tellement  mon  es- 


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33a  LETTRES. 

prit,  que  je  ne  puis  rien  dire  ici  sérieusement , 
sinon  que  je  suis,  etc. 

A  M.  CHANUT. 

(Lettre  47  du  tome  h) 

Monsieur, 

Si  votre  dernière  lettre ,  du  6  mars ,  m'eût  été 
rendue  au  temps  que  les  messagers  la  dévoient 
apporter,  je  crois  que  j'aurois  eu  l'honneur  de 
vous  voir  à  Stockholm  avant  que  vous  eussiez  reçu 
celle-ci  ;  mais  ayant  été  retenue  douze  ou  treize 
jours  entre  La  Haye  et  Alkmaar,  il  est  arrivé  que 
M.  l'amiral  Fl. 1  a  pris  la  peine  de  venir  ici  avant 
qu'elle  m'eût  appris  qui  il  étoit  ;  en  sorte  que,  bien 
qu'il  ait  usé  de  plus  de  civilités  que  je  n'en  méritois, 
pour  me  convier  à  faire  le  voyage  en  sa  compagnie , 
il  ne  m'a  pas  semblé  que  cela  me  dût  faire  prendre 
une  résolution  contraire  à  ce  que  je  vous  avois 
écrit  quelques  jours  auparavant,  à  savoir  que 
j'attendrois  l'honneur  de  recevoir  encore  une  fois  de 
vos  lettres  avant  que  je  partisse  d'ici.  Car  j'appre- 
nois  seulement  de  ses  paroles  que  vous  lui  aviez 
écrit  en  ma  faveur,  ce  que  je  ne  considérois  que 

1  «  Memmiup.  » 


y 


LETTRES.  533 

comme  un  effet  de  votre  amitié  ;  et  les  offres  qu'il 
me  faisoit  me  sembloient  n  être  que  des  excès  de 
sa  courtoisie,  à  cause  que  ne  sachant  point  qu'il 
est  l'un  des  amiraux  de  Suède,  je  ne  voyois  pas  en 
quoi  sa  compagnie  me  pouvoit  aider  pour  la  sûreté 
et  la  commodité  du  voyage.  Et  je  n'avois  point 
assez  de  présomption  pour  m'imaginer  qu'une  reine 
qui  a  tant  de  grandes  choses  à  faire,  et  qui  em- 
ploie si  dignement  tous  les  moments  de  sa  vie , 
eût  voulu  avoir  la  bonté  de  vous  charger  de  me 
recommander  à  lui  de  sa  part.  Je  me  tiens  si  obligé 
de  cette  faveur,  que  je  vous  puis  assurer  qu'il 
n'y  aura  rien  qui  me  retienne,  sitôt  que  j'aurai 
eu  de  vos  lettres ,  et  que  j'ai  un  extrême  désir  de 
vous  aller  dire  que  je  suis ,  etc. 

A  MADAME  ÉLIZABETH, 

PRINCESSE  PALATINE,  etC. 

(Lettre  48  du  tome  I.) 
Madame, 

Puisque  votre  altesse  désire  savoir  quelle  est  ma 
résolution  touchant  le  voyage  de  Suède ,  je  lui  dirai 

•  «  Je  la  crois  du  4  juin  1649 ,  ou  environ.  >» 


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334  LETTRES. 

que  je  persiste  dans  le  dessein  d'y  aller ,  en  cas 
que  la  reine  continue  à  témoigner  quelle  veut  que 
j'y  aille,  et  M.  Chanut,  notre  R."  en  ce  pays-là,  étant 
passé  ici  il  y  a  huit  jours,  pour  aller  en  France , 
ma  parlé  si  avantageusement  de  cette  merveilleuse 
reine ,  que  le  chemin  ne  me  semble  plus  si  long 
ni  si  fâcheux  qu'il  faisoit  auparavant  ;  mais  je  ne 
partirai  point  que  je  n'aie  reçu  encore  une  fois  des 
nouvelles  de  ce  pays-là ,  et  je  tâcherai  d'attendre 
le  retour  de  M.  Chanut  pour  faire  le  voyage  avec 
lui  ,  pourceque  j'espère  qu'on  le  renverra  en 
Suède.  Au  reste ,  je  m'estimerois  extrêmement  heu- 
reux si ,  lorsque  j'y  serai ,  j'étois  capable  de  rendre 
quelque  service  à  votre  altesse.  Je  ne  manquerai 
pas  d'en  rechercher  avec  soin  les  occasions  ,  et  ne 
craindrai  point  d'écrire  ouvertement  tout  ce  que 
j'aurai  fait  ou  pensé  sur  ce  sujet ,  à  cause  que  ne 
pouvant  avoir  aucune  intention  qui  soit  préjudi- 
ciable à  ceux  pour  qui  je  serai  obligé  d'avoir  du 
respect ,  et  tenant  pour  maxime  que  les  voies  justes 
et  honnêtes  sont  les  plus  utiles  et  les  plus  sûres , 
encore  que  les  lettres  que  j'écrirai  fussent  vues  , 
j'espère  qu'elles  ne  pourront  être  mal  interprétées  , 
ni  tomber  entre  les  mains  de  personnes  qui  soient 
si  injustes  que  de  trouver  mauvais  que  je  m'ac- 
quitte de  mon  devoir ,  et  fasse  profession  ouverte 
detre,  etc. 

«  «  Résident.  » 


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LETTRES. 


------ 


535 


A  M.  FREINSHEMIUS  '. 

(Lettre  49  du  tome  I.) 

Monsieur  , 

Entre  les  excellentes  qualités  de  M.  Chanut , 
celle  qui  me  semble  mériter  le  plus  d'amitié  est 
qu'il  a  soin  de  faire  que  tous  ceux  qu'il  aime 
soient  aussi  amis  les  uns  des  autres.  Et  outre  qu'il 
m'a  assuré  en  passant  ici  qu'il  vous  a  déjà  inspiré 
quelque  bonne  volonté  pour  moi ,  il  m'a  si  bien 
décrit  votre  vertu  et  votre  franchise,  que  je  ne 
laisserois  pas  d'être  entièrement  à  vous,  encore  que 
je  n'espérasse  aucune  part  en  votre  affection.  Ainsi , 
monsieur,  je  me  promets  que  vous  ne  trouverez 
pas  étrange  que  je  m'adresse  librement  à  vous  en 
son  absence ,  et  que  je  vous  supplie  de  me  déli- 
vrer d'un  scrupule  qui  vient  de  l'extrême  désir 
que  j'ai  d'obéir  ponctuellement  à  lareine  votre  maî- 
tresse, touchant  la  grâce  qu'elle  m'a  faite  d'agréer 
que  j'aie  l'honneur  de  lui  aller  faire  la  révérence 
à  Stockholm.  M.  Chanut  vous  sera  témoin  qu'avant 

i  *  Pas  datée  ;  mais  on  y  voit  qu'elle  est  postérieure  à  l'arrivée  de 
M.  Chanut  en  Hollande  :  aussi  je  la  fixe  au  10  juin  1649.  » 


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53t)  LETTRES. 

qu'il  fut  arrivé  ici ,  j'avois  préparé  mon  petit  équi- 
page ,  et  tâché  de  vaincre  toutes  les  difficultés  qui 
se  présentent  à  un  homme  de  ma  sorte  et  de  mon 
âge ,  lorsqu'il  doit  quitter  sa  demeure  ordinaire 
pour  s'engager  à  un  si  long  chemin.  Mais  nonob- 
stant qu'il  m'ait  trouvé  ainsi  disposé  à  partir,  et 
que  j'aie  trouvé  aussi  qu'il  étoit  disposé  à  user  de 
toutes  sortes  de  raisons  pour  me  persuader  ce  voya- 
ge, en  cas  que  je  n'y  eusse  pas  été  résolu  ;  toutefois 
pourcequ'il  ne  m'a  point  dit  qu'il  eût  aucun  ordre 
de  sa  majesté  pour  me  commander  de  me  hâter,  et 
que  l'été  est  encore  long ,  je  lui  ai  proposé  une  dif- 
ficulté dont  il  a  trouvé  bon  que  je  vous  priasse 
de  m'éclaircir  :  c'est  que  n'ayant  pu  me  préparer 
à  ce  voyage  sans  que  plusieurs  aient  su  que  j'a- 
vois  intention  de  le  faire,  et  qu'ayant  quantité  d'en- 
nemis, non  point,  grâce  à  Dieu,  à  cause  de  ma  per- 
sonne ,  mais  en  qualité  d'auteur  d'une  nouvelle 
philosophie  ,  je  ne  doute  point  que  quelques  uns 
n'aient  écrit  en  Suède ,  pour  tâcher  de  m'y  décrier. 
Il  est  vrai  que  je  ne  crains  pas  que  les  calomnies 
aient  aucun  pouvoir  sur  l'esprit  de  sa  majesté , 
pourceque  je  sais  qu'elle  est  très  sage  et  très  clair- 
voyante; mais  à  cause  que  les  souverains  ont  grand 
intérêt  d'éviter  jusqu'aux  moindres  occasions  que 
leurs  sujets  peuvent  prendre  pour  désapprouver 
leurs  actions ,  je  serois  extrêmement  marri  que  ma 
présence  servît  de  sujet  à  la  médisance  de  ceux  qui 


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LETTRES.  337 

pourraient  avoir  envie  de  dire  qu'elle  est  trop  as- 
sidue à  l'étude ,  ou  bien  qu'elle  reçoit  auprès  de 
soi  des  personnes  d'une  autre  religion ,  ou  choses 
semblables  ;  et  bien  que  je  désire  extrêmement 
l'honneur  de  m'aller  offrir  à  sa  majesté,  je  sou- 
haite plutôt  de  mourir  dans  le  voyage ,  que  d'ar- 
river là  pour  servir  de  prétexte  à  des  discours 
qui  lui  pussent  être  tant  soit  peu  préjudiciables. 
C'est  pourquoi  ,  monsieur,  je  vous  supplie,  non 
point  de  parler  de  ceci  à  sa  majesté,  mais  de  pren- 
dre la  peine  de  me  mander,  sur  ce  que  vous  juge- 
rez de  ses  inclinations  ,  et  de  la  conjoncture  des 
temps ,  ce  qu'il  est  à  propos  que  je  fasse ,  et  je 
manquerais  pas  d'y  obéir  exactement,  soit  que  vous 
ordonniez  que  j'attende  le  retour  de  M.  de  Chanut 
(  car ,  quoi  qu'il  puisse  dire  ,  je  ne  crois  pas  qu'il 
ait  laissé  là  madame  sa  femme,  afin  qu'elle  retourne 
en  France  toute  seule),  soit  que  vous  aimiez 
mieux  que  je  me  mette  en  chemin  aussitôt  après 
que  j'aurai  eu  de  vos  nouvelles.  Je  vous  demande 
encore  une  autre  grâce ,  c'est  qu'ayant  été  impor- 
tuné par  un  ami  de  lui  donner  le  petit  Traité  des 
passions  que  j'ai  eu  l'honneur  d'offrir  ci-devant  à 
sa  majesté ,  et  sachant  qu'il  a  dessein  de  le  faire 
imprimer,  avec  une  préface  de  sa  façon,  je  n'ai 
encore  osé  lui  envoyer,  pour  ce  que  je  ne  sais  si 
sa  majesté  trouvera  bon  que  ce  qui  lui  a  été  pré- 
senté en  particulier  soit  rendu  public,  même  sans 

»0.  22 


338  LETTRES. 

lui  être  dédié.  Mais  pourceque  ce  traité  est  trop 
petit  pour  mériter  de  porter  le  nom  d'une  si  grande 
princesse,  à  laquelle  je  pourrai  offrir  quelque  jour 
un  ouvrage  plus  important,  si  cette  sorte  d'hommage 
ne  lui  déplaît  point ,  j'ai  pensé  que  peut-être  elle 
n'aura  point  désagréable  que  j'accorde  à  cet  ami 
ce  qu'il  m'a  demandé  ;  et  c'est  ce  que  je  vous  sup- 
plie très  humblement  de  m'apprendre ,  car  le  prin- 
cipal de  tous  mes  soins  est  de  tâcher  de  lui  obéir 
et  de  lui  plaire.  Au  reste ,  afin  que  vous  sachiez 
comment  je  me  gouverne  avec  ceux  auxquels  je 
me  donne ,  je  vous  dirai  ici  que  je  prétends  que 
vous  m'avez  de  l'obligation  de  ce  que  je  souffre 
que  vos  offices  préviendront  les  miens  ,  et  que  je 
suis ,  etc. 

A  M.  CLERSELIER  \ 

(Lettre  119  du  tome  I.) 

Monsieur, 

Je  ne  m'étendrai  point  ici  à  vous  remercier  de 
tous  les  soins  et  des  précautions  dont  il  vous  a  plu 

»  «  Après  sa  résolution  prise  d'aller  en  Suède  ;  je  date  donc  cette  lettre 
du  t5  avril  1649.  ■ 


y 


LETTRES.  OO9 

user  afin  que  les  lettres  que  j'ai  eu  l'honneur  de 
recevoir  du  pays  du  Nord  ne  manquassent  pas  de 
tomber  entre  mes  mains;  car  je  vous  suis  d'ailleurs 
si  acquis ,  et  j'ai  tant  d'autres  preuves  de  votre  ami- 
tié, que  cela  ne  m'est  pas  nouveau.  Je  vous  dirai 
seulement  qu'il  ne  s'en  est  égaré  aucune,  et  que  je 
me  résous  au  voyage  auquel  j'ai  été  convié  par  les 
dernières,  bien  que  j'y  aie  eu  d'abord  plus  de  répu- 
gnance que  vous  ne  pourriez  peut-être  imaginer. 
Celui  que  j'ai  fait  à  Paris  l'été  passé  m'avoit  rebuté; 
et  je  vous  puis  assurer  que  l'estime  extraordinaire 
que  je  fais  de  M.  Chanut,  et  l'assurance  que  j'ai 
de  son  amitié,  ne  sont  pas  les  moins  principales 
raisons  qui  m'ont  fait  résoudre. 

Pour  le  Traité  des  passions,  je  n'espère  pas  qu'il 
soit  imprimé  qu'après  que  je  serai  en  Suède,  car 
j'ai  été  négligent  à  le  revoir,  et  y  ajouter  les  choses 
que  vous  avez  jugé  y  manquer,  lesquels  l'augmen- 
teront d'un  tiers  ;  car  il  contiendra  trois  parties , 
dont  la  première  sera  des  passions  en  général,  et 
par  occasion  de  la  nature  de  l'âme,  etc.,  la  seconde 
des  six  passions  primitives,  et  la  troisième  de  tou- 
tes les  autres. 

Pour  ce  qui  est  des  difficultés  qu'il  vous  a  plu  me 
proposer,  je  réponds  à  la  première,  qu'ayant  des- 
sein de  tirer  une  preuve  de  l'existence  de  Dieu 
de  l'idée  ou  de  la  pensée  que  nous  avons  de  lui , 
j 'ai  cru  être  obligé  de  distinguer,  premièrement,  tou- 

3Î. 


340  LETTRES. 

tes  nos  pensées  en  certains  genres,  pour  remarquer 
lesquelles  ce  sont  qui  peuvent  tromper;  et  en  mon- 
trant que  les  chimères  mêmes  n'ont  point  en  elles 
de  fausseté,  prévenir  l'opinion  de  ceux  qui  pour- 
roient  rejeter  mon  raisonnement,  sur  ce  qu'ils  met- 
tent l'idée  qu'on  a  de  Dieu  au  nombre  des  chimères. 
J'ai  dû  aussi  distinguer  entre  les  idées  qui  sont 
nées  avec  nous  et  celles  qui  viennent  d'ailleurs,  ou 
sont  faites  par  nous,  pour  prévenir  l'opinion  de 
ceux  qui  pourroient  dire  que  l'idée  de  Dieu  est 
faite  par  nous,  ou  acquise  par  ce  que  nous  en  avons 
ouï  dire.  De  plus  j'ai  insisté  sur  le  peu  de  certitude 
que  nous  avons  de  ce  que  nous  persuadent  toutes 
les  idées  que  nous  pensons  venir  d'aii leurs,  pour 
montrer  qu'il  n'y  en  a  aucune  qui  fasse  rien  con- 
noître  de  si  certain  que  celle  que  nous  avons  de 
Dieu.  Enfin  je  n'avois  pu  dire  qu'il  se  présente  en- 
core une  autre  voie,  etc.,  si  je  n'avois  auparavant 
rejeté  toutes  les  autres,  et  par  ce  moyen  préparé 
les  •  lecteurs  à  mieux  concevoir  ce  que  j'avois  à 
écrire. 

2.  Je  réponds  à  la  seconde,  qu'il  me  semble  voir 
très  clairement  qu'il  ne  peut  y  avoir  de  progrès  à 
l'infini  au  regard  des  idées  qui  sont  en  moi ,  à  cause 
que  je  me  sens  fini,  et  qu'au  lieu  où  j'ai  écrit  cela,  je 
n'admets  en  moi  rien  de  plus  que  ce  que  je  connois 
y  être;  mais  quand  je  n'ose  par  après  nier  le  pro- 
grès à  l'infini ,  c'est  au  regard  des  œuvres  de  Dieu  , 


LETTRES.  34l 

lequel  je  sais  être  infini ,  et  par  conséquent  que  ce 
n'est  pas  à  moi  à  prescrire  aucune  fin  à  ses  ouvrages. 

3.  A  ces  mots  substantiam  ,  durationem  ,  nume- 
rum,  etc.,  j'aurois  pu  ajouter  veritatem,  perfectio- 
nem,  ordinem,  et  plusieurs  autres  dont  le  nombre 
n'est  pas  aisé  à  définir;  et  on  peut  disputer  de  tou- 
tes, si  elles  doivent  être  distinguées  ou  non  des 
premières  que  j'ai  nommées,  car  veritas  non  dis- 
tinguitur  a  re  vera ,  sive  substantia ,  nec  perfectio  a 
re  perfecta,  etc.;  c'est  pourquoi  je  me  suis  contenté 
de  mettre,  et  si  quœ  alia  sint  ejusmodi. 

4.  Per  infinitam.  substantiam,  intelligo  substan- 
tiam perfecliones  veras  et  reaies  actu  infinitas  et  im- 
mensas  habentem.  Quod  non  est  accidens  notioni  sub- 
stantiel superadditum ,  sed  ipsa  essentia  substantiœ 
ab soluté  sumptœ,  nullisijue  defectibus  terminatœ,  qui 
defectus  ratione  substantiœ  accidentia  sunt,  von  au- 
tem  infinitas,  velinfinitudo.  Et  il  faut  remarquer  que 
je  ne  me  sers  jamais  du  mot  d'infini  pour  signifier 
seulement  n'avoir  point  de  fin,  ce  qui  est  négatif, 
et  à  quoi  j'ai  appliqué  le  mot  d'indéfini;  mais  pour 
signifier  une  chose  réelle,  qui  est  incomparablement 
plus  grande  que  toutes  celles  qui  ont  quelque  fin. 
5.  Or,  je  dis  que  la  notion  que  j'ai  de  Y  infini  est  en 
moi  avant  celle  du  fini;  poureeque  de  cela  seul  que 
je  conçois  l'être  ou  ce  quiest,  sans  penser  s'il  est  fini 
ou  infini,  c'est  l'être  infini  que  je  conçois  ;  mais  afin 
que  je  puisse  concevoir  un  être  fini,  il  faut  que  je 


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LETTRES. 

retranche  quelque  chose  de  cette  notion  générale 
de  l'être,  laquelle  par  conséquent  doit  précéder. 

6.  Est  inquamhœc  ideasumme  vera,  etc.  La  vérité 
consiste  en  l'être ,  et  la  fausseté  au  non-être  seule- 
ment ;  en  sorte  que  l'idée  de  l'infini  comprenant 
tout  l'être,  comprend  tout  ce  qu'il  y  a  de  vrai  dans 
les  choses,  et  ne  peut  avoir  en  soi  rien  de  faux, 
encore  que  d'ailleurs  on  veuille  supposer  qu'il  n'est 
pas  vrai  que  cet  être  infini  existe. 

7.  Et  suflicit  me  hoc  ipsum  intelligere,  Nempe 
sufficit  me  intelligere  hoc  ipsum  quod  Deus  a  me  non 
comprehendatur  utDeum  juxta  rei  veritatem  et  qua- 
lis  est  intelligam,  modo  praeterea  judicem  omnes 
in  eo  esse  perfectiones  quas  clare  intelligo,  et  in- 
super multo  plures,  quas  comprehendere  non 
possum. 

8.  Quantum  ad  parentes,  utomniavera  sint>  etc. 
C'est-à-dire,  encore  que  tout  ce  quenous  avons  cou- 
tume de  croire  d'eux  soit  peut-être  vrai ,  à  savoir, 
qu'ils  ont  engendré  nos  corps,  je  ne  puis  pas  tou- 
tefois imaginer  qu'ils  m'aient  fait ,  en  tant  que  je  ne 
me  considère  que  comme  une  chose  qui  pense , 
à  cause  que  je  ne  vois  aucun  rapport  entre  l'action 
corporelle,  par  laquelle  j'ai  coutume  de  croire  qu'ils 
m'ont  engendré,  et  la  production  d'une  substance 
qui  pense. 

Omnem  fraudem  a  defectu  pendere,  mihi  est  lu- 
mine  naturali  manifestum;  quia  ens  in  quo  nulla  est 


LETTRES.  343 

imperfectio  non  potest  tendere  in  non  ens,  hoc  est, 
pro  fine  et  instttuto  suo  habere  non  ens ,  sive  non  bo- 
num  sive  non  verum,  hœc  enim  tria  idem  sunt.  In 
omni  autem  fraude  esse  falsitatem  manifestum  est  fal- 
sitatemque  esse  aliquid  non  verum.  et  ex  consequenti 
non  ens ,  et  non  bonum.  Excusez  si  j'ai  entrelardé 
cette  lettre  de  latin  ;  le  peu  de  loisir  que  j'ai  eu  l'é- 
crivant ne  me  permet  pas  de  penser  aux  paroles,  et 
j'ai  seulement  désir  de  vous  assurer  que  je  suis,  etc. 

t 

A  M.  DE  CA.RCA.VI. 

(Lettre  i5  du  tome  III.) 

Le  t  r  join  1649. 

Monsieur, 

•*......  ..  •..».... 

Je  vous  suis  très  obligé  de  l'offre  qu'il  vous  a  plu 
me  faire  de  l'honneur  de  votre  correspondance , 
touchant  ce  qui  concerne  les  bonnes  lettres,  et  je 
la  reçois  comme  une  faveur  que  je  tâcherai  de  mé- 
riter par  tous  les  services  que  je  serai  capable  de 
vous  rendre.  J'avois  cet  avantage  pendant  la  vie  du 
bon  P.  Mersenne,  que,  bien  que  je  ne  m'enquisse 
jamais  d'aucune  chose,  je  ne  laissois  pas  d'être  averti 
soigneusement  de  tout  ce  qui  se  passoit  entre  les 


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544  LETTRES. 

doctes;  en  sorte  que  s'il  me  faisoit  quelquefois  des 
questions ',  il  m'en  payoit  fort  libéralement  les  ré- 
ponses, en  me  donnant  avis  de  toutes  les  expé- 
riences que  lui  ou  d'autres  avoient  faites,  de  toutes 
les  rares  inventions  qu'on  avoit  trouvées  ou  cher- 
chées, de  tous  les  livres  nouveaux  qui  étoient  en 
quelque  estime,  et  enfin  de  toutes  les  controverses 
qui  étoient  entre  les  savants.  Je  craindrois  de  me 
rendre  importun  si  je  vous  demandois  toutes  ces 
choses  ensemble ,  mais  je  me  promets  que  vous 
n'aurez  pas  désagréable  que  je  vous  prie  de  m'ap- 
prend re  le  succès  d'une  expérience  qu'on  m'a  dit 
que  M.  Pascal  avoit  faite  ou  fait  faire  sur  les  mon- 
tagnes d'Auvergne,  pour  savoir  si  le  vif-argent 
monte  plus  haut  dans  le  tuyau  étant  au  pied  de  la 
montagne,  et  de  combien  il  monte  plus  haut  qu'au 
dessus.  J'aurois  droit  d'attendre  cela  de  lui  plutôt 
que  de  vous,  parceque  c'est  moi  qui  l'ai  avisé  il  y 
a  deux  ans  de  faire  cette  expérience ,  et  qui  l'ai  as- 
suré que,  bien  que  je  ne  l'eusse  pas  faite,  je  ne 
doutois  point  du  succès.  Mais  parcequ'il  est  ami 
de  M.  R***,  qui  fait  profession  de  n'être  pas.  le 
mien ,  et  que  j'ai  déjà  vu  qu'il  a  tâché  d'attaquer 
ma  matière  subtile  dans  un  certain  imprimé  de 
deux  ou  trois  pages,  j'ai  sujet  de  croire  qu'il  suit 
les  passions  de  son  ami ,  lequel  ne  fait  aucunement 
paroître ,  par  ce  que  vous  m'avez  envoyé  de  sa  part, 
qu'il  sache  la  solution  de  la  difficulté  de  M.  de 


LETTRES.  3/<5 

Fermât  touchant  les  équations  entre  cinq  ou  six 
termes  incommensurables  ;  et  afin  que  vous  puis- 
siez voir  la  preuve,  je  vous  dirai  que  lorsqu'on 
a  \/af  \/b\  \/c=  \/d\  y/e,  une  partie  de  l'équa- 
tion ,  après  que  toutes  les  assymétries  sont  ôtées , 
doit  être  aPb  •{-  rjcfb  -j-  §a5bbc9  -j*  22asbcd-\-  y^afbcde 
f  $2u3b3cd  f  3^a3bbccd  f  igoaabbccde  ,  avec  tous 
les  termes  des  mêmes  espèces  que  ces  huit.  Comme 
par  exemple ,  aPc,  a?d9  aPe,  &a9  bnc9  etc. ,  sont  de 
même  espèce  que  aPb  9  et  ainsi  des  autres.  Faites 
donc  s'il  vous  plaît  que  M.  R***  vous  donne  l'au- 
tre partie  de  cette  équation,  avant  que  de  croire 
qu'il  la  puisse  trouver.  Mais  si  vous  ne  la  pouvez 
avoir  de  lui ,  je  ne  manquerai  pas  de  vous  l'envoyer, 
et  de  tâcher  en  tout  ce  qui  me  sera  possible  de  vous 
témoigner  que  je  suis,  etc. 

■ 

RÉPONSE  DE  M.  DE  CARCAV1 

A  M.  DESCARTES. 

r  * 

(Lettre   76   du   tome  III.) 

A  Paris  ,  le  9  juillet  «7  49. 

Monsieur, 

Si  je  n'eusse  été  absent  de  cette  ville  pendant 
un  mois  et  davantage ,  je  n'aurois  pas  manqué  de 


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546  LETTRES. 

faire  plutôt  réponse  à  la  lettre  que  vous  avez  pris 
la  peine  de  m'écrire  du  onzième  du  mois  passé  , 
et  vous  remercier  de  la  faveur  que  vous  me  faites 
de  me  donner  de  vos  nouvelles ,  et  d'agréer  que 
je  vous  écrive  de  temps  en  temps  celles  que  je 
croirai  vous  apporter  davantage  de  satisfaction.  Si 
j'avois  les  mêmes  habitudes  et  la  même  pratique 
pour  les  expériences  que  le  feu  bon  père  Mersenne, 
vous  en  recevriez  le  même  contentement;  mais 
je  tacherai  de  suppléer  à  cela  par  la  curiosité  de 
ceux  que  je  saurai  qui  les  font  avec  plus  de  soin 
et  de  diligence.  Celle  que  vous  me  demandez  de 
M.  Pascal  le  jeune  est  imprimée  il  y  a  déjà  quel- 
ques mois ,  et  a  été  faite  fort  exactement  sur  une 
haute  montagne  d'Auvergne,  appelée  le  Puys-de- 
Dôme;  sa  hauteur  est  d'environ  cinq  cents  toises: 
on  fit  premièrement  l'expérience  au  couvent  des 
révérends  pères  minimes  de  la  ville  de  Clermont, 
qui  est  presque  le  plus  bas  lieu  de  la  ville.  L'on 
prit  deux  tuyaux  de  verre,  longs  chacun  de  quatre 
pieds,  le  vif-argent  qui  resta  à  chacun  d'eux,  joints 
l'un  contre  l'autre,  se  trouva  à  même  niveau,  et 
il  y  en  avoit  au-dessus  de  la  superficie  du  vaisseau 
dans  lequel  on  les  vida  la  hauteur  de  vingt-six 
pouces  trois  lignes  et  demie;  après  cela  on  monta 
au  haut  de  la  montagne,  qui  est  tout  proche  de  la 
ville,  plus  haute,  ainsi  que  j'ai  dit,  d'environ  cinq 
cents  toises,  où  l'on  trouva  qu'il  ne  restoit  plus 


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LETTRES.  547 

de  vif-argent  dans  le  tuyau  que  la  hauteur  de 
vingt-trois  pouces  deux  lignes;  et  ainsi  entre  les 
hauteurs  de  vif-argent  de  ces  deux  expériences 
il  y  eut  trois  pouces  une  ligne  et  demie  de  diffé- 
rence ,  ce  qui  étant  réitéré  diverses  fois  se  trouva 
toujours  de  même.  Et  encore  en  descendant  de  la 
montagne  Ton  fit  l'expérience  en  un  lieu  appelé 
la  Fou  de  l'arbre,  bien  plus  haut  que  les  minimes, 
mais  aussi  plus  bas  que  le  sommet  de  la  montagne, 
et  la  hauteur  du  vif-argent  se  trouva  de  vingt-cinq 
pouces. 

Voilà,  monsieur,  en  substance  ce  que  vous 
m'avez  demandé,  à  quoi  je  n'ajouterai  pas  grand 
chose  pour  maintenant,  à  cause  du  peu  de  temps 
qu'il  y  a  que  je  suis  arrivé,  qui  ne  m'a  pas  même 
donné  le  loisir  de  lire  deux  petits  livres  qu'on 
m'a  envoyés  de  Rome,  et  que  je  fais  porter  chez 
M.  Picot,  parcequ'il  y  en  a  un  qui  parle  avec  estime 
des  principes  que  vous  avez  fait  imprimer,  mais 
qui  ne  les  a  pas ,  ce  me  semble ,  bien  entendus  ; 
et  M.  Picot  s'est  chargé  de  m'en  écrire  son  avis, 
pour  le  lui  faire  tenir  à  Rome,  où  il  y  a  un  mi- 
nime, nommé  le  père  Magnan,  plus  intelligent, 
que  le  feu  père  Mersenne,  qui  m'a  fait  espérer 
quelques  objections  contre  vos  mêmes  principes, 
ce  que  je  souhaiterois  être  fait  avec  jugement,  et 
qui  méritât  une  réponse  de  votre  main.  Nous  at- 
tendons bientôt  votre  Traité  des  passions ,  et  ce 


5/|8  LETTRES. 

que  M.  de  Schooten  a  fait  imprimer  touchant  votre 
Géométrie.  Ici  il  n'y  a  que  la  philosophie  démo- 
critique  de  M.  Gassendi ,  qu'il  a  faite  au  sujet  de 
la  vie  d'Épicure;  un  ramas  deBétinus,  qu'il  appelle 
/Erarium,  semblable  à  son  Apiarium;  quelques 
traités  de  feu  Cavalieri  ;  et  une  défense  de  la 
quadrature  du  père  Grégoire  de  Saint -Vincent 
contre  ce  qu'en  a  remarqué  le  père  Mersenne  dans 
ses  derniers  ouvrages;  lequel  père  Mersenne 
ayant  laissé  à  M.  de  Roberval  le  soin  d'achever  ce 
qu'il  ajoutoit  à  l'impression  de  la  perspective  du 
père  Nicéron ,  ledit  sieur  de  Roberval  prendra 
cette  occasion  pour  montrer  en  peu  de  mots  en 
quoi  il  croit  qu'il  s'est  trompé. 

Vous  me  permettrez,  s'il  vous  plaît,  de  vous 
écrire  ce  qu'il  m'a  dit  sur  le  sujet  des  assymétries 
de  M.  de  Fermât,  savoir,  que  vous  ne  prenez  pas, 
ou  qu'il  semble  que  vous  ne  vouliez  pas  prendre, 
ce  que  je  vous  ai  mandé  de  lui  sur  ce  sujet ,  et  que 
sa  solution  porte  sa  démonstration  avec  soi ,  quel- 
que nombre  qu'il  y  ait  de  racines;  et  que  ce  que 
M.  de  Fermât  nomme  \/ba,  il  l'appelle  b,  et  ainsi  des 
autres ,  ne  s'arrètant  point  dans  la  suite  de  l'opé- 
ration, jusques  à  ce  que  l'équation  subsiste  sous 
£»,  ou  ses  degrés  plus  hauts  par  nombre  pair,  et 
qu'ainsi  l'assymétrie  en  estôtée.  Voilà  tout  ce  qu'il 
m'a  dit  sur  ce  sujet,  sur  lequel  je  crois  que  vous 
me  ferez  la  faveur  de  me  mander  votre  méthode , 


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LETTRES.  349 

avec  sa  démonstration,  ainsi  que  je  vous  en  ai 
supplié  par  ma  précédente. 

Ledit  sieur  m'a  encore  dit,  sur  ce  que  vous  l'ap- 
pelez votre  .ennemi ,  qu'il  n'a  jamais  eu  d'autre 
pensée  que  de  vous  honorer ,  et  m'a  prié  de  vous 
l'écrire  formellement,  comme  je  ferai  ci-après, 
pourvu  que  vous  me  fassiez  la  grâce  de  le  trouver 
bon,  et  de  croire  que  je  ne  le  fais  pas  pour  lui 
plaire,  mais  par  un  désir  que  j'ai  de  rétablir,  si  je 
pouvois,  la  paix  entre  vous,  qui  a  peut-être  été 
troublée  innocemment  par  le  bon  père  Mersenne, 
qui  prenoit  parfois  les  choses  un  peu  trop  crûment, 
et  les  écrivoit  souvent  plutôt  selon  son  génie  que 
comme  elles  étoient  en  effet.  Ledit  sieur  de  Roberval 
m'a  donc  dit  que  si  vous  l'appelez  votre  ennemi 
parcequ'il  vous  a  recherché  en  particulier  pour 
vous  dire  quelque  chose  qui  ne  lui  sembloit  pas 
bien  dans  votre  Géométrie,  dont  il  a  été  obligé  de 
donner  des  démonstrations  à  ceux  qui  l'en  pres- 
soient,  suivant  l'obligation  de  sa  charge,  il  ne  peut 
éviter  d'être  votre  ennemi  de  cette  sorte;  mais 
que  cette  inimitié  ne  sera  pas  réciproque,  car  elle 
ne  sera  que  dans  la  créance  que  vous  en  aurez , 
étant  disposé  partout  ailleurs  à  rendre  ce  qu'il 
doit  à  votre  mérite  et  à  votre  condition,  ainsi 
qu'il  vous  a  protesté  de  vive  voix.  Or  ce  qu'il 
trouve  n'être  pas  bien  dans  votre  Géométrie  est  : 

1 .  Page  326.  Que  le  point  G  est  par  tous  les 


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35o  LETTRES. 

angles  que  vous  avez  nommés,  et  que  vous  ne 
nommez  point  celui  où  il  ne  peut  être;  et  que  ja- 
mais la  question  n'est  impossible. 

2.  Page  3  7  3.  Vous  dites  qu'il  y  a  autant  de  racines 
vraies  que  les  signes  -f-  et — se  trouvent  de  fois  être 
changés  en  une  équation ,  etc.  Il  y  a  démonstration 
du  contraire  en  une  infinité  de  cas. 

3.  Pages  4o5 ,  406.  Touchant  le  cercle  qui  coupe 
votre  parabole  ou  plutôt  conchoïde  parabolique , 
il  y  a  une  faute  et  une  omission.  La  faute  est  en 
ce  que  vous  soutenez  que  le  cercle  peut  couper 
cette  conchoïde  en  six  endroits,  sans  avoir  égard 
à  sa  compagne  qui  est  de  l'autre  part  de  la  ligne 
DO ,  et  que  vous  n'avez  pas  représentée  ;  il  y  a 
démonstration  qu'il  ne  la  peut  couper  qu'en  quatre 
endroits,  de  quelque  façon  qu'elle  puisse  être  faite. 
L'omission  est  en  ce  que  vous  ne  vous  servez  pas 
de  sa  compagne,  qui  est  absolument  nécessaire 
pour  résoudre  les  équations  qui  ont  six  racines 
vraies;  et  que  cette  omission  devient  bien  plus 
considérable,  en  ce  que,  pour  six  racines  vraies, 
vous  faites  tomber  vos  perpendiculaires  CG,  NR, 
QO,  etc. ,  sur  la  ligne  DO,  et  cependant  elle  y  est 
absolument  inutile,  et  il  se  faut  servir  d'une  autre, 
comme  dans  la  parabole  ordinaire,  qui  la  voudroit 
faire  servir  à  une  équation  cubique ,  ou  carrée , 
affectée  sous  tous  les  degrés ,  accompagnant  cette 
parabole  d'un  cercle ,  comme  vous  faites  très  élé- 


LETTRES.  55 1 

gamment,  il  ne  faut  pas  se  servir  de  l'axe.  Excusez, 
s'il  vous  plaît,  ma  liberté,  qui  ne  part  que  d'un 
cœur  sincère  et  de,  etc. 

A  M.  DE  G  ARC  AVI. 

(Lettre  77  du  tome  III.) 

A  La  Haye  ,  le  17  août  1649. 

Monsieur, 

Je  vous  suis  très  obligé  de  la  peine  que  vous 
avez  prise  de  m'écrire  le  succès  de  l'expérience  de 
M.  Pascal ,  touchant  le  vif-argent ,  qui  monte  moins 
haut  dans  un  tuyau  qui  est  sur  une  montagne  que 
dans  celui  qui  est  dans  un  lieu  plus  bas;  j'avois 
quelque  intérêt  de  la  savoir ,  à  cause  que  c'est 
moi  qui  l'avois  prié,  il  y  a  deux  ans ,  de  la  vouloir 
faire,  et  je  l'avois  assuré  du  succès,  comme  étant 
entièrement  conforme  à  mes  principes ,  sans  quoi 
il  n'eût  eu  garde  d'y  penser,  à  cause  qu'il  étoit 
d'opinion  contraire.  Et  pourcequ'il  m'a  ci-devant 
envoyé  un  petit  imprimé,  où  il  décrivoit  ses  pre- 
mières expériences  touchant  le  vide,  et  promettoit 
de  réfuter  ma  matière  subtile,  si  vous  le  voyez,  je 
serois  bien  aise  qu'il  sût  que  j'attends  encore  cette 


352  LETTRES. 

réfutation ,  et  que  je  la  recevrai  en  très  bonne  part, 
comme  j'ai  toujours  reçu  les  objections  qui  m'ont 
été  faites  sans  calomnie.  Si  on  m'envoie  celles  que 
vous  me  faites  espérer  du  père  Magnan ,  je  ne 
manquerai  pas  d'y  faire  la  réponse  que  je  jugerai 
être  convenable. 

La  Géométrie  de  M.  Schooten  est  imprimée; 
son  latin  n'est  pas  fort  élégant,  et  pourceque  je 
ne  l'eusse  pu  voir  avant  qu'il  fût  imprimé  sans  être 
obligé  de  le  changer  tout,  je  m'en  suis  entièrement 
dispensé.  Pour  mon  Traité  des  passions,  il  est  vrai 
que  j'ai  promis  il  y  a  long-temps  de  l'envoyer  à  un 
ami 1  qui  a  dessein  de  le  faire  imprimer,  mais  je 
ne  le  lui  ai  pas  encore  envoyé. 

Pour  la  quadrature  du  père  Grégoire  de  Saint- 
Vincent,  je  n'en  fais  pas  meilleur  jugement  que 
M.  de  Roberval  ;  car,  quelque  animosité  que  ce  der- 
nier ait  contre  moi,  il  ne  peut  y  avoir  aucune  con- 
sidération qui  me  détourne  du  chemin  de  la  vérité, 
lorsqu'il  me  sera  connu.  Mais  je  ne  puis  aucune- 
ment connoître  par  ce  qu'il  vous  a  plu  m 'écrire  de 
sa  part  qu'il  puisse  démêler  les  asymétries  qui  ont 
embrouillé  M.  de  Fermât.  Ce  n'est  rien  de  dire 
comme  il  fait  que  ce  que  M.  de  Fermât  nomme 
\/b  a,  il  l'appelle  b ,  et  ainsi  des  autres,  ne  s'arrètant 
point  dans  la  suite  de  l'opération  jusqu'à  ce  que 
l'équation  subsiste  b*,  ou  ses  degrés  plus  hauts  par 

i  «  Clerselier.  » 


y 


LETTRES.  353 

nombre  pair;  la  difficulté  est  de  savoir  par  quelle 
opération  on  peut  faire  cela,  lorsqu'il  y  a  plus 
de  quatre  termes  incommensurables  donnés.  Lors- 
qu'il n'y  en  a  que  quatre,  la  cbose  est  facile,  pour- 
ceque  faisant  y/ a  -j-  y/b  ,  \\  y/c,  f  y/d  ,  leurs  carrés 
sont  a  f  i>  f  2  y/ab  ||  cfd  \\  2  y/vd,  où  le  nombre 
des  termes  incommensurables  est  diminué;  mais 
ayant  y/a  f  y/c  \\  y/d  f  y/*  f  y/f, 

leurs  carrés  sont,  a  f  b  f  c  f  2  y/ab  \  2  y/ac  \ 
2  y/bc  II  d  y/ de  f  2  y/df  f  2  y/cf,  où 

le  nombre  des  termes  est  augmenté  ;  c'est  ce  qui  a 
embarrasséM.  de  Fermât,  et  qui  embarrasse  encore 
maintenant  M.  de  Roberval,  quoiqu'il  dissimule. 
Sans  cela  il  ne  feroit  pas  de  difficulté  d'achever  l'é- 
quation dont  je  me  souviens  de  vous  avoir  envoyé 
la  moitié  en  ma  précédente,  pourceque  c'est 
chose  facile.  Permettez-moi  que  je  l'attende  encore 
jusques  à  la  première  fois  que  j'aurai  l'honneur 
de  recevoir  de  vos  lettres,  afin  qu'il  puisse  d'autant 
mieux  être  convaincu.  Je  ne  puis  que  je  ne  vous 
aie  de  l'obligation  de  ce  que  vous  tâchez  de  me 
persuader  qu'il  n'est  point  animé  contre  moi;  c'est 
avoir  l'âme  généreuse  et  belle  que  de  se  porter 
ainsi  à  prévenir  les  dissensions,  au  contraire  des 
esprits  malins  qui  se  plaisent  à  les  faire  naître  et 
à  les  entretenir.  Mais  je  vous  dirai  que,  de  ma  part, 
je  n'ai  jamais  fait  tant  d'honneur  à  ceux  qui  tâ- 
chent de  me  désobliger  que  de  les  estimer  dignes 

10.        v  3J 


35/f  LETTRES. 

de  ma  haine;  je  ne  suis  point  leur  ennemi,  bien 
qu'ils  puissent  être  les  miens.  Je  puis  aussi  vous 
assurer  que  le  révérend  père  Mersenne  n'a  rien 
contribué  du  sien  pour  me  faire  juger  de  l'animo- 
sitédudit  sieur  de  Roherval;  il  l'a  toujours  plutôt 
dissimulée,  autant  que  les  lois  de  l'amitié  lui  ont 
pu  permettre.  C'est  lui-même  qui  me  l'a  déclarée,Jsi 
expressément,  et  avec  des  paroles  si  hardies  et  si 
pleines  de  confiance,  que,s'il  parlemaintenant  d'une 
autr,^ façon,  j'ai  sujet  de  penser  que  c'est  seulement 
pour  être  moins  soupçonné  de  calomnie,'  lorsqu'il 
dit  quelque  chose  à  mon  désavantage;  et  pour 
cette  même  raison  j'ai  intérêt  que  le  monde  sache 
qu'il  est  autant  irrité  et  piqué  contre  moi  quelle 
peut  être  un  homme  que  sa  profession  engage  à 
vouloir  paroître  docte,  et  qiû ,  m'ayant  attaqué  cinq 
ou  six  fois  pour  faire  preuve  de  son  savoir ,  m'a 
obligé  autant  de  fois  à  découvrir  ses  erreurs ,  comme 
il  m'y  oblige  encore  à  présent  par  ses  trois  objec- 
tions que  vous  avez  pris  la  peine  de  mettre  dans 
votre  lettre.  Car,  premièrement ,  lorsqu'il  m'objecte 
que  le  point  C  est  par  tous  les  angles  que  j'ai  nommés 
en  la  page  526,  et  que  je  n'ai  point  nommé  celui  où 
il  ne  peut  être,  et  que  jamais  la  question  n'est  impos- 
sible; il  est  évident  que  ce  qu'il  dit  est  hors  de  rai- 
son, en  quelque  sens  qu'il  le  puisse  prendre.  Car 
mes  paroles  sont,  page  3s6,  ligne  5 ,  que  si  la  quan- 
tité y  se  trouve  nulle  lorsqu'on  a  supposé  le  point  C 


LETTRES. 


dans  l'angle  DAG,  il  faut  le  supposer  aussi  dans 
l'angle  DAE,  ouEAR,  ou  RAG,  et  que  si  en  toutes 
ces  quatre  positions  la  valeur  d'y  se  trouvoit  nulle, 
la  question  seroit  impossible  au  cas  proposé.  A  quoi 
je  n'ai  pas  besoin  de  rien  ajouter  pour  faire  voir 
clairement  qu'il  se  trompe,  premièrement  en  ce 
qu'il  dit  que  le  point  C  est  par  tous  les  angles  que 
j'ai  nommés  ;  car  en  l'exemple  proposé,  il  ne  se 
peut  trouver  dans  l'angle  DAE,  ni  aussi  (  pour  user 
de  ses  termes)  par  V angle  DAE.  Mais  la  particule 
par  qu'il  met  au  lieu  de  dans  me  fait  connoître 
qu'il  pèche  en  ceci  un  peu  plus  que  par  ignorance. 
Il  pèche  par  ignorance  en  ce  que  voyant  que  le 
cercle  CA ,  dans  toutes  les  parties  de  la  circonfé- 
rence duquel  se  trouve  le  point  C,  passe  par  le 
point  A,  il  s'est  imaginé  que  ce  point  C  pou  voit 
être  le  même  que  le  point  A ,  ce  qui  est  très  faux  , 
à  cause  qu'au  point  A  La  quantité  y  se  trouve  nulle, 
et  il  y  a  différence  entre  tous  les  points  et  toutes 
les  parties  d'une  circonférence.  De  plus  quand  on 
lui  accorderoit  que  le  point  C  pourroit  être  au 
point  A,  on  ne  pourroit  dire  pour  Cela  qu'il  fût 
dans  l'angle  DAE,  mais  seulement  en  l 'intersection 
des  lignes  qui  le  composent;  car  le  mot  d'angle  si- 
gnifie une  quantité,  et  non  pas  le  seul  point  où 
deux  lignes  se  rencontrent.  On  ne  pourroit  dire 
non  plus  qu'il  fût  par  l'angle  DAE,  car  on  ne  peut 
ainsi  parler  d'un  point;  c'est  seulement  d'une  ligne 


aS. 


356  LETTRES. 

qu'on  peut  dire  qu'elle  est,  ou  plutôt  quelle  passe 
«par  un  angle,  lorsque  passant  par  le  point  où  les 
deux  lignes  qui  le  composent  se  rencontrent,  elle 
passe  aussi  par  le  dedans  de  cet  angle,  c'est-à-dire 
par  la  superficie  contenue  entre  ces  deux  lignes. 
Ainsi  le  cercle  CA 1  passe  par  les  angles  DAGet  EAR, 
mais  non  point  par  l'angle  DAE.  De  façon  qu'en  quel- 
que sens  qu'il  s'explique,  il  a  toujours  tort  d'avoir 
dit  que  le  point  G  est  par  tous  les  angles  que  j'ai 
nommés.  Et  sa  finesse  paroît  en  ce  que,  bien  que 
mon  sens  fût  très  clair,  et  que  lorsque  j'ai  parlé  de 
supposer  le  point  C  dans  l'angle  DAG,  il  n'ait  pu 
douter  que  je  n'aie  entendu  par  cet  angle  toute  la 
superficie  contenue  entre  les  deux  lignes  DA  et  GA, 
qui  le  contiennent,  pourceque  cela  ne  souffre  au- 
cune autre  interprétation ,  et  même  que  le  point  G 
s'y  voit  peint  dans  la  figure,  il  a  néanmoins  changé 
mes  mots,  et  par  ce  moyen  en  a  corrompu  le 
sens. 

Il  est  évident  aussi  qu'il  se  trompe,  en  ce  qu'il 
dit  que  je  n'ai  pas  nommé  l'angle  où  le  point  G 
ne  peut  être  ;  car  ayant  nommé  toutes  quatre  an- 
gles qui  se  font  par  l'intersection  des  deux  lignes 
DR  et  EG,  j'ai  nommé  toute  la  superficie  indéfini- 
ment étendue  de  tous  côtés,  et  par  conséquent  tous 
les  lieux,  tant  ceux  où  le  point  G  peut  être,  que 
ceux  où  il  ne  peut  pas  être;  en  sorte  qu'il  auroit 

1  Figure  1 3. 


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LETTRES.  357 

été  superflu  que  j'eusse  considéré  d'autres  angles. 
Enfin  il  se  trompe  de  dire  que  cette  question  n'est 
jamais  impossible;  car  bien  qu'elle  ne  le  soit  pas 
en  la  façon  que  je  l'ai  proposée ,  on  la  peut  pro- 
poser en  plusieurs  autres,  dont  quelques  unes  sont 
impossibles,  et  je  les  ai  voulu  toutes  comprendre 
dans  mon  discours. 

Sa  seconde  objection  est  une  fausseté  manifeste; 
car  je  n'ai  pas  dit  dans  la  page  373  ce  qu'il  veut 
que  j'aie  dit ,  à  savoir ,  qu'il  y  a  autant  de  vraies 
racines  que  les  signes  f  et  —  se  trouvent  de  fois 
être  changés ,  ni  n'ai  eu  aucune  intention  de  le 
dire.  J'ai  dit  seulement  qu'il  y  en  peut  autant  avoir; 
et  j'ai  montré  expressément  dans  la  page  38o  quand 
c'est  qu'il  n'y  en  a  pas  tant,  à  savoir ,  quand  quel- 
ques unes  de  ces  vraies  racines  sont  imaginaires. 
Et  son  peu  de  mémoire  m'est  confirmé  par  ce  que 
m'a  dit  le  sieur  Chauveau ,  qui  m'a  assuré  qu'il  lui 
a  déjà  ci-devant  répondu  à  cette  prétendue  objec- 
tion, et  montré  son  erreur;  en  sorte  qu'il  ne  pèche 
pas  en  ceci  par  ignorance ,  niais  faute  de  mémoire, 
ou  autrement. 

Au  contraire,  dans  sa  troisième  obje  c  tion,  je  nere 
marque  qu'une  ignorance  grossière.  11  dit  qu'en  ma 
Géométrie  j'ai  une  faute  et  une  omission;  la  faute, 
en  ce  que  je  soutiens  que  le  cercle  peut  couper  en  six 
endroits  la  ligne  courbe  que  j'y  décris,  sans  avoir  égard 
à  sa  compagne  qui  est  de  l* autre  part  de  la  ligne  DOp 


558  LETTRES. 

laquelle  je  n'ai  pas  représentée  ;  et  qu'il  y  a  démons- 
tration qu'il  ne  la  peut  couper  qu'en  quatre  endroits, 
de  quelque  façon  qu'elle  puisse  être  faite.  L'omission, 
en  ce  que  je  ne  me  sers  pas  de  sa  compagne ,  qu'il 
dit  être  absolument  nécessaire  pour  résoudre  les  équa- 
tions qui  ont  six  racines  vraies;  et  que  cette  omission 
devient  bien  plus  considérable ,  en  ce  que  pour  six 
racine svr aies  je fais  tomber  mes  perpendiculaires  CG, 
NR ,  QO  et  semblables  sur  la  ligne  DO ,  qu'il  dit 
y  être  absolument  inutile,  et  qu'il  se  faut  servir  d'une 
autre.  A  quoi  je  réponds  qu'il  ny  a  ni  faute  ni 
omission  en  ce  qu'il  reprend,  pourcequil  est  très 
vrai  que  le  cercle  peut  couper  cette  ligne  courbe 
en  six  endroits,  et  qu'il  l'y  coupe  effectivement 
toutes  les  fois  que  l'équation ,  pour  la  résolution 
de  laquelle  on  les  décrit  suivant  la  règle  que  j'en 
ai  donnée,  contient  six  vraies  racines  inégales  en- 
tre elles,  sans  qu'il  faille  pour  cet  effet  avoir  aucun 
égard  à  sa  compagne  ;  ainsi  que  vous  verrez  très 
clairement ,  s'il  vous  plaît  de  prendre  la  peine  de 
chercher  par  cette  règle  les  racines  de  l'équation 
suivante ,  ou  de  quelque  autre  semblable  :  x6 — 25  xs 
f  239  z4  —  1 1 15  s*  f  2664  xx  —  3o6o  x  f  1296 
=0.  Car  d'autant  qu'il  y  a  six  vraies  racines  en  cette 
équation ,  qui  sont ,  1 ,  2  ,  3 ,  4  ,  6  et  9 ,  vous  trou- 
verez que  le  cercle  coupera  la  courbe  en  six  points, 
desquels  tirant  six  perpendiculaires  sur  la  ligne  DO, 
ces  six  perpendiculaires  seront  1 ,  2 ,  3 ,  4. ,  6  et  9. 


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LETTRES.  359 

Et  son  ignorance  est  telle,  que,  bien  qu'il  y  ait  déjà 
onze  ou  douze  ans  qu'il  ma  fait  la  même  objec- 
tion, et  que  je  lui  ai  répondu ,  il  n'a  su  apprendre 
en  tout  le  temps  qui  a  coulé  depuis  à  faire  le  cal- 
cul qui  est  requis  pour  examiner  ma  règle ,  quoi- 
qu'il soit  si  aisé  qu'on  le  peut  faire  en  moins  d'un 
demi-quart  d'heure. 

J'ajoute  que  tant  s'en  faut  que  la  ligne  qu'il 
nomme  la  compagne  de  la  courbe  soit  absolument 
nécessaire  en  ma  règle ,  ainsi  qu'il  assure ,  qu'au 
contraire  elle  n'y  peut  jamais  aucunement  servir; 
et  on  peut  voir  que  je  ne  l'ai  point  omise  faute 
de  la  connoître ,  pourceque  je  l'ai  représentée 
dans  la  page  336  pour  une  autre  occasion  où  elle 
est  utile.  Enfin ,  il  se  moque  de  dire  que  la  ligne 
droite  DO  est  absolument  inutile  dans  ma  règle  , 
qu'il  s'y  faut  servir  d'une  autre  ligne  droite;  car  il 
suffit  que  celle-ci  y  soit  employée ,  et  que  la  règle 
ne  soit  point  fausse ,  comme  certainement  elle  ne 
l'est  point ,  pour  faire  voir  qu'elle  y  est  utile.  Et  ce 
qui  rend  son  ignorance  moins  excusable  en  tout 
ceci ,  c'est  qu'on  peut ,  comme  j'ai  averti  dans  la 
page  4 1 2 ,  faire  une  infinité  d'autres  règles  à  l'imi- 
tation de  la  mienne,  et  il  n'y  a  aucune  ligne  droite 
que  je  ne  puisse  faire  servir  au  lieu  de  cette  ligne 
DO  en  quelqu'une  de  ces  règles  ;  comme  aussi  au 
lieu  de  la  ligne  courbe  dont  je  me  suis  servi  je 
pourrois  y  employer  sa  compagne,  ou  telle  autre 


560  LETTRES, 

ligne  du  second  genre  qu'il  me  plairoit,  mais  la 
règle  ne  pourroit  pas  aisément  se  rencontrer  si 
courte  ni  si  élégante.  Et  j'ose  dire  que  celle  que 
j'ai  donnée  est  la  plus  belle  ,  et  qui  a  été  sans  com- 
paraison la  plus  difficile  à  trouver  de  toutes  les 
choses  qui  ont  été  inventées  jusques  à  présent  en 
géométrie  ,  et  qui  le  sera  peut-être  encore  ci-après 
en  plusieurs  siècles  ,  si  ce  n'est  que  je  prenne  moi- 
même  la  peine  d'en  chercher  d'autres. 

La  règle  où  je  me  sers  de  l'intersection  de  la 
parabole ,  où  du  cercle  pour  construire  les  pro- 
blèmes solides ,  laquelle  vous  louez  en  votre  lettre , 
est  autant  inférieure  à  celle-ci ,  qu'elle  surpasse 
celle  de  la  page  3o2 ,  où  je  me  sers  de  l'intersec- 
tion du  cercle  et  de  la  ligne  droite  pour  construire 
les  problèmes  plans.  Mais  je  voudrois  qu'il  nous 
fît  voir  ies  démonstrations  qu'il  prétend  avoir  pour 
prouver  ses  censures;  je  m'assure  que  nous  y  ver- 
rions de  beaux  parai ogismes ,  comme  j'en  ai  quasi 
toujours  trouvé  dans  tout  ce  qu'il  a  voulu  pro- 
duire de  son  invention.  Je  dis  dans  tout,  sans  que 
j'en  excepte  presque  aucune  chose;  car  pour  l'aire 
de  la  ligne  décrite  parla  roulette,  dont  il  s'est  fort 
vanté  ,  c'est  Toricelli  qui  l'a  trouvée  ,  et  c'est  moi 
qui  lui  ai  enseigné  à  en  trouver  les  tangentes ,  ce 
qu'il  m'avoit  fait  demander  par  le  révérend  père 
Mersenne ,  après  avoir  confessé  qu'il  ne  les  pou- 
voit  trouver.  On  me  fit  voir  l'an  passé  des  écrits 


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LETTRES.  36l 

qu'il  avoit  enseignés  à  ses  disciples,  qui  contenoient 
plusieurs  raisonnements  très  foibles  qu'il  débitoit 
pour  des  démonstrations  ;  et  à  cause  qu'il  y  con- 
cluoit  des  choses  contraires  à  ce  que  j'avois  écrit, 
il  inféroit  de  là  que  j'avois  failli.  Il  a  aussi  usé  de 
ce  même  moyen  pour  me  réfuter ,  dans  un  écrit1 
que  le  frère1  de  M.  le  marquis  de  Neuf-Castel  m'a 
autrefois  envoyé  de  sa  part.  Il  y  raisonnoit  en  cette 
sorte  :  Ma  démonstration  est  vraie  (  et  c'étoit  une 
démonstration  qu'il  retenoit  in  pectore  sans  vou- 
loir que  je  la  susse  ) ,  et  la  conclusion  en  est  con- 
traire à  ce  qu'un  tel  prétend  avoir  démontré  ;  donc 
sa  démonstration  est  fausse.  Ainsi  il  vouloit  vaincre 
par  sa  seule  autorité,  d'une  façon  fort  magistrale, 
et,  ce  me  semble ,  fort  peu  convenable  pour  lui  à 
mon  égard.  Je  n'aurois  jamais  fait ,  si  je  voulois 
mettre  ici  toutes  les  raisons  que  j'ai  de  ne  l'estimer 
qu'autant  que  je  dois,  et  de  craindre  qu'il  ne  parle 
pas  selon  son  cœur,  lorsqu'il  dit  qu'il  n'est  point 
animé  contre  moi.  Mais  je  ne  laisse  pas  de  vous, 
remercier  de  ce  qu'il  vous  a  plu  m'en  écrire,  et  je 
suis ,  etc. 

»  «  La  87e  du  tome  3.  » 
*  «  Cavendisch.  » 


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5Ô2 


LETTRES. 


RÉPONSE  DE  M.  DE  CAKCAVI. 

(  Lettre  78  du  tome  III.  ) 

A  Paris  ,  le  a 4  septembre  1649. 

Monsieur  , 

Je  croyois  répondre  tout  aussitôt  à  la  lettre  que 
vous  m'avez  fait  la  faveur  de  m 'écrire  du  dix-sep- 
tième du  mois  d'août ,  et  vous  remercier ,  comme 
je  fais  de  tout  mon  cœur  de  la  peine  qu'il  vous 
plaît  de  prendre;  mais  une  fièvre  qui  m'a  tenu 
quelque  temps  malade  m'a  contraint  de  différer 
ce  devoir  jusques  à  maintenant.  M.  Clerselier,  de 
l'entremise  duquel  je  me  sers  pour  vous  faire  tenir 
la  présente  en  l'absence  de  M.  Picot ,  vous  pourra 
témoigner  que  j 'a vois  pris  rendez-vous  chez  lui  il 
y  a  trois  semaines  pour  vous  l'envoyer. 

J'ai  écrit  à  M.  Pascal ,  qui  n'est  pas  encore  de  re- 
tour en  cette  ville ,  ce  que  vous  avez  désiré  que 
je  lui  fisse  savoir  de  votre  part  touchant  l'expé- 
rience qu'il  a  fait  faire  du  vif-argent ,  et  si  le  père 
Magnan  m'écrit  quelque  chose  de  Rome ,  je  vous 
l'enverrai  où  vous  serez  ;  car  nous  ne  savons  pas 
si  c'est  encore  en  Hollande ,  ou  bien  en  Suède.  Il 
m'a  témoigné  par  sa  dernière  lettre  qu'il  eût  bien 


LETTRES.  363 

désiré  de  savoir  de  quelle  façon  vous  expliquez  les 
actions  de  l'entendement  et  de  la  volonté  :  Sachant 
assez ,  dit-il ,  que  celles  des  sens ,  tant  internes  qu1 ex- 
ternes, ne  consistent  qu'en  des  mouvements  locaux  , 
comme  l'expliquent  M.  Descartes  et  M.  Hogelande,  si 
ce  n'est  le  même ,  ainsi  que  quelques  uns  ont  cru  ici. 
Voilà ,  monsieur ,  ses  propres  termes  ,  dont  vous 
userez  comme  il  vous  plaira. 

Pour  ce  qui  est  du  père  Grégoire  de  Saint- Vin- 
cent ,  j'avois  bien  cru  que  vous  n'approuveriez 
pas  sa  quadrature,  encore  qu'il  paroisse  avoir 
autant  de  géométrie  qu'aucun  de  ceux  que  nous 
ayons  vu  de  sa  compagnie.  Mais  vous  ne  savez 
peut-être  pas  qu'il  a  écrit  sous  le  nom  d'un  de  ses 
écoliers  quelque  chose  contre  le  jugement  que  le 
père  Mersenne  a  fait  de  son  ouvrage,  dans  son  der- 
nier traité  De  reflexionibus  physico-mathematicis ,  à 
quoi  l'on  a  ici  répondu  en  peu  de  mots. 

Le  livre  de  M.  de  Schooten  est  attendu  avec  im- 
patience ;  et  bien  qu'il  soit  fort  savant  en  géomé- 
trie, il  eût  été  néanmoins  à  souhaiter  que  vous 
vous  fussiez  donné  la  peine  de  le  voir  ;  car  encore 
que  vous  ne  l'ayez  pas  fait,  on  aura  sujet  de  le 
penser ,  à  cause  que  vous  êtes  au  même  lieu  où 
une  personne  qui  témoigne  vous  honorer  si  par- 
ticulièrement l'a  fait  imprimer;  et  vous  savez  qu'en 
cette  science  on  s'arrête  davantage  au  sens  qu'aux 
paroles. 


364  LETTRES. 

Vous  m'excuserez  s'il  vous  plaît ,  si  je  vous  parle 
si  librement,  mais  l'intérêt  que  je  prends  en  ce  qui 
vous  regarde  m'y  oblige;  et  votre  dernière  lettre  ne 
m'ayant  pas  fait  voir  le  contraire  de  ce  que  je  vous 
avois  écrit,  j'eusse  bien  désiré  que  vous  vous  fus- 
siez donné  le  loisir  de  relire  ce  qui  regarde  le  lieu 
ad  très  et  quatuor ,  etc.,  contre  lequel,  au  moins 
contre  ce  que  vous  en  avez  mis  dans  votre  Géomé- 
trie ,  vous  me  permettrez  de  vous  dire  ingénu- 
ment, et  par  le  seul  amour  de  la  vérité,  ce  que 
j'en  pense,  et  qui  est  conforme  à  la  démonstration 
que  M.  de  Roberval  m'en  a  montrée  il  y  a  très 
long -temps,  et  que  je  vous  enverrai  quand  il 
vous  plaira,  vous  assurant  que  je  l'ai  parmi  mes 
papiers,  et  qu'il  ne  me  faut  qu'un  peu  de  temps 
pour  la  mettre  en  ordre.  Car  lorsque  je  vous  ai 
écrit  que  ledit  sieur  de  Roberval  ne  vous  étoit  pas 
ennemi,  je  vous  assure  que  je  vous  l'ai  mandé  can- 
didement, et  comme  je  lui  ai  ouï  dire,  ne  l'excu- 
sant pas  aussi  s'il  s'est  servi  des  termes  dont  vous 
m'écrivez,  bien  que  le  plus  souvent  la  chaleur  de 
la  dispute  nous  emporte  au-delà  de  ce  que  nous  ne 
ferions  pas  dans  une  autre  rencontre.  Et  pour  ce 
qui  est  du  père  Mersenne,  je  ne  l'ai  accusé  que  de 
ce  que  tous  ceux  qui  l'ont  connu  ont  remarqué  en 
lui,  ce  qui  n'étoit  pas  toutefois  absolument  blâ- 
mable dans  son  intention ,  qui  n'alloit  qu'à  la  re- 
cherche de  la  vérité ,  qui  ne  se  trouve  d'ordinaire 


LETTRES.  365 

qUe  par  le  moyen  de  quelque  émulation,  et  qui 
ne  s'établit  qu'après  plusieurs  contestations  ;  mais 
il  m'a  semblé  qu'il  ne  mettoit  pas  toujours  assez 
de  différence  entre  ceux  qui  disputent  en  matière 
de  science,  et  les  autres  qui  se  battent  pour  le 
point  d'honneur ,  ce  que  j'ai  tâché  de  faire  en  cette 
occasion ,  où  vous  me  faites  la  faveur  de  me  témoi- 
gner la  satisfaction  que  vous  en  avez ,  et  vous  me 
donnez  des  louanges  qui  me  persuadent  que  vous 
agréerez  que  je  continue,  ou  plutôt  que  je  finisse 
dans  cette  lettre  ce  que  vous  avez  commencé  de 
lire  dans  la  précédente. 

Et  premièrement,  je  vous  assure  que  ledit  sieur 
de  Roberval  ne  pense  aucunement  à  biaiser,  ni  à 
prendre  vos  paroles  autrement  que  vous  ne  les 
avez  écrites;  car  lorsque  dans  ma  lettre  j'ai  dit 
par  l'angle,  s'il  y  a  quelque  faute  elle  est  à  moi, 
pareequ'il  l'entend  de  même  que  vous,  et  comme 
vous  l'expliquez  dans  votre  lettre  et  dans  votre 
livre,  c'est-à-dire  dans  l'espace  compris  par  les 
lignes  qui  forment  l'angle;  et  ayant  pris  votre 
énonciation  en  même  sens  que  vous,  il  m'en  a 
fait  voir  la  démonstration ,  ainsi  que  je  vous  ai  dit 
il  y  a  très  long-temps ,  et  même  la  publia  dès 
l'année  1637,  en  l'assemblée  de  quelques  mes- 
sieurs qui  conféroient  des  mathématiques.  Il  ne 
s'est  pas  aussi  arrêté  aux  figures  de  votre  livre , 
mais  seulement  à  votre  énonciation  ;  car  celle  de 


366  LETTRES. 

la  page  33 1  montre  évidemment  le  peu  d'intelli- 
gence de  celui  à  qui  vous  vous  êtes  fié  pour  la  tra- 
cer ;  c'est  où  le  lieu  est  représenté  par  une  hyper- 
bole, laquelle  ne  passant  par  aucun  des  six  points 
où  les  quatre  lignes  peuvent  s'entrecouper,  coupe 
néanmoins  la  ligne  TG  au  point  H ,  fort  éloi- 
gné de  tous  ces  six  points,  qui  est  une  absur- 
dité si  manifeste ,  qu'encore  que  ledit  sieur  de  Ro- 
berval  croie  que  vous  ne  vous  soyez  pas  donné  la 
peine  de  construire  ce  lieu,  il  ne  doute  pas  toute- 
fois que  vous  ne  la  voyiez  incontinent;  de  même 
que  celle  de  la  page  3o8,  où  vous  dites  que  pour 
trois  ou  quatre  lignes  données,  les  points  cher- 
chés se  rencontrent  tous  en  une  section  conique ,  ce 
qui  n'est  pas  véritable;  car  ils  ne  se  trouvent  pas 
tous  dans  une  de  ces  sections,  quand  vous  pren- 
driez les  deux  hy  perboles  opposées  pour  une  sec- 
tion, comme  nous  faisons  avec  les  anciens.  Et  il 
m'a  fait  remarquer  que  cette  faute  peut  bien  avoir 
été  cause  d'une  autre  dans  la  page  3 1 3 ,  où  vous 
dites  qu'on  pourra  trouver  une  infinité  de  points 
par  lesquels  on  décrira  la  ligne  demandée:  car  il  se 
pourra  faire  que  tous  ces  points  ne  seront  pas  dans 
une  même  ligne,  savoir,  lorsque  quelques  uns 
d'tceux  seront  dans  l'un  des  espaces  qui  sont 
distingués  par  les  quatre  lignes  données,  et  d'au- 
tres en  un  autre  espace  ;  et  finalement,  il  soutient 
que  vous  ne  sauriez  donner  aucun  cas  auquel  la 


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LETTRES.  J67 

question  ne  soit  toujours  possible,  comme  vous 
verrez ,  si  vous  désirez  que  nous  en  parlions  da- 
vantage. Je  vous  prie  de  me  faire  la  faveur  de 
croire  que  je  procède  en  ceci  très  franchement, 
et  que  je  ne  vous  raanderois  pas  toutes  ces  cho- 
ses, ni  n'aurois  pas  prié  M.  de  Roberval  (du- 
quel j'ai  assez  de  peine  à  chevir  à  cause  des  éco- 
liers qui  l'occupent  )  de  s'expliquer  davantage  sur 
celles  qui  suivent,  si  ce  n'étoit  par  une  estime 
très  particulière  que  je  fais  de  votre  personne,  car 
il  me  suffiront  de  les  savoir. 

Il  m'a  donc  dit  sur  le  sujet  des  racines  (  quel- 
ques unes  desquelles  nous  appelons  positives 
en-dessus,  ou  positiva  supra,  savoir,  celles  que 
vous  appelez  vraies  ;  les  autres  positives  en- 
dessous ,  ou  positiva  infra,  qui  sont  celles  que 
vous  appelez  fausses;  et  les  autres  impossibles, 
que  vous  appelez  imaginaires  )  qu'il  y  a  des 
équations  qui  changent  alternativement  de  si- 
gne f  et — ,  qui  ne  laissent  pas  d'avoir  quelque 
racine  fausse  ou  positive  en-dessous,  contre  ce 
que  vous  avez  pris  la  peine  de  m'écrire  touchant 
vos  pages  373  et  38o.  Et  voici  une  de  ces 
équations  qui  est  cubique,  en  laquelle  il  n'y  a 
et  ne  peut  avoir,  par  sa  génération ,  aucune  ra- 
cine impossible,  mais  seulement  une  positive  en- 
dessus,  et  une  positive  en-dessous,  quoique  la 
plus  grande  partie  de  celles  de  ce  degré ,  c'est-à- 


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368  LETTRES. 

dire  cubique ,  en  aient  trois,  excepté  quand  il  y 
en  a  d'impossibles , 

4  —  4  a  f  4  a%  —  û*- 

Et  pour  montrer  qu'il  n'y  en  a  point  d'ima- 
ginaire, il  ne  faut  que  remarquer  qu'en  toute 
équation  où  il  y  a  de  ces  racines  impossibles,  il 
n'y  en  a  jamais  moins  de  deux ,  et  partant  en  une 
équation  cubique,  où  il  y  auroit  deux  telles  ra- 
cines impossibles ,  il  n'y  en  pourroit  avoir  qu'une 
positive  en-dessus  ou  en-dessous,  ce  degré  cubi- 
que ne  pouvant  souffrir  au  plus  que  trois  racines. 
Donc ,  puisqu'en  l'équation  ci-dessus  il  y  a  deux 
racines  positives ,  il  ne  se  peut  faire  qu'il  y  en  ait 
de  ces  impossibles.  On  peut  dire  le  même  de  l'é- 
quation carrée  suivante ,  qui  a  trois  racines  po- 
sitives en-dessus ,  et  une  en-dessous ,  quoique ,  sui- 
vant votre  doctrine,  elle  n'en  dut  point  avoir  en- 
dessous  ;  et  si  elle  en  avoit  d'impossibles ,  elle  ne 
pourroit  avoir  que  deux  positives  au  plus , 

12  —  16  af  7  a*  —  4  fl3 1  a*- 

Pour  ce  qui  regarde  votre  conchoïde  paraboli- 
que ,  voici  le  calcul  que  nous  en  avons  fait  sur 
votre  figure  de  la  page  4<>4  »  que  nous  ne  voulions 
pas  vous  envoyer  sans  y  ajouter  quelque  cbose 
de  plus  précis  ;  la  lettre  a  est  l'inconnue  en  la  ma- 
nière de  M.  Viète. 


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CG ,  vel  MH 
lattis  rectum 
DE 
AB 
IH 
HB 
IG 


a 

b 
c 
d 

f 

S 
k 


LETTRES.  55g 

L'équation  est  entre  les  carrés 
IM  et  MC  ensemble  d'une  part, 
et  le  carré  IC  de  l'autre,  c'est-à- 
dire  ,  entre  les  carrés  de 

d'une  part,  et  hh  de  l'autre,  et 
l'équation  vient  de  cette  sorte. 

+      U        *■  «•  d' -  2  6«  cdga  +  b*  g*  «.  +  a  bdga*  _  2  bgai  -  , 

  ,  «--M  M»»-» 

—a  bcd*  a»—  s  6»  /a*  -f«rf»  a4 

+  b*f»a* 
—  6»  A»  a». 

Dans  laquelle  équation  toutes  les  espèces  sont 
distinguées  avec  leurs  signes,  supposant  votre 
figure  comme  elle  est.  Nous  l'aurions  aussi  faite 
supposant  la  ligne  LH  (  que  nous  appelons  G)  de 
l'autre  part  vers  L;  mais  nous  ne  vous  l'envoyons 
pas,  parcequ'on  reconnoît  incontinent  qu'elle  est 
inutile  en  l'équation  particulière  que  vous  avez 
envoyée,  qui  est  celle  que  nous  vouUons  précisé- 
ment  examiner ,  où  il  se  trouve  qu'en  la  parabole 
requise  à  votredite  équation  numérique,  savoir, 
t  l296  —  3o6o  a  f  2664  <*'  —  1 1 15  a3  f  z39 
a*  —  a5  a5  f  a6  ||  o9  le  côté  droit  doit  être  ^ 
le  carré  de  DE ,  ou  ca  en  nos  espèces ,  ?Hf|£  ia 
ligne  AB,ouD,  12  j;  IH  ouF,^;  l#  ou  H% 
^àHU  eî  Je  rectangle  sons  le  côté  droit  et  la 
ligne  JUS,  cm  6>£,est 

* 

*4 


10. 


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5^0  h  E  TTRES. 

D'qù  U  est  manifeste  qu'en  cet  exemple  le  centre 
du  cercle  CNQ  est  dans  l'espace  compris  par  la 
cqnchojide  parabolique  QACN,  et  non  pas  au 
dehors  ;  on  voit  aussi  que  ce  cercle  ne  doit  pas 
couper xettej  conchoïde  de  l'aube  ,part  de  la  ligne 
B  vers»  AQ  ,  pàf  ceqtue  B  ^tant  déjà  1  â  -f  ,  et  les  au- 
tres perpendiculaires  de*  cette  ;  part  étant  plus 
grandes,  exècdèroienl  la  plus  grande  racine  9:  il 
faut  donc  que  lès  six  points  que  le  cercle  donnera 
en  cet^élcohchoïde  soient  dans  la  portion  de  cette 
ligne  depuis  A  par  Ç,  par  N,  etc.,  à  l'infini. 
Voyez,  s'il  vous  plaît,  si  cela  se  peut. 
;  î  ,\Le  mo^en  que  nous 1  avoris  dë  l'examiner  est 
indubitable^  car  posé ,'  par  texëm'ple ,  qu'on  veuille 
examiner,  la  racine  GR  (ou  peut-être  g)  qui  soit 
comme  G&  (  tfest  le  même  pour  toutes  les  autres), 
Hu'ya  iqûtemeh'ef  M  parallèle  £M,  et  calculer  où 
lescercfefa  cou^ë.  Or ,  pourcequ'en  ce  cas  GD 
sera  connue,  on  saura  oû  la  ligne  droite  AC  pro- 
longée co^per^  l'axfe  DB ,  èt  qu'elle  longueur  aura 
■la  Jlgwe;GC,  d'où  l'on  verra1  si  EB  teste  de  là  Ion- 
goeùr  requi se ,  et  si  Célti  Arrive  à  toutes  les  six  ra- 
pines t  posant  qu'en  %us  lès  six  cas  le  point  C  et 
ses  semblables  soient  tarnt1  dams  la  circotiférence 
du  cercle  qtte  dans  e^ïlé' delà  donchoïde,  et  dans 
la  ligne  miroite ,  ce  éftii  nVautre  difficulté  que  la 
lôiigueur  du  calcul  ide' ces  triangles.  Et  bien  que 
vous  ayez  suivi  une  autre  construdutih  que  nous 


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LETTRES.  371 

pour  trouver  votre  côté  droit  et  vos  autres  lignes, 
nous  les  avons  néanmoins  trouvés  les  mêmes  par 
la  oiôtre,  ce  qui  nous  a  servi  de  témoignage 
que  nous  ne  nous  étions  pas  mépris  dans  l'opéra- 
tion j  et  vous  verrez  aussi  par  là  que  ce  n'est  pas  à 
la  vue  mais  par  le  raisonnement  que  l'examen 
en  a  été  fait. 

En  voilà  ce  me  semble  assez  en  matière  de  géo- 
métrie, et  peut-être  trop  pour  votre  loisir,  s'il 
vous  y  falloit  employer  davantage  de  temps  qu'il  ' 
n'en  faut  pour  le  lire  ;  et  je  n'y  ajouterai  rien  de 
plus,  si  ce  n'est  que,  pour  la  démonstration  dont 
vous  me  parlez  touchant  M.  de  Gavendish,  ledit 
sieur  de  Roberval  m'a  assuré  la  lui  avoir  donnée,  et 
qu'il  n'a  pas  empêché  quïl  ne  vous  l'ait  fait  voir, 
n'étant  aucunement  chiche  de  ces  choses ,  lorsqu'il 
croit  qu'on  les  recevra  de  même  qu'il  les  donne. 
Pour  les  asymétries,  il  dit  qu'il  suffit  que  vous 
voyiez  comme  il  y  procède,  et  que  sa  manière  est 
universelle.  Si  la  votre  est  plus  courte  et  meilleure , 
vous  m'obligerez  beaucoup  de  me  l'envoyer;  et 
me  permettrez,  s'il  vous  plaît,  de  finir  cette  lettre 
par  ce  que  vous  me  mandez  de  M.  Toricelli ,  sur 
quoi  je  crois  vous  pouvoir  entièrement  satisfaire, 
en  ayant  eu  une  particulière  connoissance.  Il  ne 
s'est  fait  connoître  en  France  qu'en  octobre  de 
l'année  i643;  nous  avons  l'original  de  sa  lettre  de 
16^6,  dans  laquelle  il  avoue  que  cette  ligne  de  la 

H. 


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3y2  LKTTHES. 

roulette  ou  cycloïde  ne  lui  appartient  point,  et  que 
jusqu'à  la  mort  de  Galilée,  qui  fut  en  16^2,  on 
n'en  savoit  rien  en  Italie.  Il  a  dû  depuis  continuer 
à  écrire  qu'il  n'avoit  aucune  connoissance  des  so- 
lides, soit  à  l'entour  de  la  base,  soit  autour  de 
l'axe  de  cette  ligne;  et  ayant  quelque  temps  après 
trouvé  la  raison  de  celui  autour  de  la  base  à  son 
cylindre,  il  énonça  aussi,  mais  faussement,  la 
raison  de  celui  autour  de  l'axe  à  son  cylindre  de 
même  hauteur,  savoir ,  comme  de  1 1  à  18.  Ce  qui 
donna  sujet  à  M.  de  Roberval,  en  l'examinant,  de 
trouver  la  véritable,  qui  est  énoncée  dans  le  livre 
des  réflexions  du  père  Mersenne;  et  que  ni  ledit 
Toricelli,  ni  personne  autre  que  lui,  non  pas 
même  M.  de  Fermât,  n'a  jamais  pu  démontrer. 
Après  cela  vous-même ,  monsieur,  avez  écrit  une 
lettre  que  ledit  sieur  de  Roberval  m'a  fait  voir,  de 
l'année  i658,  dans  laquelle  vous  donnez  la  démons- 
tration de  l'espace  compris  par  cette  ligne  et  sa 
i>ase,  comme  d'une  chose  qu'il  a  trouvée;  j'ai  plu- 
sieurs lettres  de  M.  de  Fermât,  de  Tannée  1 607,  qui 
disent  le  même,  et  qui  témoignent  sa  franchise, 
en  ce  que  s'étant  mépris  sur  le  sujet  de  cette  ligne, 
et  d'une  énonciation  dudit  sieur  de  Roberval ,  qui 
lui  apparut  d'abord  fausse,  il  se  rétracta  généreu- 
sement par  le  courrier  suivant.  M.  Des  Argues  a 
imprimé  la  même  chose  en  1639,  et  le  père  Mer- 
senne  en  cent  endroits;  et  néanmoins  si  vous  ne 


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LETTRES.  5;5 

1;  trouvez  pas  bon,  ledit  sieur  de  Roberval  ne 
veut  pas  se  l'attribuer,  et  m'a  dit  qu'il  la  laisse  à 
celui  qui  la  pourra  prendre;  m  ayant  encore  assuré 
sur  ce  sujet,  ce  que  je  ne  vous  écrirais  point  si 
vous  n'aviez  intérêt  de  le  savoir,  qu'il  pourrait 
vous  reprocher  ce  qu'un  anonyme  qui  a  fait 
quelque  petit  écrit  d'algèbre  vous  objecte  (  quel- 
ques uns  croient  que  c'est  un  père  jésuite),  que 
dans  la  formation  de  vos  équations  vous  ne  fuites 
que  redire  ce  qui  a  été  publié  dès  l'année  1 63 1 
par  un  Anglois,  nommé  Hariot,  duquel  nous  n'a- 
vons pas  ici  grande  connoissance,  du  moins  moi, 
qui  suis  parfaitement  et  en  vérité  \  etc. 

A  MADAME  ÉLIZABETH, 

PRINCESSE  PALATINE,  CtC.  3. 

(Lettre  5o  du  tome  I.) 

Madame, 

Étant  arrivé  depuis  quatre  ou  cinq  jours  à 
Stockholm,  l'une  des  premières  choses  que  j'estime 

•  «  M.  Descartes  ne  reçut  cette  lettre  qu'étant  en  Suède  ,  par  l'entremise 
de  M.  Clerselier  ,  et  il  ne  voulut  point  y  répondre.  La  lettre  qu'il  écrivît 
à  M.  Clerselier  à  l'occasion  de  celle-ci  est  datée  du  C  novembre  164g  ,  et 
sera  imprimée  dans  les  fragments.  » 

»  «  Descartes  étant  arrivé  à  Stockholm  au  commencement  d'octobre 
1649 ,  et  disant  ici  qu'il  n'est  arrivé  que  depuis  quatre  ou  cinq  jours  ,  je. 
fixe  cette  lettre  du  8  octobre  1649.  Stockholm.  » 


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0^4  LETTRES* 

appartenir  à  mon  devoir  est  de  renouveler  les  offres 
de  mon  très  humble  service  à  votre  altesse,  afin 
qu'elle  puisse  connoître  que  le  changement  d'air 
et  de  pays  ne  peut  rien  changer  ni  diminuer  de 
ma  dévotion  et  démon  zèle.  Je  n'ai  encore  eu  l'hon- 
neur de  voir  la  reine  que  deux  fois,  mais  il  me 
semble  la  connoître  déjà  assez  pour  oser  dire 
qu'elle  n'a  pas  moins  de  mérite  et  plus  de  vertu 
que  la  renommée  lui  en  attribue.  Avec  la  généro- 
sité et  la  majesté  qui  éclatent  en  toutes  ses  actions, 
on  y  voit  une  douceur  et  une  bonté  qui  obligent 
tous  ceux  qui  aiment  la  vertu,  et  qui  ont  l'honneur 
d'approcher  d'elle ,  d'être  entièrement  dévoués  à 
son  service.  Une  des  premières  choses  qu'elle  m'a 
demandées  a  été  si  je  savois  de  vos  nouvelles,  et 
je  n'ai  pas  feint  de  lui  dire  d'abord  ce  que  je  pen- 
sois  de  votre  altesse;  car,  remarquant  la  force  de 
son  esprit,  je  n'ai  pas  craint  que  cela  lui  donnât 
aucune  jalousie  :  comme  je  m'assure  aussi  que 
votre  altesse  n'en  sauroit  avoir  de  ce  que  je  lui 
écris  librement  mes  sentiments  de  cette  reine. 
Elle  est  extrêmement  portée  à  l'étude  des  lettres; 
mais  pourceque  je  ne  sache  point  qu'elle  ait  en- 
core rien  vu  de  la  philosophie,  je  ne  puis  juger 
du  goût  qu'elle  y  prendra,  ni  si  elle  y  pourra  em- 
ployer du  temps,  ni  par  conséquent  si  je  serai 
capable  de  lui  donner  quelque  satisfaction ,  et  de 
lui  être  utile  en  quelque  chose.  Cette  grande  éuv 


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LETTRES.  3^5 

deur  qu'elle  a  pour  la  connoissance  des  lettres 
l'incite  surtout  maintenant  à  cultiver  la  langue 
grecque,  et  à  ramasser  beaucoup  de  livres  anciens; 
mais  peut-être  que  cela  changera,  et  quand  il  ne 
changeroit  pas,  la  vertu  que  je  remarque  en  cette 
princesse  m'obligera  toujours  de  préférer  Futilité 
de  son  service  au  désir  de  lui  plaire.  En  sorte  que 
cela  ne  m'empêchera  pas  de  lui  dire  franchement 
mes  sentiments  ;  et  s'ils  manquent  de  lui  être 
agréables,  ce  que  je  ne  pense  pas,  j'en  tirerai  au 
moins  cet  avantage,  que  j'aurai  satisfait  à  mon  de- 
voir, et  que  cela  me  donnera  occasion  de  pouvoir 
d'autant  plus  tôt  retourner  en  ma  solitude,  hors  de 
laquelle  il  est  difficile  que  je  puisse  rien  avancer 
en  la  recherche  de  la  vérité  ;  et  c'est  en  cela  que 
consiste  mon  principal  bien  en  cette  vie.  M.  Fr. 1  a 
fait  trouver  bon  à  sa  majesté  que  je  n'aille  jamais 
au  château  qu'aux  heures  qu'il  lui  plaira  de  me 
donner  pour  avoir  l'honneur  de  lui  parler,  ainsi 
je  n'aurai  pas  beaucoup  de  peine  à  faire  ma  cour, 
et  cela  s'accommode  fort  à  mon  humeur.  Après  tout 
néanmoins,  encore  que  j'aie  une  très  grande  vé- 
nération pour  sa  majesté,  je  ne  crois  pas  que  rien 
soit  capable  de  me  retenir  en  ce  pays  plus  long- 
temps que  jusques  à  l'été  prochain  :  mais  je  ne 
puis  absolument  répondre  de  l'avenir.  Je  puis  seu- 
lement vous  assurer  que  je  serai  toute  ma  vie ,  etc. 

*  Freinshetmus. 


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APPENDICE 

DE  LA  CORRESPONDANCE. 


I 


» 


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APPENDICE 

DE  LA  CORRESPONDANCE. 


LETTRE  DE  M.  CLERSELIER 

A  M.  HENRI  MORUS, 

CIRT1LHOUUI  1NOL01I. 

(Lettre  64  du  tome  I.  Version. ) 

*  * 

Monsieur, 

J'ai  lu  et  relu  avec  un  extrême  plaisir  les  dif- 
ficultés que  vous  proposâtes  à  M.  Descartes  le  1 1 
décembre  1648,  le  5  mars,  2 3  juillet  et  21  oc- 
tobre 1649,  dans  lesquelles  j'ai  trouvé  tant  d'es- 
prit, et  en  même  temps  tant  de  bonté,  que  cela 
me  donne  la  hardiesse  de  vous  écrire,  pour  vous 
instruire  du  dessein  que  je  médite,  et  vous  prier 
de  m'accorder  ce  dont  j'ai  besoin  pour  achever 
mon  ouvrage.  J'ai  entre  les  mains  les  principaux 
manuscrits  que  M.  Descartes,  ce  philosophe  in- 
comparable, laissa  à  son  parent  M.  Chanut,  ci-de- 


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3Ô0  LETTRES. 

vaut  ambassadeur  auprès  de  la  reine  de  Suède  ,  et 
présentement  auprès  des  États  de  Hollande,  et  chez 
lequel  il  mourut  en  Suède.  J'ai  trouvé  entre  autres 
les  originaux  des  lettres  qu'il  écrivit  en  réponse  à 
plusieurs  de  ses  amis.  Je  fais  choix  des  principales, 
qui  concernent,  les  unes  sa  Philosophie,  d'autres 
quelques  ouvrages  qu'il  n'avoit  qu'ébauchés;  d'au- 
tres enfin  qui  contiennent  la  solution  des  difficul- 
tés qui  lut  avoient  été  proposées  par  plusieurs 
grands  hommes,  parmi  lesquels  vous  tenez  une 
place  si  distinguée.  Mon  dessein  est  de  les  faire 
toutes  imprimer  au  premier  jour,  comme  je  l'es- 
père :  mais  comme  on  auroit  de  la  peine  à  enten- 
dre les  réponses  aux  difficultés,  si  on  n'imprime 
en  même  temps  les  difficultés  mêmes,  et  que  je 
n'ai  pas  cru  pouvoir  exécuter  ce  dessein  sans  la 
permission  de  ceux  qui  ont  été  en  commerce  de 
lettres  avec  lui,  j'ai  déjà  obtenu  de  quelques  un*  la 
grâce  que  je  vous  demande,  et  que  j'attends  de 
votre  honnêteté,  et  de  ce  zèle  incroyable  que  je 
vous  connois  pour  M.  Descartes.  Je  voudrois  vous 
supplier  en  même  temps  de  m'envoyer  les  origi- 
naux de  toutes  celles  qu'il  vous  a  écrites,  car  je  n'en 
trouve  que  deux  ici ,  l'une  en  réponse  de  la  vôtre 
du  1 1  décembre,  et  l'autre  à  celle  du  5  mars.  11 
me  manque  donc  la  troisième,  qui  doit  être  en  rér 
ponse  des  vôtres  du  a3  juillet  et  du  2 1  octobre,  la- 
quelle doit  être  très  belle  et  très  curieuse,,  ayant  à 


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IjRfTM'S.  58 1 

répondre  à  tant  de  questions  importantes  que 
vous  lui  avez  faites  sur  ses  Principes  de  philoso- 
phie, et  sur  la  Dioptrique,  dont  je  n'ai  trouvé  que 
deux  pages,  où  il  tâche  de  répondre  à  vos  in- 
stances, sans  qu'il  s'y  trouve  un  seul  mot  de  vos 
questions  sur  ses  Principes  et  sur  sa  Dioptrique  : 
ainsi  je  vous  prie  donc  instamment  de  m'accorder 
la  grâce  de  faire  imprimer  vos  lettres  avec  ses 
réponses,  et  de  m'envoyer  aussi  toutes  celles  que 
vous  avez  de  M.  Descartes,  afin  que  nous  concou- 
rions ensemble  à  l'utilité  du  public  et  à  la  mé- 
moire de  notre  ami.  Outre  ces  lettres,  j'ai  encore 
plusieurs  beaux  monuments  de  ce  grand  homme, 
qui  verront  le  jour  chacun  en  son  temps ,  et 
qui,  je  m'assure,  ne  vous  feront  pas  peu  de 
plaisir  un  jour,  connoissant  votre  zèle  et  votre 
amour  pour  les  écrits  de  M.  Descartes.  Si  j'eusse 
pu  vous  écrire  dans  ma  langue  naturelle,  je  vous 
aurois  expliqué  ma  pensée  en  termes  plus  clairs 
et  meilleurs;  mais  de  peur  de  tomber  en  diverses 
fautes,  j'ai  serré  mon  style,  et  je  vous  ai  découvert 
ma  pensée  comme  j'ai  pu  ,  et  non  pas  comme  j'ai 
voulu.  Je  vous  prie  de  me  le  pardonner,  et  d'être 
bien  persuadé  que  je  suis  avec  toute  l'estime  et  la 
vénération  possible,  etc. 

A  Paris,  [e  ta  décembre  i654. 


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582  LETTRES. 


RÉPONSE  DE  M.  MORUS 

A  M.  CLERSELIER. 

(Lettre  65  du  tome  III.  Version.) 

Monsieur, 

Je  n'ai  reçu  que  le  i5  avril  1  celle  que  vous 
m'avez  fait  l'honneur  de  m  écrire  de  Paris  le  12 
décembre  1 654-  Je  suis  surpris  de  ce  retardement. 
Jëtois  alors  à  Grantham,  aux  environs  de  Lincoln  : 
je  m'étois  retiré  à  la  campagne  en  partie  pour 
rétablir  ma  santé.  J'ai  eu  une  véritable  joie  d'ap- 
prendre le  louable  dessein  que  vous  avez  de  mettre 
au  jour  tous  les  écrits  de  M.  Descartes  qui  sont 
entre  vos  mains  :  en  quoi  vous  travaillez  non  seu- 
lement pour  le  nom  et  la  mémoire  de  cet  excellent 
philosophe,  mais  encore  pour  l'utilité  de  tous  les 
gens  de  lettres;  car  il  n'y  a  personne  à  qui  on 
puisse  appliquer  plus  heureusement  qu'à  cet 
homme  divin  le  passage  d'Horace  : 

Il  n'entreprend  rien  que  d'utile. 

C'est  pourquoi  si  j'avois  un  conseil  à  vous  donner, 

•  Lisez  probablement  février;  car  celte  lettre  est  datée  du  14  mars  , 
et  Moms  dit  qu'il  s'est  écoulé  un  mois  entre  la  réception  de  la  lettre  de 
Clerselier  et  cette  réponse. 


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I 


LETTRES.  385 

ce  seroit  do  ne  rien  supprimer  de  ses  ouvrages  , 
tant  de  ceux  qu'il  n'a  fait  qu'ébaucher ,  que  de 
ceux  auxquels  il  a  donné  la  dernière  main  :  ce  qui 
ne  peut  tourner  qu'au  bien  de  la  république  des 
lettres.  Ainsi,  pour  ne  mettre  aucun  obstacle  à  un 
dessein  si  utile,  j  y  donne  les  mains  de  bon  cœur  , 
et  je  vous  permets  de  faire  imprimer  la  première 
et  la  seconde  lettre  que  j'ai  écrites  à  M.  Descartes, 
parceque  sans  elles  ,  comme  vous  dites  fort  bien, 
on  n'est  pas  en  état  d'entendre  si  facilement  ses  ré- 
ponses ;  je  crois  même  qu'il  ne  seroit  pas  inutile 
de  faire  imprimer  aussi  ma  troisième ,  puisqu'elle 
est  la  réponse  aux  précédentes  de  M.  Descartes; 
mais  comme  ma  quatrième  n'a  rapport  à  aucune 
des  siennes  ,  et  que  la  mort  inopinée  l'a  empêché 
d'y  faire  réponse,  je  ferois  difficulté  de  lui  faire 
voir  le  jour  :  si  néanmoins  quelques  uns  de  ses 
amis  ?  ou  de  ceux  qui  vivoient  et  conféroient  plus 
fréquemment  avec  lui ,  vouloient  y  suppléer  par 
une  réponse ,  je  crois  qu'alors  il  ne  seroit  pas  inu- 
tile de  la  joindre  aux  autres  ;  et  quand  même  cela 
ne  pourroit  se  faire  à  présent ,  s'il  y  avoit  apparence 
que  l'impression  de  la  troisième  et  de  la  quatrième 
lettre  engageât  quelqu'un  des  plus  habiles  disci- 
pjes  de  M.  Descartes  à  répondre  à  toutes  les  dif- 
ficultés que  je  propose  à  ce  grand  philosophe,  cette 
seule  espérance  me  porteroit  plus  facilement  à  vous 
accorder  toute  liberté  de  les  mettre  au  jour  avec 


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584  LETTRES. 

»  •  •  * 

les  autres.  Vous  trouverez  peut-être  vous-même 

•  •  «    •  •  • 

quelque  expédient  là-dessus  meilleur  que  le  mien  ; 
mais  pour  ne  pas  vous  arrêter  davantage ,  je  m'en 
remets  entièrement  sur  toute  cette  affaire  à  votre 
prudence  et  à  votre  équité. 

Je  ne  saurois  vous  exprimer  la  douleur  que  j'ai 

»  i  •  •  • 

ressentie  à  la  nouvelle  de  la  mort  prématurée  de 
M.  Descartes.  J'étois  zélé  admirateur  de  l'esprit  et 
des  vertus  de  cet  homme  incomparable ,  et  je  dé- 
sirois  passionnément  de  lire  sa  réponse  que  j'atten- 
dois  à  ma  troisième  et  quatrième  lettre ,  qui  par- 
courent toute  sa  philosophie.  Vous  m'apprenez , 
monsieur ,  quil  avoit  commencé  une  réponse  à  ma 
lettre  du  23  juillet.  Je  conjecture  qu'il  a  écrit  ce 
fragment  étant  encore  à  Egmonten  Hollande,  et 
il  la  discontinua  (  comme  il  me  le  fit  savoir  par  ses 
amis  )  parcequ'ayant  l'esprit  occupé  de  son  dé- 
part pour  la  Suède ,  il  ne  put  vaquer  en  même 
temps,  selon  ses  termes,  à  tant  de  difficultés  si 
subtiles ,  et  à  des  disquisitiohs  de  si  grande  impor- 
tance :  mais  il  promit  bien  sûrement  à  ses  amis  de 
retourner  le  printemps  suivant,  et  de  m'y  faire 
alors  une  ample  réponse,  capable  de  lever  tous 
mes  doutes  :  mais  puisque  la  cruelle  mort  nous  a 
enlevé  tout  le  reste,  je  ne  voudrois  pas  que' ce 
fragment  de  deux  pages  dont  vous  parlez  vînt  à 
périr. 

>  Quant  à  ces  autres  monuments  plus  précieux 


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LETTRES.  385 

et  plus  importants  que  vous  dites  avoir  entre  les 
mains,  et  à  qui  vous  promettez  de  faire  voir  le 
jour  en  leur  temps,  je  m'en  forme  d'avance  une 
joie  infinie,  et  je  vous  aurois  toute  l'obligation 
possible  si  vous  vouliez  bien  me  faire  la  grâce  de 
marquer  seulement  dans  votre  première  lettre  le 
sujet  et  le  titre  de  chacun  de  ces  livres.  Votre  der- 
nière lettre  fait  renaître  en  moi  cette  ardeur  que 
j'avois  autrefois  pour  la  philosophie  de  M.  Des- 
cartes, et  qui  s'étoit  un  peu  ralentie  par  la  mort 
de  cet  illustre  ami ,  faute  de  nouveaux  sujets  de 
lecture:  ou  plutôt,  pour  vous  dire  les  choses 
comme  elles  sont ,  ce  n'étoit  pas  l'unique  cause , 
d'autres  occupations  avoient  détourné  mon  es- 
prit sur  des  études  tout-à-fait  différentes.  Car  le 
poids  des  raisonnements,  la  beauté  sensible  de 
la  vérité,  la  grandeur  et  la  sublimité  du  génie, 
le  bel  ordre,  l'enchaînement  et  la  correspon- 
dance universelle  de  tous  les  écrits  de  M.  Des- 
cartes font  qu'après  Les  avoir  lus  mille  fois  on  les 
trouve  toujours  nouveaux,  toujours  pleins  de  char- 
mes qui  les  font  relire  avec  plaisir  :  de  même  que  la 
lumière  du  soleil  qu'on  voit  tous  les  jours  sans  se 
lasser,  et  dont  le  lever  est  attendu ,  souhaité  et  reçu 
tous  les  matins  avec  de  nouvelles  démonstrations  de 
joie  par  les  hommes ,  les  oiseaux  et  le  reste  des  ani- 
maux. D'ailleurs  la  philosophie  cartésienne  (malgré 
les  murmures  secrets  des  uns ,  et  les  déchaînements 

10.  25 


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586  LETTRES. 

emportés  des  autres  )  est  non  seulement  agréable 
à  lire,  mais  elle  est  principalement  utile  pour  la 
religion ,  qui  est  la  fin  principale  de  toute  la  phi- 
losophie ;  car  les  péripatéticiens  prétendent  qu'il 
y  a  certaines  formes  substantielles  qui  sortent  de  la 
puissance  de  la  matière,  et  qui  lui  sont  tellement 
unies,  quelles  ne  peuvent  subsister  sans  elle,  et 
que  par  conséquent  elles  retournent  enfin  de  né- 
cessité dans  la  puissance  de  la  matière  ,  ces  philo- 
sophes rapportant  à  cet  ordre  les  âmes  de  presque 
tous  les  êtres  vivants  ,  et  celles-là  même  à  qui  ils 
donnent  du  sentiment  et  de  la  pensée;  les  épicu- 
riens, qui  d'un  autre  côté  se  moquent  des  formes 
substantielles,  attribuant  à  la  matière  même  le  sen- 
timent et  la  pensée ,  il  n'y  a  que  M.  Descartes , 
entre  tous  les  philosophes,  qui  ait  banni  de  la 
philosophie  toutes  les  formes  substantielles  ,  ou 
ces  âmes  sorties  de  la  matière ,  et  qui  ait  entière- 
ment dépouillé  la  matière  de  la  faculté  de  sentir  et 
de  penser;  de  sorte  que  si  Ton  saivoit  les  principes 
de  M.  Descartes ,  on  auroit  une  méthode  très  cer- 
taine et  un  moyen  très  facile  pour  démontrer 
l'existence  de  Dieu  et  l'immortalité  de  l'âme ,  qui 
sont  les  deux  fondements  les  plus  solides  et  les 
uniques  soutiens  delà  vraie  religion.  Je  remarque 
ces  choses  en  deux  mots ,  parmi  plusieurs  autres 
que  je  pourrois  ajouter  ,  et  qui  se  rapportent  au 
même  sujet;  mais  je  dirai  en  gros  qu'il  n'y  a  au- 


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LETTRES.  087 

cune  philosophie  qui  combatte  si  fortement  les 
athées,  jusqu'au  fond  de  leurs  retranchements  ,  et 
qui  détruise  si  heureusement  tous  leurs  réduits, 
que  la  philosophie  cartésienne  bien  entendue,  à 
laquelle  on  pourroit  joindre  celle  de  Platon  pour 
ce  point.  Ce  qui  me  fait  espérer  que  tous  les  gens 
de  bien  me  pardonneront  les  grandes  louanges 
que  j'ai  données  à  cet  homme  incomparable ,  dans 
les*  lettres  que  je  lui  ai  écrites  ;  et  je  crois  (  quel 
que  puisse  être  le  sentiment  de  notre  siècle  pour 
M.  Descartes,,  dont  la  mémoire  est  encore  trop 
récente  pour  pouvoir  ensevelir  sitôt  tous  ses  en- 
vieux )  ,  je  crois  ,  dis-je  ,  que  la  postérité  embras- 
sera sa  philosophie  avec  honneur,  et  quelle  recon- 
noîtra  le  bon  usage  qu'on  en  peut  faire. 

Je  prédis  volontiers  ces  choses  pour  vous  en- 
courager le  plus  qu'il  m'est  possible  à  poursui- 
vre le  noble  dessein  que  vous  avez  de  faire  im- 
primer tous  les  écrits  qui  sont  entre  vos  mains. 
Vous  obligerez  par  là  bien  des  personnes ,  et  moi 
surtout ,  qui  trouve  un  extrême  plaisir  dans  cette 
lecture. 

Si  vous  jugez  à  propos  de  faire  imprimer  mes 
lettres ,  je  vous  prie  de  ne  pas  le  faire  sur  les  exem- 
plaires que  vous  avez  déjà,  parceque  je  vous  en 
prépare  de  plus  correctes  ;  ayant  donné  plus  d'at- 
tention à  cette  lecture ,  j'ai  trouvé  à  corriger 

quelques  endroits  qui  raetoient  échappés  dans 

2.5. 


338  LETTRES. 

la  précipitation  et  l'ardeur  avec  laquelle  j  écri- 
vis à  M.  Descartes.  J'ai  aussi  effacé  quelques 
unes  de  mes  questions  sur  la  troisième  et  qua- 
trième lettre  :  la  première  et  la  seconde  sont 
entières. 

Au  reste,  n'attribuez  ni  à  négligence  ni  à  mé- 
pris de  ce  qu'il  s'est  écoulé  un  mois  depuis  que 
j'ai  reçu  votre  lettre,  sans  vous  faire  réponse.  J'ai 
pour  vous  toute  l'estime  et  la  considération  pos- 
sibles, tant  à  cause  de  l'excellent  esprit  que  j'ai 
reconnu  en  vous  par  vos  lettres ,  qu'en  considéra- 
tion des  devoirs  de  piété  dont  M.  votre  frère  usa, 
lors  de  son  ambassade  en  Suède,  envers  M.  Des- 
cartes après  sa  mort.  Tout  le  temps  qui  s'est  écoulé 
depuis  que  j'ai  reçu  votre  lettre  s'est  passé  en 
partie  à  terminer  les  affaires  qui  me  retenoient  à 
la  campagne,  et  en  partie  à  corriger  et  à  transcrire 
mes  lettres  à  M.  Descartes;  depuis  mon  retour 
dans  notre  académie,  je  n'ai  pas  cru  devoir  vous 
répondre  avant  que  tout  fût  achevé:  aujourd'hui 
tout  est  prêt,  les  lettres  de  M.  Descartes  et  les 
miennes  :  je  ne  vous  les  envoie  pas  cependant  par 
ce  courrier;  j'ai  voulu  savoir  auparavant  si  cette 
lettre  vous  seroit  rendue  sûrement  Dès  que  vous 
me  l'aurez  fait  savoir,  je  les  ferai  toutes  partir. 
Vous  me  ferez  plaisir  de  me  marquer  dans  la  pre- 
mière où  vous  en  êtes  de  votre  projet.  Je  souhaite 
de  tout  mon  cœur  qu'il  réussisse.  Ce  sont  les  vœux 


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LETTRES.  389 

que  forme  pour  vous,  et  pour  tous  MM.  les  car- 
tésiens, etc. 

A  Cambridge,  du  collège  de  Christ,  ce  14  mai  iG55. 

LETTRE  DE  M.  DE  FERMAT 

A  M.  CLERSELIER, 

1 

SUR    LA   DIOPTRIQUE   UE   II.  DESCARTKS. 

(Lettre  |3  du  tome  III.) 

A  Toulouse,  le  3  mais  i(>58. 

Monsieur, 

J'ai  reçu  votre  lettre  avec  les  deux  copies  des 
écrits  de  M.  Descartes  sur  le  sujet  de  notre  ancien 
démêlé;  je  voudrois  bien,  monsieur,  vous  satis- 
faire ponctuellement,  en  ce  que  vous  semblez 
souhaiter  que  je  fasse  mes  réponses  d'alors  qui 
se  sont  égarées;  mais  comme  je  hais  naturellement 
tout  ce  qui  choque  tant  soit  peu  la  vérité,  et  qu'il 
me  seroit  aussi  malaisé  de  rajuster  ce  vieux  ou- 
vrage, qu'à  un  peintre  de  refaire  mon  portrait 
d'alors  sur  mon  visage  d'à  présent,  j'ai  cru  qu'il 
valoit  mieux  vous  écrire  tout  de  nouveau  une 
lettre  qui  contiendra  mes  raisons  d'opposition ,  et 


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390  LETTRES. 

vieilles  et  nouvelles,  et  c'est  à  quoi  je  travaillerai 
pour  la  huitaine.  J'entre  dans  vos  sentiments  pour 
ce  qui  concerne  l'impression;  il  faudra  changer 
les  termes  les  plus  choquants  et  les  plus  aigres; 
mais  n'y  faire  point  autrement  de  grand  change- 
ment; et  de  cela  je  m'en  remets  à  vous.  Pour  notre 
question  de  Dioptrique,  je  vous  proteste,  sans  nulle 
feintise,  que  je  souhaite  de  m'ëtre  trompé;  mais 
je  ne  saurois  obtenir  sur  moi,  en  façon  quelconque, 
que  le  raisonnement  de  M.  Descartes  soit  une  dé- 
monstration ,  et  même  qu'il  en  approche.  Je  vous 
enverrai  dans  huit  jours  la  lettre  qui  éclaircira 
mes  doutes  sur  cette  matière.  Et  je  suis  de  tout 
mon  cœur,  etc. 

J'ai  retenu  cette  lettre,  qui  étoit  prête  à  vous 
être  envoyée  dès  la  semaine  passée,  parceque  j'ai 
cru  que  M.  Digby,  par  la  voie  duquel  j'ai  pris  la 
liberté  de  vous  écrire,  ne  seroit  pas  encore  de 
retour  à  Paris.  Vous  recevrez  donc  les  deux  con- 
jointement; et  si  la  seconde  est  un  peu  longue, 
assurez-vous,  monsieur,  que  j'ai  pris  peine  à  rac- 
courcir ,  et  que  je  pourrois  dire  beaucoup  plus  de 
choses  que  je  n'ai  fait.  Je  l'ajouterai  un  jour,  si 
les  géomètres  de  Paris  soutiennent  la  démonstra- 
tion  de  M.  Descartes. 


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LETTRES. 


LETTRE  DE  M.  DE  FERMAT 

A  M.  CLERSELIER, 

SUR  LA  DIOPTRIQUE  DE  M.  DESCARTES. 

(Lettre  44  du  tome  III.) 

Du  10  mare  i658. 

Monsieur, 

Les  conclusions  qui  se  peuvent  tirer  de  la  pro- 
position qui  sert  de  fondement  à  la  Dioptrique  de 
M.  Descartes  sont  si  belles ,  et  doivent  naturelle- 
ment produire  de  si  beaux  effets  dans  tous  les  ou- 
vrages de  l'art  qui  regardent  la  réfraction ,  qu'il 
seroit  à  souhaiter,  non  seulement  pour  la  gloire 
de  notre  défunt  ami,  mais  bien  plus  pour  l'aug- 
mentation et  embellissement  des  sciences,  que 
cette  proposition  fût  véritable;  et  qu  elle  eût  été  légi- 
timement démontrée,  et  d'autant  plus  qu'elle  est 
de  celles  dont  on  peut  dire  que  multa  sunt  falsa 
probabiliora  veris.  Je  veux  même  passer  plus  outre, 
et  la  comparer  à  ce  fameux  mensonge  dont  il 
est  parlé  dans  le  Tasse,  et  que  ce  poète  assure 
être  plus  beau  que  la  vérité. 


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209  LETTRES. 

Quando  sara  il  w.to 
Si  bello  ,  che  si  possa  à  ti  proporre  f 

Je  commence  par  là,  monsieur,  afin  de  vous 
faire  connoître  que  je  serois  ravi  que  le  différent 
que  j'ai  eu  autrefois  sur  ce  sujet  avec  M.  Descartes 
se  terminât  à  son  avantage;  j'y  trouverois  mon 
compte  en  toutes  façons:  la  gloire  d'un  ami  que  j'ai 
infiniment  estimé ,  et  qui  a  passé  avec  raison  pour 
un  des  grands  hommes  de  son  temps,  l'établisse- 
ment d'une  vérité  physique  des  plus  importantes, 
et  l'exécution  aisée  des  effets  merveilleux  qui  s'en 
pourroient  infailliblement  déduire;  tout  cela  me 
vaudroit  incomparablement  mieux  qu'un  gain  de 
cause,  quand  même  je  devrois  compter  pour 
rien  le 

M<  cuin  certasse  ferelur, 

dont  les  amis  de  M.  Descartes  peuvent  toujours 
raisonnablement  consoler  ses  adversaires.  Je  me 
mets  donc,  monsieur,  en  la  posture  d'un  homme 
qui  veut  être  vaincu ,  je  Je  déclare  hautement. 

Jani  jam  efficaei  do  manu»  scientix. 

Mais  parceque  les  démonstrations  sont  des 
raisons  forcées,  et  qu'à  moins  d'être  convaincu 
par  elles,  on  n'en  sauroit  être  persuadé,  voyons, 
monsieur,  si  le  contentement  des  lecteurs  peut 
échapper  à  notre  auteur,  et  si  nous  pourrons  nous 


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LETTRES.  3q3 

défaire  aisément  des  objections  qui  semblent  lui 
pouvoir  être  opposées.  Il  faut  pour  cela  suivre  sa 
démonstration  mot  pour  mot,  et  il  suffira  d'en- 
fermer par  des  parenthèses  ce  qui  ne  sera  point 
à  lui ,  et  que  j'ajouterai  du  mien.  Voici  donc  comme 
il  parle  au  commencement  de  la  page  20  de  sa 
Dioptrique  françoise. 

Et  premièrement ,  supposons  qu'une  balle  pous- 
sée d'A  vers  B  rencontre  au  point  B,  non  plus  la 
superficie  de  la  terre ,  mais  une  toile  CBE ,  qui 
soit  si  foible  et  si  déliée  que  cette  balle  ait  la  force 
de  la  rompre  et  de  passer  tout  au  travers,  en  per- 
dant seulement  une  partie  de  sa  vitesse,  à  savoir, 
par  exemple,  la  moitié.  Or,  cela  posé,  afin  de  savoir 
quel  chemin  elle  doit  suivre,  considérons  dere- 
chef que  son  mouvement  diffère  entièrement  de 
sa  détermination  à  se  mouvoir  plutôt  vers  un  côté 
que  vers  un  autre ,  d'où  il  suit  que  leur  quantité 
doit  être  examinée  séparément;  et  considérons 
aussi  que  des  deux  parties  dont  on  peut  imaginer 
que  cette  détermination  est  composée ,  il  n'y  a  que 
celle  qui  faisoit  tendre  la  balle  de  haut  en  bas  qui 
puisse  être  changée  en  quelque  façon  par  la  ren- 
contre de  la  toile,  et  que  pour  celle  qui  la  faisoit 
tendre  vers  la  main  droite  ,  elle  doit  toujours  de- 
meurer  la  même  qu'elle  a  été ,  à  cause  que  cette 
toile  ne  lui  est  aucunement  opposée  en  ce  sens-là. 
Mais  ce  raisonnement  n'est-il  pas  un  peu  opposé 


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094  LETTRES. 

au  sens  commun  ?  L'extension  qu'il  en  fait  de  la 
réflexion  à  la  réfraction  n  est-elle  pas  aussi  un  peu 
forcée  ?  Dans  la  page  14  il  suppose  que  la  balle 
va  toujours  d'égale  vitesse,  tant  en  descendant 
qu'en  remontant,  qu'elle  continue  son  mouvement 
dans  un  même  milieu  ;  il  en  déduit,  dans  la  page  1 7, 
que  la  rencontre  de  la  terre  peut  bien  empêcher 
la  détermination  qui  faisoit  descendre  la  balle  d'AF 
vers  CE  à  cause  qu'elle  occupe  tout  l'espace  qui 
est  au-dessous  de  CE ,  mais  qu'elle  ne  peut  point 
empêcher  l'autre  qui  la  faisoit  avancer  vers  la  main 
droite,  vu  qu'elle  ne  lui  est  aucunement  opposée  en 
ce  sens-là;  d'où  il  infère  l'égalité  des  angles  de  ré- 
flexion et  d'incidence.  Mais  quand  bien  ce  raisonne- 
ment seroit  véritable  en  la  réflexion,  quelque  scep- 
tique scrupuleux  ne  manquera  pointd'alléguer  qu'il 
y  a  trois  circonstances  en  la  réfraction  qui  doivent 
changer  la  conséquence,  ou  du  moins  servir  d'empê- 
chement à  la  recevoir  sans  nouvelle  preuve.  Premiè- 
rement, en  la  figure  de  la  page  20  ou  en  celle  de  la 
page  21  de  la  Dioptrique,  la  balle  ne  continue  pas 
son  mouvement  d'une  égale  vitesse ,  puisque  par  la 
supposition  elle  perd,  par  exemple,  la  moitié  de  sa 
vitesse  dès  le  point  B.  Secondement,  elle  ne  passe 
pas  toujours  par  un  même  milieu ,  comme  il  paroît 
en  la  figure  de  la  page  2 1 .  Et  enfin  la  détermination 
qui  la  faisoit  aller  de  haut  en  bas  n'est  pas  tout-à-fait 
empêchée  par  la  rencontre  dé  la  toile,  ou  de  l'eau, 


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LETTRES.  5gb 

mais  changée  seulement  ou  diminuée.  Or  que  la 
conséquence  soit  la  même  nonobstant  la  diversité 
de  ces  trois  circonstances ,  il  sera  malaisé  qu'un 
médiocre  logicien  le  puisse  accorder.  Il  alléguera 
pour  excuse  de  sa  logique  scrupuleuse  qu'il  n'a 
pas  cru  se  faire  grande  violence  lorsqu'en  la  fi- 
gure de  la  page  1 6  et  17  il  a  donné  les  mains  que 
la  détermination  de  la  gauche  à  la  droite  restoit  la 
même  ,  puisque  la  balle  allant  toujours  de  même 
vitesse  pouvoit  conserver  l'une  de  ses  visées  ou 
déterminations  lorsque  l'autre  seule  étoit  empê- 
chée ;  que  d'ailleurs  le  mouvement  se  faisoit  dans 
un  même  milieu,  et  qu'enfin  la  détermination  de 
haut  en  bas  étant  entièrement  empêchée ,  il  n'y 
avoit  pas  grand  mal  de  consentir  que  celle  de  la 
gauche  à  la  droite  restât  tout  entière  ;  comme 
quand  on  perd  un  œil  on  dit  que  la  vertu  visive 
se  conserve  entière  en  celui  qui  reste.  Mais  en  la 
réfraction  tout  y  est  différent;  veut-on  y  obtenir  le 
consentement  de  notre  sceptique  sans  preuve  ?  La 
détermination  de  la  gauche  à  la  droite  demeurera  - 
t-elle  la  même ,  lorsque  toutes  les  raisons  qui  le 
lui  avoient  persuadé  en  la  réflexion  se  sont  éva- 
nouies ?  Mais  ce  n'est  pas  tout ,  il  a  sujet  d'appré- 
hender l'équivoque;  et  lorsqu'il  aura  accordé  que 
cette  détermination  de  gauche  à  droite  demeure 
la  même,  il  a  occasion  de  soupçonner  que  l'auteur 
le  chicanera  sur  l'explication  de  ce  terme  ;  car 


7)Ç)6  LETTRES* 

quoiqu'il  ait  protesté  que  la  détermination  est  dif- 
férente de  la  puissance  qui  meut,  et  que  leur  quan- 
tité doit  être  examinée  séparément ,  si  notre  scep- 
tique lui  accorde  en  cet  endroit  que  cette  déterrai- 
nation  de  gauche  à  droite  demeure  la  même  en  la 
réfraction ,  c  est-à-dire  qu'elle  conserve  la  même 
visée  ou  direction ,  il  y  a  apparence  que  l'auteur 
voudra  l'obliger  ensuite  à  lui  accorder  que  la  balle 
dont  la  détermination  vers  la  droite  n'est  point 
changée  s'avance  autant  et  aussi  vite  vers  la  droite 
qu'elle  faisoit  auparavant,  quoique  sa  vitesse  et  le 
milieu  par  où  elle  passe  soient  changés.  Mais  par- 
cequ'il  ne  paroît  passitôt  qu'on  veuille  lui  faire  une 
si  grande  violence,  il  ne  croit  pas  être  encore  temps 
de  se  départir  du  respect  qu'il  doit  au  nom  de 
M.  Descartes ,  et  il  veut  bien  lui  avouer ,  sur  sa 
seule  parole,  que  cette  détermination  vers  la  droite 
demeurera  la  même ,  pourvu  qu'il  ne  se  parle  point 
du  temps  que  la  balle  doit  employer  à  s'avancer 
de  ce  côté-là  ;  parceque  M.  Descartes  même  a 
avoué  que  la  force  qui  meut  et  la  détermination 
sont  deux  quantités  qui  n'ont  rien  de  commun  , 
et  qu'elles  doivent  être  séparément  examinées. 
Puis  ayant  décrit  du  centre  B  le  cercle  AFD,  et 
tiré  à  angles  droits  sur  CBE  les  trois  lignes  droites 
AC,  HB,  FE,  en  telle  sorte  qu'il  y  ait  deux  fois 
autant  de  distance  entre  FE  et  HB  qu'entre  HB 
et  AC ,  nous  verrons  que  cette  balle  doit  tendre 


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LETTRES. 

vers  le  point  I.  Car  puisqu'elle  perd  la  moitié  de 
sa  vitesse  en  traversant  la  toile  CBE,  elle  doit  em- 
ployer deux  fois  autant  de  temps  à  passer  au-des- 
sous, depuis  B  jusques  à  quelque  point  de  la  cir- 
conférence du  cercle  AFD,  qu'elle  a  fait  au-dessus 
à  venir  depuis  A  jusques  à  B;  et  puisqu'elle  ne 
perd  rien  du  tout  de  la  détermination  qu'elle  avoit 
à  s'avancer  vers  le  côté  droit,  en  deux  fois  autant 
de  temps  qu'elle  en  a  mis  à  passer  depuis  la  ligne 
AC  jusques  à  HB ,  elle  doit  faire  deux  fois  autant 
de  chemin  vers  le  même  côté.  C'est  ici  le  guet- 
apens;  et  la  trop  grande  crédulité  de  celui  qui  avoit 
franchi  tous  ses  scrupules  sur  le  premier  article 
reçoit  en  cet  endroit  une  nouvelle  attaque.  L'au- 
teura  sujet  d'espérer  que  puisque  notre  sceptique 
lui  a  déjà  accordé  que  la  détermination  vers  la 
droite  restoit  la  même,  il  ne  doit  pas  le  dédire 
non  plus  que  cette  détermination  ou  cette  visée  et 
direction  vers  le  côté  droit  ne  soit  également  vite, 
et  n'avance  toujours  autant  qu'elle  faisoit  aupara- 
vant. Mais  le  sceptique  commence  à  n'entendre 
plus  raillerie  ;  et  s'il  a  consenti  de  bonne  foi  que 
la  détermination  vers  la  droite  ne  changeoit  pas , 
il  proteste  qu'il  n'est  point  engagé  à  consentir 
qu'en  changeant  de  milieu  elle  fasse  toujours  un 
égal  progrès  ,  puisque  l'auteur  a  si  souvent  et  si 
solennellement  assuré  que  la  détermination  et  la 
force  mouvante  sont  tout-à-fait  différentes  et  dis- 


O98  LETTRES. 

tinctes.  Et  pour  se  confirmer  en  son  doute,  il 
ajoute  que  si ,  dans  la  figure  delà  page  20,  la  balle 
étoit  poussée  depuis  H  jusques  à  B,  et  qu'elle  con- 
tinuât son  mouvement  vers  BG,  le  raisonnement  de 
celui  qui  diroit ,  La  détermination  de  la  balle  sur  la 
route  HBG  n'est  point  changée  au  point  B  ,  car  elle 
est  la  même,  et  le  mouvement  perpendiculaire  se 
continue  dans  la  même  ligne  IIBG ,  donc  cette  balle 
avance  autant  et  aussi  vite  au-dessous  de  B  qu  elle 
faisoit  auparavant  ;  ce  raisonnement ,  dis-je ,  seroit 
ridicule ,  parcequela  détermination  ou  direction  du 
mouvement  diffère  de  sa  vitesse.  Pourquoi  donc 
notre  sceptique  serat-il  obligé  d'accorder  gratui- 
tement et  sans  preuve  que  le  mouvement  qui  se 
fait  vers  la  droite  dans  la  figure  de  la  page  21 
avance  également  vers  ledit  côté  droit,  après  qu'il 
a  changé  de  milieu?  Ce  n'est  pas  que  cette  propo- 
sition ne  puisse  être  vraie,  mais  elle  ne  l'est  qu'au 
cas  que  la  conclusion  que  M.  Descartes  en  tire  soit 
véritable ,  c'est-à-dire  que  la  raison  ou  proportion 
pour  mesurer  les  réfractions  ait  été  par  lui  légiti- 
mement et  véritablement  assignée.  Il  ne  l'a  donc 
pas  prouvée  par  une  proposition  si  douteuse  et  si 
peu  admissible.  En  un  mot  quand  toutes  les  oppo- 
sitions qu'on  peut  faire  à  son  raisonnement  seroient 
fautives,  peut-il  faire  passer  pour  véritable  ce  qui 
n'est  ni  axiome ,  ni  déduit  par  une  conséquence 
légitime  d'aucune  première  vérité?  Les  démons* 


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LETTRES.  O99 

trations  qui  ne  forcent  pas  de  croire  ne  peuvent 
point  porter  ce  nom.  Et  croiriez-vous ,  monsieur  , 
que  si  la  proposition  de  M.  Descartes  étoitdémons- 
trativement  prouvée,  son  évidence  et  sa  clarté 
n'eussent  pas  percé  les  ténèbres  de  mon  entende- 
ment pendant  vingt  années  qui  se  sont  écoulées 
depuis  notre  ancien  démêlé ,  puisque  je  vous  ai 
protesté  dès  le  commencement  de  ma  lettre  que 
je  travaille  sincèrement  à  me  tirer  d'erreur,  et  que 
je  ne  cherche  qu'un  honnête  prétexte  à  me  rendre. 
Je  serois  même  ravi  d'établir  l'honneur  de  M.  Des- 
cartes aux  dépens  du  mien  ,  et  je  voudrois ,  s'il 
m'étoit  possible ,  en  reconnoissant  la  vérité  de  sa 
preuve ,  ajouter  avant  que  de  finir: 

Se  clara  vide n dam 
Obtulit ,  et  put  a  per  noctem  in  luce  refulsit. 

Il  en  sera  pourtant  ce  que  M.  le  chevalier  Digby 
et  vous,  monsieur,  trouverez  bon.  Je  vous  sou- 
mets à  tous  deux  ma  Logique  et  ma  Mathématique, 
et  je  consens  que  vous  en  fassiez  un  sacrifice  à  la 
mémoire  de  cet  illustre,  qui  n'est  plus  en  état  de 
se  défendre.  Mais  jusques  à  ce  que  vous  ayez  pro- 
noncé ,  je  prétends  que  la  véritable  raison  ou  pro- 
portion des  réfractions  est  encore  inconnue,  et  que 
0£ûv  Iv  yevvaci  *etrm  en  compagnie  de  tant  d'autres 
vérités  que  l'avenir  découvrira  peut-être  mieux 
que  n'a  pu  le  faire  le  passé.  Excusez  ma  longueur, 
et  faites-moi  l'honneur  de  me  croire ,  etc. 


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4  00  LKTTRES. 


RÉPONSE  DE  M.  CLEKSELIER 

A  M.  DE  FERMAT. 
(Lettre  45  du  tome  III.) 

1 

A  Pari»,  le  tS  mai  iG58. 

Monsieur, 

Je  ne  veux  pas  m  arrêter  beaucoup  à  vous  faire 
des  excuses  d'avoir  tant  tardé  à  faire  réponse  aux 
deux  vôtres,  Tune  du  troisième  et  l'autre  du 
dixième  mars  dernier ,  pareeque  je  me  persuade 
que  vous  croirez  aisément  qu'il  m'a  fallu  des  ob- 
stacles invincibles  pour  m'empêcher  de  satisfaire  à 
temps  à  des  témoignages  si  obligeants  de  votre  suf- 
fisance et  de  votre  civilité.  En  effet ,  une  maladie 
qui  m'a  détenu  dans  le  lit  presque  tout  ce  temps- 
là  ,  et  qui  m'a  ôté  le  moyen  de  pouvoir  attacher 
mon  esprit  à  des  spéculations  si  relevées,  est  la  véri- 
table cause  qui  m'a  empêché  de  vous  témoigner  plus 
tôtmareconnoissance.  Mais  tout  cela  seroit  peu,  si 
je  pou  vois  aujourd'hui  répondre  à  tous  les  dou- 
tes de  votre  sceptique,  et  satisfaire  pleinement  aux 
difficultés  que  vous  proposez  dans  votre  dernière; 


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LETTRES.  /joi 

car  comme  elles  ne  dépendent  point  du  temps,  la 
réponse  n'en  seroit  de  rien  moins  recevable  et  con- 
vaincante, pour  n'être  pas  venue  à  temps.  Néan- 
moins, pourvu  que  ce  soit  à  vous,  monsieur,  que 
j'aie  affaire  ,  et  non  point  à  votre  sceptique ,  dont 
l'humeur  seroit  trop  difficile  à  contenter,  je  me 
promets  de  pouvoir  éclaircir  la  plupart  de  ses 
doutes ,  et  de  faire  voir  ,  si  je  ne  me  trompe  ,  si 
clairement  en  quoi  il  s'est  mépris  lui-même  dans 
ses  raisonnements,  que,  vous  prenant  vous-même 
pour  l'arbitre  de  nos  différents  et  pour  le  juge 
de  nos  conclusions ,  j'espère  que  vous  reconnoîtrez 
la  subtilité  des  siennes  et  la  vérité  des  miennes, 
c'est-à-dire  de  celles  de  M.  Descartes. 

Premièrement,  je  ne  vois  point  que  le  raisonne- 
ment que  fait  M.  Descartes,  à  l'occasion  de  la  fi- 
gure de  la  page  20  de  sa  Dioptrique,  soit  aucune- 
ment opposé  au  sens  commun ,  ni  que  l'extension 
qu'il  en  fait  de  la  réflexion  à  la  réfraction  soit  for- 
cée ;  car  la  même  raison  qui  lui  a  fait  conclure  en 
la  page  1 6  que  la  terre  GBE  ne  pouvoit  empêcher 
que  la  détermination  de  haut  en  bas,  et  non  point 
celle  de  gauche  à  droite ,  pourcequ'elle  est  entiè- 
rement opposée  à  la  première  et  point  du  tout  à 
la  seconde  ,  la  même  lui  a  dû  faire  conclure  dans 
la  figure  de  la  page  20  et  2 1  que  la  détermination 
de  haut  en  bas  pouvoit  bien  être  changée  en  quel- 
que façon  par  la  rencontre  de  la  toile  ou  de  l'eau  , 


/|02  LETTRES. 

mais  point  du  tout  celle  qui  fait  tendre  la  balle 
vers  la  main  droite,  à  cause  que  l'eau  ou  la  toile  est 
en  quelque  façon  opposée  à  l'une,  et  point  à  l'au- 
tre. Je  vous  prie  de  remarquer  ici  la  façon  de  par- 
ler de  M.  Descartes  (  car  c'est  de  là  que  dépend 
eu  partie  la  résolution  de  tous  les  doutes  de  votre 
sceptique  )  :  il  ne  dit  pas  simplement  que  la  déter- 
mination de  haut  en  bas  peut  être  changée  par  la 
rencontre  de  la  toile ,  mais  seulement  qu'elle  peut 
être  changée  en  quelque  façon  ;  car  en  effet  elle 
n'est  pas  tout-à-fait  changée,  puisque  la  balle  con- 
tinue de  descendre ,  mais  elle  est  changée  en  quel- 
que façon  ,  en  tant  que  c'est  changer  en  quelque 
façon  la  détermination  qu'un  mobile  avoit  à  avan- 
cer vers  un  certain  côté,  que  de  faire  que  dans  le 
même  temps  il  n'avance  pas  tant  vers  ce  côté-là 
qu'il  faisoit  auparavant;  ce  qui  change  la  quantité 
de  sa  détermination. 

De  plus,  trois  circonstances  que  remarque  votre 
sceptique  pour  l'empêcher  d'admettre  cette  con- 
séquence ne  la  peuvent  aucunement  infirmer;  car 
que  la  vitesse  soit  diminuée,  que  le  milieu  soit 
changé,  et  que  la  détermination  de  haut  en  bas  ne 
soit  pas  tout-à-fait  empêchée  ,  mais  que  la  balle 
continue  de  descendre ,  tout  cela  ne  doit  point  ap- 
porter de  changement  à  la  détermination  de  gau- 
che à  droite ,  à  laquelle  pas  une  de  ces  circon- 
stances ne  s'oppose  et  ne  met  obstacle ,  puisque 


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LETTRES.  4°3 

cette  détermination  peut  demeurer  la  même,  quoi- 
que la  vitesse  soit  changée,  une  même  détermi- 
nation pouvant  être  jointe  à  différentes  vitesses. 
Le  milieu  ne  peut  aussi  apporter  aucun  change- 
ment à  cette  détermination  ,  puisqu'il  lui  est  éga- 
lement facile  de  s'ouvrir  et  faire  passage  d'un  côté 
que  d'autre;  et  bien  que  la  balle  continue  de  des- 
cendre, et  ne  remonte  pas  comme  en  la  réflexion, 
cette  détermination  vers  la  droite  se  peut  aussi 
bien  faire  et  maintenir  en  descendant  qu'en  remon- 
tant. 

Jusques  ici  votre  sceptique  auroitce  me  semble 
tort  de  ne  vouloir  pas  accorder  que  la  détermina- 
tion de  gauche  à  droite  demeure  la  même  en  la 
réfraction ,  après  en  être  demeuré  d'accord  sans 
difficulté  en  la  réflexion  ;  et  il  ne  doit  point  appré- 
hender qu'on  le  chicane  sur  l'explication  de  ce 
terme ,  et  qu'on  l'oblige  à  rien  avouer  qu'on  ne 
prouve ,  et  qui  ne  soit  tiré  par  une  conséquence 
légitime  de  ce  qu'on  a  avancé  auparavant,  M.  Des- 
cartes ayant  trop  soigneusement  fait  remarquer  la 
différence  qu'il  y  a  entre  la  détermination  et  le 
mouvement,  ou,  comme  vous  dites,  entre  la 
détermination  et  la  puissance  qui  meut,  pour  s'en 
oublier. 

Mais  voici  le  point  qui  effarouche  votre  scep- 
tique, et  qui  lui  fait  perdre  ce  peu  de  respect  qu'il 
sembioit  encore  porter  au  nom  de  M.  Descartes  ; 

*6. 


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4<>4  LETTRES. 

c  est  à  ce  coup  qu'il  dit  n  entendre  plus  de  raille- 
rie,4 et  que  s'il  a  consenti  de  bonne  foi  que  la  dé- 
termination vers  la  droite  ne  chaugeoit  pas ,  il  pro- 
teste qu'il  n'est  point  engagé  à  consentir  que  la 
balle,  changeant  de  milieu  ,  lasse  toujours  un  égal 
progrès,  et,  comme  H  dit  un  peu  auparavant,  aille 
aussi  vite  vers  la  droite,  après  qu'il  a  été  supposé  que 
la  balle  au  point  B  perd  la  moitié  de  sa  vitesse;  et 
que  M.  Descartes  a  si  solennellement  assuré  que 
la  détermination  et  la  force  mouvante  sont  tout-à- 
fait  différentes  et  distinctes. 

Mais  ne  voyez -vous  pas  que  ce  qui  empêche 
votre  sceptique  d'y  consentir  et  d'y  donner  les 
mains,  est  qu'il  ne  distingue  pas  assez  lui-même 
la  détermination  d'avec  la  force  mouvante  ou  la 
vitesse ,  et  qu'il  les  confond  ensemble ,  croyant 
que  la  perte  que  l'une  souffre  ,  à  savoir  la  vitesse, 
se  doive  ressentir  par  l'autre,  à  savoir  par  la  dé- 
termination vers  la  main  droite,  quoique  rien  ne 
se  soit  opposé  qui  ait  pu  changer  ou  diminuer  la 
quantité  de  la  détermination  que  la  balle  avoit  à 
avancer  vers  ce  côté-là.  Car  s'il  avoit  bien  pris  garde 
à  ce  que  dit  M.  Descartes,  il  n'auroit  pas  de  peine 
à  comprendre  que  la  vitesse  étant  diminuée  de 
moitié  au  point  B ,  la  détermination  de  gauche  à 
droite  demeurant  toujours  la  même  en  ce  point- 
là  qu'elle  a  été  auparavant,  il  est  nécessaire  que 
la  balle  suive  la  ligne  BI  pour  faire  que  la  détermi 


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LETTRES.  4°5 

nation  qu'elle  doit  prendre  se  rapporte  à  la  vitesse 
ou  à  la  force  qui  lui  reste ,  et  qui  la  commence 
en  B.  Et  quoique  dans  la  route  qu'elle  prend ,  en 
des  temps  égaux,  elle  avance  autant  vers  la  droite 
qu'elle  faisoit  auparavant ,  et  qu'ainsi  la  détermi- 
nation quelle  avok  à  avancer  vers  ce  côté-là  ne  soit 
point  changée  ,  il  ne  s'ensuit  pas  qu'elle  aille  aussi 
vite  qu'elle  faisoit  auparavant  ;  ce  que  votre  scep- 
tique semble  avoir  toujours  appréhendé  qu'on  lui 
voulût  faire  accorder,  puisque  M.  Descartes  avoue 
lui  même  qu'il  lui  faut  le  double  du  temps  pour 
faire  autant  de  chemin  qu'auparavant;  mais  comme 
dans  la  route  qu'elle  est  obligée  de  prendre  elle 
incline  plus  qu'elle  ne  faisoit  vers  la  droite ,  elle 
ne  laisse  pas  d'avancer  autant  verscecoté-là,  quoi- 
qu'elle aille  deux  fois  moins  vite. 

Et  c'est  à  mon  avis  ce  qui  fait  la  beauté  et  la  force 
tout  ensemble  du  raisonnement  de  M.  Descartes, 
de  faire  voir  quelle  doit  être  dans  cette  rencontre 
la  route  véritable  que  doit  prendre  la  balle,  qui 
ne  peut  être  autre  que  celle  qu'il  a  expliquée  en  ce 
lieu-là ,  pour  se  rapporter  à  la  détermination  vers 
la  droite ,  qu'elle  doit  garder ,  et  à  la  perte  de  la 
vitesse  qu'elle  a  soufferte  en  B. 

Mais  ce  qui  a  le  plus  abusé  votre  sceptique  est 
un  raisonnement,  très  spécieux  à  la  vérité,  et  très 
capable  de  surprendre  les  autres,  et  de  faire  qu'on 
y  soit  surpris  soi-même,  si  l'on  n'y  prend  garde, 


4o6 


LETTRES 


mais  qui  pourtant  est  faux,  et  contre  l'intention  de 
M.  Descartes.  Ce  raisonnement  est  que  comme 
M.  Descartes  sur  la  figure  de  la  page  20  dit  que 
la  détermination  vers  le  côté  droit  étant  la  même, 
quoique  le  mouvement  de  la  balle  soit  diminué  de 
moitié  au  point  B,  en  deux  fois  autant  de  temps 
elle  doit  avancer  deux  fois  autant  vers  la  droite  ; 
donc  à  pari,  dit  votre  sceptique,  posé  que  la  balle 
soit  poussée  perpendiculairement  depuis  H  jusques 
à  B,  et  quelle  continue  son  mouvement  vers  BG, 
la  détermination  de  la  balle  sur  la  route  BG  n'étant 
point  changée  au  point  B  ,  et  demeurant  la  même 
puisque  le  mouvement  perpendiculaire  se  continue 
dans  la  même  ligne  HBG  •  en  deux  fois  autant  de 
temps  ,  elle  doit  avancer  deux  fois  autant ,  et  aussi 
vite  au-dessous  de  B,  qu'elle  avoit  fait  auparavant 
au-dessus ,  ce  qui  est  absurde,  puisque  l'on  suppose 
que  la  balle  au  point  B  a  perdu  la  moitié  de  sa 
vitesse. 

Véritablement ,  si  la  conséquence  qu'il  infère 
étoit  bien  tirée  de  ce  qu'a  avancé  M.  Descartes ,  je 
conclurois  comme  lui  que  M.  Descartes  se  seroit 
trompé  dans  son  raisonnement,  duquel  il  s'ensui- 
vroit  une  telle  absurdité  ;  mais  aussi  M.  Descartes 
a-t-ii  dit  tout  autre  chose  que  ce  que  votre  scep- 
tique lui  veut  faire  dire  :  car,  quand  il  a  dit  que  la 
détermination  qu'avoit  la  balle  à  avancer  vers  le 
côté  droit  demeuroit  la  même ,  et  que  par  consé- 


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LETTRES.  4°7 

quenten  deux  foisautantde  temps  elle  devoit  faire 
deux  fois  autant  de  chemin  vers  ce  côté-là ,  il  a 
conclu  cela  de  ce  que ,  bien  qu'on  suppose  que  la 
balle  au  point  B  perde  la  moitié  de  sa  vitesse  , 
néanmoins  elle  ne  perd  rien  du  tout  de  la  quantité 
de  la  détermination  qu'elle  avoit  à  s'avancer  vers 
le  côté  droit ,  à  laquelle  détermination  la  toile  n'est 
aucunement  opposée  en  ce  sens-là ,  et  laquelle  se 
doit  et  se  peut  accommoder  à  la  vitesse  qui  reste 
en  la  balle ,  pour  faire  en  sorte  que ,  sans  déroger 
à  la  perte  qu'elle  a  soufferte ,  et  qu'allant  moins 
vite ,  elle  ne  laisse  pas  d'avancer  autant  vers  le  côté 
droit  qu'elle  eût  fait  si  elle  n'eût  rien  perdu  de  sa 
vitesse.  Mais  peut-on  dire  la  même  chose  de  la  dé- 
termination d'une  balle  que  l'on  suppose  tomber 
perpendiculairement  sur  la  même  toile,  à  savoir, 
que  la  superficie  sur  laquelle  elle  tombe  ne  lui  est 
aucunement  opposée  en  ce  sens-là,  et  qu'en  per- 
dant la  moitié  de  sa  vitesse ,  elle  ne  perd  rien  du 
tout  de  la  quantité  de  la  détermination  qu'elle  avoit 
à  s'avancer  vers  G,  et  que  cette  détermination  se 
doit  et  se  peut  accommoder  avec  la  vitesse  qui  lui 
reste ,  pour  la  faire  avancer  en  un  temps  égal  sur 
la  même  route  ,  autant  qu'elle  eût  fait  si  elle  n'eût 
rien  perdu  de  sa  vitesse  ;  certainement  personne 
ne  dira  que  ce  cas  soit  semblable  au  premier ,  et 
par  conséquent  la  conclusion  n'en  peut  être  pa- 
reille. 


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/|08  LETTRES. 

Aussi  tout  le  défaut  du  raisonnement  de  votre 
sceptique  ne  vient  que  de  ce  qu'il  semble  n  avoir 
pas  pris  garde  que  cette  superficie  CBE,  en  la- 
quelle la  balle  au  point  B  perd  la  moitié  de  sa  vi- 
tesse ,  est  toujours  opposée  à  sa  détermination  de 
haut  en  bas ,  soit  que  la  chute  soit  perpendiculaire, 
ou  qu'elle  ne  le  soit  pas;  en  sorte  que,  quoique  la 
balle  continue  de  descendre ,  et  même  qu'elle  des- 
cende dans  la  même  ligne  quand  elle  a  été  poussée 
perpendiculairement ,  on  ne  sauroit  pas  dire  que 
cette  détermination  vers  le  bas  soit  la  même,  ayant 
été  changée  en  quelque  façon,  ainsi  que  dit  M.  Des- 
cartes ;  car  la  balle  ne  descend  plus  avec  une  pa- 
reille détermination,  puisque  dans  un  temps  égal 
elle  ne  va  pas  si  loin  qu'elle  étoit  déterminée  d'al- 
ler avant  qu'elle  eût  perdu  la  moitié  de  la  vitesse, 
ce  qui  est  un  changement  en  la  détermination 
qu'elle  a  voit  à  avancer  vers  ce  coté-là. 

Et  si  vous  y  prenez  garde ,  tous  les  changements 
de  détermination  que  M.  Descartes  a  dit  s'ensuivre 
en  la  balle,  du  changement  qui  arrive  en  sa  vitesse, 
ou  en  la  force  qui  l'avance  ou  qui  la  retarde  en  B 
(selon  les  différentes  suppositions  qu'il  fait),  ont 
tous  été  en  la  détermination  de  haut  en  bas,  et 
non  point  en  celle  de  gauche  à  droite,  à  cause > 
comme  il  a  dit  en  la  page  20,  ligne  i5,  que  des 
deux  parties  dont  on  peut  imaginer  que  la  déter- 
mination de  la  balle  sur  la  route  ÀB  est  composée 


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LETTRES.  /j09 

il  n'y  a  que  colle  qui  faisoit  tendre  la  balle  de  haut 
en  bas  qui  puisse  être  changée,  en  quelque  fa- 
çon, par  la  rencontre  de  la  toile;  mais  à  plus  forte 
raison  cette  toile  peut-elle  faire  changer  la  détermi- 
nation perpendiculaire,  à  laquelle  elle  est  entière- 
ment opposée,  qui  est  simple,  et  qu'on  ne  peut 
pas  dire  être  composée  de  deux  autres,  à  Tune  des- 
quelles elle  ne  soit  point  du  tout  opposée,  ainsi 
qu'elle  ne  l'est  point  à  celle  de  gauche  à  droite,  quand 
la  balle  est  poussée  de  biais,  suivant  la  ligne  AB. 

Or,  quel  changement  peut-il  arriver  en  cette 
détermination  de  haut  en  bas ,  que  celui  qu'a  ex- 
pliqué M.  Descartes,  à  savoir,  que  cette  balle,  en 
continuant  de  descendre,  avance  tantôt  plus  et 
tantôt  moins  vers  le  bas  qu'elle  ne  faisoit,  selon 
le  changement,  c'est-à-dire  selon  l'augmentation 
ou  la  diminution  que  sa  vitesse  a  reçue  en  B,  et 
selon  le  rapport  que  cette  vitesse  s'est  trouvée 
avoir  avec  la  détermination  vers  le  côté  droit,  qui 
a  dû  toujours  demeurer  la  même,  comme  j'ai  dit 
plusieurs  fois,  c'est-à-dire  qui  a  dû  faire  que  la 
balle  ait  toujours  autant  avancé  de  ce  côté-là 
qu'elle  avoit  fait  auparavant. 

Et  partant,  tant  s'en  faut  que  l'absurdité  qif avoit 
voulu  inférer  votre  sceptique  soit  une  suite  de  ce 
qu'a  dit  M.  Descartes,  qu'au  contraire  il  se  trouve 
que  c'est  lui-même  qui,  au  lieu  de  faire  un  bon 
argument,  s'est  embarrassé  dans  un  sophisme,  en 


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/jlO  LETTRES. 

supposant  que  la  détermination  de  la  balle  dans 
une  chute  perpendiculaire  étoit  la  même,  au  même 
sens  que  celle  de  gauche  à  droite  est  dite  être  la 
même  quand  la  balle  tombe  obliquement. 

Que  si  après  cela  vous  prenez  la  peine  d'exa- 
miner la  réponse  que  M.  Descartes  a  faite  lui-même 
au  reste  des  difficultés  que  votre  sceptique  lui  a 
autrefois  proposées  par  l'entremise  du  révérend 
père  Mersenne,  et  auxquelles  il  satisfit  alors,  par 
une  lettre  qu'il  adressa  à  M.  Midorge,  dont  je  vous 
ai  naguère  envoyé  la  copie,  vous  trouverez  que 
ce  qu'il  dit  est  véritable,  à  savoir,  que  votre  scep- 
tique s'est  trompé,  pour  avoir  parlé  de  la  compo- 
sition du  mouvement  en  deux  divers  sens,  et  in- 
féré de  l'un  ce  qu'il  avoit  seulement  prouvé  de 
l'autre. 

Je  ne  répète  point  ici  ce  qu'il  en  a  dit;  car,  outre 
qu'il  seroit  inutile  ,  comme  j'en  étois  là ,  un  de  mes 
amis,  appelé  M.  Rohaull,  savant  mathématicien, 
et  des  plus  versés  que  je  connoisseen  la  philosophie 
de  M.  Descartes,  m'est  venu  apporter  une  réponse 
qu'il  a  faite  à  votre  lettre  au  père  Mersenne ,  pensant 
que  M.  Descartes  n'y  avoit  point  répondu  (car  je  ne 
lui  avois  point  montré  cette  lettre  à  M.  Midorge)  et 
que  vous  n'eussiez  reçu  de  lui  aucune  réponse, 
voyant  que  dans  la  lettre  que  vous  m'avez  fait 
l'honneur  de  m'écrire,  laquelle  je  lui  avois  fait 
voir,  vous  continuez  vos  premières  difficultés,  et 


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LETTRES.  411 

que  dans  celle  à  M.  de  la  Chambre,  vous  dites 
avoir  autrefois  contesté  à  M.  Descartes  sa  démons- 
tration touchant  la  réfraction,  à  lui,  dites-vous, 
viventi  alque  sentienli,  mais  qu'il  ne  vous  satisfit 
jamais.  Et  pourcequ'il  entend  beaucoup  mieux 
que  moi  toutes  ces  matières,  et  qu'il  a  répondu 
article  par  article  à  votredite  lettre,  je  m'abstien- 
drai de  vous  ennuyer  davantage  par  mon  discours, 
afin  de  vous  laisser  plus  de  temps  pour  examiner 
la  réponse  qu'il  y  a  faite.  S'il  me  l'eût  apportée 
plus  tôt ,  il  nous  auroit  tous  deux  soulagés,  moi  d'é- 
crire d'un  sujet  qui  passe  mes  forces,  et  vous  de 
lire  une  si  mauvaise  lettre;  mais  comme  c'en  étoit 
déjà  fait,  je  n'ai  pas  voulu  perdre  ma  peine,  et  j'ai 
pensé  qu'il  valoit  mieux  vous  fatiguer  de  cette 
lecture,  et  vous  donner  par  même  moyen  des 
preuves  du  soin  où  je  m'étois  mis  de  m'acquitter 
de  ce  que  je  vous  devois,  que  de  vous  laisser  venir 
la  pensée  que  je  m'en  serois  peut-être  oublié  et 
que  j'aurois  été  bien  aise  de  m'en  décharger  sur 
un  autre. 

* 

Au  reste, monsieur,  je  vous  prie  d'excuser  ce  qui 
peut  m'étre  échappé  de  libre  en  répondant  à  votre 
sceptique,  j'aurois  agi  avec  tout  un  autre  respect 
si  j'eusse  eu  affaire  à  vous;  mais,  bien  loin  de 
craindre  que  pour  cela  vous  me  refusiez  justice, 
je  prends  même  l'assurance  de  vous  demander 
quelque  grâce;  il  y  a  des  rencontres  où  un  peu  de 


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l^X'l  LETTRES. 

faveur  n'offense  point  lequité;  et  si  en  celle-ci 
vous  prenez  mon  parti ,  je  puis  vous  assurer  qu'en 
toute  autre  occasion  je  serai  entièrement  à  vous , 
et  que  vous  pourrez  faire  état  d'avoir  toujours  tout 
prêt  en  moi ,  etc. 

«.  »  •  - .  *  -  ~  -  «  »  »^-^>-^^»-^«---.--  ^ .  . .  »  ^    

RÉPONSE  DE  M.  ROHAULT 

■ 

A  LA  LETTRE  DE  M.  DE  FERMAT, 

QUI  CONTIENT  SES  ANCIENNES  OBJECTIONS  SUR  LA  DIOPTR1QUK 

DE  M.  DESCARTES. 

(Lettre  46  du  tome  III.) 

Monsieur  , 

Je  ne  sais  si  le  père  Mersenne ,  a  qui  cette  lettre 
étoit  adressée,  l'a  communiquée  à  M.  Descartes, 
et  si,  l'ayant  vue,  ses  occupations  l'ont  empêché  d'y 
faire  réponse;  mais  il  paroît  n'y  avoir  point  ré- 
pondu, pareeque  M.  de  Fermât,  qui  l'avoit  écrite 
il  y  a  environ  vingt  ans ,  répète  encore  à  peu  près 
les  mêmes  difficultés  dans  une  lettre  qu'il  a  écrite 
depuis  peu  à  un  de  mes  amis.  Je  m'en  vas  donc 
essayer  d'y  répondre,  puisque  vous  le  désirez;  et, 


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LETTRES.  / 1 1  5 

pour  le  faire  plus  commodément,  je  suivrai  de 
point  en  point  tous  les  articles  de  sa  lettre ,  que 
j'examinerai  les  uns  après  les  autres. 

Article  premier.  J'ai  vu>  etc. 

Le  premier  article  ne  contient  qu'un  compli- 
ment, dont  M.  de  Fermât  a  voulu  honorer  M.  Des- 
cartes, et  dont  sa  mémoire  lui  sera  toujours  re- 
devable. 

Article  second.  Je  retranche,  etc. 

Quand  M.  Descartes  auroit  accommodé  son  mé- 
dium à  sa  conclusion ,  et  qu'il  auroit  divisé  la  déter- 
mination du  mouvement  d'une  certaine  manière 
plutôt  que  d'une  autre,  on  ne  le  devroit  non  plus 
trouver  étrange  que  si  un  géomètre  s'étoit  servi 
d'une  construction  plutôt  que  d'une  autre  pour 
l'exécution  d'un  problème;  et  l'on  ne  conteste  ja- 
mais la  voie  qu'il  a  choisie,  pourvu  qu'il  soit  venu 
à  bout  de  ce  qu'il  avoit  entrepris.  Au  reste,  M.  Des- 
cartes a  dû  diviser  la  détermination  de  la  balle 
qui  se  meut  dans  la  ligne  AB ,  en  une  qui  fut  per- 
pendiculaire à  la  superficie  CBE,  et  en  une  autre 
qui  lui  fût  parallèle  ;  parceque,  celle-ci  ne  rencon- 
trant aucune  opposition ,  il  étoit  assuré  qu'elle  de- 
voit  demeurer  la  même;  et  cela  lui  a  été  un  moyen 
de  trouver  la  vérité  qu'il  cherchoit,  ce  qu'il  n  au- 
roit pu  faire  s'il  eût  suivi  une  autre  méthode. 

Article  troisième.  Je  reconnais ,  etc. 

M.  de  Fermât  semble  favoriser  M.  Descartes 


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4  1 4  LETTRES. 

en  avouant  qu'il  est  de  son  sentiment,  touchant 
la  différence  qu'il  établit  entre  le  mouvement  et 
la  détermination  et  tâchant  même  de  le  prouver; 
cependant  il  semble  aussi  qu'il  y  ait  de  l'adresse  , 
parcequ'il  impute  à  M.  Descartes  une  opinion  qu'il 
n'a  pas,  à  dessein,  ce  semble,  de  s'en  servir  contre 
lui  dans  la  suite. 

C'est  dans  le  second  exemple,  où  il  assure 
qu'une  balle  poussée  du  point  H  au  point  B  per- 
pendiculairement sur  la  surface  CBE ,  ne  perd  rien 
du  tout  de  la  détermination  qu'elle  avoit  à  avancer 
vers  BG,  à  cause,  dit-il,  qu'en  pénétrant  l'eau  ou 
la  toile,  elle  continue  de  se  mouvoir  dans  la  même 
ligne  droite.  Mais  il  doit  considérer  que  la  déter- 
mination d'un  mobile  doit  être  réputée  changer, 
non  seulement  quand  il  quitte  la  ligne  dans  la- 
quelle il  se  mouvoit  auparavant,  ou  quand  il  se 
meut  à  contre-sens  dans  la  même  ligne ,  mais  en- 
core en  se  mouvant  du  même  dans  la  même  ligne 
droite ,  pourvu  que  ce  soit  plus  ou  moins  loin  qu'il 
netoit  terminé  d'aller  en  ce  sens-là.  Et  c'est  en 
cette  troisième  façon  que  la  quantité  de  la  déter- 
mination de  la  balle  est  devenue  moindre,  autant 
que  le  mouvement. 

Article  quatrième.  Je  viens  maintenant,  etc. 

Cet  article  ne  contient  que  le  texte  de  M.  Descartes. 

Article  cinquième.  Je  remarque  d'abord ,  etc. 

Le  manque  de  mémoire  qui  est  ici  imputé  à 


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LETTRES.  4*5 

M.  Descartes  est  fondé  sur  la  croyance  qu'a  M.  de 
Fermât  que  la  détermination  de  haut  en  bas  de 
l'exemple  de  la  page  20  de  la  Dioptrique  n'est 
point  changée ,  qui  est  une  erreur  semblable  à  celle 
qui  a  e'té  remarquée  sur  l'article  troisième.  Et  il 
ne  sert  de  rien  pour  prouver  sa  pensée,  de  dire 
que  la  détermination  dans  la  ligne  BI  est  com- 
posée en  partie  de  celle  qui  fait  aller  le  mobile 
de  haut  en  bas,  comme  étoit  celle  qui  le  faisoit 
auparavant  mouvoir  vers  le  même  côté  dans  la 
ligne  AB.  Il  y  a  en  cela  de  l'équivoque;  et  encore 
qu'on  remarque  toujours  une  détermination  de 
haut  en  bas,  la  seconde  est  autre  que  la  première, 
de  même  que  dix  écus  sont  une  autre  quantité 
d'écus  que  quinze  écus,  encore  que  ce  soit  tou- 
jours des  écus. 

Article  sixième.  Mais  donnons  que,  etc. 

Après  que  M.  de  Fermât  semble  avoir  accordé, 
comme  par  forme  de  passe-droit,  une  chose  qu'il 
auroit  eu  tort  de  contester,  il  s'efforce  de  prouver 
que  M.  Descartes  ne  s'est  pas  aperçu  que  la  déter- 
mination de  gauche  à  droite  étoit  aussi  bien 
changée  que  celle  de  haut  en  bas;  ce  qui  vérita- 
blement rendroit  nulle  sa  démonstration.  La  raison 
qu'il  en  apporte,  c'est  parce,  dit-il,  qu'on  ne  sau- 
roit  dire  que  la  détermination  de  haut  en  bas  soit 
changée,  sinon  parceque  depuis  que  le  mobile  se 
meut  dans  la  ligne  BI,  sa  quantité  n'a  plus  la  même 


4l6  LETTRES. 

raison  avec  celle  de  gauche  à  droite  qu'elle  avoit 
quand  il  étoit  porté  dans  la  ligne  AB.  Je  ne  sais  si 
M.  de  Format  parle  ici  tout  de  bon,  d'autant  qu'il 
raisonne  à  peu  près  comme  feroit  une  personne 
qui,  après  avoir  mis  quinze  écus  dans  l'une  de  ses 
pochettes,  et  trente  dans  l'autre,  et  en  ayant  perdu 
par  je  ne  sais  quel  accident  quelques  uns  des 
quinze ,  reconnoîtroit  cette  perte  par  cela  seule- 
ment que  ce  qui  lui  reste  des  quinze  n'est  plus 
la  moitié  de  la  somme  qu'il  a  de  l'autre  coté,  et 
qui ,  après  cela ,  pour  se  consoler  de  sa  perle , 
viendroit  à  croire  que  la  somme  qu'il  avoit  de 
l'autre  côté  est  augmentée,  parcequ'elle  fait  en  ré- 
compense plus  du  double  de  l'autre.  M.  Descartes 
raisonne  d'une  autre  façon ,  et  à  peu  près  comme 
pourroit  faire  un  jeune  homme  qui,  sans  avoir 
jamais  appris  ce  que  c'est  que  proportion,  sauroit 
simplement  compter  :  car,  comme  celui-ci  jugeroit 
qu'il  auroit  perdu  une  partie  de  ses  quinze  écus 
en  comparant  ce  qui  lui  resteroit  avec  ce  qu'il  avoit 
auparavant  dans  la  même  pochette,  sans  se  soucier 
de  les  comparer  avec  les  trente  de  l'autre,  de  même 
M.  Descartes  juge  du  changement  arrivé  en  la  dé- 
termination de  haut  en  bas,  parceque  sa  quantité 
n'est  plus  la  même,  depuis  que  le  mobile  est  au- 
dessous  de  la  surface  CBE,  qu'elle  étoit  quand  il 
étoit  au-dessus.  Et  il  a  raison  d'assurer  que  la  dé- 
termination de  gauche  à  droite  n'est  pas  changée, 


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LETTRES.  /jl^ 

parceque  sa  quantité  est  la  même,  le  mobile  étant 
dans  la  ligne  BI,  qu'elle  étoit  quand  il  étoit  porté 
dans  la  ligne  AB.  . 

Article  septième.  Mais  donnons  encore ,  etc. 

M.  de  Fermât  semble  encore  accorder  ici  gratui- 
tement une  chose  qu'il  auroit  aussi  tort  de  con- 
tester, comme  il  se  voit  par  la  remarque  précé- 
dente. Ce  qu'il  y  a  de  plus  dans  cet  article  n'est 
que  le  propre  texte  de  M.  Descartes. 

Article  huitième,  Voyez  comme  il  retombe,  etc. 

M.  Descartes  est  ici  accusé  de  tomber  pour  la 
seconde  fois  dans  une  même  faute,  pour  ne  s'être 
pas  souvenu  de  la  différence  qu'il  y  a  entre  la  dé- 
termination et  le  mouvement;  mais  cette  accusa- 
tion n'est  fondée  que  sur  ce  que  M.  de  Fermât 
prend  ici  un  peu  rigoureusement  les  paroles  de 
M.  Descartes.  Car  quand  il  dit  que  la  balle  doit 
faire  deux  fois  autant  de  chemin  vers  le  même  côté, 
cela  ne  signifie  pas  que  la  balle  doive  se  mouvoir 
dans  une  ligne  deux  fois  aussi  grande  qu'aupara- 
vant; mais  que,  quelle  que  soit  la  longueur  de 
cette  ligne,  la  détermination  vers  la  droite  doit 
tellement  s'accommoder  avec  la  vitesse  qui  lui 
reste,  que  la  balle  avance  de  ce  côté-là  deux  fois 
autant  qu'elle  avoit  fait  :  c'est  là  le  sens  qu  il  falloit 
donner  aux  paroles  de  M.  Descartes,  et  non  pas 
celui  par  lequel  on  prétend  qu'il  confond  deux 
choses  diverses  :  et  cela  étoit  assez  évident,  puis- 


4l8  LETTRES. 

que  là  même  il  suppose  que  le  mouvement  total 
de  la  balle  est  diminué  de  moitié.  Ce  qui  suit  de 
cet  article,  et  l'absurdité  que  M.  de  Fermât  y  con- 
clut, ne  fait  rien  contre  M.  Descartes,  qui  nieroit 
tout  franc  que  la  détermination  de  haut  en  bas 
demeure  la  même,  suivant  ce  qui  a  été  remarqué 
sur  l'article  troisième ,  et  ainsi  tout  cet  appareil  de 
raisonnement  s'en  va  en  fumée. 

Articles  neuvième,  dixième ,  onzième ,  douzième. 

Je  passe  pour  vrai  tout  ce  qui  est  contenu  dans 
ces  articles  ;  mais  cela  ne  fait  rien  du  tout  au  sujet, 
et  n'a  servi  qu'à  tromper  M.  de  Fermât,  qui  y 
parle  du  mouvement  composé  en  autre  sens  que 
n'a  fait  M.  Descartes. 

Article  treizième.  Cela  ainsi  supposé ,  etc. 

M.  de  Fermât  estime  que  dans  la  page  23  de  la 
Dioptrique,  la  supposition  de  M.  Descartes  est 
que  l'accroissement  d'un  tiers  de  mouvement  qui 
arrive  à  la  balle  soit  simplement  de  haut  en  bas, 
ou  selon  la  ligne  BG ,  au  lieu  que  c'est  à  le  mesurer 
dans  la  ligne  qu'elle  a  à  décrire  ou  parcourir  ac- 
tuellement, et  cela  est  assez  aisé  à  entendre  ;  par- 
ceque  si  cela  étoit,  M.  Descartes  n'auroit  pas 
supposé,  comme  il  a  fait,  que  la  force  du  mouve- 
ment de  la  balle  est  augmentée  d'un  tiers,  mais 
auroit  supposé  que  la  détermination  de  haut  en 
bas  est  augmentée  d'un  tiers,  et  n'auroit  pas  parlé 
du  mouvement  total.  Il  ne  faut  donc  pas  dire 


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LETTRES.  4*9 

qu'au  sens  de  M.  Descartes  la  balle  qui  se  meut 
en  BI  s'y  meuve  d'un  mouvement  composé  de 
celui  qu'elle  avoit  vers  BD,  et  d'un  nouveau  vers 
BG ,  qui  augmente  d'un  tiers  la  force  quelle  avoit 
déjà  en  ce  sens-là;  mais  bien  que  le  mouvement  ac- 
tuel de  la  balle  est  d'un  tiers  plus  vite  qu'aupara- 
vant, laissant  au  raisonnement  à  définir  quel  chan- 
gement doit  suivre  de  là  en  la  détermination  de 
haut  en  bas. 

Article  quatorzième.  Imaginons  ensuite,  etc. 

Ce  que  M.  de  Fermât  conclut  dans  cet  article 
est  vrai  dans  sa  supposition  ,  laquelle  (  comme  je 
viens  de  remarquer)  étant  différente  de  celle  de 
M.  Descartes,  il  ne  faut  pas  s'étonner  s'ils  éta- 
blissent tous  deux  des  proportions  différentes, 
Pune  desquelles  par  conséquent  ne  sauroit  détruire 
l'autre.         )  . 

Article  quinzième.  D'ailleurs  la  principale  rai- 
son, etc. 

Il  est  vrai  que  M.  Descartes  entend  que  le  mou- 
vement d'un  mobile  accroît  toujours  d'une  pareille 
quantité,  en  pénétrant  un  même  milieu  ,  quoiqu'il 
tombe  sur  sa  surface  avec  des  inclinaisons  diffé- 
rentes: et  cela  est  bien  raisonnable,  puisque  l'aug- 
mentation de  vitesse,  ou  la  facilité  à  se  mouvoir, 
que  le  mobile  acquiert  au  point  de  rencontre  qui 
sépare  les  deux  milieux,  dépend  de  la  nature  du 
second  milieu,  laquelle  ne  change  point,  mais  est 

a7. 


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4^0  LETTRES. 

toujours  la  même  dans  toutes  les  inclinaisons.  Et 
la  principale  faute  que  commet  ici  M.  de  Fermât 
est  fondée  sur  ce  qu'il  croit  que  le  mouvement 
composé  en  BI  n'est  pas  toujours  également  vite, 
comme  s'il  dépendoit  de  la  direction  ou  détermi- 
nation des  deux  forces  mouvantes;  au  lieu  que 
c'est  à  elleà  s'accommodera  la  force  du  mouvement, 
lequel  est  composé,  et  non  pas  la  détermination: 
et  c'est  ce  qui  a  trompé  M.  de  Fermât,  et  qui  lui 
a  fait  faire  tous  ses  faux  raisonnements;  et  c'est 
peut-être  encore  ce  qui  l'empêche  à  présent  de 
recevoir  la  démonstration  de  M.  Descartes.  Aussi 
ce  quïl  ajoute  ensuite,  et  qu'il  dit  avoir  démontré 
être  faux,  n'est  vrai  que  dans  sa  supposition,  qu'il 
croyoit  être  celle  de  M.  Descartes,  mais  qui  pour- 
tant, comme  j'ai  montré,  en  est  fort  différente. 
Article  seizième.  Ce  n'est  pas  que,  etc. 
M.  de  Fermât  avoue  qutf l  n'est  pas  assuré  qu'il 
faille  suivre  sa  proportion  plutôt  que  celle  qu'il 
tâche  de  combattre;  mais  je  ne  fais  pas  difficulté 
d'avouer  qu'il  faudroit  r*ienir  la  sienne ,  si  l'accé- 
lération ou  le  ralentissement  du  mouvement  dé- 
pendoit ici  dç  l'angle  compris  sous  les  lignes  de 
direction  dçs  deux  forces  mouvantes;  mais  parce» 
qu'il  dépend  de  la  nature  du  second  niilièu  que  le 
corps  a  à  parcourir  de  faciliter  ou  de  retarder 
son  mouvement ,  il  est  évident,  ce  me  semble,  que 
l'on  doit  retenir  celle,  de  M.  Descartes. 


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LETTRES.  421 

Nous  saurons,  quand  il  plaira  à  M.  de  Fermât,  les 
pensées  qu'il  a  touchant  la  réfraction;  mais  je  puis 
déjà  dire  ici  par  avance  que  ce  que  j  en  ai  vu  dans 
sa  lettre  à  M.  de  la  Chambre  m'a  paru  fort  ingé- 
nieux et  digne  de  lui. 

Si  vous  lui  faites  voir  ceci ,  je  vous  prie  de  lui 
taire  mon  nom ,  ou  si  vous  trouvez  à  propos  de 
lui  déclarer,  je  vous  prie  aussi  qu'il  sache  que  ce 
n'est  pas  d'aujourd'hui  que  le  bruit  de  son  nom 
est  venu  jusques  à  moi;  que  j'estime  beaucoup 
son  mérite,  et  que  je  tiendrai  à  honneur  s'il 
daigne  me  faire  la  grâce  de  me  mettre  au  rang  de 
ses  très  humbles  serviteurs. 


4^2 


LETTRES 


RÉPLIQUE  DE  M.  DE  FERMAT 

A  M.  CLERSELIER. 

(Lettre  47  du  tome  III.) 

Du  a  juin  i658. 

Monsieur, 

Je  suis  si  passionné  pour  la  gloire  de  M.  Descartes, 
que  vous  ne  pouvez  m  obliger  plus  sensiblement 
qu'en  combattant  les  opinions  du  sceptique  qui 
s'oppose  à  ses  sentiments.  Mais  prenez  garde, 
monsieur,  qu'il  importe  de  conduire  votre  travail 
jusques  au  bout,  et  de  renverser  entièrement  sur 
leurs  auteurs  tout  ce  que  vous  appelez  ou  para- 
logisme ou  sophisme.  Il  ne  suffit  pas  de  dire  que 
le  sens  de  M.  Descartes  a  été  mal  pris  par  ceux  qui 
le  reprennent  ;  il  faut  prouver  que  l'explication 
que  vous  lui  donnez  va  droit  et  sans  détour  à  sa  con- 
clusion, et  qu'enfin  sa  preuve  est  démonstrative. 
Nous  avions  cru  que  la  balle  qui  conserve  sa  di- 
rection et  sa  route  ne  perd  point  sa  détermination , 
et  nous  l'avions  avec  quelque  raison  inféré  de  la 
différence  que  M.  Descartes  établit  entre  le  mou- 


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LETTRES.  425 

vement  et  la  détermination.  Mais,  sans  nous  em- 
presser davantage  à  prouver  la  conséquence  que 
nous  tirions  de  son  raisonnement,  nous  nous  te- 
nons pour  suffisamment  avertis  de  sa  pensée,  et 
de  la  vôtre ,  qui  veut  que  la  détermination  d'un 
mobile  soit  réputée  changer,  non  seulement  quand 
il  quitte  la  ligne  dans  laquelle  il  se  mouvoit  aupa- 
ravant, ou  quand  il  se  meut  à  contre-sens  dans 
la  même  ligne,  mais  encore  en  se  mouvant  du 
même  sens  dans  la  même  ligne  droite,  pourvu  que 
ce  soit  plus  ou  moins  loin  qu'il  n'étoit  déterminé 
d'aller  en  ce  sens-là.  Et  c'est  en  cette  troisième  fa- 
çon, dites- vous,  que  la  quantité  de  la  détermina- 
tion de  la  balle  est  devenue  moindre  autant  que  le 
mouvement ,  lorsqu'elle  se  meut  sur  la  ligne  HBG 
de  la  page  20  de  la  Dioptrique.  Mais  prenez  garde 
que  ce  ne  soit  tomber  dans  la  pétition  du  principe. 
Vous  entendez  donc  dans  la  page  20  que  la  toile 
n'étant  aucunement  opposée  à  la  détermination  de 
gauche  à  droite,  ces  paroles  veulent  dire  que  cette 
détermination  avance  autant  vers  la  droite  qu'elle 
faisoit  auparavant  ;  c'est  ce  que  je  nie,  et  qu'il  faut 
prouver.  Car  bien  que  la  toile  n'empêche  point 
que  la  balle  n'avance  toujours  vers  la  droite,  elle 
ne  laisse  pas  d'avancer  vers  la  droite,  soit  que  ce 
progrès  soit  plus  lent,  soit  qu'il  soit  plus  vite 
qu'auparavant.  Or,  de  cela  seul  que  la  toile  n'em- 
pêche pas  le  progrès  vers  la  droite,  vous  en  inférez. 


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I<ETTAES. 

que  ce  progrès  doit  être  justement  le  même,  c  est- 
à-dire  ni  plus  ni  moins  vite  qu'auparavant;  c'est 
donc  ouvrira  aÎTvjjxaToç.  Et  il  faut  de  deux  choses 
l'une,  ou  que  le  médium  soit  le  même  que  la 
conclusion ,  ou  que  la  conclusion  en  soit  mal  tirée. 
Peut-être  direz-vous  que  le  mot  aucunement  fait 
tout  le  mystère ,  et  qu'en  disant  que  la  toile  ne  lui 
est  aucunement  opposée  en  ce  sens-là,  tout  le 
reste  s'en  déduit  aisément;  mais  il  en  faut  toujours 
revenir  là  :  si  par  le  mot  aucunement  vous  en- 
tendez que  la  toile  n'empêche  pas  que  la  balle  ne 
continue  sa  marche  vers  la  droite ,  et  que  son 
progrès  ne  se  fasse  également ,  et  en  temps  égal , 
je  le  nie,  et  c'est  ce  qu'il  faut  prouver.  Si  vous  en- 
tendez que  la  toile  ne  lui  est  aucunement  opposée, 
c'est-à-dire  quelle  n'empêche  pas  que  la  balle  ne 
continue  d'avancer  vers  la  droite,  sans  assurer  en- 
core si  son  progrès  doit  se  faire  en  temps  égal , 
vous  ne  trouverez  jamais  votre  compte  dans  la 
conclusion.  D'où  il  suit  clairement  que  M.  Des- 
cartes a  voulu  donner  des  paroles  pour  des  choses  ; 
et  qu'en  traitant  deux  propositions  différentes  sur 
le  sujet  de  la  réflexion  et  de  la  réfraction ,  il  a 
voulu  accommoder  son  raisonnement  à  la  première 
qu'il  savoit,  et  à  la  seconde  qu'il  a  peut-être  trop 
légèrement  crue.  Ce  n'est  pas ,  comme  je  vous  ai 
déjà  souvent  protesté,  que  sa  proportion  des  ré- 
fractions ne  puisse  être  vraie  :  mais  j'ai  du  moins 


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LETTRES.  /f2^ 

à  vous  dire  que  je  ne  la  tiens  du  tout  point  prou- 
vée ;  et  qu'en  tout  cas  vous  avez  trop  de  complai- 
sance en  faisant  semblant  d'approuver  ma  pensée 
sur  ce  même  sujet,  puisque  si  ce  que  j'ai  écrit  là- 
dessus  à  M.  de  la  Chambre  est  véritable,  ce  que 
M.  Descartes  croit  avoir  démontré  est  nécessaire- 
ment faux,  ces  deux  opinions  étant  tout-à-fait 
contradictoires  et  incompatibles.  Mais  supposons, 
si  faire  se  peut,  que  la  proposition  de  M.  Descartes 
soit  véritable,  il  faut  du  moins  pourvoir  à  ce  que 
rien  ne  se  démente  dans  les  suites,  et  c'est  aux  amis 
du  défunt  à  prévoir  tous  les  cas  qui  pourroient 
faire  de  la  peine  à  ia  vérité  supposée  de  cette  pro- 
position. En  voici  un  par  exemple  qu'il  faut  tâcher 
de  résoudre. 

Supposez  dans  la  page  20  que  la  balle  rencontre, 
au  lieu  delà  toile  ou  de  l'eau,  un  corps  dur  et  im- 
pénétrable ,  et  que  lorsque  la  balle  arrive  au  point 
B  elle  ne  laisse  pas  de  perdre  la  moitié  de  sa  vi- 
tesse (car  cette  supposition  est  possible),  et  quoique 
le  corps  CBE  ne  contribue  rien  à  la  diminution  de 
la  vitesse ,  comme  il  fait  en  l'exemple  de  INI.  Des- 
cartes ,  lorsque  c'est  de  la  toile  ou  de  l'eau ,  néan- 
moins nous  pouvons  imaginer  et  supposer  que 
lorsque  la  balle  arrive  au  point  B  elle  perd  juste- 
ment la  moitié  de  sa  vitesse  ,  sans  nous  mettre  en 
peine  d'où  provient  cette  diminution ,  puisque  le 
même  M.  Descartes,  en  la  page  a3  de  la  Dioptri- 


4^6  LETTRES. 

que,  suppose  ou  imagine  au  point  B  une  nouvelle 
puissance  qui  augmente  le  mouvement  ou  la  vitesse 
de  la  balle  ;  de  sorte  que  je  ne  crois  pas  que  les  amis 
de  M.  Descartes  soient  assez  injustes  pour  nier  que 
cette  supposition  puisse  être  non  seulement  ima- 
ginée, mais  réduite  en  acte:  cela  supposé,  il  ' ne 
faut  que  transférer  le  raisonnement  de  M.  Descartes 
au-dessus  du  plan,  et  on  pourra  dire  avec  lui  que 
pour  savoir  le  chemin  que  la  balle  doit  prendre 
il  faut  considérer  que  son  mouvement  diffère  en- 
tièrement de  sa  détermination  à  se  mouvoir  plutôt 
vers  un  côté  que  vers  un  autre  :  d'où  il  suit  que 
leur  quantité  doit  être  examinée  séparément.  Con- 
sidérons aussi  que  des  deux  parties  dont  on  peut 
imaginer  que  cette  détermination  est  composée,  il 
n'y  a  que  celle  qui  faisoit  tendre  la  balle  de  haut 
en  bas  qui  puisse  être  changée  par  la  rencontre 
du  plan  CBE,  et  que  pour  celle  qui  la  faisoit  ten- 
dre vers  la  main  droite  ,  elle  doit  toujours  demeu- 
rer la  même  quelle  a  été,  à  cause  que  ce  plan  ne 
lui  est  aucunement  opposé  en  ce  sens-là.  Puis  ayant 
décrit  du  centre  B  le  cercle  AFD ,  et  tiré  à  angles 
droits  sur  CBE  les  trois  lignes  droites  AC ,  HB ,  FE , 
en  telle  sorte  qu'il  y  ait  deux  fois  autant  de  distance 
entre  FE  et  HB  qu'entre  HB  et  AC,  nous  verrons 
que  cette  balle  doit  tendre  vers  le  point  du  cercle 
où  la  ligne  FE  coupe  le  cercle  au-dessus  du  plan , 
c'est-à-dire  au  point  O  :  car  puisque  la  balle  perd 


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LETTRES.  427 

la  moitié  de  sa  vitesse  en  rencontrant  le  plan  au 
point  B ,  et  qu  elle  ne  peut  point  le  traverser  par 
la  supposition ,  elle  doit  employer  deux  fois  autant 
de  temps  à  passer  au-dessus  depuis  B  jusques  à 
quelque  point  de  la  circonférence  du  cercle  AFD 
qu'elleafait  venirdepuis  A  jusques  àB,  etpuisqu'elle 
ne  perd  rien  du  tout  de  la  détermination  qu'elle 
avoit  à  s'avancer  vers  le  côté  droit ,  en  deux  fois 
autant  de  temps  quelle  en  a  mis  à  passer  depuis 
la  ligue  AC  jusques  à  HB ,  elle  doit  faire  deux  fois 
autant  de  chemin  vers  ce  même  côté-là, et  par  con- 
séquent arriver  à  quelque  point  de  la  ligne  droite 
FE  au  même  instant  qu'elle  arrive  aussi  à  quelque 
point  de  la  circonférence  du  cercle  AFD,  ce  qui  se- 
roit  impossible  si  elle  n'alloit  vers  O ,  d'autant  que 
c'est  le  seul  point  au-dessus  du  plan  CBE  où  le  cercle 
AFD  et  la  ligne  droite  F  s'entrecoupent.  Si  ce  raison- 
nement, qui  est  justement  le  même  que  celui  de 
M.  Descartes  ,  en  le  transférant  seulement  au-des- 
sus du  plan,  ne  conclut  pas,  pourquoi  de  grâce  ce- 
lui de  M.  Descartes  conclura-t-il?  ce  qui  est  une 
démonstration  au-dessous  de viendra-t-il  un  paralo- 
gisme au-dessus  ?  Je  ne  crois  pas  que  vous  soyez 
de  ce  sentiment,  et  que  vous  vouliez  donner  tout 
au  seul  nom  et  à  l'inspiration,  s'il  faut  ainsi  dire, 
de  M.  Descartes. 

Cela  étant ,  passons  à  la  figure  de  la  page  22  , 
et  supposons  de  même  que  le  plan  CB  est  un  corps 


428  LETTRES. 

dur  et  impénétrable ,  et  que  la  balle  arrivant  au 
point  B  diminue  sa  vitesse,  en  telle  sorte  que  la 
ligne  FE ,  étant  tirée  comme  en  l'exemple  pré- 
cédent, ne  coupe  point  le  cercle  AD;  cette  balle 
par  la  supposition  ne  peut  point  pénétrer  au-des- 
sous du  plan  ;  elle  ne  peut  non  plus  se  réfléchir 
à  angles  égaux ,  car  sa  détermination  vers  la  droite 
ne  seroit  point  la  même  ;  enfin  quelque  angle  que 
vous  preniez  pour  sa  réflexion  au-dessus  du  plan, 
son  progrès  vers  la  droite  sera  toujours  moindre 
qu'auparavant  ;  voire  même  quand  vous  la  feriez 
rouler  sur  le  diamètre  CB,  sa  détermination  vers  la 
droite  changeroit encore ,  comme  il  se  voit  à  l'oeil, 
et  comme  il  se  déduit  clairement  de  la  supposition; 
car  il  faudroit  qu'au  même  tempsque  la  balle  arrive 
à  quelque  point  de  la  circonférence,  elle  arrivât 
aussi  à  quelque  point  de  la  droite  FE ,  ce  qui  est 
impossible.  Que  deviendra  donc  cette  balle  ?  C'est  à 
vous,  monsieur ,  et  aux  amis  de  M.  Descartes ,  à  lui 
fournir  un  passe-port ,  et  à  lui  marquer  sa  route, 
en  la  faisant  sortir  de  ce  point  fatal.  J'en  dirois  da- 
vantage ,  si  je  n'appréhendois  de  passer  dans  votre 
esprit  pour  un  homme  qui  auroit  envie  de 

barbam  vellerc  mortuo  leoni. 

J'attends ,  monsieur,  votre  réplique,  ou  celle  de 
M.  Rohault ,  que  j'estime  comme  je  dois ,  et  je  vous 
assure  par  avance  que  je  ne  cherche  que  la  vé- 


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LETTRES. 

rite  sans  chicane,  et  que  je  suis  de  tout  mon 
cœur ,  etc. 

AUTRE  RÉPLIQUE  DE  M.  DE  FERMAT 

A  M.  CLERSELIER. 

(Lettre  /,8  du  tome  III.) 

•    •  *  ■ 

m  * 

Du  16 juin  [<i:'> s. 

:      .    .  .  •  • 

» 

Monsieur, 

■  • 

Nous  laissâmes  dernièrement  la  balle  de  M.  Des- 
cartes en  grande  peine;  c'est  dans  la  page  22  de 
la  Dioptrique ,  où  elle  faisoit  tous  ses  efforts  pour 
sortir  du  point  B  à  l'honneur  de  M.  Descartes  ; 
mais  elle  y  trouva  toutes  les  issues  fermées  en  sui- 
vant le  raisonnement  de  cet  auteur;  et  nous  ne 
pouvons  même  lui  donner  présentement  de  se- 
cours ,  si  nous  ne  faisons  changer  de  biais  à  sa  lo- 
gique. 

Reprenons  la  figure  de  la  page  1 6 ,  et  supposons 
que  la  balle  qui  va  dans  la  droite  AB  diminue  sa 
vitesse  de  moitié  en  arrivant  au  point  B.  Si  elle 
continuoit  dans  le  même  milieu  ,  et  que  le  plan  CBE 


430  LETTRES. 

ne  lui  fût  point  opposé,  elle  iroit  toujours  en  ligne 


• 

nu 

r 

r 

d 

•lil 

• 

qu'elle  avoit  mis  depuis  A  jusques  à  B.  Mais  si  en 
supposant  la  même  diminution  de  vitesseau  pointB, 
nous  supposons  que  le  plan  CBE  impénétrable  à  la 
balle  se  trouve  maintenant  entre  deux  et  empêche 
que  la  balle  ne  passe  au-dessous ,  je  dis  qu'elle  se  ré- 
fléchira aussi  bien  à  angles  égaux  que  si  la  vitesse  et 
lemouvement  demeuroientles  mêmes;  car  puisque 
l'interposition  du  plan  n'empêche  que  l'une  des 
parties  dont  la  détermination  est  composée,  et  que 
celle  de  gauche  à  droite  demeure  la  même  ,  donc 
la  balle  avancera  autant  vers  la  droite  qu'elle  eût 
fait  au-dessous,  si  le  plan  n'eût  pas  empêché  sa 
route.  Or  si  le  plan  CBE  ne  faisoit  point  d'obstacle, 
la  balle,  qui  diminue  sa  vitesse  de  moitié  au  point 
B  ,  mettroit  le  double  du  temps  depuis  B  jusques 
à  D  qu'elle  avoit  mis  depuis  A  jusques  à  B  5  et 
lorsqu'elle  seroit  au  point  D,  elle  auroit  avancé 
vers  la  droite  jusques  en  E  :  elle  mettroit  donc  le 
double  du  temps  à  s'avancer  depuis  B  jusques  à  E 
qu'elle  avoit  fait  à  s'avancer  depuis  C  jusques  à  B; 
et  il  y  a  même  raison  de  AB  à  BC  que  de  BD  à 
BE,  parceque  les  angles  ABC,  DBE  sur  les  deux 
droites  AD  et  CE  sont  égaux  ,  et  par  conséquent 
les  triangles  ABC ,  DBE  semblables.  Nous  pouvons 
faire  le  même  raisonnement  au-dessus,  si  du  point 


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LETTRES.  43» 

E  nous  élevons  la  perpendiculaire  EF ,  et  dire  que 
lorsque  la  balle  sera  à  l'un  des  points  de  la  circon- 
férence ,  comme  F ,  elle  y  aura  mis  le  double  du 
temps  qu'elle  avoit  mis  depuis  A  jusques  àB ,  puis- 
que le  plan  que  nous  supposons  maintenant  entre 
deux  ne  fait  rien  de  nouveau  qu'empêcher  la  dé- 
termination de  haut  en  bas  ;  et  partant  la  déterrai- 
nation  de  gauche  à  droite  sera  pour  lors  marquée 
par  le  même  point  E  ;  et  par  conséquent  comme 
FB  sera  à  EB ,  ainsi  la  droite  AB  sera  à  BG  ;  d'où 
il  suit  que  les  angles  ABC,  FBE  seront  toujours 
égaux ,  de  quelque  manière  et  en  quelque  propor- 
tion que  la  vitesse  ou  le  mouvement  changent.  Si 
M.  Descartes  eût  pris  garde  qu'en  quelque  manière 
que  la  vitesse  change  au  point  B  la  réflexion  ne 
laisse  pas  de  se  faire  à  angles  égaux ,  il  n'eût  pas 
été  en  peine  ni  ses  amis  non  plus  de  tirer  la  balle 
du  point  B ,  où  ils  l'ont  vue  malheureusement  en- 
gagée dans  l'exemple  de  ma  dernière  lettre;  il  n'eût 
pas  soutenu  que  la  vitesse  venant  à  changer  au 
point  B ,  la  balle  ne  laisse  pas  d'avancer  vers  la 
droite  autant  qu'elle  faisoit  auparavant;  il  n'eût 
pas  déduit  d'un  fondement  non  seulement  incer- 
tain ,  mais  encore  faux  ,  sa  proportion  des  réfrac- 
tions; et  enfin  il  n'eût  pas  esquivé  dans  la  figure 
de  la  page  22  de  déterminer  sous  quel  angle  la 
balle  étant  au  point  B  se  réfléchit  vers  le  point  L. 
Car  quoiqu'il  paroisse  par  son  discours ,  et  par 


4^2  LETTRES. 

l'inspection  même  de  la  figure ,  qu'il  a  entendu 
que  cette  réflexion  se  fait  à  angles  égaux,  il  a  laissé 
un  petit  scrupule  dans  l'esprit  des  lecteurs ,  qui 
peuvent  raisonnablement  douter  si  dans  l'exemple 
de  M.  Descartes  la  balle  diminue  sa  vitesse  au 
point  B,  ou  non.  Si  elle  diminue,  la  réflexion  ne 
se  pourroit  pas  faire  à  angles  égaux  en  suivant  le 
raisonnement  de  M.  Descartes.  Que  si  la  balle  ne 
diminue  point  sa  vitesse  au  point  B,  y  a-t-il  rien 
de  plus  contraire  aux  lois  inviolables  de  la  pure 
géométrie ,  qui  ne  veut  point  qu'on  puisse  aller 
d'un  extrême  à  l'autre  sans  passer  par  tous  les  de- 
grés du  milieu.  Or,  M.  Descartes  et  ses  amis  sou- 
tiennent que  la  balle  qui  est  poussée  sur  l'eau ,  ou 
sur  la  toile ,  diminue  sa  vitesse  également  en  toutes 
les  inclinations ,  lorsqu'elle  la  traverse ,  et  que  cette 
diminution  se  fait  dès  le  point  B.  Gomment  donc 
peut-on  concevoir  que,  dès  le  premier  angle  où 
elle  se  réfléchit,  sa  vitesse  ne  diminue  point  du 
tout,  et  qu'il  n'en  puisse  pourtant  être  pris  aucun 
plus  grand  auquel  elle  diminue  d'une  certaine 
quantité  qui  soit  toujours  la  même?  Ne  seroitil 
pas  plus  géométrique  et  plus  naturel  de  soutenir, 
dans  le  sentiment  de  M.  Descartes ,  que  la  dimi- 
nution de  la  vitesse  se  fait  également  ;  que  cette 
diminution  est  la  plus  grande  de  toutes  dans  la 
chute  perpendiculaire  d'H  vers  B,  et  qu'elle  se  rend 
toujours  moindre  à  mesure  que  les  inclinations  va- 


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LETTRES.  453 

rient,  jusqu'à  ce  quelle  devienne  nulle;  ce  que 
M.  Descartes  a  peut-être  cru  arriver  lorsqu'elle  se 
réfléchit.  Mais ,  parceque  nous  venons  de  prou- 
ver que,  soit  que  la  vitesse  augmente  ou  qu'elle 
diminue  au  point  B,  la  réflexion  ne  laisse  pas  de 
se  faire  à  angles  égaux  ,  nous  ne  devons  pas  nous 
mettre  en  peine  de  rechercher  plus  soigneusement 
la  conduite  secrète  dont  se  sert  la  nature  en  affai- 
blissant la  vitesse  de  la  balle  ou  également  ou  iné- 
galement à  mesure  que  les  inclinations  viennent  à 
changer. 

Mais  que  deviendra  le  raisonnement  qui  se  doit 
faire  au-dessous  du  plan  CBE  en  la  page  20  par 
exemple?  il  sera  le  même  que  le  précédent;  car  que 
la  vitesse  diminue  au  point  B,  ou  par  la  rencontre 
de  la  toile,  ou  par  quelque  autre  voie  qui  vienne 
d'ailleurs  ,  c'est  toute  la  même  chose.  Et  puisqu'en 
Ja  figure  de  la  page  20  la  balle  perce  la  toile,  et 
qu'au  point  B  la  vitesse  diminue  de  moitié,  elle 
ne  peut  jamais  avoir  la  détermination  vers  la  droite 
pareille  à  celle  qu'elle  auroit  s'il  n'y  avoit  point  de 
toile  ,  et  que  pourtant  sa  vitesse  diminuât  de  moi- 
tié au  point  B,  qu'en  continuant  toujours  sa  route 
dans  la  droite  ABD.  Vous  répliquerez  :  mais  à  ce 
compte-là,  la  détermination  de  haut  en  bas  ne 
changeroit  pas  non  plus  par  la  rencontre  de  la 
toile  ;  je  l'avoue.  Et  pour  ôter  et  éclaircir  pleine- 
ment cette  difficulté  ,  il  ne  faut  que  dire  que  vous 

lu.  28 


434  LETTRES. 

ne  tirerez  jamais  autre  chose  du  raisonnement 
des  mouvements  et  déterminations  composées  de 
M.  Descartes,  sinon  que  la  réflexion  se  fait  toujours 
à  angles  égaux,  et  que  la  pénétration  du  second  mi- 
lieu se  doit  toujours  faire  en  ligne  droite  ;  à  quoi 
même  se  rapporte  ce  que  vous  dites  dans  votre 
dernier  écrit ,  que  la  balle  a  toujours  une  même 
aisance  à  pénétrer  le  second  milieu  en  toutes  sortes 
d'inclinations.  D  où  il  doit  suivre,  dans  l'application 
du  raisonnement  de  M.  Descartes ,  qu'en  toutes 
sortes  de  cas  la  réflexion  se  fera  à  angles  égaux , 
et  que  la  pénétration  se  fera  de  même  en  tous  les 
cas  en  ligne  droite  ;  le  mouvement  de  dessous  en 
ligne  droite  suivant  les  mêmes  lois,  et  répondant 
justement  au  mouvement  de  dessus  à  angles  égaux. 
Mais  il  n'y  aura  donc  point  de  réfraction,  me  di- 
rez-vous?  Je  réplique  que  le  mouvement  de  la  balle 
et  la  réfraction  ne  se  ressemblent  guère  que  par  la 
comparaison  imaginaire  de  M.  Descartes;  et  qu'au 
pis  aller,  si  le  détour  de  la  balle  en  passant  par  le 
second  milieu  est  véritable,  il  en  faut  chercher  la 
raison  ailleurs  que  dans  la  composition  des  mou- 
vements, qui  ne  produira  jamais  en  cette  rencontre 
qu'un  cercle  dialectique,  de  quelque  biais  que  vous 
la  preniez;  il  faudra  examiner  les  principes  secrets 
dont  se  sert  la  nature  en  produisant  la  réfraction  ; 
et  si  celui  que  j'ai  touché  dans  ma  lettre  à  M.  de  la 
Chambre  ne  vous  plaît  pas,  je  souhaite  qu'il  vous 


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LETTRES. 

en  vienne  un  meilleur  en  l'esprit,  et  que  cette 
vieille  dispute  aboutisse  enfin  à  la  pleine  et  en- 
tière découverte  de  la  vérité.  Je  suis  de  tout  mon 
cœur ,  etc. 


RÉPONSE  DE  M.  CLERSELIER 

AUX  DEUX  PRÉCÉDENTES  DE  M.  DE  FERMAT. 

(  Lettre  49  du  tome  III.  ) 

Du  ai  août  i658. 

Monsieur, 

Je  me  trouve  aujourd'hui  plus  empêché  à  ré- 
pondre que  je  n'étois  la  dernière  fois;  aussi  avez- 
vous  changé  de  condition,  et  déjuge  que  vous  étiez, 
vous  êtes  devenu  partie.  Quand  je  n'avois  qu'à  dé- 
fendre devant  vous  la  cause  de  M.  Descartes  contre 
votre  sceptique ,  je  ne  me  promettois  pas  un  suc- 
cès moins  favorable  que  celui  que  j'ai  eu;  j'avois 
une  bonne  cause  à  défendre ,  des  subtilités  à  éclair- 
cir,  et  un  juge  clairvoyant  pour  m'entendre  et 
prononcer.  Mais  quand  je  vous  considère  descendu 
de  votre  siège,  pour  vous  porter  vous-même  partie 

contre  celui  que  je  défends,  le  respect  que  je  vous 

28. 


436  LETTRES. 

dois  en  quelque  état  que  vous  paraissiez ,  la  grande 
estime  que  j'ai  toujours  conçue  de  vous,  et  qui 
s'augmente  en  moi  à  mesure  que  vous  vous  faites 
davantage  connoître,  et  le  peu  d'usage  que  j'ai 
dans  la  matière  que  nous  agitons,  à  comparaison 
de  celui  que  vous  vous  y  êtes  acquis,  tout  cela 
m  étonne,  et  fait  que  je  ne  sais  encore  quelle  issue 
me  promettre  de  tout  ce  démêlé.  Je  vous  dirai 
pourtant  d'abord  que  si  je  voulois  agir  avec  moins 
de  franchise  que  ne  m'oblige  l'honnête  procédé 
que  vous  gardez  avec  moi,  je  pourrais  user  d'une 
exception,  qui  paraîtrait  peut-être  assez  légitime 
et  recevable,  en  vous  accordant  tout  ce  que  vous 
dites,  et  prétendant  que  tout  cela  ne  fait  rien 
contre  M.  Descartes,  et  ne  combat  en  aucune 
façon  sa  doctrine  touchant  la  réflexion  et  la  ré- 
fraction. 

Car  je  veux  que  la  balle  de  la  figure  de  la  page 
22  de  la  Dioptrique,  selon  la  supposition  que  vous 
faites  dans  votre  première  lettre,  se  trouve  empê- 
chée (comme  vous  dites  sans  doute  agréablement) 
à  trouver  quelque  issue  pour  prendre  sa  route;  et 
je  veux  même  que  le  passe-port  que  vous  lui  avez 
donné  par  avance  en  votre  seconde,  de  peur  que 
nous  n'eussions  pas  assez  de  crédit  pour  lui  en 
obtenir  un,  et  même  que  la  route  que  vous  avez 
eu  la  bonté  de  lui  marquer  en  cet  endroit  lui  fut 
si  aisée  et  si  commode  qu'elle  ne  fît  point  de  dif- 


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LETTRES.  4^7 

ticulté  de  la  suivre,  que  pourroit-on  conclure  delà 
contre  M.  Descartes?  lequel  n'ayant  apporté  en  ce 
Heu-là  les  exemples  de  la  balle  que  pour  expliquer 
certains  effets  particuliers  de  la  lumière,  à  savoir, 
celui  de  la  réflexion ,  qui  se  fait  toujours  à  angles 
égaux ,  et  celui  de  la  réfraction ,  qui  se  fait  toujours 
de  la  même  sorte  dans  un  même  milieu ,  et  qui 
change  selon  la  proportion  qui  est  entre  le  milieu 
d'où  elle  sort  et  celui  où  elle  entre,  ce  qui  fait  que 
tantôt  elle  s'approche  et  tantôt  elle  s'éloigne  de 
la  perpendiculaire;  qui,  dis-je,  n'a  eu  aucune  oc- 
casion d'expliquer  le  cas  que  vous  proposez,  pour- 
cequ'il  n'a  aucun  rapport  à  son  dessein. 

Il  n'y  en  avoit  que  trois  qui  y  pussent  servir, 
et  il  les  a  tous  trois  expliqués,  et,  à  mon  avis,  d'une 
manière  si  claire  et  si  simple,  qu'il  n'y  a  que  ceux 
qui  veulent  trop  subtiliser  qui  y  puissent  trouver 
de  la  difficulté. 

Le  premier  cas,  qui  explique  la  réflexion,  est 
celui  d'une  balle  qui,  étant  poussée  suivant  la  ligne 
AB,  rencontre  de  biais  dans  son  chemin  un  corps 
dur,  impénétrable  et  inébranlable;  qu'y  a-t-ii  de 
plus  simple  et  de  plus  clair  que  cette  balle,  qui 
ne  perd  rien  de  sa  vitesse,  doit  rejaillir  à  angles 
égaux ,  c'est-à-dire  remonter  aussi  vite  qu'elle  est 
descendue,  et  avancer  autant  qu'elle  faisoit  vers 
le  côté  où  ce  corps  dur  n'est  point  du  tout  op- 
posé. 


438  LETTRES. 

Le  second ,  qui  se  rapporte  à  la  réfraction  lors-p 
quelle  s'éloigne  de  la  perpendiculaire,  est  celui 
de  la  même  balle  qui ,  étant  poussée  comme  dessus, 
rencontre  aussi  de  biais  un  autre  milieu  dans  le- 
quel elle  pénètre ,  et  qui  lui  fait  perdre  une  partie 
de  sa  vitesse.  Quoi  de  plus  clair  et  de  plus  simple 
que  de  dire  que  cette  balle ,  ne  pouvant  plus  aller 
si  vite  qu'elle  faisoit  auparavant,  doit  pourtant 
conserver  toute  la  détermination  qu'elle  avoit  à 
avancer  vers  le  côté,  à  laquelle  ce  milieu  n'est  au- 
cunement opposé,  et  à  quoi  la  perte  qu'elle  a 
soufferte  en  sa  vitesse  ne  résiste  point  et  se  peut 
accommoder.  Pourquoi  vouloir  obliger  cette  balle  à 
faire  plus  qu'elle  ne  doit,  puisque  la  nature  ne  fait 
rien  en  vain. 

Enfin  le  troisième  cas ,  qui  se  rapporte  à  la  ré- 
fraction lorsqu'elle  s'approche  de  la  perpendicu- 
laire ,  et  le  seul  qui  restoit  à  M.  Descartes  à  éclair- 
cir,  s'explique  heureusement  par  la  même  balle, 
qui,  étant  poussée  comme  auparavant,  rencontre 
aussi  de  biais  dans  son  chemin  un  autre  milieu , 
dans  lequel  elle  pénètre  avec  une  égale  facilité 
de  tous  côtés,  et  qui  augmente  sa  vitesse  d'une 
certaine  quantité.  Que  peut-on  penser  de  plus 
simple  et  de  plus  naturel  que  de  dire  que  cette 
balle  devant  aller  plus  vite  qu'elle  ne  faisoit  au- 
paravant ,  n'avance  pourtant  pas  davantage ,  selon 
cette  détermination  à  laquelle  ce  corps,  par  qui 


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LETTRES.  4^9 

sa  vitesse  a  été  augmentée,  n'est  point  du  tout 
opposé. 

Le  cas  que  vous  proposez  outre  cela  dans  votre 
première  lettre  est  superflu ,  et  ne  peut  servir  à 
expliquer  aucun  de  ces  phénomènes  de  la  lumière, 
et  par  conséquent  il  n'est  ici  d'aucune  considération; 
et ,  quelque  inconvénient  qui  en  pût  suivre ,  cela 
ne  pourroit  préjudicier  à  ce  que  M.  Descartes  a 
auparavant  prouvé,  et  par  quoi  il  a  expliqué  si  in- 
telligiblement ces  effets  merveilleux  de  la  lumière, 
qui  ne  laisseroient  pas  d'être  vrais,  et  tels  qu'il  les 
a  démontrés,  quand  votre  supposition  seroit  difficile 
à  expliquer  par  ses  principes ,  ce  que  je  ne  déses- 
père pourtant  pas  de  faire ,  et  quand  elle  se  devroit 
expliquer  suivant  les  vôtres,  ce  que  je  n'estime  pas. 

Mais  pourceque  c'est  en  ceci  que  consiste  toute 
notre  dispute ,  il  faut  que  j'éclaircisse  une  fois  pour 
toutes  un  point  qui  vous  semble  n'avoir  pas  été 
prouvé  par  M.  Descartes,  à  cause  que  sa  preuve 
n'est  pas  purement  géométrique,  mais  qu'elle  est 
en  partie  fondée  sur  quelques  principes  de  la  na- 
ture, si  clairs  qu'ils  ne  demandent  aucune  expli- 
cation. Ces  principes  sont,  premièrement,  que 
chaque  chose  demeure  en  l'état  qu'elle  est  pen- 
dant que  rien  ne  la  change.  Secondement,  que 
lorsque  deux  corps  se  rencontrent  qui  ont  en  eux 
des  modes  incompatibles  ,  il  se  doit  véritable- 
ment faire  quelque  changement  en  ces  modes  pour 


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44°  LETTRES. 

les  rendre  compatibles,  mais  que  ce  changement 
est  toujours  le  moindre  qui  puisse  être.  Troisiè- 
mement, qu'un  corps  ne  peut  résister,  ou  causer 
du  changement  dans  un  autre,  qu'en  tant  qu'il  lui 
est  opposé. 

Ainsi  donc,  si  une  balle  se  meut  d'A  vers  B, 
dans  la  figure  de  la  page  16  de  la  Dioptrique, 
avec  une  certaine  vitesse,  elle  continuera  tou- 
jours d'aller  avec  la  même  vitesse  dans  la  même 
ligne ,  si  rien  ne  la  change.  Mais  si  vous  lui  op- 
posez le  corps  dur ,  impénétrable  et  inébranlable 
CBE,  pourceque'  les  modes  de  ces  deux  corps, 
l'un  qui  tend  de  B  vers  D,  et  l'autre  qui  s'op- 
pose à  cette  route,  sont  incompatibles,  mais  qui 
ne  s'oppose  point  à  sa  vitesse ,  il  faut  qu'il  arrive 
du  changement  en  l'un  de  ces  modes,  mais  le 
moindre  qui  puisse  être;  c'est  pourquoi  la  balle 
changera  de  détermination ,  et  gardera  sa  vitesse  ; 
et  d'autant  que  le  corps  CBE  n'est  opposé  qu'à 
l'une  des  deux  déterminations,  dont  il  est  vrai  que 
celle  de  la  balle  est  composée,  eu  égard  au  corps 
CBE  sur  lequel  elle  tombe,  à  savoir,  à  celle  qui 
la  faisoit  descendre,  et  non  point  à  celle  de  gauche 
à  droite,  ce  corps  ne  peut  apporter  de  changement 
qu'à  celle-là,  et  non  point  à  l'autre,  à  laquelle  il 
n'est  point  opposé;  c'est  pourquoi  il  oblige  la 
balle  de  remonter,  et  la  laisse  continuer  à  s'avancer 
vers  la  droite  comme  elle  faisoit  auparavant ,  à  quoi 


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LETTRES.  44 1 

il  ne  change  rien,  le  mode  de  son  corps  n'ayant 
rien  d'incompatible  et  d'opposé  à  celui-là.  Il  ne 
faut  plus  ajouter  à  ce  raisonnement  que  ce  qui  ap- 
partient â  la  géométrie ,  et  la  preuve  sera  achevée. 
Si  vous  n'appelez  pas  cela  une  preuve  démonstra- 
tive ,  je  ne  sais  plus  de  quelles  raisons  il  faudra  se 
servir  pour  en  composer  une  ;  mais,  pour  moi,  je 
me  contente  de  pareilles  démonstrations.  Or,  le 
même  raisonnement  que  je  viens  de  faire  se  peut 
accommoder  à  la  figure  de  la  page  20  et  à  celle  de 
la  page  22,  et  à  tous  les  cas  qui  se  peuvent  proposer, 
et  je  n'y  vois  rien  de  différent  que  les  différentes 
suppositions  ;  à  savoir ,  que  le  corps  CBE  tantôt 
est  dur  et  tantôt  liquide,  tantôt  pénétrable  et 
tantôt  impénétrable;  que  la  vitesse  tantôt  diminue, 
tantôt  augmente ,  et  tantôt  demeure  la  même;  et 
que  la  balle  tantôt  continue  de  descendre,  et  tan- 
tôt est  obligée  de  remonter,  et  même  que  tantôt 
on  peut  opposer  un  corps  au  cours  de  la  balle ,  et 
tantôt  non. 

Examinons  maintenant  ces  cas  l'un  après  l'autre 
suivant  ces  principes ,  et  voyons  ce  qui  doit  ar- 
river, et  je  m'assure  que  l'on  ne  trouvera  point 
que  la  chose  doive  aller  comme  vous  dites,  mais 
bien  comme  dit  M.  Descartes,  et  cela  répondra 
en  même  temps  à  toutes  vos  nouvelles  diffi- 
cultés. 

Premièrement,  vous  dites  au  commencement  de 


/|4^  LETTRES. 

votre  seconde  lettre  que  si  l'on  suppose  que  la 
balle  qui  va  dans  la  ligne  droite  AB  diminue  sa  vi- 
tesse de  moitié  en  arrivant  au  point  B,  elle  ira 
toujours  en  ligne  droite  vers  D  si  elle  continue 
daller  dans  le  même  milieu  et  que  le  plan  CBE  ne 
lui  soit  point  opposé,  avec  cette  différence  seule- 
ment ,  quelle  emploiera  depuis  B  jusqnes  à  D  le 
double  du  temps  qu'elle  avoit  mis  auparavant  de- 
puis A  jusques  à  B,  et  cela  à  cause  qu'un  corps 
doit  toujours  demeurer  dans  le  même  état  où  il 
est,  ou  auquel  on  suppose  qu'il  soit ,  si  rien  ne  le 
change.  Or,  n'y  ayant  rien  qui  change  en  la  balle, 
que  la  vitesse,  ni  rien  par  quoi  la  détermination 
doive  être  altérée  plus  d'un  côté  que  d'un  autre , 
tout  cela  fait  qu'elle  doit  continuer  dans  la  même 
ligne,  aller  seulement  moins  vite  selon  cette  dé- 
termination ;  de  même  que  lorsqu'un  corps  tombe 
perpendiculairement  de  l'air  dans  l'eau  il  continue 
d'aller  suivant  la  ligne  de  sa  chute ,  et  va  seulement 
d'autant  moins  vite  que  sa  vitesse  est  diminuée  à 
la  rencontre  de  l'eau. 

Si  pourtant  j'eusse  été  d'humeur  à  vouloir  chi- 
caner (  ce  qui  ne  m'arrivera  jamais  lorsque  j'au- 
rai affaire  à  une  personne  d'honneur  et  de  mérite 
comme  vous),  j'aurois  pu  nier  que  le  cas  que  vous 
proposez  fût  concevable  et  admissible,  à  savoir, 
qu'un  mobile  sans  changer  de  milieu  puisse  tout 
d'un  coup  passer  d'une  vitesse  à  une  autre  sans 


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LETTRES.  4'|3 

passer  par  les  degrés  qui  sont  entre  deux  ;  ce  que 
vous  dites  vous-même  être  contraire  aux  lois  invio- 
lables de  la  pure  géométrie ,  et  qui  même  est  con- 
traire à  cette  loi  de  la  nature  qui  est  que  cha- 
que corps  continue  toujours  de  demeurer  dans 
le  même  état  autant  qu'il  se  peut ,  et  que  jamais  il 
ne  le  change  que  par  la  rencontre  des  autres.  Le 
moyen  donc  de  concevoir  qu'un  corps  puisse  tout 
d'un  coup,  étant  arrivé  au  point  B,  perdre  la  moitié 
de  sa  vitesse,  lorsqu'il  ne  se  rencontre  rien  qui  la 
lui  puisse  faire  perdre.  Mais  je  veuxbien  vous  accor- 
der toutes  vos  suppositions,  et  ne  vous  rien  nier 
que  ce  qui  ne  se  pourra  absolument  admettre ,  à 
moins  de  renverser  toutes  les  lois  de  la  nature, 
et  toutes  les  notions  claires  et  simples  qui  sont  en 
nous. 

Passons  à  votre  seconde  supposition  ,  qui  est  à 
mon  gré  une  des  plus  adroites  que  Ton  pût  faire  en 
ce  genre ,  et  dont  sans  doute  j'aurois  eu  peine  à 
apercevoir  la  subtilité,  n'étoit  qu'étant  accoutumé 
à  suivre  des  voies  fort  simples  dans  mes  raisonne- 
ments ,  je  me  défie  de  tout  ce  que  je  vois  qui  s'en 
écarte. 

Vous  supposez  après  cela  que  la  balle  perdant 
comme  auparavant  la  moitié  de  sa  vitesse  au  point 
B,  le  plan  CBE  impénétrable  se  trouve  entre  deux, 
et  empêche  que  la  balle  ne  passe  au-dessous  ;  et 
vous  dites  que  la  balle  réfléchira  aussi  bien  à  angles 


/|44  LETTRES. 

égaux  que  si  la  vitesse  ou  le  mouvement  demeu- 
roit  le  même  :  et  certainement  je  confesse  que  vous 
le  prouvez  d'une  manière  la  plus  ingénieuse  qu'il 
est  possible;  mais  permettez-moi  aussi  de  vous 
dire  qu'elle  est  captieuse ,  et  souffrez  que  je  vous 
fasse  voir  en  quoi  je  pense  que  vous  vous  êtes  mé- 
pris. 

Quand  en  l'exemple  ci -dessus  je  suis  demeuré 
d'accord  que  la  balle ,  perdant  au  point  B  la  moitié 
de  sa  vitesse,  ne  laissoit  pas  de  continuer  son  che- 
min suivant  la  ligne  BD,  avec  cette  seule  différence 
qu  elle  alloit  de  moitié  moins  vite ,  cela  a  été  parce- 
que,  ne  changeant  point  de  milieu,  et  aucun  plan  ne 
lui  étant  opposé ,  on  ne  pouvoit  pas  dire  que  la  dé- 
termination de  laballe  suivant  la  ligne  AB  fût  com- 
posée de  deux  déterminations ,  non  plus  que  lors- 
qu'une balle  tombe  perpendiculairement  sur  un 
plan.  Mais  ici,  où  vous  supposez  que  le  plan  CBE 
lui  est  opposé,  il  est  certain  qu'à  son  égard  la  dé- 
termination de  la  balle  sur  la  route  AB  est  com- 
posée de  deux  autres  ,  l'une  qui  la  fait  descendre 
vers  lui ,  et  l'autre  qui  la  fait  avancer  vers  la  droite , 
ou  horizontalement,  et  que  ce  plan  s'oppose  à 
celle-là  et  non  point  à  celle-ci. 

Maintenant,  de  deux  choses  l'une,  ou  vous  sup- 
posez qu'après  que  la  balle  est  venue  avec  deux 
degrés  de  vitesse  depuis  A  jusques  à  B ,  étant 
au  point  B  elle  rencontre  le  plan  CBE ,  qui  lui  fait 


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LETTRES. 

perdre  la  moitié  de  sa  vitesse;  ou  bien  vous  su jv 
posez  que ,  saus  que  ce  plan  y  contribue ,  ayant 
perdu  la  moitié  de  sa  vitesse  au  point  B ,  elle  ren- 
contre le  plan  CBE  :  et  si  j'ai  bien  compris  le  sens 
de  votre  seconde  lettre ,  c'est  principalement  à  ce 
dernier  cas  qu'elle  se  rapporte.  Mais  remarquez 
encore  ici  en  passant  que  je  vous  accorde  pins 
que  je  ne  devrois;  car  le  moyen  de  concevoir  qu'une 
balle  perde  la  moitié  de  sa  vitesse  au  point  B  , 
»  sans  la  rencontre  d'aucun  corps  qui  la  lui  fasse 
perdre  ? 

Au  premier  cas,  il  est  aisé  de  voir  qu'il  ne  faut 
(  comme  vous  avez  fait  dans  votre  première  lettre) 
que  transférer  le  raisonnement  de  la  figure  de  la 
page  20  au-dessus  du  plan,  et  dire  que,  puisque 
la  balle  ne  perd  rien  du  tout  de  la  détermination 
qu'elle  avoit  à  avancer  vers  la  droite,  elle  doit 
(  toutes  les  autres  conditions  étant  gardées)  arri- 
ver au  point  O  ,  ainsi  que  vous  avez  fort  bien  re- 
marqué. C'est  pourquoi  je  n'aurois  garde  de  dire, 
comme  vous  faites,  pourquoi  de  grâce  le  raison- 
nement de  M.  Descartes  conclura- t-il  au-dessous, 
s'il  ne  conclut  pas  au-dessus  ?  Ce  qui  est  une  dé- 
monstration en  un  cas  deviendra-t-il  un  paralo- 
gisme en  l'autre?  Non  sans  doute;  l'un  et  l'autre 
conclut  également  bien. 

Au  second  cas ,  la  balle  peut  suivre  la  route  que 
vous  avez  marquée  dans  votre  seconde  lettre ,  et 


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/|4(>  LETTRES. 

réfléchir  toujours  à  angles  égaux  *  de  quelque  ma- 
nière et  en  quelque  proportion  que  la  vitesse  ou 
le  mouvement  change  au  point  B  ;  mais  non  pas 
à  la  vérité  par  la  raison  que  vous  dites ,  car  la 
même  proportion  ne  doit  pas  être  gardée  par  une 
balle  qui,  rencontrant  de  biais  un  plan  impéné- 
trable, est  obligée  de  réfléchir,  que  celle  qui  est  gar- 
dée par  une  autre  balle  que  l'on  suppose  n'en  point 
rencontrer:  à  cause  qu'une  balle  qui  ne  rencontre 
aucun  plan  n'a  qu'une  seule  détermination,  elle  ne 
va  ni  à  gauche  ni  à  droite;  au  lieu  qu'une  balle  qui 
tombe  de  biais  sur  un  plan  y  va  toujours  avec  deux 
déterminations  ,  à  l'une  desquelles  ce  plan  est  op- 
posé, et  à  l'autre  non;  et  cette  circonstance  en  doit 
changer  l'effet ,  selon  les  principes  ci-devant  posés. 

Mais  voici  comme  la  balle  peut  suivre  la  route 
que  vous  avez  marquée,  et  réfléchir  à  angles  égaux: 
à  savoir,  il  faut  supposer  que  la  balle  étant  au 
point  B ,  et  ayant  perdu  la  moitié  de  sa  vitesse  (  ou 
telle  autre  quantité  qu'il  vous  plaira  ),  commence 
là  à  suivre  la  route  qu'elle  suivroit  si  elle  avoit  com- 
mencé à  ce  point-là  à  se  mouvoir  avec  la  vitesse 
qui  lui  reste  ;  or  il  est  constant  que  si ,  sans  avoir 
égard  à  la  ligne  AB,  qu'elle  a  parcourue  avec  deux 
degrés  de  vitesse ,  elle  commençoit  à  se  mouvoir 
en  B  avec  la  vitesse  qu'on  suppose  qui  lui  reste  , 
et  suivant  la  direction  qu'elle  a  véritablement  au 
point  B,  elle  iroit  vers  D  avec  un  degré  dè  vitesse, 


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LETTRES. 

et  y  arriverôiten  deux  fois  autant  de  temps  qu'il 
lui  en  a  fallu  pour  venir  d'A  en  B ,  si  rien  ne  s'op- 
posoitàson  mouvement.  Et  si,  au  lieu  de  lui  oppo- 
ser le  plan  CBE  au  point  B,  on  le  lui  opposoit  au 
point  D  ,  il  est  évident,  par  ce  que  nous  avons  dit 
ci- dessus,  que  ce  plan  l'empêchant  seulement  de 
passer  outre ,  et  non  point  d'avancer  vers  la  droite , 
etne  diminuant  ni  n'augmentant  la  vitesse  avec  la- 
quelle elle  seroit  venue  vers  lui  depuis  B ,  elle  re- 
jailliroit  vers  G ,  et  feroit  un  angle  de  réflexion  DR, 
égal  à  celui  d'incidence  BDG,  lequel  se  trouveroit 
égal  à  celui  de  la  première  incidence  ABC.  Or  est- 
il  dit  qu'il  doit  arriver  au  point  B  le  même  chan- 
gement en  la  détermination  de  la  balle  que  celui 
qui  arriveroit  au  point  D  si  le  plan  CBE  lui  étoit 
opposé  en  ce  point-là ,  puisque  dès  le  point  B  la  balle 
a  toute  la  même  vitesse  et  la  même  détermination 
qu'elle  auroit  au  point  D  après  avoir  parcouru  la 
ligne  BD?  et  partant,  la  balle,  selon  votre  supposi- 
tion, doit  au  point  B  rejaillir  suivant  un  angle  égal 
à  celui  d'incidence;  non  point,  comme  j'ai  dit,  par 
la  raison  que  vous  dites,  car  il  n'est  pas  vrai  que 
l'interposition  du  plan  CBE  n'empêchant  que  l'une 
des  parties  dont  la  détermination  est  composée  , 
celle  de  gauche  à  droite  reste  la  même  qu'elle  étoit 
quand  la  balle  n'avoit  aucun  plan  qui  lui  fut  op- 
sé  ;  car,  en  ce  dernier  cas ,  la  balle  n'avoit  qu'une 
détermination,  et  l'on  ne  peut  pas  dire  qu'elle  avan» 


/|48  LETTRES. 

çoit  vers  la  droite.  C'est  pourquoi  la  conclusion 
que  vous  en  tirez  n'est  pas  non  plus  véritable.  Donc , 
dites-vous,  la  balle  a  dû  avancer  autant  au-dessus 
vers  la  droite  qu'elle  eût  fait  au-dessous  si  le  plan 
n'eût  pas  empêché  sa  route;  et  comme  lorsqu'elle 
seroit  au  point  D  au-dessous  elle  auroit  avancé  en 
deux  moments  vers  la  droite  depuis  B  jusques  en 
E ,  et  de  même  aussi  pour  avancer  en  deux  mo- 
ments autant  au-dessus  vers  la  droite  elle  doit  al- 
ler au  point  F,  qui  est  autant  avancé  vers  la  droite 
que  le  point  D,  et  qui  coupe  le  cercle  au-dessus 
en  même  proportion  que  D  le  coupe  au-dessous , 
et  fait  un  angle  de  réflexion  égal  à  celui  d'incidence. 
Car  toute  cette  proportion  de  gauche  à  droite  que 
vous  dites  devoir  être  gardée  au-dessus  comme 
elle  eût  été  au-dessous  si  le  plan  CBE  n'eût  pas 
empêché  sa  route ,  n'est  qu'une  proportion  imagi- 
naire,  puisque  au-dessous,  quand  il  n'y  a  aucun 
plan  interposé ,  la  balle  n'a  aucune  direction  vers 
la  droite,  cette  direction  ou  détermination  vers  la 
droite  étant  toujours  relative  au  plan  qu'on  lui  in- 
terpose :  et ,  par  exemple  ,  si  le  plan  CBE  lui  eût 
été  opposé  d'un  autre  sens  ,  comme  en  cette  figure, 
où  seroit  tout  votre  raisonnement  vers  la  droite  ? 
Mais  cela  doit  arriver  dans  votre  su  pposi  lion  même, 
et  dans  toute  autre,  par  la  raison  que  j'ai  dite,  qui 
est  conforme  aux  lois  de  la  nature  et  aux  prin- 
cipes ci-devant  établis. 


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LETTRES.  44g 

Pour  éclaircir  ceci  encore  davantage ,  suppo- 
sons pour  troisième  cas ,  comme  a  fait  M.  Des- 
cartes à  la  page  al ,  ligne  14  de  la  Dioptrique ,  que 
la  balle  ayant  été  premièrement  poussée  d'A  vers 
B  ,  rencontre  au  point  B  le  plan  CBE ,  qui  aug- 
mente la  force  de  son  mouvement ,  ou  sa  vitesse , 
d'un  tiers ,  en  sorte  qu  elle  puisse  faire  par  après 
autant  de  chemin  en  deux  moments  quelle  en  fai- 
soit  en  trois  auparavant  :  et  il  suit  manifestement 
qu  elle  doit  rejaillir  en  F ,  puisque  la  détermination 
vers  la  droite  ne  peut  être  augmentée  par  le  pian 
CBE ,  à  laquelle  il  n'est  aucunement  opposé;  et 
non  pas  en  K ,  comme  elle  devroit  faire,  si  votre 
raisonnement  étoit  véritable,  mais  qui  ne  le  peut 
être,  puisqu'il  est  contraire  aux  lois  de  la  nature  , 
et  même  contre  l'expérience,  qui  nous  montre  que 
la  réflexion  d'une  balle  et  celle  des  autres  sembla- 
bles corps  qui  ne  sont  pas  parfaitement  durs ,  ou 
qui  tombent  sur  d'autres  qui  affoiblissent  leur 
mouvement,  ne  se  fait  jamais  à  angles  égaux:  ainsi 
les  balles  les  plus  molles  ne  rebondissent  pas  si 
haut ,  ni  ne  font  pas  des  angles  de  réflexion  si 
grands  que  celles  qui  sont  plus  dures. 

Et  remarquez  que  puisqu'il  est  naturellement 
aisé  de  concevoir  que,  pour  faire  que  la  réflexion 
se  fasse  à  angles  égaux,  le  mouvement  ne  doit  en 
aucune  façon  être  augmenté  ni  diminué  par  la  ren- 
contre du  plan ,  il  semble  que  la  raison  nous  doive 

n 


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/pQ  LETTRES. 

aussi  naturellement  porter  à  croire  que,  lorsque  ce 
plan  l'augmente  ou  la  diminue,  l'angle  de  réflexion 
doit  être  à  proportion  ou  plus  grand  ou  plus  petit 
que  celui  d'incidence ,  et  non  pas  qu'il  doive  être 
toujours  égal ,  comme  il  suit  de  votre  raisonnement, 
qui  pour  cela  vous  doit  être  suspect ,  quoiqu'il  soit 
très  ingénieux. 

Mais,  me  direz- vous,  que  deviendra  donc  la  balle 
dans  la  supposition  que  j'ai  faite  à  la  fin  de  ma 
première  lettre,  à  l'occasion  de  la  figure  de  la 
page  22  ;  car  c'est  ici  le  point  de  la  difficulté,  et  enfin 
il  la  faut  tirer  de  ce  point  fatal,  où  elleparoit  mal- 
heureusement engagée  :  c'est  aussi  ce  que  je  pré- 
tends faire  maintenant  à  l'honneur  de  M.  Descartes, 
et  sans  faire  changer  de  biais  à  sa  logique,  en  me 
servant,  dans  le  cas  que  vous  proposez  ici,  du  même 
raisonnement  dont  je  me  suis  déjà  servi  quand 
j'ai  passé  à  votre  seconde  supposition. 

Si  donc  la  balle  étant  arrivée  au  point  B  ren- 
contre de  biais  le  plan  dur,  impénétrable  et  iné- 
branlable CBE,  et  qu'elle  perde  à  ce  point  B  une 
telle  partie  de  sa  vitesse  que  la  ligne  FE  étant  tirée 
comme  aux  exemples  précédents  soit  hors  du  cercle 

AD»  je  dis  °iue'  ou  vous  enten(^ez  <lue  *e  P*an 
contribue  à  la  perte  de  sa  vitesse ,  ou  vous  enten- 
dez qu'il  n'y  contribue  rien.  S'il  n'y  contribue  rien , 
on  ne  peut  pas  concevoir  autre  chose ,  sinon  que  la 
balle,  après  avoir  perdu  les  deux  tiers  de  sa  vitesse, 


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LETTRES.  45 1 

et  ayant  dans  cet  état  une  direction  déterminée  à 
aller  vers  D  en  un  certain  temps,  à  proportion  de 
la  force  ou  de  la  vitesse  qui  lui  reste ,  et  par  con- 
séquent d'avancer  aussi  selon  cette  force  d'une 
certaine  quantité  vers  la  droite  à  l'égard  du  plan 
CBE  qu'on  lui  suppose,  lequel  pourtant  n'est  point 
opposé  à  cette  direction  vers  la  droite ,  elle  doit 
rejaillir  étant  au  point  B,  comme  elle  feroit  au 
point  D,  ainsi  que  j'ai  dit  ci-dessus.  Et  voilà  là 
route  que  je  lui  aurois  marquée ,  qui  se  trouve 
conforme  à  la  vôtre  ;  mais  par  une  autre  raison  , 
qui  ne  m'oblige  point  à  changer  de  logique. 

Mais  remarquez  que  cette  supposition  même  est 
impossible,  qu'une  balle  perde  les  deux  tiers  de  sa 
vitesse  sans  la  rencontre  d'aucun  corps  qui  la  lui 
fasse  perdre. 

Que  si  maintenant  le  corps  CBE  contribue  à  la 
perte  de  la  vitesse,  cela  ne  se  peut  faire  en  suppo- 
sant le  corps  CBE  parfaitement  dur,  impénétrable 
et  inébranlable.  Car  le  mouvement  de  la  balle  ne 
peut  être  diminué  par  la  rencontre  d'un  corps, 
qu'en  tant  que  la  balle  lui  transfère  de  son  mou- 
vement ,  et  si  elle  lui  en  transfère ,  cela  ne  se  peut 
faire  que  du  sens  auquel  le  corps  CBE  lui  est  op- 
posé ;  et  par  conséquent  elle  ne  lui  peut  transférer 
de  son  mouvement  que  selon  cette  partie  de  sa 
direction  qui  la  fait  tendre  vers  lui,  et  jamais  la 
rencontre  du  corps  CBE  (que  Ton  doit  supposer 

*9- 


45?,  LKTTKES. 

parfaitement  uni)  ne  peut  diminuer  sa  direction 
vers  la  droite,  ou  parallèle  :  or,  il  est  aisé  de  con- 
clure que  si  la  balle  au  point  B  a  transféré  au  corps 
CBE  tout  le  mouvement  qui  la  faisoit  tendre  en 
bas,  elle  doit  continuer  son  mouvement  parallèle, 
et  rouler  sur  lui  en  avançant  autant  vers  la  droite 
qu'elle  faisoit  auparavant. 

Que  si  nonobstant  cela  vous  voulez,  contre  toute 
raison,  faire  cette  supposition  impossible  qu'elle 
perde  une  telle  partie  de  sa  vitesse  au  point  B 
qu'elle  ne  puisse  avancer  autant  vers  la  droite 
qu'elle  faisoit  auparavant,  et  par  conséquent 
qu'elle  ait  aussi  perdu  une  partie  du  mouvement 
qui  la  faisoit  avancer  vers  la  droite,  alors  je  vous 
dirai  qu'elle  roulera  sur  le  diamètre  avec  la  vitesse 
qui  lui  reste;  tout  de  même  que,  lorsque  vous 
supposez  que  sans  rencontrer  aucun  plan  elle  vient 
à  perdre  de  sa  vitesse,  elle  doit  continuer  son  che- 
min dans  la  même  ligne  droite  qu'elle  avoit  com- 
mencé à  parcourir;  et  ainsi  il  arrivera  la  même 
chose  à  cette  balle  que  si,  ayant  été  mue  avec  une 
certaine  vitesse  le  long  du  plan  CBE,  il  arrivoit 
qu'étant  au  point  B  (par  une  supposition  impos- 
sible et  sans  aucune  cause)  elle  vînt  à  perdre  une 
partie  de  sa  vitesse  :  elle  continueroit  son  chemin 
sur  le  même  plan  avec  la  vitesse  qui  lui  resteroit. 

Mais  remarquez  que  pour  trouver  quelque  chose 
de  défectueux  aux  raisonnements  de  M.  Descartes 


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LETTRES.  453 

il  en  faut  venir  à  des  suppositions  impossibles,  et 
partant  ce  ne  seroit  pas  merveille  quand  d'une 
impossibilité  posée  il  s  ensuivrait  une  absurdité. 

Par  tout  ce  que  dessus,  il  paroît  que  ce  que 
vous  dites  dans  votre  seconde  lettre  tombe  de  soi- 
même,  et  n'a  pas  besoin  de  réponse;  à  savoir,  que 
si  M.  Descartes  eût  pris  garde  qu'en  quelque  ma- 
nière que  la  vitesse  change ,  c'est-à-dire  augmente 
ou  diminue  au  point  B,  la  réflexion  ne  laisse  pas 
de  se  faire  à  angles  égaux,  il  n'eût  pas  été  en  peine, 
ni  ses  amis  non  plus,  de  tirer  la  balle  du  point  B , 
où  ils  l'ont  vue  malheureusement  engagée  dans 
l'exemple  de  ma  dernière  lettre;  il  n'eût  pas  sou- 
tenu que  la  vitesse  venant  à  changer  au  point  B , 
la  balle  ne  laisse  pas  d'avancer  vers  la  droite  au- 
tant qu'elle  faisoit  auparavant,  et  n'eût  pas  déduit 
d'un  fondement,  non  seulement  incertain,  mais 
encore  faux ,  sa  proportion  des  réfractions  Tout 
cela,  dis-je,  n'étant  plus  appuyé  d'aucunes  raisons 
valables,  se  détruit  de  soi-même;  aussi  bien  que  ce 
que  vous  ajoutez  à  la  fin  de  la  même  lettre,  à  sa- 
voir, que  le  second  milieu  se  pouvant,  comme  j'ai 
dit,  ouvrir  avec  une  égale  facilité  de  tous  cotés 
pour  faire  passage  à  la  balle,  et  que  la  balle  ayant 
toujours  une  même  aisance  à  pénétrer  le  second 
milieu  en  toutes  sortes  d'inclinations,  il  doit  suivre, 
dites-vous,  dans  l'application  du  raisonnement  de 
M.  Descartes ,  qu'en  toute  sorte  de  cas  la  réflexion 


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434  LETTRES. 

se  fera  de  même  à  angles  égaux,  et  que  la  pénétra- 
tion se  fera  de  même  en  tous  les  cas  en  ligne  droite, 
le  mouvement  de  dessous  en  ligne  droite  suivant 
les  mêmes  lois,  et  répondant  justement  au  mouve- 
ment de  dessus  à  angles  égaux.  Car  si  je  me  suis 
assez  fait  entendre,  vous  devez  maintenant  tirer 
d'autres  conclusions  que  celles-là  des  principes  de 
M.  Descartes,  et  devez  aussi ,  si  je  ne  me  trompe 
moi-même,  avoir  reconnu  Terreur  du  raisonnement 
duquel  vous  les  aviez  tirées;  et  partant  ne  dites 
plus  que  le  mouvement  de  la  balle  et  la  réfraction 
ne  se  ressemblent  que  par  la  comparaison  imagi- 
naire de  M.  Descartes ,  car  c'est  peut-être  la  plus 
juste  et  la  plus  claire  que  Ton  puisse  apporter  pour 
l'expliquer  :  mais  pour  cela  il  faut  considérer  la 
balle  sans  pesanteur,  sans  grosseur,  sans  figure, 
et  sans  changement  en  sa  vitesse  dans  toutes  les 
lignes  quelle  parcourt;  toutes  lesquelles  choses 
peuvent  causer  une  infinité  de  variétés  dans  la  ré- 
flexion et  la  réfraction  d'une  balle  :  mais  pource- 
qu'elles  n'ont  point  de  lieu  en  l'action  de  la  lu- 
mière, à  laquelle  se  doit  rapporter  tout  ce  qu'il  dit, 
M.  Descartes  ne  les  a  point  considérées  dans  le 
mouvement  de  cette  balle  dont  il  parle;  et  princi- 
palement il  n'a  point  considéré  cette  circonstance 
que  je  vous  prie  de  remarquer,  qui  est  la  plus 
commune  et  qui  peut  donner  le  plus  d'occasion 
de  douter  de  ce  qu'a  dit  M.  Descartes  :  c'est  à  sa- 


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LETTRES.  4^ 

voir,  que  d'autant  que  le  milieu  que  parcourt  une 
balle  lui  ôte  pour  l'ordinaire  à  tous  moments  une 
partie  de  sa  vitesse  par  le  transport  qu'elle  lui  en 
fait,  de  là  arrive  qu'une  balle  peut  avoir  perdu  au 
point  de  la  réflexion  la  moitié,  par  exemple,  de 
la  vitesse  qu'elle  avoit  au  commencement,  qu'elle 
ne  laissera  pas  de  réfléchir  à  angles  égaux,  à  cause 
qu'au  moment  qu'elle  vient  à  toucher  le  plan,  la 
vitesse  a  déjà  été  diminuée  par  le  milieu  qu'elle  a 
parcouru,  et  que  la  direction  qu'elle  a  alors  ne 
laisse  pas  de  la  déterminer  d'aller  suivant  la  même 
ligne,  où  sa  première  direction  la  portoit  quand 
elle  est  sortie  de  la  main  ou  de  dessus  la  raquette 
(pourvu  que  sa  pesanteur  ou  sa  grosseur,  sa  figure, 
n'aient  rien  changé  en  cela).  Et  ce  que  je  dis  de 
la  vitesse  quand  le  milieu  la  diminue  se  doit  aussi 
entendre  quand  elle  est  augmentée  à  tous  moments 
par  sa  pesanteur;  comme  lorsqu'une  balle  tombe 
le  long  d'un  plan  incliné,  elle  rejaillira  aussi  alors 
à  angles  égaux,  encore  que  sa  vitesse  se  trouve 
augmentée  au  point  de  la  réflexion,  et  cela  par  la 
même  raison,  à  savoir,  que  cette  augmentation  ne 
lui  vient  pas  du  plan,  mais  quelle  lavoit  avant 
que  de  le  rencontrer;  et  ainsi  vous  voyez  combien 
les  principes  de  M.  Descartes  sont  fermes,  et  ses 
raisonnements  bien  suivis.  Ce  qui  montre  que  la 
véritable  raison  des  réfractions  se  doit  tirer  du 
mouvement  et  des  déterminations  composées ,  en 


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456  LETTRES. 

les  examinant  comme  M.  Descartes  a  fait;  et  sans 
mentir,  M.  Descartes  étoit  un  homme  de  trop  de 
bon  sens,  et  qui  prenoit  garde  de  trop  près  aux 
choses,  pour  tomber  dans  des  fautes  ou  visibles, 
ou  grossières;  et  il  me  semble  qu'il  nous  a  donné 
sujet  d'avoir  assez  bonne  opinion  de  lui,  pour  croire 
plutôt  que  nous  nous  méprenons  en  ne  compre- 
nant pas  son  sens  et  ses  raisons,  que  non  pas  de 
croire  qu'il  se  soit  trompé,  au  moins  quand  l'er- 
reur où  nous  croyons  qu'il  soit  tombé  est  appa- 
rente et  grossière.  A  quoi  j'ajouterai  seulement 
que  puisque  les  diverses  expériences  qu'a  faites  ici 
M.  Petit  (que  vous  connoissez)  en  toutes  sortes  de 
corps  transparents  s'accordent  toutes  avec  la  pro- 
portion que  M.  Descartes  a  trouvée,  il  est  à  croire 
que  les  raisons  qui  la  lui  ont  fait  trouver  sont  vé- 
ritables :  car  le  moyen  d'arriver  en  tant  de  diffé- 
rents cas  si  justement  au  vrai  par  un  même  rai- 
sonnement, si  ce  raisonnement  étoit  faux. 

Que  si  après  tout  cela  vous  ne  voulez  pas  admettre 
les  conclusions  que  j'ai  tirées  des  principes  que 
M.  Descartes  a  établis,  recevez  au  moins  pour  vraie 
la  conclusion  de  cette  lettre ,  et  croyez  que  si  mes 
raisonnements  sont  fautifs,  les  protestations  de 
mon  cœur  sont  sincères ,  quand  je  vous  assure  que 
je  veux  être ,  etc. 


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LETTRES. 


LETTRE  DE  M.  DE  FERMAT 

A  M.  DE  LA  CHAMBRE, 

TOUCHANT  LA  DIOPTRIQUE- 

(Lettre  5o  du  tome  III.) 

A  Toulouse,  le  mois  d'août  1657. 

* 

Monsieur, 

Je  n'avois  garde  de  vous  obéir  lorsque  vous 
m'ordonniez  de  recevoir  votre  livre  sans  le  lire; 
le  présent  que  vous  m'en  avez  fait  est  une  marque 
trop  précieuse  de  l'amitié  dont  vous  m'honorez; 
mais  sa  lecture  m'a  fait  concevoir  l'idée  de  cette 
amitié,  comme  un  bien  qui  mérite  d'être  conservé 
avec  soin,  avec  respect  et  avec  estime.  Et  pour 
vous  le  faire  voir,  je  ne  vous  parlerai  point  de  vos 
autres  spéculations  de  physique,  quoiqu'elles 
soient  pleines  d'un  raisonnement  très  solide  et  très 
subtil;  il  me  suffira  de  vous  entretenir  un  peu  sur 
la  matière  de  la  réflexion  et  de  la  réfraction ,  quand 
ce  ne  seroit  que  pour  réparer  par  cette  lettre  la 
perte  d'un  discours  que  je  vous  avois  adressé  il  y 


458  LETTRES. 

a  déjà  quelques  années  sur  ce  même  sujet,  et  que 
j'ai  su  n'être  point  venu  en  vos  mains.  Ce  qui  m'y 
confirme  est  que  j'entre  par  là  dans  quelque  so- 
ciété d'opinion  avec  vous  ;  et  j'ose  même  vous  as- 
surer par  avance  que  si  vous  souffrez  que  je  joigne 
un  peu  de  ma  géométrie  à  votre  physique,  nous 
ferons  un  travail  à  frais  communs  qui  nous  mettra 
d'abord  en  défense  contre  M.  Descartes  et  tous 
ses  amis. 

Je  reconnois  premièrement  avec  vous  la  vérité 
de  ce  principe,  que  la  nature  agit  toujours  par  les 
voies  les  plus  courtes.  Vous  en  déduisez  très  bien 
légalité  des  angles  de  réflexion  et  d'incidence  ;  et 
l'objection  de  ceux  qui  disent  que  les  deux  lignes 
qui  conduisent  la  vue  ou  la  lumière  dans  le  miroir 
concave  sont  très  souvent  les  plus  longues  n'est 
point  considérable,  si  vous  supposez  seulement, 
comme  un  autre  principe  indisputable ,  que  tout 
ce  qui  appuie  ou  qui  fait  ferme  sur  une  ligne 
courbe,  de  quelque  nature  qu'elle  soit,  est  censé 
appuyer  ou  faire  ferme  sur  une  droite  qui  touche 
la  courbe  au  point  où  la  rencontre  se  fait;  ce  qui 
peut  être  prouvé  par  une  raison  de  physique, 
aidée  d'une  autre  de  géométrie.  Le  principe  de 
physique  est  que  la  nature  fait  ses  mouvements 
par  les  voies  les  plus  simples;  or,  la  ligne  droite 
étant  plus  simple  que  la  circulaire,  ni  que  pas  une 
autre  courbe  ,  il  faut  croire  que  le  mouvement  du 


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LETTRES.  4^9 

rayon  qui  tombe  sur  la  courbe  se  rapporte  plutôt 
à  la  droite  qui  touche  la  courbe,  qu'à  la  courbe 
même;  premièrement,  parceque  cette  droite  de 
l'attouchement  est  plus  simple  que  la  courbe  ;  secon- 
dement (et  c'est  ce  qui  s'emprunte  de  la  géométrie), 
parcequ'aucune  droite  ne  peut  tomber  entre  la 
courbe  et  la  touchante ,  par  un  principe  d'Euclide  ; 
de  sorte  que  le  mouvement  est  justement  le  même 
sur  la  droite  qui  touche  que  sur  la  courbe  qui  est 
touchée.  Et  cela  supposé,  on  ne  peut  jamais  dire 
que  les  deux  droites  qui  conduisent  la  lumière  ou 
le  rayon  soient  quelquefois  les  plus  longues  aux 
miroirs  concaves,  parcequ'en  ce  cas  même  elles  se 
trouvent  les  plus  courtes  de  toutes  celles  qui  peu- 
vent se  réfléchir  sur  la  droite  qui  touche  la  courbe; 
et  par  conséquent  il  ne  faut  ni  supposer  que  la 
nature  agisse  par  contrainte  en  ce  cas ,  ni  conclure 
qu'elle  suive  une  autre  manière  du  mouvement 
que  celle  qu'elle  pratique  aux  miroirs  plans,  et  en 
toute  autre  espèce  de  miroirs,  de  sorte  que  voilà 
votre  principe  pleinement  établi  pour  la  réflexion. 

Mais  puisqu'il  a  servi  à  la  réflexion,  pourrons- 
nous  en  tirer  quelque  usage  pour  la  réfraction  ?  Il 
me  semble  que  la  chose  est  aisée,  et  qu'un  peu  de 
géométrie  nous  pourra  tirer  d'affaire.  Je  ne  m'é- 
tendrai point  sur  la  réfutation  de  la  démonstration 
de  M.  Descartes,  je  la  lui  ai  autrefois  contestée,  à 
lui,  dis-je,  vivenli  algue  sentienti,  comme  disait 


460  LETTRES. 

Martial,  mais  il  ne  rae  satisfit  jamais.  L'usage  de 
ces  mouvements  composés  est  une  matière  bien 
délicate,  et  qui  ne  doit  être  traitée  et  employée 
qu'avec  une  très  grande  précaution.  Je  les  com- 
pare à  quelques  uns  de  vos  remèdes,  qui  servent 
de  poison  s'ils  ne  sont  bien  et  dûment  préparés. 
Il  me  suffit  donc  de  dire  en  cet  endroit  que 
M.  Descartes  n'a  rien  prouvé,  et  que  je  suis  de 
votre  sentiment,  en  ce  quev  ous  rejetez  le  sien. 

Mais  il  faut  passer  plus  outre,  et  trouver  la 
raison  de  la  réfraction  dans  notre  principe  com- 
mun, qui  est  que  la  nature  agit  toujours  par 
les  voies  les  plus  courtes  et  les  plus  aisées.  Il 
semble  d'abord  que  la  chose  ne  peut  point  réus- 
sir, et  que  vous  vous  êtes  fait  vous-même  une 
objection  qui  paroît  invincible;  car  puisque, 
dans  la  page  5i5  de  votre  livre,  les  deux  lignes 
CB,  BA,  qui  contiennent  l'angle  d'incidence  et 
celui  de  réfraction,  sont  plus  longues  que  la  droite 
ADG  qui  leur  sert  de  base  dans  le  triangle  ABC,  le 
rayon  de  C  en  A,  qui  contient  un  chemin  plus 
Court  que  celui  des  deux  lignes  GB, BA,  devroît  au 
sens  de  notre  principe  être  la  seule  et  véritable 
route  de  la  nature,  ce  qui  pourtant  est  contraire 
à  l'expérience.  Mais  on  peut  se  défaire  aisément  de 
cette  difficulté,  en  supposant  avec  vous,  et  avec 
tous  ceux  qui  ont  traité  de  cette  matière,  que  la 
résistance  des  milieux  est  différente,  et  qu'il  y  a 


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LETTRES.  4°l 

toujours  une  raison  ou  proportion  certaine  entre 
ces  deux  résistances,  lorsque  les  deux  milieux  sont 
d  une  consistance  certaine,  et  qu'ils  sont  uniformes 
entre  eux. 

Ne  vous  étonnez  pas  de  ce  que  je  parle  de  ré- 
sistance, après  que  vous  avez  décidé  que  le  mou- 
vement de  la  lumière  se  fait  en  un  instant,  et  que 
la  réfraction  n'est  causée  que  par  l'antipathie  na- 
turelle qui  est  entre  la  lumière  et  la  matière;  car, 
soit  que  vous  m'accordiez  que  le  mouvement  de  la 
lumière  sans  aucune  succession  peut  être  contesté 
et  que  votre  preuve  n'est  pas  entièrement  démons- 
trative, soit  qu'il  faille  passer  par  votre  décision, 
à  savoir  que  la  lumière  suit  l'abondance  de  la  ma- 
tière qui  lui  est  ennemie,  je  trouve  même  en  ce 
dernier  cas  que  puisque  la  lumière  fuit  la  matière, 
et  qu'on  ne  fuit  que  ce  qui  fait  peine  et  qui  ré- 
siste, on  peut,  sans  s'éloigner  de  votre  sentiment , 
établir  de  la  résistance  où  vous  établissez  de  la 
mite  et  de  l'aversion. 

*   »        •  •  *  * 

Soit  donc  par  exemple  en  votre  figure  le  rayon 
CB,  qui  change  de  milieu  au  point  B,  où  il  se 
rompt  pour  se  rendre  au  point  A;  si  ces  deux  mi- 
lieux étoient  les  mêmes ,  la  résistance  au  passage 
du  rayon  par  la  ligne  CB  seroit  à  la  résistance  au 
passage  du  rayon  par  la  ligne  BA  comme  la  ligne 
CB  à  la  ligne  BA;  car  les  milieux  étant  les  mêmes, 
la  résistance  au  passage  seroit  la  même  en  chacun 


46»  LETTRES. 

d'eux ,  et  par  conséquent  elle  garderoit  la  raison 
des  espaces  parcourus;  d'où  il  suit  que  les  milieux 
étant  différents,  et  la  résistance  par  conséquent 
différente ,  on  ne  peut  plus  dire  que  la  résistance 
au  passage  du  rayon  par  la  ligne  CB  soit  à  la  ré- 
sistance au  passage  du  rayon  par  la  ligne  B A  comme 
la  ligne  CB  à  la  ligne  BA;  mais  en  ce  cas  la  résistance 
par  la  ligne  CB  sera  à  la  résistance  par  la  ligne  BA 
comme  CB  à  une  autre  ligne  dont  la  raison  à  la  ligne 
B  A  exprimera  celle  des  deux  résistances  différentes. 
Comme  si  la  résistance  par  le  milieu  A  est  dou- 
ble de  la  résistance  par  le  milieu  C,  la  résistance 
par  CB  sera  à  la  résistance  par  BA  comme  la  ligne 
CB  au  double  de  la  ligne  BA;  et  si  la  résistance  par 
le  milieu  C  est  double  de  la  résistance  par  le  mi- 
lieu A ,  la  résistance  par  CB  sera  à  la  résistance  par 
BA  comme  la  ligne  CB  à  la  moitié  de  la  ligne  BA; 
de  sorte  qu'en  ces  deux  cas ,  les  deux  résistances 
par  CB  et  par  BA  étant  jointes ,  pourront  être  ex- 
primées, ou  par  la  ligne  CB  jointe  à  la  moitié  de 
la  ligne  BA ,  ou  par  la  ligne  CB  jointe  au  double 
de  BA. 

Vous  voyez  déjà  sans  doute  la  conclusion  de  ce 
raisonnement;  car,  soient  donnés,  par  exemple,  les 
deux  points  C  et  A,  en  deux  milieux  différents, 
séparés  par  la  ligne  DB,  et  qui  soient  de  telle  na- 
ture que  la  résistance  de  l'un  soit  double  de  celle 
de  l'autre ,  il  faut  chercher  le  point  B  ,  auquel  le 


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LETTRES.  4^3 

rayon  qui  va  de  C  en  A ,  ou  cTA  en  G ,  soit  coupé 
ou  rompu. 

Si  nous  supposons  que  la  chose  est  déjà  faite , 
et  que  la  nature  agit  toujours  par  les  voies  les  plus 
courtes  et  les  plus  aisées ,  la  résistance  par  CB , 
jointe  à  la  résistance  par  BA,  contiendra  la  somme 
des  deux  résistances ,  et  cette  somme ,  pour  satis- 
faire au  principe ,  doit  être  la  moindre  de  toutes 
celles  qui  se  peuvent  rencontrer  en  quelque  autre 
point  que  ce  soit  de  la  ligne  DB  ;  or,  ces  deux  ré- 
sistances jointes  sont  en  ce  cas,  comme  uous  avons 
prouvé  ,  représentées ,  ou  par  la  ligne  CB ,  jointe 
à  la  moitié  de  BA,  ou  par  la  même  ligne  CB,  jointe 
au  double  de  BA. 

La  question  se  réduit  donc  à  ce  problème  de 
géométrie  :  étant  donnés  les  deux  points  C  et  A  , 
et  la  droite  DB ,  trouver  un  point  dans  la  droite 
DB,  auquel,  si  vous  conduisez  les  droites  CB  et  AB, 
la  somme  de  CB  et  de  la  moitié  de  BA  contienne 
la  moindre  de  toutes  les  sommes  pareillement  pri- 
ses ,  ou  bien  que  la  somme  de  CB  et  du  double  de 
BA  contienne  la  moindre  de  toutes  les  sommes 
pareillement  prises ,  et  le  point  B  qui  sera  trouvé 
par  la  construction  de  ce  problème  sera  le  point 
où  se  fera  la  réfraction. 

Vous  voyez  par  là  qu'il  faut  que  le  rayon  se  coupe 
et  se  rompe  lorsque  les  milieux  sont  différents;  car 
bien  que  la  somme  des  deux  lignes  CB  et  BA  soit 


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4(54  LETTRES. 

toujours  plus  grande  que  la  somme  des  deux  lignes 
CD  et  DA ,  ou  que  la  toute  CA ,  néanmoins  la  ligne 
CB  jointe  à  la  moitié  ou  au  double  de  BA  peut 
être  plus  courte  que  la  ligne  CD  jointe  à  la  moitié 
ou  au  double  de  DA. 

Je  vous  avoue  que  ce  problème  n'est  pas  des  plus 
aisés  ;  mais  puisque  la  nature  le  fait  en  toutes  les 
réfractions  pour  ne  se  départir  pas  de  sa  façon  d a- 
gir  ordinaire,  pourquoi  ne  pourrons-nous  pas 
l'entreprendre? 

Je  vous  garantis  par  avance  que  j'en  ferai  la  so- 
lution quand  il  vous  plaira  ,  et  que  j'en  tirerai 
même  des  conséquences  qui  établiront  solidement 
la  vérité  de  notre  opinion.  J'en  déduirai  d'abord 
que  le  rayon  perpendiculaire  ne  se  rompt  point , 
que  la  lumière  se  rompt  dès  la  première  surface 
sans  plus  changer  le  biais  qu'elle  a  pris  ;  que  le 
rayon  rompu  s'approche  quelquefois  de  la  perpen- 
diculaire, et  qu'il  s'en  éloigne  quelque  autre  fois,  à 
mesure  qu'il  passe  d'un  milieu  rare  dans  un  plus 
dense  ,  ou  au  contraire  ;  et ,  en  un  mot ,  que  cette 
opinion  s'accorde  exactement  avec  toutes  les  appa- 
rences. De  sorte  que  si  elle  n'est  pas  vraie,  on  peut 
dire  ce  que  disoit  Galilée  en  un  sujet  différen  t, 
que  la  nature  semble  nous  lavoir  inspirée,  per  pi- 
gliarsi  gioccon  ostri  ghiribizzi. 

Mais  j'ai  tort  de  ne  songer  pas  que  le  sujet  de 
cette  lettre  ne  devoit  être  qu'un  remerciement.  Je 


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I 


LETTRES.  465 

vous  conjure ,  monsieur  ,  d'excuser  sa  longueur, 
quand  ce  ne  seroit  que  par  l'intérêt  que  vous  y 
avez,  et  de  la  recevoir  en  tout  cas  comme  un  té- 
moignage de  l'estime  que  j'ai  pour  votre  savoir,  et 
du  respect  avec  lequel  je  suis,  etc. 


—  --------  ■  t-  tii%\~m.tvt)%jmm 


LETTRE  DE  M.  DE  FERMAT 

é 

A  M.  DE  LA  CHAMBRE, 

TOUCHANT  LA  IHOPTRIOIÎF.. 

» 

(Lettre  5i  du  tome  III.) 


A  Toulouse ,  \v  irr  jour  de  Tan  rfifir*. 


Monsieur, 


11  est  juste  de  vous  obéir,  et  de  terminer  enfin 
par  votre  entremise  le  vieux  démêlé  qui  a  été  de- 
puis si  long-temps  entre  M.  Descartes  et  moi,  sur 
le  sujet  de  la  réfraction ,  et  peut-être  serai-je  assez 
heureux  pour  vous  proposer  une  paix  que  vous 
trouverez  avantageuse  à  tous  les  deux  partis. 

Je  vous  ai  dit  autrefois  dans  ma  première  lettre 
que  M.  Descartes  n'a  jamais  démontré  son  principe; 
qu'outre  que  les  comparaisons  ne  servent  guère  à 


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466  LETTR  ES. 

fonder  des  démonstrations,  il  emploie  la  sienne  à 
contre-sens ,  et  suppose  même  que  le  passage  de  la 
lumière  est  plus  aisé  par  les  corps  denses  que  par 
les  rares ,  ce  qui  est  apparemment  faux.  Je  ne  vous 
dis  rien  du  défaut  de  la  démonstration  en  elle- 
même,  quand  bien  la  comparaison  dont  il  se  sert 
seroit  bonne  et  admissible  en  cette  matière,  pour- 
ceque  j'ai  traité  tout  cela  bien  au  long  dans  mes 
lettres  à  M.  Descartes  pendant  sa  vie ,  ou  dans  celles 
que  j'ai  écrites  à  M  Clerselier  depuis  sa  mort.  J'a- 
joute seulement  qu'ayant  vu  le  même  principe  de 
M.  Descartes  dans  plusieurs  auteurs  qui  ont  écrit 
après  lui ,  leurs  démonstrations,  non  plus  que  la 
sienne ,  ne  me  paroissent  point  recevables  ,  et  ne 
méritent  point  de  porter  ce  nom.  Herigone  se  sert 
pour  le  démontrer  des  équipondérants,  et  de  la 
raison  des  poids  sur  les  plans  inclinés;  le  père 
Maignan  y  veut  parvenir  d'une  autre  manière: 
mais  il  est  aisé  de  voir  qu'ils  ne  démontrent  ni  l'un 
ni  l'autre,  et  qu'après  avoir  lu  et  examiné  avec  soin 
leurs  démonstrations  ,  nous  sommes  aussi  incer- 
tains de  la  vérité  du  principe  qu'après  avoir  lu 
M.  Descartes. 

Pour  sortir  de  cet  embarras,  et  tâcher  de  décou- 
vrir la  véritable  raison  de  la  réfraction ,  je  vous  in- 
diquai dans  ma  lettre  que  si  nous  voulions  em- 
ployer dans  cette  recherche  ce  principe  si  commun 
et  si  établi ,  que  la  nature  agit  toujours  par  les  voies 


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LETTRES.  4O7 

les  plus  courtes  9  nous  pourrions  y  trouver  facile- 
ment notre  compte.  Mais  parceque  nous  doutâmes 
d'abord  que  la  nature ,  en  conduisant  la  lumière 
parles  deux  côtés  d'un  triangle,  puisse  jamais  agir 
par  une  voie  aussi  courte  que  si  elle  la  conduisoit 
par  la  base  ou  par  la  sous-tendante ,  je  m'en  vais 
vous  faire  voir  le  contraire  de  votre  sentiment, 
ou  plutôt  de  votre  doute ,  par  un  exemple  aisé. 
Soit  en  la  figure  le  cercle  ACBG,  duquel  le  dia- 
mètre soit  AOB ,  le  centre  O,  ejt  un  autre  diamè- 
tre GOC;  des  point  G  et  C  soient  tirées  les  per- 
pendiculaires sur  le  premier  diamètre  GH ,  CD. 
Supposons  que  le  premier  diamètre  AOB  sépare 
deux  milieux  différents,  dont  l'un  qui  est  celui  de 
dessous  AGB  soit  le  plus  dense ,  et  celui  de  dessus 
ACB  soit  le  plus  rare,  en  telle  sorte,  par  exemple, 
que  le  passage  par  le  plus  rare  soit  plus  aisé  que 
celui  par  le  plus  dense  en  raison  double.  Il  suit 
de  cette  supposition  que  le  temps  qu'emploie  le 
mobile ,  ou  la  lumière  de  C  en  O ,  est  moindre 
que  celui  qui  les  conduit  d'O  en  G;  et  que  le  temps 
du  mouvement  de  C  en  O,  qui  se  fait  dans  le  mi- 
lieu  le  plus  rare,  n'est  que  la  moitié  du  temps  du 
mouvement  d'O  en  G  ;  et  par  conséquent  la  me- 
sure du  mouvement  entier  parles  deux  droites CO 
et  OG  peut  être  représentée  par  la  somme  de  la 
moitié  de  CO  et  de  la  totale  OG.  De  même,  si  vous 
prenez  un  autre  point  comme  F,  le  temps  du  mou- 

3o. 


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/|68  LITTR1S. 

vement  par  les  deux  droites  CF  et  FG  peut  être 
représenté  par  la  somme  de  la  moitié  de  CF  et  de 
la  totale  FG.  Supposons  maintenant  que  le  rayon 
CO  soit  10,  et  par  conséquent  le  diamètre  total 
COG  sera  20  ;  que  la  droite  IlO  soit  8  ,  la  droite 
OD  soit  aussi  8 ,  et  qu'enlin  la  droite  OF  ne  soit 
que  1  :  je  dis  qu'en  ce  cas  le  mouvement  qui  se  fait 
par  la  droite  COG  se  fera  dans  un  temps  plus  long 
que  celui  qui  se  fait  par  les  deux  côtés  du  triangle 
CF,  FG. 

Car  si  nous  prouvons  que  la  moitié  de  CO  jointe 
à  !a  totale  OG  contient  plus  que  la  moitié  de  CF 
jointe  à  la  totale  FG ,  la  conclusion  sera  manifeste , 
puisque  ces  deux  sommes  sont  justement  la  me- 
sure du  temps  de  ces  deux  mouvements  ;  or  la 
somme  de  la  moitié  de  CO  et  de  la  totale  OG  fait 
justement  i5.  Et  il  est  évident  par  la  construction 
que  la  droite  CF  est  égale  à  la  racine  carrée  de  j  17, 
et  que  la  droite  FGest  égale  à  la  racine  carrée  de  85. 
Mais  la  moitié  de  la  première  racine  jointe  à  la  se- 
conde fait  moins  que  69 et  4 ,  et  59  et  4  sonttencore 
moindres  que  1 5.  Donc  la  somme  de  la  moitié  de 
CF  et  de  la  totale  FG  est  moindre  que  la  somme 
de  la  moitié  de  CO  et  de  la  totale  OG,  et  partant 
le  mouvement  par  les  deux  droites  CF,  FG  se  fait 
plus  tôt  et  en  moins  de  temps  que  par  la  base  ou 
sous-tendante  COG. 

Je  suis  venu  jusque  là  sans  beaucoup  de  peine  ; 


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LETTRES.  4  $9 

mais  il  a  fallu  porter  la  recherche  plus  loin  ;  et 
parceque,  pour  satisfaire  à  mon  principe,  il  ne 
suffit  pas  d'avoir  trouvé  un  point  comme  F ,  par 
où  le  mouvement  naturel  se  fait  plus  vite ,  plus 
aisément  et  en  moins  de  temps  que  par  la  droite 
COG,  mais  qu'il  faut  encore  trouver  le  point  qui 
fait  la  conduite  en  moins  de  temps  que  quelque 
autre  que  ce  soit ,  pris  des  deux  côtés,  il  ma  été 
nécessaire  d'avoir  en  cette  occasion  recours  à  ma 
méthode  De  maximis  et  minimis ,  qui  expédie  ces 
sortes  de  questions  avec  assez  de  succès. 

Dès  que  j'ai  voulu  entreprendre  cette  analyse  , 
j'ai  eu  deux  obstacles  à  surmonter  :  le  premier,  que 
bien  que  je  fusse  assuré  de  la  vérité  de  mon 
principe ,  et  qu'il  n'y  ait  rien  de  si  probable  ni  de 


•Il 

Jf 

toujours  par  les  moyens  les  plus  aisés,  c'est-à-dire, 
ou  par  les  lignes  les  plus  courtes  lorsqu'elles 
n'emportent  pas  plus  de  temps  ,  ou  en  tout  cas 
par  le  temps  le  plus  court,  afin  d'accourcir  son 
travail  et  devenir  plus  tôt  à  bout  de  son  opération 
(  ce  que  le  présent  calcul  confirme  d'autant  plus, 
qu'il  paroît  par  là  que  la  lumière  a  plus  de  diffi- 
culté à  traverser  les  milieux  denses  que  les  rares, 
puisque  vous  voyez  que  la  réfraction  vise  vers  la 
perpendiculaire  dans  mon  exemple,  ainsi  que  l'ex- 
périence le  confirme,  ce  qui  pourtant  est  contraire 
à  la  supposition  de  M.  Descartes  ),  néanmoins  j'ai 


47°  LETTRES. 

été  averti  de  tous  côtés ,  et  principalement  par 
M.  Petit, que  j'estime  infiniment,  que  les  expé- 
riences s'accordent  exactement  avec  la  proportion 
que  M.  Descartes  a  donnée  aux  réfractions  ;  et  que , 
bien  que  sa  détermination  soit  fautive ,  il  est  à 
craindre  que  je  tenterai  inutilement  d'introduire 
une  proportion  différente  de  la  sienne  ,  et  que  les 
expériences  qui  se  feront  après  que  j'aurai  publié 
mon  invention  la  pourront  détruire  sur  l'heure. 
Le  second  obstacle  qui  s'est  opposé  à  ma  recher- 
che a  été  la  longueur  et  la  difficulté  du  calcul ,  qui , 
dans  la  résolution  du  problème  dont  je  vous  parlai 
dans  ma  lettre ,  et  que  je  vous  témoignois  n'être 
pas  des  plus  aisés  ,  présente  d'abord  quatre  lignes 
par  leurs  racines  carrées ,  et  engage  par  conséquent 
en  des  asymétries  qui  aboutissent  à  une  très  grande 
longueur. 

Je  me  suis  défait  du  premier  obstacle  par  la  con- 
noissance  que  j'ai  qu'il  y  a  infinies  proportions , 
différentes  de  la  véritable ,  qui  approchent  d'elle 
si  insensiblement,  qu'elles  peuvent  tromper  les 
plus  habiles  et  les  plus  exacts  observateurs.  Ainsi 
n'y  ayant  que  le  second  obstacle  à  vaincre ,  je  m'é- 
tois  résolu  très  souvent  d'employer  la  bien-aimée 
géométrie],  c'est  ainsi  que  Plutarque  l'appelle ,  pour 
vous  satisfaire,  et  pour  me  satisfaire  moi-même» 
mais  l'appréhension  de  trouver,  après  une  longue 
et  pénible  opération ,  quelque  proportion  irrégu- 


LETTRES.  4/1 

lière  et  fantasque ,  et  la  pente  naturelle  que  j'ai 
vers  la  paresse,  ont  laissé  la  chose  en  cet  état,  jus- 
qu'à la  dernière  semonce  que  M.  le  président  de 
Mi  remont  vient  de  me  faire  de  votre  part ,  que  je 
prends  pour  une  loi  plus  forte  que  ni  mon  appré- 
hension ni  ma  paresse  ;  si  bien  que  je  me  suis  ré- 
solu de  vous  obéir  sans  autre  retardement. 

J'ai  donc  procédé  sans  remise,  en  vertu  de  l'o- 
bédience, comme  parlent  les  moines,  à  l'exécution 
de  vos  ordres  ;  et  j'ai  fait  l'entière  analyse  en  forme, 
dans  laquelle  le  désir  passionné  que  j'ai  eu  de  vous 
satisfaire  m'a  inspiré  une  route  qui  a  abrégé  la 
moitié  de  mon  travail ,  et  qui  a  réduit  les  quatre 
asymétries  que  j'avois  eues  en  vue  la  première  fois 
à  deux  seulement,  ce  qui  m'a  notablement  sou- 
lagé. 

Mais  le  prix  de  mon  travail  a  été  le  plus  extraor- 
dinaire, le  plus  imprévu  et  le  plus  heureux  qui 
fut  jamais  ;  car  après  avoir  couru  par  toutes  les 
équations,  multiplications,  antithèses,  et  autres 
opérations  de  ma  méthode,  et  avoir  enfin  conclu 
le  problème  que  vous  verrez  dans  un  feuillet  sé- 
paré, j'ai  trouvé  que  mon  principe  donnoit  juste- 
ment et  précisément  la  même  proportion  aux  ré- 
fractions que  M.  Descartes  a  établie. 

J'ai  été  si  surpris  d'un  événement  si  peu  attendu, 
que  j'ai  peine  à  revenir  de  mon  étonnement;  j'ai 
réitéré  mes  opérations  algébriques  diverses  fois, 


47  ar  LETTRES. 

et  toujours  le  succès  a  été  le  même,  quoique  ma 
démonstration  suppose  que  le  passage  de  la  lu- 
mière par  les  corps  denses  soit  plus  malaisé  que 
par  les  rares;  ce  que  je  crois  très  vrai  et  indispu- 
table,  et  que  néanmoins  M.  Descartes  suppose  le 
contraire. 

Que  devons-nous  conclure  de  tout  ceci  ?  Ne  suf- 
fira-t-il  pas,  monsieur ,  aux  amis  de  M.  Descartes 
que  je  lui  laisse  la  possession  libre  de  son  théorème?1 
N  aura-t-il  pas  assez  de  gloire  d'avoir  connu  les 
démarches  de  la  nature  dans  la  première  vue ,  et 
sans  l'aide  d'aucune  démonstration  ;  je  lui  cède 
donc  la  victoire  et  le  champ  de  bataille,  et  je  me 
contente  que  M.  Clerselier  me  laisse  entrer  du 
moins  dans  la  société  de  la  preuve  de  cette  vérité 
si  importante,  et  qui  doit  produire  des  consé- 
quences si  admirables. 

J'ajoute  même,  en  faveur  de  son  ami,  qu'il 
semble  que  cette  grande  vérité  naturelle  n  a  pas 
osé  tenir  devant  ce  grand  génie,  et  qu'elle  s'est  ren- 
due et  découverte  à  lui  sans  s'y  laisser  forcer  par 
la  démonstration,  à  l'exemple  de  ces  places  qui, 
quoique  bonnes  d'ailleurs,  et  de  difficile  prise,  ne 
laissent  pas,  sur  la  seule  réputation  de  celui  qui  les 
attaque ,  de  se  rendre  à  lui  sans  attendre  le  canon. 

Je  vous  annonce  donc,  monsieur,  j'annonce  à 
M.  Clerselier,  et  à  tous  les  amis  de  M.  Descartes  r 
qu'il  ne  tiendra  plus  à  l'incrédulité  des  géomètres r 


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LETTRES. 

qu'on  ne  doive  attendre  ces  merveilles  que  M.  Des- 
cartes a  fait  espérer  avec  raison  de  ses  lunettes 
elliptiques  et  hyperboliques ,  pourvu  qu'on  puisse 
trouver  des  ouvriers  assez  habiles  pour  les  faire 
et  pour  les  ajuster. 

Il  resteroit  encore  une  petite  difficulté,  que  la 
comparaison  de  M.  Descartes  semble  produire: 
c'est  qu'il  ne  paroît  pas  encore  pourquoi  la  balle 
qui  est  poussée  dans  l'eau  n'approche  pas  de  la 
perpendiculaire,  ainsi  que  la  lumière  ;  mais  outre 
qu'on  pourroit  soupçonner  que  la  réflexion  se 
mêle  dans  cet  exemple  à  la  réfraction,  et  que  la 
figure  ou  la  pesanteur  peuvent  contribuer  à  la  dif- 
férence de  ce  mouvement,  je  n'ai  garde  d'entrer 
dans  une  matière  purement  physique  :  ce  seroit 
entreprendre  sur  vous,  monsieur,  qui  en  êtes  le 
maître,  et  faire  irruption  dans  votre  domaine.  Je 
finis  donc ,  après  vous  avoir  déclaré  que  je  con- 
sens ,  si  vous  le  trouvez  à  propos ,  que  l'accommo- 
dement entre  les  cartésiens  et  moi  soit  publié  dans 
les  académies  ;  et  après  vous  avoir  conjuré  de  re- 
cevoir au  moins  l'effet  de  ma  prompte  obéissance 
pour  une  preuve  certaine  et  plus  que  démonstra- 
tive de  la  passion  avec  laquelle  je  suis,  etc. 

Si  vous  persistez  toujours  à  n'accorder  pas  un 
mouvement  successif  à  la  lumière,  et  à  soutenir 
qu'il  se  fait  en  un  instant,  vous  n'avez  qu'à  com- 
parer ou  la  facilité ,  ou  la  fuite  et  résistance  plus 


474  LETTRES. 

ou  moins  grande,  à  mesure  que  les  milieux  chan- 
gent ;  car  cette  facilité  ou  cette  résistance  étant 
plus  ou  moins  grande  en  différents  milieux ,  et  ce 
en  une  proportion  diverse,  à  mesure  que  les  mi- 
lieux diffèrent  davantage ,  elles  pourront  être  con- 
sidérées en  une  raison  certaine,  et  par  conséquent 
tomber  dans  le  calcul,  aussi  bien  que  le  temps  du 
mouvement ,  et  ma  démonstration  y  servira  tou- 
jours d'une  même  manière. 

Je  n'ai  pas  étendu  mon  opération  tout  en- 
tière :  il  n'a  pas  été  nécessaire,  puisque  ma  mé- 
thode est  imprimée  tout  au  long  dans  le  sixième 
tome  du  Cours  mathématique  d'Hèrigone ,  et  que 
j'en  ai  assez  dit  pour  être  entendu.  Si  vous  m'or- 
donnez de  parcourir  tous  les  détours  de  l'analyse 
en  forme,  je  le  ferai;  et  je  n'aurai  pas  même 
beaucoup  de  peine  à  faire  la  démonstration  par 
la  composition,  c est-à-dire  en  parlant  le  langage 
d'Euclide. 

ANALYSE  POUR  LES  RÉFRACTIONS. 

(Version.) 

Soit  le  cercle  ADBI  1 ,  dont  le  diamètre  ADB 
sépare  deux  milieux  de  diverse  nature ,  le  plus 
rare  desquels  soit  du  côté  ACB,  et  le  plus  dense 
du  coté  À1B.  Que  le  centre  du  cercle  soit  1),  où 
tombe  le  rayon  CD  du  point  donné  C;  il  est 


»  Figure  i  \. 


LETTRES. 

question  de  chercher  le  rayon  diaclastique  DI, 
c'est-à-dire  de  trouver  le  point  I,  où  tend  Je  rayon 
rompu. 

Pour  le  faire  soient  menées  sur  le  diamètre  les 
deux  lignes  droites  perpendiculaires  CF,  IH.  Et 
puisque  le  point  C  est  donné,  avec  le  diamètre 
AB ,  et  le  centre  D ,  le  point  F  est  aussi  donné ,  et 
la  ligne  droite  FD. 

De  plus,  que  la  raison  des  milieux,  c'est-à-dire 
que  la  raison  de  la  résistance  du  milieu  le  plus 
dense  soit  à  la  résistance  du  milieu  le  plus  rare 
comme  la  ligne  droite  donnée  DFà  une  autre  mise 
hors  le  cercle,  à  savoir  M,  laquelle  sera  plus  pe- 
tite que  la  ligne  droite  DF,  puisque,  par  une  raison 
plus  naturelle,  la  résistance  du  milieu  le  plus  rare 
est  moindre  que  celle  du  plus  dense. 

Nous  avons  donc  à  mesurer  les  mouvements  qui 
se  font  par  les  lignes  droites  CD  et  DI,  par  le 
moyen  des  deux  lignes  droites  M  et  DF,  c'est-à- 
dire  que  le  mouvement  qui  se  fait  par  les  deux 
lignes  droites  CD  et  HI  est  représenté  par  la 
somme  des  deux  rectangles,  dont  l'un  est  contenu 
sous  les  lignes  CD  et  M,  et  l'autre  sous  les  lignes 
DI  et  DF. 

La  question  se  réduit  donc  à  ce  point,  de  cou- 
per tellement  le  diamètre  AB  au  point  H,  qu'ayant 
mené  de  ce  point-là  la  perpendiculaire  HI,  et  ayant 
joint  du  centre  D  au  point  I  la  ligne  DI,  il  arrive 


47°  lut  rats. 

cjue  la  somme  des  deux  rectangles  sous  CD  et  M 
et  sous  DI  et  DF  contienue  le  moindre  espace. 

Et,  afin  d'en  venir  à  bout  par  notre  mé- 
thode, qui  a  déjà  eu  cours  parmi  les  géomètres, 
et  qu'Hérigone  a  rapportée  dans  le  sixième  tome 
de  son  Cours  de  mathématique ,  il  y  a  près  de 
vingt  ans  : 

Que  le  rayon  CD  qui  est  donné  soit  nommé  N, 
le  rayon  DI  sera  aussi  N;  que  la  droite  DF  soit 
nommée  B,  et  soit  supposé  que  la  ligne  droite 
DH  soit  A;  il  faut  donc  que  NM  f  NB  soit  la 
moindre  quantité. 

Concevons  que  la  ligne  droite  DO  prise  à  dis- 
crétion est  égale  à  l'inconnue  E,  puis  joignons  les 
deux  lignes  droites  Cl),  OI.  Le  carré  de  la  ligne 
droite  CO,  parlant  en  termes  analytiques,  sera  N 
2  -j-  E  2-2  BE;  et  le  carré  de  la  droite  01  sera 
N  2  f  E  2  f  2  AE,  par  conséquent  le  rectangle  con- 
tenu sous  les  deux  lignes  CO  et  M  sera,  selon  ces 
mêmes  termes  analytiques,  la  racine  carrée  de  M  2 
N  2  -f-  M  2  E  2  -  2  M  2  BE,  et  le  rectangle  contenu 
sous  les  deux  lignes  01  et  B  sera  la  racine  carrée 
deB2N2fB2E2f2B2  AE.  Or,  ces  deux 
rectangles  doivent,  selon  les  préceptes  de  l'art, 
être  égaux  aux  deux  rectangles  MN  et  BN. 

Après  cela  il  faut  carrer  le  tout,  afin  d'en  ôter 
l'asymétrie,  et  après  avoir  retranché  les  termes 
communs ,  et  avoir  mis  d'un  côté  le  terme  asy- 


LETTRES. 

métrique,  on  carrera  derechef  le  resle,  après 
quoi,  ayant  ôté  les  termes  communs,  et  divisé  les 
autres  par  E,  et  ayant  enfin  retranché  les  termes 
homogènes  qui  sont  affectés  de  la  lettre  E ,  selon 
les  préceptes  de  notre  méthode,  qui  est  connue 
depuis  long-temps  de  tout  le  monde,  puis  ayant 
fait  un  parabolisme,  il  arrive  enfin  une  équation 
très  simple  entre  A  et  M;  c'est-à-dire  que  depuis 
le  premier  jusqu'au  dernier,  et  ayant  ôté  tous  les 
obstacles  des  asymétries,  il  se  trouve  enfin  que  la 
ligne  droite  DH  dans  la  figure  est  égale  à  la  ligne 
droite  M. 

D'où  Ton  voit  que  le  point  diaclastique  se  trouve 
de  la  sorte.  Si  après  avoir  mené  les  deux  lignes 
droites  DC  et  CF,  l'on  fait  que  comme  la  résis- 
tance du  milieu  dense  est  à  la  résistance  du  milieu 
rare,  ou  bien  comme  B  est  à  M,  ainsi  la  droite 
FD  soit  à  la  droite  DH,  et  que  du  point  H  l'on 
élève  sur  le  diamètre  la  perpendiculaire  HI,  qui 
rencontre  le  cercle  au  point  I,  ce  point  sera  celui 
où  la  réfraction  portera  le  rayon.  Et  partant  le  rayon 
passant  d'un  milieu  rare  dans  un  dense,  se  rompra 
en  approchant  de  la  perpendiculaire.  Ce  qui  s'ac- 
corde entièrement  et  généralement  avec  le  théorème 
de  M.  Descartes,  dont  notre  analyse  a  fait  voir  la 
démonstration  très  exacte  tirée  de  notre  principe. 

M.  Descartes,  très  savant  géomètre,  a  proposé 
une  raison  des  réfractions,  laquelle,  à  ce  que  Ton 


47$  LETTRES. 

dit,  est  conforme  à  l'expérience;  mais  pour  en  faire 
la  démonstration,  il  a  demandé  qu'on  lui  accordât, 
et  on  a  été  obligé  de  le  faire,  que  le  mouvement 
de  la  lumière  se  faisoit  plus  facilement  et  plus 
vite  par  un  milieu  dense  que  par  un  rare;  ce  qui 
toutefois  semble  contraire  à  la  lumière  naturelle. 
Or,  cela  nous  ayant  porté  à  tâcher  de  déduire  la 
vraie  raison  des  réfractions  d'un  axiome  tout  con- 
traire, savoir  est  que  le  mouvement  de  la  lumière 
se  fait  plus  facilement  et  plus  vite  par  un  milieu 
rare  que  par  un  dense,  il  est  arrivé  néanmoins 
que  je  suis  tombé  dans  la  même  proportion  que 
M.  Descartes.  Cependant  je  laisse  aux  plus  subtil  set 
sévères  géomètres  à  voir  si  Ton  peut  par  une  voie 
tout  opposée  rencontrer  la  même  vérité  sans 
tomber  dans  le  paralogisme;  car  pour  moi,  pour 
parler  sans  feintise,  j'aime  beaucoup  mieux  con- 
noîlre  certainement  la  vérité  que  de  m'arrêter 
plus  long-temps  à  des  débats  et  contentions  su- 
perflues et  inutiles. 

La  démonstration  que  j'avance  est  appuyée  sur 
ce  seul  postulat  ou  fondement ,  savoir  est ,  Natu- 
ram  per  vias  breviores  operari ,  c'est-à-dire  que  la 
nature  agit  par  les  moyens  ou  par  les  voies  les 
plus  faciles  et  les  plus  promptes;  car  c'est  ainsi 
que  j'estime  que  l'on  doit  entendre  cet  axiome , 
et  non  pas  comme  font  plusieurs ,  que  la  nature 
agit  toujours  par  les  lignes  les  plus  courtes. 


L  F.TTRE S. 

Car  tout  de  même  que  quand  Galilée  examine 
le  mouvement  naturel  des  corps  pesants,  il  ne  le 
mesure  pas  tant  par  l'espace  que  par  le  temps  ; 
de  même  je  ne  considère  point  ici  l'espace  plus 
petit  ou  la  ligne  la  plus  courte ,  mais  ce  qui  se 
peut  parcourir  plus  promptement ,  plus  commo- 
dément, et  en  moins  de  temps. 

Cela  posé ,  supposons  deux  milieux  de  diverse 
nature  dans  cette  première  figure1,  et  que  le  dia- 
mètre ÀNB  du  cercle  AHBMV  sépare  ces  deux 
milieux,  dont  l'un ,  qui  est  du  côté  de  M,  soit  le  plus 
rare  ,  et  l'autre  ,  qui  est  du  côté  de  H  ,  soit  le  plus 
dense  ;  et  du  point  M  vers  H  soient  menées  les 
lignes  droites  MN,  NH,  MR,  RH,  qui  se  rompent 
dans  le  diamètre  aux  points  N  et  R  ,  puisque  la 
vitesse  du  mobile  par  le  milieu  MN  ,  qui  est  sup- 
posé rare ,  est  plus  grande ,  selon  notre  axiome 
ou  postulat,  que  celle  du  même  mobile  par  le  mi- 
lieu NH,  et  que  les  mouvements  sont  supposés  uni- 
formes dans  chacun  de  ces  milieux,  la  raison  du 
temps  du  mouvement  par  le  milieu  MN  ,  au  temps 
du  mouvement  par  le  milieu  NH  ,  est  composée, 
comme  tout  le  monde  sait ,  de  la  raison  de  l'es- 
pace MN  à  l'espace  NH  ,  et  réciproquement  de  la 
raison  de  la  vitesse  par  le  milieu  NH  à  la  vitesse 
par  le  milieu  MN. 

Si  donc  l'on  fait  que  comme  la  vitesse  par  le 

1  Figure  i5. 


4^0  LETTRES. 

milieu  MN  est  à  la  vitesse  par  le  milieu  NH  ,  ainsi 
la  ligne  droite  MN  est  à  NI  ;  le  temps  par  le  milieu 
MN  au  temps  par  le  milieu  NH  sera  comme  IN 
à  NH. 

De  même  Ton  démontrera  que  si  Ton  fait  que 
comme  la  vitesse  par  le  milieu  plus  rare  est  à  la 
vitesse  parle  milieu  plus  dense  ,  ainsi  la  ligne  MR 
est  à  RP ,  le  temps  du  mouvement  par  le  milieu 
MR  sera  au  temps  du  mouvement  par  le  milieu  RH 
comme  la  ligne  PR  est  à  la  ligne  RH. 

D  où  il  suit  que  le  temps  du  mouvement  par  les 
deux  lignes  MN ,  NH  ,  est  au  temps  du  mouvement 
par  les  deux  autres  MR ,  RH ,  comme  l'agrégé  des 
deux  lignes  IN  ,  NH ,  est  à  l'agrégé  des  deux  au- 
tres PR,  RH. 

Quand  donc  la  nature  dirige  un  rayon  de  lu- 
mière du  point  M  vers  le  point  H,  il  faut  chercher 
un  point  quel  qu'il  soit,  commé  N,  par  lequel  la 
lumière  puisse  parvenir  par  inflexion  pu  réfrac- 
tion du  point  M  au  point  H  en  moins  de  temps. 
Car  il  est  très  probable  que  la  nature  ,  qui  avance 
toujours  le  plus  qu'elle  peut  ses  opérations,  tendra 
d'elle-même  vers  ce  point-là.  Si  donc  l'aggrégé  ou 
la  somme  des  deux  lignes  droites  IN ,  NH ,  qui  est 
la  mesure  du  temps  du  mouvement  par  la  ligne 
rompue  MNH,  se  trouve  être  la  moindre  quantité* 
on  aura  ce  que  Ton  cherche. 

Or  cela  suit  du  théorème  proposé  par  M.  Des- 


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LETTRES.  4^1 

cartes ,  comme  je  vais  vous  faire  voir  par  ma  bonne 
géométrie. 

Car  M.  Descartes  dit  que  si  du  point  M  on  mené 
le  rayon  MN ,  et  que  du  même  point  M  on  abaisse 
la  perpendiculaire  MD,  et  si  avec  cela  Ton  fait  que 
comme  la  plus  grande  vitesse  est  à  la  moindre  , 
ainsi  la  ligne  DN  est  à  NS ,  et  que  du  point  S 
soit  élevée  la  perpendiculaire  SH ,  et  mené  le  rayon 
NH,  pour  lors  le  rayon  de  lumière,  qui  vient  du 
milieu  rare  M  au  point  N,  se  rompt  à  la  rencontre 
du  milieu  dense ,  et  va  au  point  H ,  en  approchant 
de  la  perpendiculaire. 

Or  notre  géométrie  ne  répugne  en  façon  quel- 
conque à  ce  théorème,  comme  l'on  verra  parla  pro- 
position suivante ,  qui  est  purement  géométrique. 

Soit  le  cercle  AHBM  dont  le  diamètre  soit  ANB, 
le  centre  N,  dans  la  circonférence  duquel  ayant 
pris  un  point  à  discrétion  comme  M,  soit  mené 
le  rayon  MN ,  et  soit  abaissée  sur  le  diamètre  la 
perpendiculaire  MD  ;  que  Ion  sache  outre  cela  la 
proportion  qui  est  entre  le  plus  ou  moins  de  facilité 
que  les  différents  milieux  donnent  au  passage  de 
la  lumière,  et  qu'ainsi  Ton  fasse  DN  à  NS.  Que  DN 
soit  plus  grande  que  NS,  et  que  du  point  S  soit 
élevée  la  perpendiculaire  SH  qui  rencontre  la  cir- 
conférence du  cercle  au  point  H  ,  duquel  soit  mené 
au  centre  le  rayon  UN  ;  puis  soit  fait  comme  DN 
est  à  NS ,  ainsi  le  rayon  MN  soit  à  la  ligne  droiet 

10.  3i 


48^  LETTRES. 

NI.  Je  dis  que  la  somme  des  deux  lignes  droites 
IN,  NH ,  qui  est  la  mesure  du  temps  par  les  deux 
lignes  MN  ,  NH,  comme  il  a  été  prouvé  ci-dessus, 
est  la  moindre  de  toutes  ;  c'est-à-dire  que  si ,  par 
exemple,  Ton  prend  un  point  tel  que  Ton  voudra, 
comme  R,  du  côté  du  semi-diamètre  NB,  et  si 
l'on  joint  les  deux  lignes  droites  MR ,  RH ,  et  que 
l'on  fasse  que  comme  DN  est  à  NS ,  ainsi  MR  soit 
à  RP ,  pour  lors  la  somme  des  deux  droites  PR  et 
RH ,  qui  est  aussi  la  mesure  du  temps  par  les  deux 
lignes  MR ,  RH  ,  comme  il  a  été  aussi  prouvé  ci- 
dessus  ,  sera  plus  grande  que  la  somme  des  deux 
autres  droites  IN  et  NH. 

Or ,  pour  le  prouver  ,  soit  fait  comme  le  rayon 
MN  est  à  DN  ,  qu'ainsi  RN  soit  à  NO;  et  comme 
DN  est  à  NS  *  qu'ainsi  NO  soit  à  N  V.  Il  paroît  par 
la  construction  que  la  ligne  NO  est  plus  petite  que 
la  ligne  NR,  d'autant  que  la  ligne  DN  est  plus  pe- 
tite que  le  rayon  MN  ;  il  est  évident  aussi  que  la 
ligne  NV  est  plus  petite  que  la  ligne  NO ,  puisque 
la  ligne  NS  est  moindre  que  la  ligne  ND. 

Cela  étant  posé  ,  le  carré  de  la  ligne  MR  est 
égal  au  carré  du  rayon  MN,  plus  au  carré  de  la 
ligne  NR ,  et  à  deux  fois  le  rectangle  sous  DN  et 
NR  par  la  1 2  du  2.  Mais  puisque  par  la  construc- 
tion ,  comme  MN  est  à  DN ,  ainsi  NR  est  à  NO , 
il  s'ensuit  que  le  rectangle  fait  de  MN ,  NO ,  est 
égal  au  rectangle  de  DN ,  NR,  par  la  16  du  6.  Et 


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LETTRES.  485 

partant  le  rectangle  de  MN  ,  NO,  pris  deux  fois , 
est  égal  à  deux  fois  le  rectangle  de  DN,  NR. 

Par  conséquent  le  carré  de  la  ligne  MR  est 
égal  aux  deux  carrés  MN  et  NR ,  et  a  deux  fois 
le  rectangle  sous  MN ,  NO.  Or,  le  carré  de  la  ligne 
NR  est  plus  grand  que  le  carré  de  la  ligne  NO, 
puisque  NR  est  plus  grand  que  NO.  Partant  le 
carré  de  la  ligne  MR  est  plus  grand  que  les  deux 
carrés  MN ,  NO  avec  deux  fois  le  rectangle  sous 
MN,  NO.  Or  est-il  que  ces  deux  carrés  MN,  NO 
avec  deux  fois  le  rectangle  sous  MN  ,  NO,  sont 
égaux  au  carré  qui  est  fait  des  deux  lignes  MN, 
NO  comme  d'une  seule  ligne  droite,  par  la  t\  du  2. 
Donc  la  ligne  droite  MR  est  plus  grande  que  la 
somme  des  deux  lignes  droites  MN  et  NO. 

Mais  puisque  par  la  construction  comme  DN  est 
à  NS ,  ainsi  MN  est  à  NI ,  et  ainsi  aussi  NO  est  st 
NV ,  partant  comme  DN  est  à  NS ,  ainsi  sera  la 
somme  des  deux  lignes  MN,  NO,  à  la  somme  des 
deux  lignes  IN  ,  NV  ,  par  la  12  du  5.  Or,  comme 
DN  est  à  NS ,  de  même  aussi  MR  est  à  RP  ;  par 
conséquent  comme  la  somme  des  deux  lignes  MN, 
NO  est  à  la  somme  des  deux  lignes  IN ,  N  V ,  ainsi 
la  ligne  MR  est  à  RP.  Or  est-il  que  la  ligne  MR  est 
plus  grande  que  la  somme  des  deux  lignes  MN , 
NO ,  par  conséquent  la  ligne  PR  est  aussi  plus 
grande  que  la  somme  des  deux  lignes  ÏN ,  NV,  par 
la  1 4  du  5. 

3i, 


^84  LETTRES. 

Il  ne  reste  plus  qu'à  prouver  que  ia  ligne  RH 
est  plus  grande  ou  du  moins  n'est  pas  plus  petite 
que  la  ligne  HV ,  après  quoi  il  sera  constant  que 
la  somme  des  deux  lignes  droites  PR,  RH  est  plus 
grande  que  la  somme  des  deux  lignes  droites  IN, 
NH  

Dans  le  triangle  NHR ,  le  carré  RH  est  égal 
aux  deux  carrés  HN  et  NR ,  moins  deux  fois  le 
rectangle  sous  SN,  NR  par  la  i3  du  2.  Mais  puis- 
que par  la  construction ,  comme  le  rayon  M N ,  ou 
son  égal  NH,  est  àDN  ,  ainsi  NR  est  à  NO  ;  et  que 
comme  DN  est  à  NS ,  ainsi  NO  est  à  NV  ;  il  s'en- 
suit qu'en  raison  égale  comme  HN  est  à  NS ,  ainsi 
NR  est  à  N V ,  par  la  22  du  5 ,  où  l'on  voit  que  NR 
est  plus  grande  que  NV.  Et  partant  le  rectangle 
des  deux  lignes  HN  et  NV  est  égal  au  rectangle 
de  SN  et  NR,  par  la  16  du  6.  Par  conséquent  le 
rêctangîé  sous  HN  et  NV  pris  deux  fois  est  égal  à 
deux  fois  le  rectangle  sous  SN  et  NR.  C'est  pour- 
quoi le  carré  de  HR  est"  égal  aux  deux  carrés 
HN ,  NR ,  moins  deux  fois  le  rectangle  sous  HN , 
NV.  Mais  le  carré  NR  a  été  prouvé  plus  grand 
que  le  carré  NV,  partant  le  carré  HR  est  plus 
grand  que  les  deux  carrés  HN ,  NV,  moins  deux 
fois  le  rectangle  sous  HN ,  NV.  Mais  les  deux  car- 
rés HN,  NV,  moins  deux  fois  le  rectangle  sous 
HN  ,  NV,  sont  égaux  au  carré  de  la  droite  HV, 
par  la  7  du  2.  Par  conséquent  le  carré  de  HR 


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LETTRES. 

est  plus  grand  que  le  carré  de  HV,  et  partant  la 
ligne  HR  est  plus  grande  que  la  ligne  HV.  Ce  qui 
nous  restoit  à  prouver. 

Que  si  Ton  prend  le  point  R 1  du  côté  du  semi- 
diamètre  AN  ,  quoique  les  deux  lignes  droites  MR 
et  RH  se  rencontrent  directement ,  et  ne  consti- 
tuent qu'une  seule  ligne  droite ,  comme  dans  la 
seconde  figure,  la  même  chose  arrivera  (car  la  dé- 
monstration est  générale  et  pour  toute  sorte  de 
cas),  c'est-à-dire  que  la  somme  des  deux  lignes 
droites  PR ,  RH  sera  plus  grande  que  la  somme  des 
deux  lignes  droites  IN,  NH.  Et  pour  le  prouver, 
soit  fait  comme  ci-devant,  comme  le  rayon  MN  est 
à  la  ligne  DN  ,  ainsi  RN  soit  à  NO,  et  comme  DN 
est  à  NS ,  ainsi  NO  soit  à  NV.  Il  est  évident  que 
la  ligne  NR  est  plus  grande  que  NO ,  et  que  la 
ligne  NO  est  plus  grande  que  VN.  De  plus,  que 
le  carré  MR  est  égal  aux  deux  carrés  MN  ,  MR , 
moins  deux  fois  le  rectangle  sous  DN ,  NR ,  par 
1 3  de  29 ,  ou  bien ,  comme  il  a  été  prouvé  ci-dessus, 
moins  deux  fois  le  rectangle  MN  ,  NO. 

Mais  puisque  le  carré  NR  est  plus  grand  que  le 
carré  NO ,  il  s'ensuit  que  le  carré  MR  sera  plus 
grand  que  les  deux  carrés  MN ,  NO ,  moins  deux 
fois  le  rectangle  fait  sous  MN,  NO.  Or  est-il  que  les 
deux  carrés  MN,  NO,  moins  deux  fois  le  rectan- 
gle fait  sous  MN  ,  NO,  sont  égaux  au  carré  de  la 

*  Figure  1 6  J» 


486  LETTRES. 

ligne  MO  par  la  7  du  a.  Par  conséquent  le  carré 
de  la  ligne  MR  est  plus  grand  que  le  carré  de  la 
ligne  MO  ,  et  partant  aussi  la  ligne  MR  est  plus 
grande  que  la  ligne  MO. 

Mais  puisque  par  la  construction ,  comme  DN 
est  à  NS ,  ainsi  MN  est  à  NI ,  et  ainsi  aussi  NO 
est  à  NV;  donc  comme  MN  est  à  IN  ,  ainsi  NO  est 
à  NV;  et  en  permutant ,  comme  MN  est  à  NO,  ainsi 
IN  est  à  N V.  Et  en  divisant ,  comme  MO  est  à  ON, 
ainsi  IV  est  à  VN;  et  en  permutant ,  comme  MO 
est  à  IV,  ainsi  ON  est  à  NN ,  ou  DV  à  NS,  ou  MR 
à  RP. 

Or  Ton  a  prouvé  auparavant  que  MR  étoit  plus 
grande  que  MO ,  donc  PR  est  aussi  plus  grande 
que  IV;  partant  il  ne  reste  plus  qu  a  prouver,  afin 
que  la  preuve  soit  entière ,  sinon  que  la  droite  RH 
est  plus  grande,  ou  du  moins  n'est  pas  plus  petite 
que  la  somme  des  deux  lignes  droites  HN,  NV,  ce 
qui  n'est  pas  difficile. 

Car  le  carré  RH  est  égal  aux  deux  carrés  de 
NH  et  NR  joints  à  deux  fois  le  rectangle  sous  SN 
et  NR,  ou  bien  ,  par  ce  qui  a  été  prouvé  ci-devant, 
joints  à  deux  fois  le  rectangle  sous  HN  et  NV;  mais 
le  carré  RN  est  plus  grand  que  le  carré  NV, 
donc  le  carré  HR  est  plus  grand  que  les  deux 
carrés  HN  et  NV,  avec  deux  fois  le  rectangle  sous 
HN  et  NV;mais  le  carré  de  NN,  NV,  comme  une 
seule  ligne  droite,  est  égal  aux  deux  carrés  de 


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LETTRES.  4^7 

HN ,  NV,  avec  deux  fois  le  rectangle  sous  HN,  NV, 
par  la  4  du  â  :  donc  le  carré  de  HRest  plus  grand 
que  le  carré  de  HN,  NV,  comme  une  seule  ligne; 
et  partant  la  ligne  droite  HR  est  plus  grande  que 
la  somme  des  deux  lignes  droites  HN ,  N V,  ce  qui 
restoità  prouver.  D'où  il  suit,  par  ce  qui  a  été 
montré  ci-devant ,  que  la  ligne  droite  HR  est  plus 
grande  que  la  somme  des  deux  lignes  droites  HN, 
NV. 

Partant  il  est  évident  que  les  deux  lignes  droites 
PR  et  RH,  ou  la  seule  ligne  droite  PRH  (quand  il 
arrive  que  ce  ne  soit  qu'une  seule  ligne  droite), 
sont  toujours  plus  grandes  que  les  deux  lignes 
droites  IN  et  NH;  ce  qu'il  falloit  démontrer. 


488 


LETTRES 


LETTRE  DE  M.  CLERSELIER 

A  M.  DE  FERMAT, 


a  l'occasiox  de  sa  derhière  a  m.  de  la  chambre, 
ad  sujet  de  la  dioptrique. 


(Lettre  5a  du  tome  III.) 

Du  6  mai  i66a. 

Monsieur, 

Ne  croyez  pas  que  ce  soit  à  dessein  de  troubler 
la  paix  que  vous  présentez  à  tous  les  descartistes* 
que  je  prends  aujourd'hui  la  plume  à  la  main  :  les 
conditions  sous  lesquelles  vous  la  leur  offrez  leur 
sont  trop  avantageuses,  et  à  moi  en  particulier 
trop  honorables,  pour  ne  la  pas  accepter;  et  si 
tous  ceux  qui  ont  jamais  eu  des  démêlés  avec  leur 
maître  étoient  aussi  sincères  que  vous,  vous  la  ver- 
riez bientôt  établie  partout  au  contentement  de 
tous  les  partis.  Il  y  avoit  encore  deux  sortes  d'es- 
prits à  satisfaire  au  sujet  de  la  réfraction  ;  les  uns 
peu  versés  dans  les  mathématiques,  qui  ne  pou- 


uiyi 


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LETTRES. 

voient  comprendre  une  raison  prise  de  la  nature 
des  mouvements  composés  ;  et  vous  leur  avez  fait 
entendre  raison,  en  leur  proposant  un  autre  prin- 
cipe, plus  plausible  en  apparence  ,  et  plus  propor- 
tionné à  leur  portée,  à  savoir,  que  la  nature  agit 
toujours  par  les  voies  les  plus  courtes  et  les  plus 
simples;  les  autres  qui  y  étoient  trop  adonnés,  et  qui 
ne  pouvoient  se  rendre  aux  raisons  pures  et  simples 
de  la  métaphysique,  qu'il  faut  pourtant  nécessai- 
rement joindre  avec  celles-là ,  pour  leur  donner  la 
force  de  la  conviction  ;  et  vous  leur  avez  ôté  cet 
obstacle,  en  conduisant  votre  principe  par  un  rai- 
sonnement purement  géométrique  :  et  comme  ces 
deux  sortes  de  personnes  étoient  sans  doute  beau- 
coup plus  en  nombre  que  les  autres ,  vous  méritez 
aussi  sans  difficulté  une  plus  grande  part  dans  la 
gloire  qui  est  due  à  une  si  belle  et  si  importante 
découverte.  Je  ne  vous  l'envie  point,  monsieur, 
et  vous  promets  de  le  publier  partout,  et  de  con- 
fesser hautement  que  je  n'ai  rien  vu  de  plus  ingé- 
nieux ni  de  mieux  trouvé  que  la  démonstration  que 
vous  avez  apportée.  Permettez-moi  seulement  de 
vous  dire  ici  les  raisons  qu'un  descartiste  un  peu 
zélé  pourroit  alléguer  pour  maintenir  l'honneur  et 
le  droit  de  son  maître,  et  pour  ne  pas  relâcher 
sitôt  à  un  autre  la  possession  où  il  est ,  ni  lui  cé- 
der le  premier  pas. 

1 .  Le  principe  que  vous  prenez  pour  fondement 


490  LETTRES. 

de  votre  démonstration,  à  savoir  que  la  nature  agit 
toujours  par  les  voies  les  plus  courtes  et  les  plus 
simples,  n'est  qu'un  principe  moral,  et  non  point 
physique ,  qui  n'est  point  et  qui  ne  peut  être  la 
cause  d'aucun  effet  de  la  nature.  Il  ne  l'est  point, 
car  ce  n'est  point  ce  principe  qui  la  fait  agir,  mais 
bien  la  force  secrète  et  la  vertu  qui  est  dans  chaque 
chose,  qui  n'est  jamais  déterminée  à  un  tel  ou  tel 
-  effet  par  ce  principe,  mais  par  la  force  qui  est  dans 
toutes  les  causes  qui  concourent  ensemble  à  une 
même  action ,  et  par  la  disposition  qui  se  trouve 
actuellement  dans  tous  les  corps  sur  lesquels  cette 
force  agit;  et  il  ne  le  peut  être  :  autrement,  nous 
supposerions  de  la  connoissance  dans  la  nature; 
et  ici  par  la  nature  nous  entendons  seulement  cet 
ordre  et  cette  loi  établie  dans  le  monde  tel  qu'il 
est,  laquelle  agit  sans  prévoyance,  sans  choix,  et 
par  une  détermination  nécessaire. 

2.  Ce  même  principe  doit  mettre  la  nature  en 
irrésolution,  à  ne  savoir  à  quoi  se  déterminer, 
quand  elle  a  à  faire  passer  un  rayon  de  lumière 
d'un  corps  rare  dans  un  plus  dense.  Car  je  vous 
demande  s'il  est  vrai  que  la  nature  doive  toujours 
agir  par  les  voies  les  plus  courtes  et  les  plus  sim- 
ples, puisque  la  ligne  droite  est  sans  doute  et  plus 
courte  et  plus  simple  que  pas  une  autre?  quand 
un  rayon  de  lumière  a  à  partir  d'un  point  d'un 
corps  rare  pour  se  terminer  dans  un  point  d'un 


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LETTRES.  49 1 

corps  dense ,  n'y  a-t-il  pas  lieu  de  iaire  hésiter  la 
nature,  si  vous  voulez  qu'elle  agisse  par  ce  prin- 
cipe ,  à  suivre  la  ligne  droite  aussitôt  que  la  rom- 
pue, puisque  si  celle-ci  se  trouve  plus  courte  en 
temps,  l'autre  se  trouve  plus  courte  et  plus  simple 
en  mesure?  Qui  décidera  donc,  et  qui  prononcera 
là-dessus? 

3.  Comme  le  temps  n'est  point  ce  qui  meut,  il 
ne  peut  être  non  plus  ce  qui  détermine  le  moiw 
vement;  et  quand  une  fois  un  corps  est  mû  et  dé- 
terminé à  aller  quelque  part,  il  n'y  a  nulle  appa- 
rence de  croire  que  le  temps  plus  ou  moins  bref 
puisse  obliger  ce  corps  à  changer  de  détermination, 
lui  qui  n'agit  et  qui  n'a  nul  pouvoir  sur  lui.  Mais 
comme  toute  la  vitesse  et  toute  la  détermination 
du  mouvement  de  ce  corps  dépendent  de  sa  force 
et  de  la  disposition  de  sa  force ,  il  est  bien  plus  na- 
turel ,  et  c'est  à  mon  avis  parler  plus  en  physicien , 
de  dire,  comme  fait  M.  Descartes ,  que  la  vitesse 
et  la  détermination  de  ce  corps  changent  par  le 
changement  qui  arrive  en  la  force  et  en  la  disposi- 
tion de  cette  force,  qui  sont  les  véritables  causes 
de  son  mouvement ,  que  non  pas  de  dire ,  comme 
vous  faites,  qu'elle  change  par  un  dessein  que  la 
nature  a  d'aller  toujours  par  le  chemin  qu'elle 
peut  parcourir  plus  promptement  ;  dessein  qu'elle 
ne  peut  avoir,  puisqu'elle  agit  sans  connoissanee* 
et  qui  n'a  nul  effet  sur  ce  corps. 


LETTRES. 

4.  Gomme  il  n'y  a  que  la  ligne  droite  qui  soit 
déterminée,  il  n'y  a  aussi  que  cette  ligne-là  seule 
où  la  nature  tende  dans  tous  ses  mouvements;  et 
bien  que  parfois  un  corps  par  son  mouvement 
décrive  actuellement  une  autre  ligne,  néanmoins, 
à  considérer  l'un  après  l'autre  tous  les  points  qu'il 
a  parcourus,  ils  sont  plutôt  les  points  d'autant  de 
lignes  droites  qu'il  quitte  successivement,  que 
ceux  d'une  ligne  courbe  qu'il  tende  à  décrire;  et 
il  les  a  plus  tôt  parcourus  comme  tels  qu'autre- 
ment, puisque,  sitôt  que  ce  corps  est  laissé  et  aban- 
donné à  la  force  qui  le  meut  en  chaque  point,  il 
se  porte  à  suivre  la  ligne  droite  à  laquelle  ce  point 
appartient,  et  point  du  tout  la  ligne  courbe  qu'il 
a  décrite.  Cela  étant,  s'il  est  question  de  porter  un 
rayon  de  la  lumière  du  point  M  au  point  H,  il 
est  certain  que  la  nature  l'enverra  tout  droit  par  la 
ligne  MH ,  si  cela  se  peut.  Et  de  fait  quand  le  mi- 
lieu est  semblable  et  égal ,  elle  n'y  manque  jamais; 
mais  quand  le  milieu  par  où  la  lumière  passe 
change  de  nature,  et  oppose  plus  ou  moins  de 
résistance  à  son  passage  et  a  son  cours,  qui  fera 
changer  sa  direction  à  la  rencontre  de  ce  milieu? 
Que  peut-on  soupçonner  qui  en  soit  la  cause?  La 
brièveté  du  temps?  nullement.  Car  quand  le  rayon 
MN  est  parvenu  au  point  N,  il  lui  doit  être  indif- 
férent, suivant  ce  principe,  d'aller  à  tous  les  points 
de  la  circonférence  BHA,  puisqu'il  lui  faut  autant 


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LETTRES.  4<P 

île  temps  à  parvenir  aux  uns  qu'aux  autres;  et 
cette  raison  de  la  brièveté  du  temps  ne  le  pouvant 
emporter  alors  vers  un  endroit  plutôt  que  vers  un 
autre,  il  y  auroit  raison  qu'il  dût  plutôt  suivre  la 
ligne  droite;  car  pour  choisir  le  point  H  plutôt 
que  tout  autre,  il  faudrait  supposer  que  ce  rayon 
MN,  que  la  nature  n'a  pu  envoyer  vers  là  sans  une 
tendance  indéfinie  en  ligne  droite,  se  souvînt  qu'il 
est  parti  du  point  M,  avec  ordre  d'aller  chercher, 
à  la  rencontre  de  cet  autre  milieu,  le  chemin 
qu'il  pût  parcourir  en  moins  de  temps,  pour  de  là 
arriver  en  H.  Ce  qui,  à  vrai  dire,  est  imaginaire,  et 
-nullement  fondé  en  physique.  Qui  fera  donc  chan- 
ger la  direction  du  rayon  MN  (quand  il  est  par- 
venu au  point  N)  à  la  rencontre  d'un  autre  milieu, 
sinon  celle  qu'allègue  M.  Descartes?  qui  est  que 
la  même  force  qui  agit  et  qui  meut  le  rayon  MN , 
trouvant  une  autre  disposition  à  recevoir  son  ac- 
tion dans  ce  milieu  que  dans  l'autre,  ce  qui  change 
la  sienne  à  son  égard ,  conforme  la  direction  de 
ce  rayon  à  la  disposition  qu'elle  a  pour  lors.  Et 
pourcequ'au  point  de  rencontre  de  cet  autre  mi- 
lieu, c'est  la  seule  force  qui  porte  le  rayon  en  bas 
qui  se  ressent  de  la  diversité  à  recevoir  son  action , 
qui  est  entre  le  milieu  d'où  il  sort  et  celui  où  il 
entre  (celle  qui  le  porte  à  droite  ne  s'en  ressentant 
point,  à  cause  que  ce  milieu  ne  lui  est  aucunement 
opposé  en  ce  sens-là),  le  changement  qui  arrive  à 


494  LETTRES. 

la  façon  dont  l'action  de  la  force  qui  le  porte  en 
bas  est  reçue  dans  ce  point  de  rencontre  change 
aussi  la  direction  du  rayon ,  et  le  fait  détourner 
du  côté  où  il  est  attiré,  selon  la  proportion  qui  se 
trouve  alors  entre  l'action  de  cette  force  et  celle  de 
l'autre;  et  cela  me  semble  si  clair ,  qu'il  ne  doit  plus 
rester  aucune  difficulté. 

5.  S'il  semble  apparemment  plu3  raisonnable  de 
croire  que  la  lumière  trouve  plus  aisément  passage 
dans  les  corps  rares  que  dans  les  denses,  ainsi  que 
vous  le  supposez,  fondé  sur  l'expérience  de  tous 
les  corps  sensibles,  qui  l'ont  sans  doute  plus  libre 
dans  ces  sortes  de  milieux,  il  est  aussi ,  ce  me  sem- 
ble, plus  raisonnable  de  croire  que  les  corps  qui 
entrent  dans  des  milieux  qui  font  plus  de  résis- 
tance à  leur  passage  que  ceux  d'où  ils  sortent, 
comme  vous  supposez  que  les  corps  denses  font 
à  la  lumière,  s'efforcent  de  s'en  éloigner,  et  ne  s'y 
enfoncent  que  le  moins  qu'ils  peuvent;  ce  que 
l'expérience  confirme.  Ainsi  quand  une  balle  est 
poussée  de  biais  de  l'air  dans  l'eau ,  bien  loin  de 
continuer  son  mouvement  en  ligne  droite,  et  beau- 
coup plus  de  s'enfoncer  davantage  en  approchant 
de  la  perpendiculaire,  elle  s'en  éloigne  autant 
quelle  peut  en  s'approchant  de  la  superficie.  Et 
vous  avez  fort  bien  reconnu  la  force  de  cette  ob- 
jection, que  vous  appelez  pourtant  légère,  mais 
que  vous  ne  sauriez  résoudre  que  par  le  principe 


LETTRES.  4<)5 

de  M.  Descartes ,  qui  ruine  entièrement  le  vôtre  : 
car  si  par  votre  principe  même  la  balle  doit  s'éloi- 
gner de  la  perpendiculaire,  pourquoi  la  lumière 
s'en  approche-t-elle?  Et  si  la  balle  ne  suit  pas  votre 
principe,  comme  en  effet  elle  ne  le  suit  pas,  pour- 
quoi la  lumière  le  suivra-t-elle  ?  Cela  ne  fait-il  pas 
plutôt  voir  que,  dans  l'un  et  dans  l'autre  exemple, 
la  nature  n'agit  pas  par  votre  principe  ? 

6.  Cette  voie  que  vous  estimez  la  plus  courte, 
parcequ'elle  est  la  plus  prompte,  n'est  qu'une  voie 
d'erreur  et  d'égarement,  que  la  nature  ne  suit 
point,  et  ne  peut  avoir  intention  de  suivre;  car 
comme  elle  est  déterminée  en  tout  ce  qu'elle  fait , 
elle  ne  tend  jamais  qu'à  conduire  ses  mouvements 
en  ligne  droite;  et  ainsi  si  vous  voulez  que  d'abord 
elle  tende  de  M  vers  H,  elle  ne  peut  s'aviser  de 
dresser  un  rayon  vers  N,  pourceque  ce  rayon  de 
soi  n'y  tend  nullement;  mais  elle  dressera  son 
rayon  vers  R ,  et  ce  rayon  étant  là  une  fois  par- 
venu, qui  est  le  plus  droit,  le  plus  court,  et  le  plus 
bref  de  tous  ceux  qui  peuvent  tendre  à  ce  point. 
Pour  aller  maintenant  d'R  en  H ,  le  plus  droit  en- 
core, le  plus  court,  et  le  plus  bref,  est  d'aller  tout 
droit  vers  H.  Et  ainsi  si  la  nature  agissoit  par  votre 
principe  même,  elle  devroit  aller  directement  de  M 
vers  H  ;  car  d'un  côté  elle  est  nécessitée  à  diriger 
d'abord  son  rayon  vers  R ,  et  de  là  votre  principe 
même  le  porte  vers  H. 


/|90  LETTRES. 

7.  Et  bien  que  vous  ayez  très  clairement  dé- 
montré, suivant  votre  supposition,  que  le  temps 
des  deux  rayons  MN ,  NII ,  pris  ensemble,  est  plus 
bref  que  celui  de  deux  autres  quels  qu'ils  soient, 
pris  aussi  ensemble,  ce  n'est  pourtant  pas  la  raison 
de  la  brièveté  du  temps  qui  porte  ces  deux  rayons 
par  ces  deux  lignes.  Car  seroit-il  bien  possible 
qu'un  rayon  qui  est  déjà  dans  l'air,  qui  a  déjà  sa 
direction  toute  droite ,  et  qiû  ne  tend  nullement 
ailleurs,  sitôt  qu'on  lui  oppose  de  l'eau  ou  du  verre, 
s'avisât  de  se  détourner  ainsi  qu'il  fait,  pour  le 
seul  dessein  d'aller  justement  chercher  un  point 
où  son  mouvement  composé  soit  le  plus  bref  de 
tous  ceux  qui  y  peuvent  aller  du  lieu  de  son  dé- 
part? cette  raison  seroit  bien  métaphysique  pour 
un  sujet  purement  matériel.  Ne  doit-on  pas  plu- 
tôt croire,  ainsi  que  j'ai  déjà  dit,  que  comme  c'est 
la  force  du  mouvement  et  sa  détermination  qui 
ont  conduit  ce  rayon  dans  la  première  ligne  qu'il 
a  décrite,  sans  que  le  temps  y  ait  rien  contribué, 
c'est  le  changement  qui  arrive  dans  cette  force  et 
dans  cette  détermination  qui  lui  fait  prendre  la 
route  de  l'autre  qu'il  a  à  décrire ,  sans  que  le  temps 
y  contribue,  puisque  le  temps  ne  produit  rien. 

8.  Enfin  la  différence  que  je  trouve  entre  M.  Des- 
cartes et  vous, est  que  vous  ne  prouvez  point,  mais 
que  vous  supposez  pour  principe ,  que  la  lumière 
passe  plus  aisément  dans  les  corps  rares  que  dans 


LETTRES.  497 

les  denses  ;  au  lieu  que  M.  Descartes  prouve ,  et  ne 
suppose  pas  simplement,  ainsi  que  vous  dites,  que 
!a  lumière  passe  plus  aisément  dans  les  corps  den- 
ses que  dans  les  rares.  Car,  posé  votre  principe,  et 
posé  que  la  nature  agisse  toujours  par  les  voies  les 
plus  courtes,  ou  les  plus  promptes,  vous  concluez 
fort  bien  que  la  lumière  doit  suivre  le  chemin 
qu'elle  tient  dans  la  réfraction;  là  où  M.  Descartes, 
sans  rien  supposer ,  se  sert  seulement  de  l'expé- 
rience même,  pour  conclure  que  la  lumière  passe 
plus  aisément  dans  les  corps  denses  que  dans  les 
rares,  et  donne  en  même  temps  le  moyen  de  me- 
surer la  proportion  avec  laquelle  cela  se  fait.  Et 
pourcequ'il  jugeoit  bien  que  l'expérience  jour- 

_  •  •  • 

nalière  que  nous  avons  du  contraire  pourroit  nous 
donner  lieu  de  nous  en  étonner,  il  en  rend  la  rai- 
son physique  dans  la  vingt-sixième  page  de  saDiop- 
trique  ,  à  laquelle  on  peut  avoir  recours.  - 

Mais  s'il  est  vrai  que  la  lumière  passe  plus  diffici- 
lement dans  les  corps  rares  que  dans  les  denses, 
comme  la  raison  alléguée  en  ce  lieu-là  par  M.  Des- 
cartes semble  le  prouver;  et  s'il  est  vrai  aussi  que  la 
nature  n'agisse  pas  toujours  par  les  voies  les  plus 
promptes  ,  comme  l'exemple  de  la  balle  qui  passe 
de  l'air  dans  l'eau  le  justifie,  adieu  toute  votre  dé- 
monstration ;  et  même,  comme  vous  dites  avoir  au- 
trefois proposé  vos  difficultés  à  M.  Descartes ,  à 
lui,  dites- vous,  viventi  alquc  sentienli ,  sans  que  ni 

IO.  3  2 


4f)8  LETTRES. 

lui  ni  ses  amis  vous  aient  jamais  satisfait ,  ne  pour- 
roit-on  pas  aussi  dire  qu'  il  vous  a  fait  réponse  de 
son  vivant ,  et  ses  amis  depuis  sa  mort ,  tibi,  in- 
quam ,  vivenli ,  et  nisi  dicere  ne  fus  esset ,  adderem 
et  non  intelligenti ,  puisqu'il  y  en  a  qui  se  persua- 
dent de  la  bien  entendre.  Et  enfin ,  comme  vous 
dites  que  la  nature  semble  avoir  eu  cette  déférence 
et  complaisance  pour  M.  Descartes,  que  de  s'être 
rendue  à  lui,  et  lui  avoir  découvert  ses  vérités  sans 
s'y  laisser  forcer  par  la  démonstration ,  ne  peut-on 
pas  dire  que  vous  avez  forcé  la  géométrie ,  toute 
sévère  qu'elle  est ,  à  vous  en  fournir  une  ,  par  le 
moyen  de  cette  double  fausse  position.  Après  quoi 
je  laisse  aux  plus  sévères  et  plus  clairvoyants  natu- 
ralistes à  juger  qui  de  vous  deux  a  le  mieux  ren- 
contré dans  la  cause  qu'il  a  assignée  à  la  réfrac- 
tion. 

Cela  n'empêche  pas  qu'à  considérer  les  choses 
d'une  autre  façon  ,  je  ne  sois  d'accord  avec  vous 
que  la  nature  agit  toujours  par  les  voies  les  plus 
courtes  et  les  plus  promptes  :  car  comme  elle  n'a- 
git que  par  la  force,  qui  l'emporte  nécessairement, 
et  qu'elle  est  toujours  déterminée  dans  son  action , 
elle  fait  toujours  tout  ce  qu'elle  peut  faire ,  et  ainsi , , 
quelque  route  qu'elle  prenne,  c'est  toujours  la  plus 
courte  et  la  plus  prompte  qui  se  pou  voit,  eu  égard 
à  toutes  les  causes  qui  l'ont  fait  agir  et  qui  l'ont 
déterminée. 


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LETTRES.  4l)9 

Après  vous  avoir  ainsi  proposé  ce  qui  me  fait 
persister  dans  mes  premiers  sentiments ,  je  ne  laisse 
pas  de  me  sentir  obligé  de  me  rendre,  et  d'acquies- 
cer en  quelque  façon  aux  vôtres  ;  et ,  bien  loin  de 
vous  disputer  la  gloire  d  entrer  dans  la  société  de 
la  preuve  d'une  vérité  si  importante ,  je  pense  avoir 
trouvé  un  moyen  qui  vous  doit  mettre  tous  deux 
d'accord ,  en  laissant  à  chacun  la  part  qui  lui  ap- 
partient. Il  semble  que,  comme  la  lumière  est  la 
plus  noble  production  de  la  nature,  elle  la  laisse 
aussi  agir  d'une  manière  la  plus  régulière  et  la 
plus  universelle ,  et  qu'elle  a  fait  que,  dans  son  ac- 
tion ,  tout  ce  qu'elle  emploie  de  principes  dans 
toutes  les  autres  causes  se  rencontrent  tous  ensem- 
ble dans  celle-ci.  Ainsi,  pourceque  les  mouvements 
des  autres  corps  dépendent  de  la  force  qui  les  meut 
et  de  la  détermination  de  cette  force ,  la  lumière , 
suivant  ces  lois,  tantôt  se  continue  en  ligne  droite, 
et  tantôt  s'en  écarte  en  s'approchant  ou  s  éloignant 
de  la  perpendiculaire.  Mais  pourceque  nous  voyons 
aussi  que  la  nature  agit  toujours  par  les  voies  les 
plus  courtes ,  il  falloit  que  la  lumière  s'accommodât 
à  cette  loi.  M.  Descartes  a  fait  voir  que  la  lumière 
suit  dans  la  réfraction  les  lois  ordinaires  du  mou- 
vement de  tout  le  corps  ;  et  vous ,  monsieur,  avez 
fait  voir  que  quoique  la  lumière  semble  dans  la  rô 
fraction  prendre  un  détour,  et  oublier  qu'elle  doit 
agir  par  les  voies  les  plus  courtes,  elle  observe 

32. 


30O  LETTRES. 

néanmoins  cette  loi  avec  une  exactitude  si  grande 
qu'on  n'y  sauroit  rien  désirer  :  et  ainsi  on  peut  dire 
que  vous  avez  travaillé  conjointement  avec  M.  Des- 
cartes à  justifier  en  cela  la  nature,  et  à  rendre  rai- 
son de  son  procédé  :  lui  par  des  raisons  naturelles 
et  communes  à  tous  les  corps;  et  vous,  monsieur, 
par  des  raisons  mathématiques ,  tirées  de  la  plus 
pure  et  plus  fine  géométrie  ;  et  même  ,  comme 
cette  preuve  géométrique  étoit  la  plus  difficile  à 
trouver  et  à  démêler,  je  veux  bien  que  vous  l'em- 
portiez par-dessus  lui  ;  et  dès  à  présent  je  signe  et 
souscris  à  une  éternelle  paix  avec  vous,  et  neveux 
plus  désormais  contester  sur  l'inefficacité  de  votre 
principe ,  et  sur  la  différence  qui  est  entre  le  vôtre 
et  le  sien ,  puisqu'il  conclut  une  même  chose ,  et 
nous  enseigne  une  même  vérité.  Je  suis ,  etc. 


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LETTRES.  501 

#  * 

AUTRE  LETTRE  DE  M.  CLERSELIER 

A  M.  DE  FERMAT 

SUR  LE  SUJET. 

(Lettre  53  du  tome III.) 

#  * 

Du  i3  mai  166a. 

Monsieur, 

C'est  par  Tordre  de  l'assemblée  qui  se  tient  toutes 
les  semaines  chez  M.  de  Montmort  que  jevous  écris 
aujourd'hui ,  pour  vous  faire  une  amende  honora- 
ble d'un  méchant  mot  latin  que  j'ai  mis  dans  la 
lettre  que  je  me  donnai  l'honneur  de  vous  écrire  il  y  a 
huit  jours ,  dont  je  lui  fis  la  lecture  mardi  dernier. 
Ce  fut  la  seule  chose  quelle  y  trouva  à  redire  ;  et 
je  l'avois  bien  senti  moi  même  en  l'écrivant,  aussi 
avois-je  tâché  de  l'adoucir  par  le  correctif  qui  le 
précède  ;  cependant  nonobstant  cela  j'en  reçus  une 
réprimande  publique  ,  et  aussitôt  je  me  proposai 
de  vous  en  faire  mes  excuses  au  premier  ordinaire  , 
ce  que  je  fais  aujourd'hui  d'autant  plus  volontiers 
qu'outre  que  par  cette  soumission  je  vous  ferai 


f)02  LETTRES. 

connoître  l'ingénuité  de  mon  procédé,  cela  me 
donnera  aussi  occasion  de  vous  dire  quelque  chose 
que  je  fus  obligé  de  répliquer  à  quelques  objec- 
tions qui  me  furent  faites  par  quelques  uns  de  ras- 
semblée ,  afin  de  rendre  la  pensée  de  M.  Descartes, 
touchant  la  réfraction,  plus  claire,  par  un  exem- 
ple familier,  et  qui  est  tout-à-fait  propre  au  sujet. 
Si  je  n'avois  point  été  si  impatient  que  de  vous  en- 
voyer une  chose  qui  étoit  prête  il  y  avoit  plus  de 
quinze  jours  ,  et  que  l'engagement  que  j'avoism'a- 
voit  obligé  de  faire  voir  dès  lors  à  M.  de  La  Cham- 
bre ,  j'aurois  évité  le  reproche  de  la  compagnie,  et 
ne  serois  pas  tombé  dans  cette  faute. 

Mais  j'eus  peur  qu'il  me  fallût  encore  différer 
plus  long-temps  d'en  parler  à  l'assemblée,  qui  avoit 
déjà  remis  par  deux  fois  la  lecture  que  je  lui  en 
vouiois  faire,  pourcequ'elle  vouloit  aussi  avoir 
en  même  temps  les  sentiments  de  M.  Petit ,  qui 
lui  avoit  fait  connoître,  dès  la  première  fois  que 
votre  lettre  parut  devant  elle,  qu'il  avoit  plusieurs 
choses  à  dire ,  et  contre  ce  que  vous  écrivez  à 
M.  de  La  Chambre,  et  contre  ce  que  M.  Des- 
cartes a  écrit. 

Pour  moi,  qui  nem'étois  pas  trouvé  à  l'assemblée 
quand  votre  lettre  y  fut  lue  la  première  fois ,  et 
qui  me  dispensois  alors  souvent  de  m'y  trouver, 
à  cause  de  quelques  affaires  plus  importantes  que 
la  détention  de  M.  de  La  Haye,  mon  gendre,  me  don- 


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e 


LETTRES.  ,r)o3 

noit ,  pour  poursuivre  à  la  cour  sa  liberté ,  je  ne 
l'eus  pas  plus  tôt  vue  que  je  crus  être  obligé  d'y  faire 
réponse ,  comme  étant  une  suite  des  petits  démê- 
lés que  nous  avions  déjà  eus  autrefois  ensemble  sur 
la  même  matière ,  et  parce  aussi  que  vous  me  faites 
l'honneur  de  me  nommer  par  trois  fois  dans  votre 
lettre,  et  de  sembler  m'y  convier. 

J'avois  donc  préparé  ma  réponse  le  plustôt  que 
j'avoispu,  et  pensois  la  faire  voir  à  la  compagnie, 
mais  elle  ne  le  jugea  pas  à  propos  pour  ne  point 
prévenir  M.  Petit  dansla  repartie  qu'il  avoit  promis 
de  vous  faire;  mais,  craignant  que  cela  n'allât  trop 
en  longueur,  je  me  résolus  de  moi-même ,  samedi 
dernier,  de  vous  l'envoyer,  avant  que  de  l'avoir 
fait  voir  à  la  compagnie ,  de  qui  j'ai  reçu  les  avis 
trop  tard  pour  m'empêcher  de  tomber  dans  cette 
faute,  mais  non  pas  pour  vous  en  faire  mes  excu- 
ses ,  et  vous  en  demander  le  pardon. 

Et ,  pour  le  mériter  en  quelque  façon ,  souffrez 
que  je  m'explique  un  peu  plus  au  long  que  je  ne 
le  fis  la  dernière  fois ,  pour  vous  faire  comprendre 
ce  que  je  pense  de  la  pensée  qu'a  eue  M.  Descartes 
touchant  la  réfraction. 

Il  est  certain  qu'à  considérer  tout  seul  le  rayon 
AB ,  en  tant  qu'il  est  dans  l'air,  il  ne  va  ni  à  gauche 
ni  à  droite,  ni  en  haut  ni  en  bas,  mais  toute  sa 
tendance  est  d'aller  vers  D,  et  n'a  qu'une  seule  di- 
rection. Mais  sitôt  qu'on  lui  oppose  un  autre  mi- 


5o4  LETTRES. 

lieu  ,  par  exemple  CEE  ,  dans  lequel  il  soit  obligé 
de  passer,  on  peut  dire,  et  il  est  vrai,  qu'à  1  égard 
de  ce  milieu  il  a  diverses  tendances  ;  car  si  on  le 
lui  oppose  directement,  sa  chute  est  perpendicu- 
laire ,  et  n'a  qu'une  direction  à  son  égard  ;  mais  si 
on  le  lui  oppose  de  biais  comme  il  est  dans  la 
page  20  de  la  Dioptrique  ,  alors  ce  rayon  à  son 
égard  a  une  double  direction,  l'une  qui  le  fait 
tendre  vers  lui ,  qui  est  de  haut  en  bas ,  et  l'autre 
qui  le  porte  de  gauche  à  droite,  à  laquelle  ce  mi- 
lieu n'est  point  du  tout  opposé  ;  et  si  on  le  lui  op- 
posoit  d'une  autre  façon  ,  la  même  direction,  qui 
maintenant  est  de  gauche  à  droite,  pourroit  être 
celle  qui  le  porteroit  vers  lui ,  et  l'autre ,  celle  à 
laquelle  ce  milieu  ne  seroit  point  opposé;  et  selon 
que  ce  milieu  est  plus  ou  moins  incliné  à  ce  rayon, 
les  deux  tendances  ou  directions  qu'il  a  à  son  égard 
sont  diverses,  et  peuvent  avoir,  l'une  à  l'égard  de 
l'autre  diverses  proportions. 

Mais  quand  je  parle  de  tendance,  de  direction  , 
ou  de  détermination  ,  ne  vous  allez  pas  imaginer 
que  j'entende  parler  d'une  direction  sans  force  et 
sans  mouvement ,  ce  qui  seroit  chimérique  et  im- 
possible ,  ne  pouvant  y  avoir  de  direction  sans 
mouvement  ou  sans  effort  ;  mais  j'entends  par  ce 
mot  de  direction  ou  de  détermination  vers  quel- 
que endroit  toute  la  partie  du  mouvement  qui  est 
déterminée  à  aller  vers  cet  endroit-là* 


LETTRES.  5o5 

Donc,  selon  que  le  milieu  est  plus  ou  moins  in- 
cliné au  rayon  ,  la  force,  qui  à  son  égard  le  porte 
vers  un  certain  endroit,  peut  être  plus  ou  moins 
grande  que  celle  qui  le  porte  vers  l'autre.  Par 
exemple,  si  l'angle  ABC  est  égal  à  l'angle  ABH,  les 
deux  parties  du  mouvement ,  dont  lune  le  porte 
en  bas  et  l'autre  à  droite ,  sont  égales ,  s'il  est 
moindre  sa  force  est  moindre,  et  s'il  est  plus  grand 
elle  est  plus  grande  ;  mais,  quelle  que  soit  l'incli- 
nation du  rayon  sur  le  milieu,  il  y  a  toujours 
une  partie  de  la  force  de  son  mouvement  à  la- 
quelle ce  milieu  est  opposé ,  et  une  autre  à  la- 
quelle il  ne  l'est  point.  Or,  tandis  que  le  rayon  est 
dans  l'air  ,  la  proportion  ,  quelle  qu'elle  soit ,  qui 
est  entre  ces  deux  parties  du  mouvement,  que 
nous  supposons  uniforme  ,  le  porte  dans  la  ligne 
AB;  et  tandis  que  rien  ne  la  change,  ou  tandis 
qu'elles  changent,  en  gardant  toujours  entre  elles 
une  même  proportion ,  le  rayon  va  toujours  en 
ligne  droite. 

Mais  lorsque  le  rayon  AB  de  la  page  20  étant 
parvenu  au  point  B  rencontre  un  autre  milieu  ,  si 
ce  milieu  ne  présente  pas  au  rayon  la  même  fa- 
cilité à  se  laisser  pénétrer  qu'avoit  l'air,  il  doit 
arriver  du  changement  au  cours  du  rayon ,  à  cause 
que  ce  milieu  n'est  opposé  qu'à  la  détermination  , 
ou  à  la  partie  du  mouvement  qui  le  porte  vers  lui, 
et  non  point  à  l'autre  ;  et  s'il  présente  moins  de 


5o6  LETTRES. 

facilité  au  passage  du  rayon  queue  fait  l'air,  la  ré- 
sistance qu'il  apporte  à  la  partie  du  mouvement 
qui  tend  vers  lui ,  et  non  point  à  l'autre,  laquelle 
en  ce  point  de  rencontre  demeure  précisément  la 
même  ,  fait  que  n'y  ayant  plus  la  même  propor- 
tion entre  ces  deux  parties  du  mouvement ,  qui 
toutes  deux  ensemble  portoient  auparavant  le  rayon 
dans  la  ligne  AB ,  elles  doivent  lui  faire  changer 
de  détermination ,  et  le  porter  vers  le  point  où  tend 
la  direction  qui  s'ajuste  avec  la  proportion  qui  se 
trouve  alors  entre  elles  ,  et  ainsi  le  faire  éloigner 
de  la  perpendiculaire. 

Que  si  au  contraire  le  milieu  qu'on  oppose  au 
rayon  AB  présente  plus  de  facilité  à  son  passage 
que  ne  faisoit  l'air,  cette  nouvelle  facilité  qu'il  ap- 
porte, et  qui  n'est  ressentie  que  par  la  partie  du 
mouvement  qui  tend  vers  lui,  et  non  point  par 
l'autre ,  comme  j'ai  déjà  dit,  doit  changer  sa  direc- 
tion, à  cause  que  cela  change  la  proportion  qui 
est  entre  les  deux  parties,  dont  le  mouvement 
entier  de  la  balle  est  composé,  et  le  détourner 
par  conséquent  vers  la  perpendiculaire;  ce  qui 
arrive  quand  un  rayon  de  lumière  passe  de  l'air 
dans  de  l'eau  ou  dans  du  verre. 

Et  pour  faciliter  la  compréhension  de  tout  ceci 
par  un  exemple  aisé,  représentez-vous  un  corps 
sphérique  bien  dur  et  bien  poli,  mis  sur  une 
planche  très  dure  aussi  et  très  polie,  dont  le  bout 


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LETTRES.  507 

s'appuie  sur  l'extrémité  d'une  table,  en  sorte  que 
la  planche  soit  inclinée  sur  la  table  et  fasse  un 
angle  aigu  avec  elle.  Il  est  certain  que  ce  mobile 
roulera  sur  cette  planche ,  et  ce  d'autant  plus  ou 
moins  vite  que  la  planche  sera  moins  ou  plus  in- 
clinée sur  cette  table.  Mais,  quel  que  soit  le  mouve- 
ment du  mobile  sur  cette  planche ,  il  est  certain 
qu'à  l'égard  de  la  table  il  a  deux  déterminations  ; 
l'une,  qui  le  porte  vers  elle,  par  laquelle  il  des- 
cend ;  et  l'autre ,  qui  le  porte  vers  l'une  des  mu- 
railles de  la  chambre,  par  laquelle  il  avance  de  ce 
côté-là;  et  il  est  si  vrai  qu'il  a  ces  deux  impressions, 
qu'il  les  garde  encore  toutes  deux  lorsqu'il  est  en 
l'air  hors  de  la  planche;  et  s'il  ne  lui  en  restoit 
qu'une  quand  il  est  hors  de  dessus  la  planche,  il 
ne  suivroit  que  celle-là  seule  ;  par  exemple ,  il  tom- 
beroit  perpendiculairement  à  terre ,  sitôt  qu'il  a 
quitté  la  planche ,  s'il  ne  lui  restoit  que  celle  de  sa 
chute. 

Mais  considérez  ce  qui  arrive  au  mobile  quand 
il  est  au  point  où  il  quitte  la  planche,  et  vous 
verrez  qu'il  arrive  la  même  chose  à  la  lumière 
quand  elle  passe  de  l'air  dans  l'eau  ;  et  parcequ'a- 
lors  la  partie  du  mouvement  qui  porte  le  mobile 
en  bas  trouve  plus  de  facilité  ou  moins  de  résis- 
tance à  son  action  quand  il  est  hors  de  dessus  la 
planche  et  dans  l'air  qu'elle  n'avoit  quand  il  étoit 
sur  la  planche ,  et  que  celle  qui  le  porte  vers  la 


5o8  LETTRES. 

muraille  demeure  la  même  (bien  que  ce  soit  encore 
la  même  force  totale  qui  pousse  en  ce  point-là  le 
mobile,  et  que  la  force  des  deux  parties  de  son 
mouvement  prises  séparément  soit  la  même), 
néanmoins,  parceque  la  proportion  qui  étoit  aupa- 
ravant entre  la  facilité  ou  la  résistance  que  pré- 
sentoitle  milieu  à  ces  deux  forces  est  changée,  et 
que ,  dans  ce  point  de  sortie ,  il  trouve  plus  de  fa- 
cilité pour  descendre  qu'auparavant,  sans  qu'il  en 
trouve  ni  plus  ni  moins  pour  aller  vers  la  muraille, 
pour  cela  il  arrive  qu'il  ne  suit  plus  la  direction  de 
la  ligne  qu'il  avoit  parcourue  sur  la  planche  ,  mais 
qu'il  en  prend  une  autre,  laquelle  est  propor- 
tionnée au  plus  de  facilité  qui  se  trouve  alors  en 
l'une  de  ces  forces  plus  qu'en  l'autre;  ce  qui  fait 
que  le  mobile  en  quittant  la  planche  s'approche 
de  la  perpendiculaire,  comme  fait  aussi  la  lu- 
mière en  entrant  dans  l'eau,  pour  la  même  rai- 
son. 

Et  c'est  à  mon  sens  une  des  choses  des  plus  ai- 
sées à  concevoir  qu'il  est  possible;  et  c'est  aussi  à 
mon  avis  tout  ce  qu'a  voulu  dire  M.  Descartes  au 
sujet  de  la  réfraction.  Je  ne  prétends  pas  néan- 
moins pour  cela  vous  avoir  persuadé;  il  suffit  que 
je  me  sois  donné  à  entendre,  afin  que  vous  ne 
croyiez  pas  que  je  suive  aveuglément  M.  Descartes , 
ou  que  je  vous  contredise  de  gaieté  de  cœur.  Je 
vous  ressemble  en  ce  point ,  que  je  n'aime  et  ne 


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LETTRES.  509 

cherche  que  la  vérité;  et  celte  conformité  que 
j'ai  avec  vous  me  fait  espérer  que  vous  ne  me  dés- 
avouerez pas,  quand  je  m'avouerai  partout,  etc. 

Pour  éclaircir  davantage  cette  matière,  j'appor- 
terai encore  ici  un  exemple,  qui  résout  à  mon  avis 
la  plupart  des  difficultés  que  l'on  peut  faire  sur 
ce  qu'a  dit  M.  Descartes  touchant  la  réfraction , 
dans  sa  Dioptrique. 

Il  est  constant  par  l'expérience,  que,  de  quelque 
façon  que  la  boule  A  soit  poussée  au  point  B,  par 
les  boules  C,  D,  E,  F,  G,  et  quelles  que  soient  les 
différentes  déterminations  dont  on  peut  supposer, 
que  celle  de  leur  route  soit  composée ,  elles  la 
pousseront  toujours  vers  II. 

Premièrement,  pour  la  boule  E,  il  est  clair 
qu'elle  la  doit  pousser  vers  II ,  puisque  la  boule 
A  s'oppose  totalement  à  sa  détermination;  mais 
ce  qui  est  clair  pour  la  boule  E]  doit  pareille- 
ment être  entendu  des  autres,  qui,  bien  qu'elles 
viennent  de  biais  vers  la  boule  A,  ne  la  touchent 
au  point  B  et  ne  la  poussent  qu'en  tant  qu'elles 
descendent  vers  H,  et  non  point  en  tant  qu'elles 
vont  vers  I  (ou  vers  K);  c'est  pourquoi  elles  ne 
sauroient  imprimer  d'autre  mouvement  à  cette 
boule,  sinon  de  la  faire  aller  vers  II.  Or,  quoique 
les  déterminations  des  boules  D  et  F  soient  op- 
posées, en  tant  que  l'une  va  à  droite  et  l'autre  à 
gauche,  elles  ne  le  sont  point  en  tant  qu'elles  des- 


5 10  LETTRES. 

cendent,  et  ainsi  elles  doivent  produire  sur  la 
boule  A  un  même  effet,  qui  est  de  la  pousser 
vers  H. 

Mais  si  nous  supposons  que  la  boule  A  soit  dure 
et  immobile,  toutes  ces  boules,  après  l'avoir  ren- 
contrée, seront  contraintes  de  changer  la  détermi- 
nation qu'elles  avoient  d'aller  vers  H,  en  celle 
d'aller  ou  de  réfléchir  vers  L,  et  garder  les  autres 
si  elles  en  avoient,  auxquelles  elle  ne  peut  ap- 
porter de  changement ,  à  cause  qu'elle  ne  leur  est 
point  opposée  en  ce  sens-la  :  et  ceci  explique  la 
réflexion  à  angles  égaux. 

Que  si  nous  supposons  que  ces  boules  aient 
communiqué  de  leur  mouvement  à  la  boule  A ,  ce 
ne  peut  être  qu'au  sens  qu'elle  leur  est  opposée  ; 
et  partant  ce  ne  peut  être  que  le  mouvement  vers 
H  qui  puisse  recevoir  de  l'altération,  et  non  point 
celui  vers  I  (ou  vers  K),  lequel  par  conséquent 
doit  demeurer  le  même  et  en  son  entier.  Si  bien 
que  ces  boules  perdant  au  point  B  de  la  force 
qui  les  détermine  à  aller  vers  H,  et  ne  per- 
dant rien  de  celle  qui  les  détermine  à  aller  vers 
I,  elles  sont  contraintes  de  se  détourner,  et  de 
prendre  en  ce  moment  une  autre  direction,  la- 
quelle elles  gardent  toujours,  quelque  résistance 
que  le  milieu  apporte  après  cela,  qui  peut  bien 
les  faire  aller  moins  vite,  mais  non  pas  changer 
leur  direction,  à  cause  qu'il  peut  bien  être  opposé  à 


LETTRES.  5  1  1 

leur  vitesse,  mais  non  point  à  la  direction  qu'elles 
ont  prise,  puisque  nous  supposons  qu'il  est 
également  facile  ou  difficile  à  s'ouvrir  ou  pénétrer 
de  tous  côtés;  et  cela  explique  la  réfraction  qui 
s'éloigne  de  la  perpendiculaire. 

Que  si  au  contraire  nous  supposons  que  ces 
boules  étant  au  point  B,  la  boule  A  leur  cède  plus 
aisément,  et  les  entraîne  pour  ainsi  dire  vers  H, 
cela  fait  que  ces  boules  descendent  plus  vite  ;  mais 
cela  ne  change  rien  à  leur  mouvement  vers  la 
droite  (ou  vers  la  gauche) ,  auquel  elle  n  est  point 
opposée;  et  ainsi  ces  boules,  au  moment  qu'elles 
sont  au  point  B,  étant  plus  disposées  à  aller  vers 
H  qu'elles  n'étoient  auparavant,  et  n'étant  ni  plus 
ni  moins  disposées  qu'elles  étoient  à  aller  vers  I, 
elles  doivent  changer  de  direction,  et  la  garder 
après  l'avoir  prise;  et  cela  explique  la  réfraction 
vers  la  perpendiculaire. 

Et  pour  faire  voir  que  la  résistance  plus  ou 
moins  grande  du  corps  du  milieu  n'y  fait  rien , 
et  ne  change  point  la  détermination  que  la  boule 
prend  au  point  B ,  considérons  ce  qui  peut  arriver 
à  la  boule  A ,  selon  les  différents  cas  qu'on  peut 
s'imaginer.  Par  exemple,  si  la  boule  E  tombe  per- 
pendiculairement sur  A,  et  qu'elle  lui  commu- 
nique la  moitié  de  son  mouvement,  où  ira-t-elle? 
Sans  doute  qu'elle  ira  vers  H,  et  la  force  qu'elle 
reçoit  en  ce  moment  ne  la  peut  déterminer  à  aller 


5  1  2  LETTRES. 

que  vers  là  ;  mais  est-ce  à  dire  qu'en  allant  vers 
H  elle  décrira  en  deux  moments  une  ligne  aussi 
longue  qu'a  fait  E  en  un  moment?  Oui,  sans  doute, 
si  vous  supposez  que  le  milieu  quelle  parcourt 
lui  donne  passage  aussi  facilement  qu'avoit  fait 
l'autre;  mais  si  ce  milieu  lui  résiste  davantage 
elle  en  décrira  une  plus  courte;  comme  aussi  elle 
en  peut  décrire  une  égale,  ou  même  une  plus  lon- 
gue, si  ce  milieu  résiste  autant  ou  moins  à  la  force 
qu'elle  a  reçue. 

Que  si  nous  supposons  que  c'est  Tune  des 
autres  boules  C,  D,  F,  G  qui  rencontre  A  au  point 
B,  il  s'ensuivra  la  même  chose,  à  savoir,  qu'elle 
sera  contrainte  par  la  force  qu'elle  recevra  de 
prendre  sa  détermination  vers  H ,  comme  aupara- 
vant, au  moment  même  qu'elle  en  est  touchée;  et 
la/jualité  du  milieu  ne  changera  point  cette  déter- 
mination ,  sinon  qu'ayant  reçu  moins  de  force, 
parceque  n'étant  touchée  que  de  biais  elle  n'est 
pas  poussée  par  toute  la  force  de  la  boule  qui  la 
touche,  elle  ira  moins  vite. 

Que  si  nous  supposons  que  la  boule  A  étoit  dé- 
jà en  mouvement,  et  se  mouvoit  vers  1,  la  chute  de 
l'une  de  ces  boules  sur  elle  n'apporte  aucun  chan- 
gement à  la  détermination  quelle  avoit  à  aller  vers 
là ,  c'est-à-dire  à  toute  la  force  de  son  mouvement 
qui  la  déterminoit  à  aller  vers  I ,  et  partant  elle 
doit  continuer  d'y  aller  comme  elle  faisoit  aupa- 


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LETTRES.  5  I  3 

ravant;  mais  elle  doit  aussi  aller  en  même  temps 
vers  le  côté  où  la  détermine  l'impression  qu'elle 
a  nouvellement  reçue  par  la  chute  de  Tune  de  ces 
boules;  si  bien  que  dès  ce  moment  elle  doit  pren- 
dre sa  direction. 

Mais  si  nous  supposons  que  le  milieu  où  elle  se 
trouve  après  cela  lui  résiste  davantage  que  ne 
faisoit  l'autre,  cela  ne  change  point  la  détermina- 
tion qu'elle  a  prise,  mais  fait  seulement  qu'elle  le 
parcourt  moins  vite  qu'elle  n'auroit  fait;  car  enfin 
la  proportion  qui  étoit  en  ce  moment  entre  ses 
deux  forces,  l'a  déterminée  à  aller  quelque  part; 
et  quelque  facilité  ou  difficulté  qu'apporte  ensuite 
le  corps  du  milieu  qu'elle  doit  parcourir,  comme 
elle  est  égale  en  tout  sens,  cela  ne  peut  rien  changer 
à  la  détermination  qu'elle  a  prise  en  sa  superficie  ,et 
ne  la  doit  ni  plus  ni  moins  détourner;  et  la  même 
proportion  est  ici  gardée  qu'entre  de  forts  ou  de 
foibles  mouvements  également  proportionnés. 

Par  exemple,  que  la  boule  À  soit  poussée  par 
deux  forces  égales  vers  B  et  vers  C  en.  même 
temps,  que  doit-il  arriver,  si  elle  est  dans  l'air? 
Il  arrivera  que  ces  deux  forces  ayant  un  grand  effet 
sur  elle,  la  pousseront  en  un  moment  jusques  en 
1):  mais  si  elle  étoit  dans  l'eau,  alors  ces  deux  forces 
n'ayant  pas  un  si  grand  effet  sur  elle,  ne  la  pous- 
seront que  jusques  en  E;  mais  elle  ne  changera 
point  pour  cela  de  direction. 

io.  33 


5  1  4  LETTRES. 

Et  ce  que  je  dis  de  la  boule  A,  qui  est  poussée 
par  des  forces  égales  dans  deux  milieux  différents, 
se  doit  entendre  tout  de  même  de  toute  autre 
sorte  de  proportion  qui  soit  entre  ces  deux  forces  ; 
savoir  est ,  que  la  diversité  du  milieu  ne  change 
point  la  direction  à  laquelle  les  forces  qu'elle  a  la 
déterminent  au  premier  moment,  mais  peut  seu- 
lement changer  sa  vitesse. 

Par  exemple,  que  la  boule  A  soit  poussée  en 
même  temps  par  deux  forces,  dont  l'une  la  pousse 
du  double  plus  fort  vers  C  que  l'autre  ne  fait  vers  B. 
Que  doit-il  arriver  si  elle  est  dans  l'air?  Il  arrivera 
que  ces  deux  forces ,  ayant  un  grand  effet  sur 
elle,  la  pousseront  en  un  moment  jusques  en  D  : 
mais  si  elle  étoit  dans  l'eau  ,  alors  ces  deux  forces 
n'ayant  pas  un  si  grand  effet  sur  elle,  mais  ne  lais- 
sant pas  de  l'avoir  de  tous  côtés  proportionné 
à  leur  force  ,  parceque  l'eau  s'ouvre  également 
de  tous  côtés,  ne  la  pousseront  que  jusques  en 
E;  mais  elle  ne  changera  point  pour  cela  de  di- 
rection, laquelle  elle  prend  dès  le  premier  mo- 
ment. 

Et  ainsi  ayant  égard  aux  premières  suppositions 
que  fait  M.  Descartes ,  lorsqu'il  se  sert  de  l'exemple 
d'une  balle  pour  expliquer  la  réflexion  et  la  réfrac- 
tion dans  le  chapitre  second  de  sa  Dioptrique,  c'est- 
à-dire  supposant  que  ni  la  pesanteur  ou  la  légè- 
reté de  la  balle  ,  ni  sa  grosseur ,  ni  sa  figure ,  ni 


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LETTRES.  5  1  5 

aucune  telle  cause  étrangère  ne  change  son  cours , 
ce  qu'il  dit  ensuite  est  véritable ,  c'est  à  savoir  qu'il 
ne  faut  considérer  que  la  détermination  que  prend 
la  balle  au  moment  qu'elle  est  au  point  B,  sans  se 
mettre  en  peine  de  ce  qui  peut  arriver  de  change- 
ment en  sa  vitesse  dans  le  milieu  qu'elle  parcourt 
par  après  ;  pour  ce  que  c'est  seulement  au  point  B 
qu'elle  est  contrainte  de  changer  de  direction ,  à 
cause  du  changement  qui  arrive  en  ce  point  dans 
la  proportion  qui  est  entre  les  deux  forces  qui  com- 
posent tout  son  mouvement;  et  la  direction  qu'elle 
a  une  fois  prise  au  point  B,  elle  la  garde  par  après, 
et  la  suit  plus  ou  moins  vite,  selon  le  plus  ou  moins 
de  résistance  du  milieu. 

RÉPONSE  DE  M.  DE  FERMAT 

A  M.  CLERSELIER. 

(  Lettre  5/t  du  tome  III.  ) 

Du  u  mai  i66a. 

Monsieur, 

Vos  deux  lettres  des  sixième  et  treizième  de  mai 
m'ont  été  rendues  eu  même  temps;  elles  me  font 

33. 


5 1 6 


LETTRES 


plus  d'honneur  que  je  n'en  devois  raisonnable- 
ment attendre;  et  bien  loin  que  vos  mots  latins 
m'aient  choqué/je  suis  persuadé  que,  dans  la  sup- 
position de  votre  sentiment  sur  le  sujet  de  la  dé- 
monstration de  M.  Descartes ,  il  n'y  en  a  point  de 
plus  véritables  en  aucun  endroit  de  vos  lettres;  car 
si  cette  démonstration  est  dans  les  règles  des  dé- 
monstrations certaines  et  infaillibles ,  il  n'est  rien 
de  plus  vrai,  sinon  que  ceux  qui  n'en  sont  pas 
convaincus  ne  l'entendent  point.  La  qualité  essen- 
tielle d'une  démonstration  est  de  forcer  à  croire  ; 
de  sorte  que  ceux  qui  ne  sentent  pas  cette  force 
ne  sentent  pas  la  démonstration  même,  c'est-à-dire 
qu'ils  ne  l'entendent  pas.  Je  n'attribue  donc ,  mon- 
sieur ,  qu'à  un  excès  de  courtoisie  et  de  civilité  cet 
adoucissement  que  MM.  de  votre  assemblée  vous 
ont  inspiré,  et  je  vous  en  rends  très  humbles  grâces. 
Pour  la  question  principale,  il  me  semble  que  j'ai 
dit  souvent ,  et  à  M.  de  la  Chambre  et  à  vous,  que 
je  ne  prétends  ni  n'ai  jamais  prétendu  être  de  la 
confidence  secrète  de  la  nature  ;  elle  a  des  voies 
obscures  et  cachées  que  je  n'ai  jamais  entrepris  de 
pénétrer:  je  lui  avois  seulement  offert  un  petit  se- 
cours de  géométrie  au  sujet  de  la  réfraction  si  elle 
en  eût  eu  besoin  ;  mais  puisque  vous  m'assurez , 
monsieur  ,  qu'elle  peut  faire  ses  affaires  sans  cela, 
et  qu'elle  se  contente  de  la  marche  que  M.  Descartes 
lui  a  prescrite,  je  vous  abandonne  de  bon  cœur 


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LETTRES.  5lJ 

ma  prétendue  conquête  de  physique,  et  il  me  suffit 
que  vous  me  laissiez  en  possession  de  mon  pro- 
blème de  géométrie  tout  pur,  et  in  abstracto;par 
le  moyen  duquel  on  peut  trouver  la  route  d'un 
mobile  qui  passe  par  deux  milieux  différents  ,  et 
qui  cherche  d'achever  son  mouvement  le  plus  tôt 
qu'il  pourra.  Et  je  ne  sais  pas  même  si  la  merveille 
ne  sera  point  plus  grande ,  en  supposant  que  j'aie 
mal  deviné  le  raisonnement  de  la  nature;  car  peut- 
on  s'imaginer  rien  de  plus  surprenant  que  ce  qui 
m'est  arrivé?  J'écrivis,  il  y  a  plus  de  dix  ans,  à  M.  de 
La  Chambre,  que  je  croyois  que  la  réfraction  se  de- 
voit  réduire  à  ce  problème  de  géométrie,  etj'étois 
pour  lors  tout-à-fait  persuadé  que  l'analyse  de  ce 
problème  me  donneroit  une  proportion  différente 
de  celle  de  M.  Descartes;  et  néanmoins  en  tentant  le 
problème,  qui  est  assez  difficile,  dix  ans  après,  j'ai 
trouvé  justement  la  même  proportion  que  M.  Des- 
cartes. Si  j'ai  dit  un  mensonge,  n'ai-je  pas  quelque 
raison  de  prétendre  que  c'est  un  de  ces  mensonges 
fameux  desquels  il  est  dit  dans  le  Tasse ,  comme 

je  vous  ai  déjà  écrit , 

■ 

Quando  sara  il  vero 

Si  bello,  che  si  possa  à  ti  preporre. 

• 

En  voilà  de  reste  ;  je  croise  les  armes  :  per- 
mettez-moi seulement,  s'il  vous  plaît,  d'as- 
surer ici  M.  Ghanut ,  et  M.  l'abbé  d'Issoire ,  son 


5  1  8  LETTRES. 

fils,  de  mon  obéissance  très  humble;  je  n'ai  pas 
l'honneur  d'être  connu  du  père,  mais  pourquoi 
serois-je  le  seul  de  toute  l'Europe  qui  n'aurois 
pas  une  entière  vénération  pour  lui.  Je  suis ,  etc. 

a 

LETTKE  DE  M.  CLERSELIER, 

-  • 

QUI  FUT  LUE  D ANS  l' ASSEMBLÉE  DE  M.  DE  MONTMOR  ,  LE  I  3  JUILLET 
l658,  SOUS  LE  NOM  DE  M.  DESCAETES  ,  ET  COMME  SI  C'EUT  ÉTÉ 
LUI  QUI  LEUT  AUTREFOIS  ÉCRITE  A  QUELQUUN  DE  SES  AMIS, 
SERVANT  DE  RÉPONSE  AUX  DIFFICULTÉS  QUE  M.  DE  ROBERVAL  Y 
AVOIT  PROPOSÉES  EN  SON  ABSENCE  ,  TOUCHANT  LE  MOUVEMENT 
DANS  LE  PLEIN. 
> 

(Lettre  97  du  tome  III.) 

Monsieur, 

J'ai  déjà  tâché  autant  que  j'ai  pu  de  résoudre 
ou  plutôt  de  prévenir  les  difficultés  que  vous  me 
faites,  touchant  l'impossibilité  du  mouvement  des 
parties  de  la  matière  dans  le  plein,  ayant  éclairci* 
ce  me  semble,  assez  nettement ,  en  divers  endroits 
de  mes  Principes,  selon  que  mon  sujet  m'y  a  porté, 
toutes  les  choses  qui  pouvoient  y  faire  concevoir 
de  la  répugnance  ou  de  la  difficulté  :  mais  pource- 
que  je  vois  que ,  quelque  soin  que  j'aie  pris ,  je  n'ai 


Digitized  by  VjOOQIc 


LETTRES.  5ig 

pourtant  pu  faire  que  des  personnes  très  habiles 
ne  soient  tombées  dans  les  mêmes  difficultés,  je 
veux  ici  faire  mon  possible  pour  les  ôter  entière- 
ment; et  pourceque  je  juge  que  cela  ne  procède 
que  faute  de  bien  comprendre  toute  l'économie  de 
mon  système,  et  la  suite  des  raisons  qui  servent 
à  faire  concevoir  comment  cela  est  possible,  je  vous 
remettrai  ici  devant}  les  yeux  tout  ce  que  je  ju- 
gerai nécessaire  à  cet  effet ,  et  qui  m'a  fait  avoir 
des  pensées  toutes  contraires  aux  vôtres,  et  trouver 
de  la  facilité  où  vous  ne  trouvez  que  de  la  répu- 
gnance. Si  tous  ceux  qui  ont  quelque  chose  à 
m'objecter  vouloient  en  user  comme  vous  ,  je  me 
suis  assez  déclaré  pour  les  obliger  à  croire  que  je 
ferois  tout  mon  possible  pour  les  satisfaire;  mais 
la  plupart  se  contentent  de  me  condamner  sans 
m'ouïr  et  faute  de  m'entendre;  et  quelques  uns  se- 
roient  bien  aises  de  se  divertir  par  des  disputes 
sans  fin ,  et  par  des  discours  dont  le  sens  s'évanouit 
aussitôt  que  le  son  des  paroles,  à  quoi  je  vous 
confesse  que  je  ne  me  suis  jamais  voulu  soumettre; 
ce  qui  sans  doute  aura  pu  foire  croire  ces  jours 
passés ,  à  l'un  des  plus  savants  et  des  plus  estimés 
mathématiciens  de  la  France ,  que  je  n'avois  eu 
aucune  réponse  à  faire  à  ses  difficultés  (qui  res- 
sembloient  entièrement  aux  vôtres),  pour  n'avoir 
pas  voulu  entrer  en  contestation  avec  lui  chez  une 
personne  de  marque,  et  en  assez  bonne  compagnie; 


520  LETTRES. 

mais  je  ne  le  fis  que  pour  l'obliger  à  écrire,  à  quoi 
je  le  conviai ,  ce  que  pourtant  je  n'ai  pu  encore 
obtenir  de  lui  jusques  à  présent  :  de  sorte  que 
s'il  a  lieu  de  se  vanter  que  je  fus  lors  sans  repar- 
tie, je  puis  aussi  de  mon  côté  me  glorifier  que  je 
l'ai  réduit  à  n'oser  écrire.  Mais,  en  attendant  qu'il 
s'y  soit  disposé ,  je  veux  vous  divertir  et  moi  aussi 
par  la  réponse  que  j'ai  à  vous  faire ,  arrêtant  tantôt 
votre  esprit  sur  la  considération  des  êtres  de  ce 
monde,  et  tantôt  le  faisant  promener  dans  un 
monde  tout  nouveau. 

Premièrement,  je  remarque  que  tous  les  corps 
de  l'univers  sont  composés  d'une  même  matière, 
et  que  cette  matière  ne  consiste  qu'en  l'étendue, 
en  longueur,  largeur  et  profondeur,  qui  est  telle 
que  chacune  de  ses  parties  occupe  toujours  un 
espace  tellement  proportionné  à  sa  grandeur, 
qu'elle  n'en  sauroit  remplir  un  plus  grand,  ni  se 
resserrer  dans  un  moindre,  ni  souffrir  que  pen- 
dant qu'elle  y  demeure  quelque  autre  y  trouve 
place. 

2.  J'ajoute  que  cette  matière  peut  être  divisée 
en  un  nombre  indéfini  de  parties,  chacune  des- 
quelles est  capable  d'une  innombrable  variété  de 
figures  et  de  mouvements. 

3.  Je  ne  mets  aucune  différence  réelle  entre 
cette  matière  et  ce  que  les  philosophes  ont  cou- 
tume de  nommer  espace;  à  cause  que  je  ne  cou- 


LETTRES.  521 

çois  l'un  et  l'autre  que  sous  la  notion  d'une  chose 
étendue  en  longueur,  largeur  et  profondeur.  Et 
quand  on  y  en  voudroit  établir  quelqu'une,  elle 
seroit  de  nulle  importance  pour  mon  dessein ,  qui 
est  d'expliquer  nettement  les  raisons  de  tous  les 
effets  de  la  nature  ;  puisque  je  ne  parle  jamais  de 
cet  espace  que  comme  d'une  chose  abstraite,  que 
mon  esprit  considère  ;  et  que  je  suppose  cette  ma- 
tière comme  un  vrai  corps  parfaitement  solide, 
qui  remplit  entièrement  et  également  toutes  les 
longueurs,  largeurs  et  profondeurs  de  ce  grand  et 
immense  espace  que  les  philosophes  appellent 
imaginaire,  et  qu'ils  nous  disent  être  infini:  et  de 
vrai  ils  doivent  bien  en  être  crus,  puisque  ce  sont 
eux-mêmes  qui  l'ont  fait. 

4-  Il  est  aisé  de  voir  que  je  ne  puis  admettre  de 
vide,  puisque  ce  vide  qu'on  me  voudroit  faire 
admettre  auroit  les  conditions  que  je  donne  à  la 
matière,  et  partant,  selon  moi,  seroit  un  vrai  corps; 
et  de  plus,  ayant  supposé  que  la  totalité  de  l'espace 
est  remplie  d'un  vrai  corps,  ou  d'une  matière 
parfaitement  solide ,  dont  les  parties  ne  se  peuvent 
ni  étendre  ni  resserrer,  il  est  impossible  que  je 
puisse  concevoir  aucun  vide  en  la  nature. 

5.  Bien  que  je  suppose  que  cette  matière  n'a  la 
forme  ni  de  la  terre,  ni  du  feu,  ni  de  l'air,  ni 
d'aucune  autre  chose  plus  particulière;  non  plus 
que  les  qualités  de  chaude,  de  froide,  de  sèche % 


522  LETTRES. 

d'humide,  de  légère  ou  de  pesante  ;  et  que  je  ne 
suppose  aussi  en  elle  aucun  goût,  ou  odeur,  ou 
son ,  ou  couleur,  ou  lumière,  ou  autre  chose  sem- 
blable, dans  la  nature  de  laquelle  on  puisse  dire 
qu'il  y  ait  quelque  chose  qui  ne  soit  pas  évidem- 
ment connue  de  tout  le  monde,  il  ne  faut  pas  . 
penser  pour  cela  qu'elle  soit  cette  matière  pre- 
mière des  philosophes,  qu'on  a  si  bien  dépouillée 
de  toutes  ses  formes  et  qualités,  qu'il  n'y  est  rien 
demeuré  de  reste  qui  puisse  être  clairement  en- 
tendu :  au  lieu  que  la  nature  que  j'attribue  à  cette 
matière  est  si  claire,  et  toutes  ses  propriétés,  à 
savoir,  sa  divisibilité,  et  la  grandeur,  la  figure,  la 
situation  et  le  mouvement  de  ses  parties,  si  in- 
telligibles, qu'il  n'y  a  rien  que  le  commun  même 
des  hommes  conçoive  plus  clairement  et  plus 
distinctement. 

6.  Mais,  pour  éviter  toute  dispute  avec  les  phi- 
losophes de  ce  monde ,  permettez  maintenant  pour 
un  peu  de  temps  à  votre  pensée  d'en  sortir,  et  de 
considérer  ce  qui  pourroit  arriver  dans  un  autre 
tout  nouveau ,  si  je  lui  en  faisois  naître  un  en  sa 
présence  dans  les  espaces  imaginaires  ,  sans  y  rien 
supposer  de  plus  que  ce  que  j'ai  déjà  dit;  et  vous 
verrez  que,  sans  y  recevoir  d'autres  lois  que  les  lois 
ordinaires  de  la  nature,  elles  seront  suffisantes  pour 
faire  que,  les  parties  de  cette  vaste  matière,  ou  si 
vous  voulez  de  ce  chaos,  se  démêlent  d'elles- 


LETTRES.  525 

mêmes ,  et  se  disposent  en  si  bon  ordre ,  qu'elles 
auront  la  forme  d  un  monde  très  parfait,  et  dans 
lequel  on  pourra  voir  non  seulement  de  la  lumière, 
mais  aussi  toutes  les  autres  choses  tant  générales 
que  particulières  qui  paroissent  dans  ce  vrai  monde. 

7.  Avant  que  je  vous  explique  ceci  plus  au  long 
(  ce  que  je  pourrai  faire  quelque  jour ,  puisque 
vous  m'en  priez,  me  contentant  aujourd'hui  de 
parler  de  ce  qui  peut  servir  à  l'éclaircissement  de 
vos  difficultés  présentes),  arrêtez-vous  un  peu  à  con- 
sidérer ce  chaos,  et  remarquez  qu'il  ne  contient  au- 
cunechose  qui  ne  vous  soit  si  parfaitement  connue, 
que  vous  ne  sauriez  pas  même  feindre  de  l'ignorer. 
Car  pour  les  qualités  que  j'y  ai  mises,  si  vous  y  avez 
pris  garde,  je  les  ai  seulement  supposées  telles  que 
vous  les  pouvez  imaginer  ;  et  pour  la  matière  dont 
je  l'ai  composé ,  il  n'y  a  rien  de  plus  simple  ni  de 
plus  facile  à  connoître  dans  les  créatures  inani- 
mées; et  son  idée,  à  savoir  l'étendue,  est  tellement 
comprise  dans  toutes  celles  que  notre  imagination 
peut  former,  qu'il  faut  nécessairement  que  vous 
la  conceviez,  ou  que  vous  n'imaginiez  jamais  au- 
cune chose. 

8.  Toutefois,  pourceque  les  philosophes  sont  si 
subtils,  qu'ils  trouvent  des  difficultés  dans  les 
choses  qui  semblent  les  plus  claires  aux  autres 
hommes ,  et  que  le  souvenir  que  vous  avez  de  leur 
matière  première  (  qu'ils  confessent  eux-mêmes  être 


5^4  LETTRES. 

assez  malaisée  à  concevoir  )  vous  pourroit  divertir 
de  la  connoissance  de  celte  dont  je  parle ,  il  faut 
que  je  vous  dise  en  cet  endroit  que ,  si  je  ne  me 
trompe ,  toute  la  difficulté  qu'ils  éprouvent  dans 
la  leur  ne  vient  que  de  ce  qu'ils  la  veulent  dis- 
tinguer de  sa  propre  quantité  et  de  son  étendue 
extérieure.  Toutefois  je  veux  bien  qu'ils  croient 
avoir  raison ,  car  je  n'ai  pas  dessein  de  m'arrèter  à 
leur  contredire;  mais  ils  ne  doivent  pas  aussi  trou- 
ver étrange  si  je  suppose  que  la  quantité  de  la 
matière  que  j'ai  décrite  ne  diffère  non  plus  de  sa 
substance  que  le  nombre  fait  des  choses  nombrées; 
et  si  je  considère  son  étendue ,  ou  la  propriété 
qu'elle  a  d'occuper  de  l'espace  ,  non  point  comme 
un  accident^  mais  comme  sa  vraie  forme  et  son 
essence  ;  car  ils  ne  sauroient  nier  qu'elle  ne  soit 
très  facile  à  concevoir  en  cette  sorte.  Et  mon  des- 
sein n'est  pas  aujourd'hui  devons  expliquer  comme 
eux  les  choses  qui  sont  en  effet  dans  le  vrai  monde; 
mais  seulement  d'en  feindre  un  à  plaisir ,  dans  le- 
quel il  n'y  ait  rien  que  les  plus  grossiers  esprits 
ne  soient  capables  de  concevoir,  et  qui  puisse  tou- 
tefois être  créé  tout  de  même  que  je  l'aurai  feint. 
Si  j'y  mettois  la  moindre  chose  qui  fût  obscure,  il 
se  pourroit  faire  que  parmi  cette  obscurité  il  y  au- 
roit  quelque  répugnance  cachée ,  dont  je  ne  me 
serois  pas  aperçu ,  et  ainsi  que  sans  y  penser  je  sup- 
poserois  une  chose  impossible;  au  lieu  que  pou- 


LETTRES.  525 

vaut  distinctement  imaginer  tout  ce  que  j'y  mets, 
il  n  y  a  point  de  doute  qu'encore  qu'il  n'y  eût  rien 
de  tel  dans  l'ancien  monde,  Dieu  le  pourroit  tou- 
tefois créer  dans  un  nouveau  ;  car  il  est  certain 
qu'il  peut  créer  toutes  les  choses  que  nous  pou- 
vons clairement  et  distinctement  imaginer. 

9.  C'est  pourquoi  je  me  garderai  bien,  comme  ont 
fait  quelques  uns ,  de  supposer  en  la  composition 
d'un  système  des  choses  qui  soient  autant  ou  plus 
difficiles  à  concevoir  que  ce  qu'ils  prétendent  ex- 
pliquer par  elles  ;  ainsi  je  n'ai  garde  de  supposer  que 
le  soleil  soit  extrêmement  chaud,  ni  que  la  matière 
dont  le  monde  est  composé  soit  fluide,  liquide, 
perméable  et  diaphane ,  et  qu'avec  cela  elle  a  cette 
vertu  de  pouvoir  être  raréfiée ,  ou  condensée ,  se- 
lon que  la  chaleur  est  plus  forte  ou  plus  foible;  et 
beaucoup  moins,  que  toute  la  matière  de  l'univers , 
et  chacune  de  ses  parties,  a  une  certaine  propriété 
par  la  vertu  de  laquelle  toute  cette  matière  s'unit 
et  s'assemble  en  un  seul  corps  continu,  dont  toutes 
les  parties  ont  inclination  et  font  effort  pour  se 
joindre  les  unes  aux  autres  ,  en  s'attirant  récipro- 
quement l'une  l'autre  ;  en  sorte  que  chaque  partie 
de  la  terre ,  ou  de  l'air ,  ou  de  l'eau ,  ou  de  quel- 
qu'autre  planète ,  a  en  soi  deux  vertus  semblables, 
l'une  qui  les  joint  avec  les  autres  parties  de  leur 
planète ,  et  l'autre  qui  les  unit  avec  le  reste  des 
parties  de  l'univers ,  sans  que  l'une  de  ces  deux 


52Ô  LETTRES. 

propriétés  empêche  l'effet  de  l'autre  ;  car  toutes 
ces  choses  me  semblent  avoir  besoin  de  grande 
explication ,  et  la  plupart  même  me  semblent  in- 
concevables, à  moins  que  d'admettre  dans  les  par- 
ties delà  matière  une  intelligence  et  une  puissance 
toutes  divines  ;  outre  que  ceux-là  mêmes  qui  sup- 
posent toutes  ces  qualités  dans  la  matière  dont 
l'univers  est  composé  n'ont  pu  encore  bien  expli- 
quer jusques  ici  ce  qu'ils  entendent  par  la  matière, 
sans  quoi  néanmoins  tout  ce  qu'ils  disent  ne  sauroit 
passer  tout  au  plus  que  pour  de  pures  suppositions, 
qui  n'ont  point  la  clarté  que  doit  avoir  un  prin- 
cipe ,  et  qui  ne  peuvent  servir  à  faire  connoître  au- 
cune chose. 

1  o.  Mais  pour  venir  à  vos  difficultés ,  la  première 
chose  que  je  désire  que  vous  remarquiez  est  la  dif- 
férence qui  est  entre  les  corps  durs  et  ceux  qui  sont 
liquides  ;  et  pour  cet  effet,  pensez  que  chaque  corps 
peut  être  divisé  en  des  parties  extrêmement  petites. 
Je  ne  veux  pas  déterminer  si  leur  nombre  est  in- 
fini ou  non  ,  mais  à  tout  le  moins  il  est  certain 
qu'au  regard  de  notre  connoissance  il  est  indéfini; 
et  que  nous  pouvons  supposer  qu'il  y  en  a  plusieurs 
milliers  dans  le  moindre  petit  grain  de  sable  qui 
puisse  être  aperçu  de  nos  yeux.  Et  remarquez  que 
si  deux  de  ces  petites  parties  s'entre-touchent  sans 
être  en  action  pour  s'éloigner  l'une  de  l'autre,  il 
est  besoin  de  quelque  force  pour  les  séparer  tant 


LETTRES.  527 

peu  que  ce  puisse  être;  car  étant  une  fois  ainsi 
posées ,  elles  ne  s  aviseroient  jamais  de  s'en  ôter 
d'elles-mêmes.  Remarquez  aussi  qu'il  faut  deux  fois 
autant  de  force  pour  en  séparer  deux  que  pour  en 
séparer  une ,  et  mille  fois  autant  pour  en  séparer 
mille ,  de  sorte  que  s'il  en  faut  séparer  plusieurs 
milliers  tout  à  la  fois ,  comme  il  faut  peut-être 
faire  pour  rompre  un  seul  cheveu,  ce  n'est  pas  mer- 
veille s'il  y  faut  une  force  assez  sensible  ;  mais  au 
contraire,  si  deux  ou  plusieurs  telles  parties  se 
touchent  seulement  en  passant,  et  lorsqu'elles  sont 
en  action  pour  se  mouvoir  l'une  d'un  côté,  l'autre 
de  l'autre,  il  est  certain  qu'il  faudra  moins  de  force 
pour  les  séparer  que  si  elles  étoient  tout-à-fait  sans 
mouvement;  et  même  qu'il  n'y  en  faudra  point  du 
tout  si  le  mouvement  avec  lequel  elles  se  peuvent 
séparer  d'elles-mêmes  est  égal  ou  plus  grand  que 
celui  avec  lequel  on  les  veut  séparer.  Or  je  ne  trouve 
point  d'autre  différence  entre  les  corps  durs  et  les 
liquides ,  sinon  que  les  parties  des  uns  peuvent 
être  séparées  d'ensemble  beaucoup  plus  aisément 
que  celles  des  autres  ;  car  même  celles  des  corps 
les  plus  durs  peuvent  être  séparées  par  une  force 
capable  de  vaincre  leur  résistance  :  de  sorte  que, 
pour  composer  le  corps  le  plus  dur  qui  puisse  être 
imaginé,  je  pense  qu'il  suffit  si  toutes  ses  parties 
se  touchent  sans  qu'il  reste  d'espace  entre  deux,  ni 
qu'aucune  d'elles  soit  en  action  pour  se  mouvoir. 


528  LETTRES. 

Car  quelle  colle  ou  quel  ciment  y  pourroit-on  ima- 
giner, outre  cela,  pour  les  faire  mieux  tenir  lune 
à  l'autre.  Je  pense  aussi  que  c'est  assez  pour 
composer  le  corps  le  plus  liquide  qui  se  puisse 
trouver,  si  toutes  ses  plus  petites  parties  se  re- 
muent le  plus  diversement  Tune  de  l'autre,  et  le 
plus  vite  qu'il  est  possible,  encore  qu'avec  cela 
elles  ne  laissent  pas  de  se  pouvoir  toucher  Tune 
l'autre  de  tous  côtés,  et  se  ranger  en  aussi  peu 
d'espace  que  si  elles  étoient  sans  mouvement. 

1 1.  Car  souvenez-vous  que  tous  les  corps,  tant 
durs  que  liquides,  sont  faits  d  une  même  matière; 
et  qu'il  est  impossible  de  concevoir  que  les  parties 
de  cette  matière  composent  jamais  un  corps  plus 
solide,  c'est-à-dire  qui  occupe  moins  d'espace 
qu'elles  font  lorsque  chacune  d'elles  est  touchée 
de  tous  cotés  par  les  autres  qui  l'environnent. 
D'où  il  suit,  ce  me  semble,  que  s'il  peut  y  avoir 
du  vide  quelque  part,  ce  doit  plutôt  être  dans  les 
corps  durs  que  dans  ceux  qui  sont  parfaitement 
liquides;  car  il  est  évident  que  les  parties  de  ceux- 
ci  se  peuvent  bien  plus  aisément  presser  et  agen- 
cer Tune  contre  l'autre,  à  cause  qu'elles  se  remuent 
sans  cesse,  que  non  pas  celles  des  autres  qui  sont 
sans  mouvement;  et  par  exemple,  si  vous  mettez 
de  la  poudre  dans  quelque  vase ,  vous  le  secouez 
et  frappez  contre,  pour  faire  qu'il  y  en  entre  da- 
vantage; mais  si  vous  y  versez  quelque  liqueur, 


LETTRES. 

elle  se  range  incontinent  d'elle-même  en  aussi 
peu  de  lieu  qu'on  la  peut  mettre. 

1 2.  Je  me  souviens  bien  de  la  difficulté  que  vous 
me  faites  là-dessus,  qui  est  assez  considérable;  c'est 
à  savoir  que  les  parties  qui  composent  les  corps 
liquides  ne  peuvent  pas,  ce  semble,  se  remuer 
incessamment,  comme  j'ai  dit  qu'elles  font,  si  ce 
n'est  qu'il  se  trouve  de  l'espace  vide  parmi  elles, 
au  moins  dans  les  lieux  d'où  elles  sortent  à  me- 
sure qu'elles  se  remuent.  Mais  à  cela,  j'ai  deux 
choses  à  repartir,  qui  doivent,  à  mon  avis,  satis- 
faire toute  personne  qui  veut  écouter  la  raison,  et 
non  pas  se  faire  des  obstacles  invincibles  de  ses 
difficultés.  La  première  est  la  connoissance  parfaite 
de  la  nature  des  trois  éléments  de  ce  monde  telle 
que  je  l'ai  décrite,  et  la  seconde  est  la  façon  que 
gardent  les  corps  en  se  remuant. 

13.  Pour  celle-ci,  je  n'ai  pas  seulement  connu 
par  la  raison ,  mais  j'ai  même  reconnu  par  diverses 
expériences  que  tous  les  mouvements  qui  se  font 
au  monde  sont  en  quelque  façon  circulaires, 
c'est-à-dire  que  quand  un  corps  quitte  sa  place, 
il  entre  toujours  en  celle  d'un  autre,  et  ainsi  de 
suite  jusques  au  dernier,  qui  occupe  au  même  in- 
stant le  lieu  délaissé  par  le  premier;  en  sorte  qu'il 
ne  se  trouve  pas  davantage  de  vide  parmi  eux 
lorsqu'ils  se  meuvent  que  lorsqu'ils  sont  arrêtés. 

Et  remarquez  ici  qu'il  n'est  point  pour  cela  néces- 
10.  34 


530  LETTRES. 

saire  que  toutes  les  parties  des  corps  qui  se  meu- 
vent ensemble  soient  exactement  disposées  en  rond 
comme  un  vrai  cercle,  ni  même  qu'elles  soient  de 
pareille  grosseur  ou  figure  ;  car  ces  inégalités 
peuvent  être  récompensées  par  d  autres  inégalités 
qui  se  trouvent  en  leur  vitesse;  et  par  la  facilité 
que  les  parties  les  plus  subtiles  et  les  plus  déliées 
des  corps  liquides,  qui  peuvent  bien  n'être  pas 
toutes  égales,  ont  à  se  diviser.  Or  on  ne  remarque 
pas  communément  ces  mouvements  circulaires, 
quand  les  corps  se  meuvent  dans  l'air,  d'autant 
que  la  plupart  sont  accoutumés  à  ne  concevoir 
l'air  que  comme  un  espace  vide;  mais  voyez  nager 
des  poissons  dans  le  bassin  d'une  fontaine ,  s'ils  ne 
s'approchent  point  trop  de  la  surface  de  l'eau,  ils 
ne  la  feront  aucunement  branler,  encore  qu'ils 
passent  dessous  de  tous  côtés  avec  une  très  grande 
vitesse:  d'où  il  paroît  manifestement  que  l'eau 
qu'ils  poussent  devant  eux  ne  pousse  pas  indif- 
féremment toute  l'autre,  mais  seulement  celle  qui 
peut  mieux  servir  à  parfaire  le  cercle  du  mouve- 
ment ,  et  rentrer  en  la  place  qu'ils  laissent  ;  et 
cette  expérience  seule  suffit  pour  montrer  combien 
ces  mouvements  circulaires  sont  aisés  et  familiers 
à  la  nature.  Et  la  raison  nous  montre  qu'il  ne  s'en 
peut  faire  d'autres,  à  cause  que  tout  étant  aussi 
plein  qu'il  sauroit  être,  un  corps  ne  peut  quitter 
sa  place  qu'il  n'entre  dans  celle  d'un  autre,  lequel 


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LETTRES.  55 1 

doit  enfin  venir  occuper  la  place  abandonnée  par 
le  premier,  comme  n'y  en  ayant  point  d'autre  où 
il  se  puisse  mettre  en  tout  le  reste  de  l'univers. 

14.  Enfin,  je  n'ai  plus  qu'à  expliquer  la  nature 
que  j'attribue  à  chacun  des  éléments,  afin  que  vous 
la  puissiez  une  fois  bien  concevoir;  car  toutes  vos 
difficultés  ne  viennent  que  faute  de  cela.  Je  conçois 
le  premier  comme  une  liqueur  la  plus  subtile  et 
la  plus  pénétrante  qui  soit  au  monde;  et  ensuite 
de  ce  que  je  vous  ai  dit  ci-devant,  touchant  la 
nature  des  corps  liquides ,  je  m'imagine  que  ses 
parties  sont  beaucoup  plus  petites,  et  se  remuent 
beaucoup  plus  vite  qu'aucunes  de  celles  des  autres 
corps;  ou  plutôt ,  pour  bannir  tout-à-fait  le  vide 
de  la  nature ,  et  pour  ôter  même  toutes  les  chi- 
canes que  les  plus  difficiles  et  les  plus  scrupuleux 
me  pourroient  faire  là-dessus ,  je  n'attribue  à  ses 
parties  aucune  grosseur  ou  figure  déterminée, 
mais  je  me  persuade  que  l'impétuosité  de  son 
mouvement  est  suffisante  pour  faire  qu'il  se  divise 
en  toutes  façons  et  en  tous  sens  par  la  rencontre 
des  autres  corps,  et  que  ses  parties  changent  de 
figure  à  tous  moments,  pour  s'accommoder  à  celles 
des  lieux  où  elles  entrent;  en  sorte  qu'il  n'y  a  ja- 
mais de  passage  si  étroit,  ni  d'angle  si  petit  entre 
les  parties  des  autres  corps,  où  celles  de  cet  élé- 
ment ne  pénètrent  sans  aucune  difficulté,  et 
qu  elles  ne  remplissent  exactement.  Pour  le  second 

34. 


532  LETTRES. 

élément  9  je  le  conçois  bien  aussi  comme  une  li- 
queur très  subtile,  en  le  comparant  avec  le  troi- 
sième; mais  pour  le  comparer  avec  le  premier, 
il  est  besoin  d'attribuer  quelque  grosseur  et  quel- 
que figure  à  chacune  de  ses  parties,  et  de  les  ima- 
giner à  peu  près  toutes  rondes,  et  jointes  ensem- 
ble ainsi  que  des  grains  de  sable  ou  de  poussière; 
en  sorte  quelles  ne  peuvent  si  bien  s  agencer,  ni 
tellement  se  presser  Tune  contre  l'autre,  qu'il  ne 
demeure  toujours  autour  d'elles  plusieurs  petits 
intervalles ,  dans  lesquels  il  est  bien  plus  aisé  au 
premier  élément  de  se  glisser,  que  non  pas  à  elles 
de  changer  de  figure  tout  exprès  pour  les  remplir: 
et  ainsi  je  me  persuade  que  ce  second  élément  ne 
peut  être  si  pur  en  aucun  endroit  du  monde,  qu'il 
n  y  ait  toujours  avec  lui  quelque  peu  de  la  matière 
du  premier.  Après  ces  deux  éléments,  je  n'en  reçois 
qu'un  troisième,  duquel  je  juge  que  les  parties  sont 
d'autant  plus  grosses,  et  se  meuvent  d'autant 
moins  vite  à  comparaison  de  celles  du  second ,  que 
font  celles-ci  à  comparaison  de  celles  du  premier; 
et  même  je  crois  que  c'est  assez  de  le  concevoir 
comme  une  ou  plusieurs  grosses  masses  dont  les 
parties  n'ont  que  fort  peu  ou  point  du  tout  de 
mouvement  qui  leur  fasse  changer  de  situation  au 
respect  Tune  de  l'autre. 

i5.  Et  remarquez  que  ce  n'est  pas  sans  raison 
que  je  ne  reçois  point  d'autres  éléments  que  ces 


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LETTRES.  535 

trois  que  j'ai  décrits;  car  la  différence  qui  est  en- 
tre eux  et  les  autres  corps  que  les  philosophes  ap- 
pellent mixtes  ou  composés,  consiste  en  ce  que 
les  formes  de  ces  corps  mêlés  contiennent  toujours 
en  soi  quelques  qualités  qui  se  contrarient  et  qui 
se  nuisent ,  ou  du  moins  qui  ne  tendent  point  à 
la  conservation  l'une  de  l'autre,  au  lieu  que  les 
formes  des  éléments  doivent  être  simples,  et  n'a- 
voir aucunes  qualités  qui  ne  s'accordent  ensemble 
si  parfaitement ,  que  chacune  tende  à  la  conserva- 
tion de  toutes  les  autres.  Or  c'est  ce  qui  se  ren- 
contre dans  les  formes  de  ces  trois  éléments.  Mais 
si  vous  examinez  toutes  les  formes  que  les  divers 
mouvements,  grosseurs,  figures  et  arrangement 
des  parties  de  la  matière  peuvent  donner  aux  corps 
mêlés,  je  m'assure  que  vous  n'en  trouverez  aucune 
qui  n'ait  en  soi  des  qualités  qui  tendent  à  faire 
qu'elle  se  change,  et  en  se  changeant  qu'elle  se  ré- 
duise  à  quelqu'une  de  celles  de  ces  éléments. 

Mais  de  plus,  comme  je  ne  reçois  que  trois  élé- 
ments, de  même  aussi,  si  nous  considérons  géné- 
ralement tous  les  corps  dont  l'univers  est  com- 
posé, nous  n'en  trouverons  que  de  trois  sortes 
qui  puissent  être  appelés  grands  et  nombres  entre 
ses  principales  parties,  à  savoir,  le  soleil  et  les 
étoiles  fixes  pour  le  premier,  les  cieux  pour  le 
second,  et  la  terre  avec  les  planètes  et  les  comètes 
pour  le  troisième.  C'est  pourquoi  nous  avons 


534  LETTRES. 

grande  raison  de  penser  que  le  soleil  et  les  étoiles 
fixes  n'ont  point  d'autre  forme  que  celle  du  pre- 
mier élément  tout  pur  ;  les  cieux,  celle  du  second, 
et  la  terre  avec  les  planètes  et  les  comètes,  celle  du 
troisième.  Et  pour  les  corps  mêlés,  nous  n'en 
apercevons  en  aucun  autre  lieu  que  sur  la  super- 
ficie de  la  terre  ;  et  si  nous  considérons  que  tout 
l'espace  qui  les  contient,  à  savoir,  tout  celui  qui 
est  depuis  les  nues  les  plus  hautes  jusques  aux 
fosses  les  plus  profondes,  est  extrêmement  petit 
à  comparaison  de  toute  la  terre  et  des  immenses 
étendues  du  ciel,  nous  pourrons  facilement  nous 
imaginer  que  ces  corps  mêlés  ne  sont  tous  ensem- 
ble que  comme  une  petite  écorce  qui  s'est  engen- 
drée au-dessus  de  la  terre,  par  l'agitation  et  le 
mélange  de  la  matière  du  ciel  qui  l'environne;  de 
sorte  qu'il  ne  peut  y  avoir  de  corps  mêlés  ailleurs 
que  sur  les  superficies  de  ces  grands  corps;  mais 
il  semble  que  là  il  faille  de  nécessité  qu'il  y  en  ait  : 
car  les  éléments  étant  chacun  de  nature  fort  con- 
traire ,  il  ne  se  peut  faire  que  deux  d'entre  eux  s'en- 
tretouchent,  sans  qu'ils  agissent  contre  les  super- 
ficies l'un  de  l'autre,  et  donnent  ainsi  à  la  matière 
qui  y  est  les  diverses  formes  de  ces  corps  mêlés. 

16.  C'est  assez  pour  ce  coup  vous  entretenir  du 
gros  de  mon  système  :  je  reviens  à  vos  difficultés 
qui  doivent,  ce  me  semble,  être  maintenant  levées. 
Je  demeure  d'accord  avec  vous  que  chaque  partie 


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LETTRES.  535 

de  la  matière  du  premier  élément,  la  plus  petite 
qui  soit ,  considérée  dans  l'état  qu'elle  est  au  mo- 
ment qu'on  la  considère,  est  figurée ,  et  aussi  solide 
qu'elle  puisse  être  ;  mais  vous  ne  devez  pas  con- 
fondre la  notion  de  solide  avec  celle  de  dur.  Car, 
par  exemple,  le  soleil  est  très  solide,  et  néanmoins 
il  est  le  corps  le  moins  dur,  et  le  plus  liquide  qui 
soit,  puisqu'il  est  composé  de  la  matière  la  plus 
subtile,  la  plus  fluide  et  la  plus  pénétrante  que 
nous  puissions  imaginer;  et  dont  chaque  partie 
prise  à  part,  et  considérée  toute  seule,  ne  doit  pas 
non  plus  être  appelée  dure,  à  cause  qu'elle  n'a 
point  de  grosseur  ni  de  figure  déterminée,  mais 
qu'elle  se  peut  diviser  à  tous  moments  en  plusieurs 
diverses  façons  ;  ce  qui  est  le  propre  des  corps  li- 
quides et  non  pas  des  corps  durs.  J'accorde  aussi 
que  chaque  petite  partie  du  premier  élément  ne 
se  pourroit  mouvoir ,  au  moins  d'un  mouvement 
direct ,  si  toutes  celles  qui  la  touchent  immédia- 
tement étoient  dans  le  repos ,  et  ne  lui  pouvoient 
faire  passage.  Mais  il  ne  faut  pas  simplement  con- 
sidérer chaque  partie  dans  l'état  présent  où  elle  est, 
il  faut  aussi  que  vous  considériez  celles  entre  les- 
quelles elle  est,  dans  l'état  présent  où  elles  sont; 
et  poureeque  toutes  ensemble  elles  composent 
un  corps  parfaitement  liquide ,  toutes  sont  dans 
le  mouvement,  toutes  disposées  à  céder  leur  place, 
et  toutes  sans  aucune  figure  déterminée;  de  sorte 


536  LETTRES. 

que  si  chaque  petite  partie  a  quelque  figure  dans 
le  moment  auquel  vous  la  considérez ,  comme  de 
vrai  elle  en  a  une,  elle  n'est  point  pour  cela 
obligée  de  la  garder  dans  le  moment  suivant,  si 
la  détermination  où  son  mouvement  la  porte  l'o- 
blige à  changer  sa  figure  pour  s'accommoder  à 
celle  des  lieux  où  elle  doit  entrer.  Car,  si  vous 
vous  en  souvenez,  je  vous  ai  dit  que  chaque  partie 
de  la  matière  du  premier  élément  étoit  si  petite, 
et  d'ailleurs  se  mouvoit  si  vite,  que  la  seule  im- 
pétuosité de  son  mouvement  étoit  suffisante  pour 
faire  qu'elle  se  divisât,  rompît,  brisât,  ou  s'éca- 
chât  en  toutes  façons  et  en  tous  sens  par  la  ren- 
contre des  autres  corps.  Il  n'est  donc  pas  besoin 
d'aller  jusques  au  bout  du  monde  pour  trouver  le 
cercle  qui  se  doit  faire,  afin  que  la  moindre  partie 
de  la  matière  du  premier  élément  se  meuve  ;  car 
sans  être  obligée  d'imprimer  aucun  mouvement 
dans  pas  une  autre ,  elle  se  peut  mouvoir  à  son 
aise  dans  la  place  même  que  ses  voisines  sont  dis- 
posées à  lui  céder  en  se  remuant;  et  pour  rendre 
la  chose  plus  intelligible  par  un  exemple  sensible, 
quand  vous  faites  mouvoir  un  bâton  en  ligne 
droite ,  il  est  certain  que  lorsque  sa  première  partie 
A  se  remue  et  qu'elle  a  avancé  d'un  pouce,  sa 
seconde  partie  B  en  même  temps  a  aussi  avancé 
d'un  pouce,  et  a  justement  rempli  sa  place,  la- 
quelle a  été  occupée  par  celle  marquée  C,  et  ainsi 


LETTRES.  557 

de  suite  jusques  au  bout  du  bâton  ;  et  l'espace 
délaissé  par  la  dernière  du  bâton  a  été  aussi  en 
même  temps  rempli  par  autant  d'air  que  la  pre- 
mière avoit  chassé  vers  là  quand  le  bâton  a  com- 
mencé à  se  mouvoir;  non  qu'il  soit  nécessaire  que 
le  bâton  ait  donné  aucun  mouvement  à  l'air,  mais 
seulement  il  a  pu  déterminer  celui  que  l'air  avoit 
déjà  à  faire  pour  qu'il  s'allât  ranger  à  la  place  que 
l'extrémité  du  bâton  délaissoit.  De  sorte  que  si  vous 
avez  bien  compris  la  nature  que  j'attribue  à  la 
matière  subtile;  et  comment  se  font  les  mouve- 
ments circulaires,  qui  ne  doivent  point  nécessai- 
rement être  ni  des  ovales  ni  de  vrais  cercles ,  mais 
qui  ne  sont  appelés  circulaires  qu'à  cause  que 
leur  mouvement  finit  où  il  avoit  commencé ,  quel- 
que irrégularité  qui  se  trouve  dans  le  milieu;  et 
aussi  que  toutes  les  inégalités  qui  peuvent  être 
dans  la  grosseur  et  dans  la  figure  des  parties 
peuvent  être  récompensées  par  d'autres  inégalités 
qui  se  trouvent  en  leur  vitesse,  et  par  la  facilité 
que  les  parties  de  la  matière  subtile,  ou  du  pre- 
mier élément,  qui  se  trouvent  mêlées  partout, 
ont  à  se  diviser  et  à  accommoder  leur  figure  à 
celle  de  l'espace  qu'elles  doivent  remplir,  je  m'as- 
sure qu'il  ne  vous  restera  plus  aucune  difficulté 
touchant  le  mouvement  des  parties  de  la  matière 
dans  le  plein.  J'aurois  poussé  la  chose  plus  avant , 
si  j'eusse  eu  affaire  à  quelque  personne  moins 


55S  LETTRES. 

docile  que  vous,  et  plus  résolue  a  contredire;  mais 
j'aime  mieux  vous  laisser  cela  à  méditer  un  peu , 
pour  y  accoutumer  votre  esprit ,  et  pour  délasser 
le  mien ,  à  qui  il  ne  reste  plus  de  force  ni  d'haleine 
que  pour  vous  dire  que  je  suis ,  etc. 

A  M.  DE  LA  FORGE, 

MÉDECIN  A  SAUMUR. 

OBSERVATIONS  DE  M.  CLERSEL1ER , 

TOUCHANT  LACTION  DE  LAME  SUR  LE  CORPS. 

(Lettre  125  du  tome  III.) 

A  Paris  ,  le  4  décembre  i6Go. 

Monsieur  , 

Je  ne  sa  vois  pas  encore  que  vous  fussiez  un  si 
bon  maître  d'escrime  ;  car  je  vois  que  vous  ne  vous 
contentez  pas  d'esquiver  ou  de  parer  aux  coups  de 
civilité  qu'une  juste  connoissance  que  j'ai  de  votre 
mérite  m'avoitfait  vous  porter  ;  vous  les  repoussez 
contre  moi  si  vivement ,  que  vous  me  mettez  tout 
hors  de  garde ,  et  m'ôtez  le  moyen  de  m'en  défen- 


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LETTRES.  539 

dre;  mais  je  veux  bien  recevoir  en  moi  les  coups 
d'une  main  si  adroite  ,  si  officieuse  et  si  agréable 
que  la  vôtre ,  et  me  confesser  à  présent  vaincu , 
pour  n'avoir  pas  la  honte  de  l'être  plus  d'une  fois. 
Trêve  donc,  s'il  vous  plaît,  désormais  de  tout  com- 
pliment entre  nous. 

Ce  que  j'ai  maintenant  à  vous  dire  est  que  je 
vois  fort  peu  de  différence  entre  ce  que  vous 
pensez  de  la  façon  dont  1  ame  et  le  corps  agissent 
l'un  sur  l'autre  ,  et  ce  que  je  vous  ai  fait  voir  que 
je  pensois  là-dessus.  Je  trouve  comme  vous  que  la 
force  qui  meut,  et  même  celle  qui  ne  fait  que  dé- 
terminer à  son  gré  et  comme  il  lui  plaît  le  mou- 
vement ,  ne  dit  rien  en  soi  de  corporel ,  et  partant 
je  ne  trouve  point  d'inconvénient  qu'elle  puisse 
appartenir  à  l'âme.  Bien  plus,  je  trouve  que  cette 
force  n'est  point  du  tout  du  ressort  du  corps,  mais 
qu'elle  doit  nécessairement  venir  d'ailleurs ,  pour 
avoir  son  effet  dans  le  corps  :  car  l'essence  du 
corps  ne  consistant  que  dans  l'étendue  en  longueur, 
largeur  et  profondeur ,  je  trouve  ensuite  que  cette 
étendue  a  bien  de  sa  nature  d'être  divisible  en  plu- 
sieurs parties,  et  ces  parties  d'être  capables  de 
mouvement;  si  bien  qu'un  corps  en  particulier  est 
de  soi  capable  d'être  mû,  mais  non  pas  de  se  mou- 
voir soi-même ,  ni  de  mouvoir  un  autre  corps,  si- 
non en  tant  que  déjà  il  est  mû  ;  et  ainsi  le  principe 
du  mouvement  est  hors  du  corps. 


540  LETTRES. 

Mais  comme  nous  ne  connoissons  que  deux 
sortes  de  substances,  lune  spirituelle  et  l'autre 
corporelle ,  il  est  nécessaire  que  toutes  les  proprié- 
tés que  nous  reconnoissons  avoir  quelque  existence 
appartiennent  à  lune  ou  à  l'autre  de  ces  deux  sub- 
stances ,  et  partant  que  celles  que  nous  reconnois- 
sons ne  point  appartenir  à  la  substance  corporelle, 
comme  celle  de  donner  le  premier  mouvement  au 
corps ,  ou  de  lui  en  imprimer  un  tout  nouveau 
qui  augmente  la  quantité  de  celui  qui  est  déjà 
dans  le  monde ,  appartiennent  à  la  substance  spi- 
rituelle. 

Mais  à  quelle  substance  spirituelle  ?  A  la  finie , 
ou  à  l'infinie  ?  Je  dis  qu'il  n'y  a  que  l'infinie  seule 
qui  soit  capable  d'imprimer  le  premier  mouvement 
au  corps  ;  mais  que  la  finie ,  comme  l'âme  de 
l'homme ,  peut  seulement  être  capable  de  déter- 
miner le  mouvement  qui  est  déjà.  Dont  la  raison 
est  que  je  ne  reconnois  point  d'autre  puissance 
capable  de  créer,  ou  de  faire  qu'une  chose  qui  n'est 
point  soit  et  existe,  que  celle  de  Dieu;  à  cause 
que  la  distance  infinie  qu'il  y  a  du  néant  à  l'être 
ne  peut  être  surmontée  que  par  une  puissance  qui 
soit  actuellement  infinie. 

Vous  me  direz  peut-être  que  le  mouvement  n'é- 
tant qu'un  mode  de  la  matière,  lequel  suppose  déjà 
son  sujet,  au  moins  par  un  ordre  de  nature,  il 
n'est  pas  besoin  d'une  si  grande  puissance  pour  l'y 


LETTRES.  54l 

introduire;  la  matière  de  sa  nature  étant  divisible , 
et  sans  répugnance  à  le  recevoir. 

Mais  à  cela  je  réponds  que  comme,  avant  que  la 
matière  fût ,  il  falloit  la  voix  toute-puissante  du 
Créateur  pour  la  faire  sortir  du  néant  où  elle  étoit; 
de  même ,  pour  mouvoir  ou  animer  cette  matière, 
et  faire  sortir  de  son  néant  le  principe  général  et 
universel  de  toutes  les  formes ,  il  ne  faut  pas  moins 
que  la  même  voix;  et  celle  d'aucun  autre  esprit  ne 
sauroit  être  assez  forte  pour  se  faire  entendre  et 
obéir,  à  moins  que  la  volonté  du  Créateur  ne  se 
trouve  jointe  avec  la  sienne.  Car  quelles  que  puis- 
sent être  les  propriétés  de  cette  matière ,  elles  ne 
sauroient  être  autres  que  Dieu  Ta  voulu  ;  et  ainsi 
quand  il  seroit  vrai  qu'à  la  voix  d'un  ange ,  c'est- 
à-dire  au  désir  de  sa  volonté ,  la  matière  auroit 
été  mue  et  divisée  la  première  fois ,  sa  voix  n'au- 
roit  été  que  l'instrument  de  celle  de  Dieu  ,  de  qui 
la  vertu  seule  auroit  opéré  cette  merveille,  n'étant 
pas  possible  que  le  néant  du  mouvement  obéisse 
qu'à  une  puissance  infinie. 

Il  n'en  est  pas  de  même  de  la  détermination 
du  mouvement ,  qui  n'ajoute  rien  de  réel  dans  la 
nature ,  et  qui  ne  dit  rien  de  plus  que  le  mouve- 
ment même  ,  lequel  ne  peut  être  sans  détermina- 
tion. Si  bien  que  ce  n'est  pas  merveille  que  l'âme 
ait  la  faculté  de  le  déterminer,  ainsi  que  notre 
propre  expérience  nous  convainc  qu'elle  a;  car 


542  LETTRES. 

cela  n'empêche  pas  que  Dieu  ne  soit  l'auteur  de 
toutes  les  formes  qui  arrivent  successivement  à  la 
matière  ,  qui  sont  toutes  des  effets,  des  suites  et 
des  dépendances  du  mouvement  qu'il  y  a  introduit 
et  qu'il  y  conserve,  et  qu'ainsi  il  ne  soit  véritable- 
ment créateur  de  toutes  choses. 

De  savoir  maintenant  comment  se  fait  cette  dé- 
termination ,  il  est  vrai  que  nous  n'avons  pas  con- 
noissance  de  quelle  façon  notre  âme  envoie  les 
esprits  animaux  dans  les  nerfs,  et  ensuite  dans  les 
muscles,  pour  mouvoir  nos  membres  conformé- 
ment à  nos  volontés  :  mais,  comme  nous  enseigne 
notre  maître,  il  ne  faut  pas  s'en  étonner;  car  cette 
façon  ne  dépend  de  lame  seule,  mais  de  l'union 
qui  est  entre  1  ame  et  le  corps;  union  qui  ne  dé- 
pend pas  non  plus  d'elle,  et  dont  tous  les  effets  ou  les 
suites  sont  pour  cela  même  en  quelque  façon  con- 
fuses et  obscures  à  1  ame  ;  d'où  vient  qu'il  appelle 
nos  sensations  des  pensés  confuses.  Et  néanmoins, 
si  nous  y  voulons  prendre  garde ,  nous  avons  con- 
noissance  de  toute  cette  action  par  laquelle  l'âme 
meut  les  membres ,  en  tant  qu'une  telle  action  est 
dans  l'âme,  et  dépend  d'elle;  puisque  ce  n'est  rien 
autre  chose  en  elle  que  l'inclination  de  sa  volonté 
k  un  tel  ou  tel  mouvement,  laquelle  inclination 
lui  est  claire ,  et  n'a  rien  d'obscur.  Mais  que  cette 
inclination  de  sa  volonté  soit  suivie  du  cours  des 
esprits  dans  les  nerfs  et  dans  les  muscles,  et  de 


LETTRES.  543 

tout  ce  qui  est  requis  pour  ce  mouvement,  cela 
n'arrive  pas  simplement  parcequ'elle  le  veut,  au- 
trement notre  volonté  seroit  toujours  exécutée,  et 
le  corps  ne  seroit  jamais  paralytique  (car  quand 
est-ce  que  notre  Ame  a  jamais  plus  de  volonté  de 
faire  mouvoir  le  corps  auquel  elle  est  jointe ,  que 
lorsqu'il  n'est  pas  en  état  de  lui  obéir);  mais  cela 
arrive  à  cause  de  la  convenable  disposition  où  le 
corps  se  trouve  quand  notre  âme  veut  et  se  dé- 
termine à  quelque  mouvement ,  de  laquelle  dispo- 
sition elle  peut  bien  n'avoir  point  de  connoissance. 

Mais  ce  n'est  pas  tout  ;  car  il  faut  outre  cela 
que  l'âme  soit  unie  à  ce  corps  qui  est  bien  dis- 
posé; d'autant  que  1  ame  n'a  point  de  pouvoir  sur 
le  corps  le  mieux  disposé  du  monde  auquel  elle 
n'est  point  unie.  Mais  quoique  notre  âme  ne  con- 
noisse  pas  la  manière  de  son  union ,  elle  ne  peut 
pourtant  pas  méconnoître  l'union  qui  est  entre  son 
corps  et  elle;  ce  qu'elle  témoigne  assez  par  les  dé- 
terminations de  sa  volonté,  qui  se  portent  toutes 
à  mouvoir  le  corps  auquel  elle  sait  être  jointe,  et 
non  pas  les  autres. 

Ce  n'est  pas  encore  assez  que  le  corps  soit  bien 
disposé,  ni  que  notre  âme  lui  soit  jointe ,  afin  que 
de  l'inclination  de  notre  volonté  il  s'ensuive  un 
mouvement  dans  le  corps  ;  il  faut  de  plus  que  ce 
mouvement  soit  joint  naturellement  avec  la  vo- 
lonté que  nous  avons  (ce  qui  montre  que  cette 


544  LETTRES. 

liaison  ne  vient  pas  de  nous ,  puisque  nous  n'en 
sommes  pas  les  maîtres,  et  partant  qu'elle  vient 
de  l'auteur  de  cette  union  )  :  car  nous  pouvons 
avoir  moins  de  volontés  qui  ne  seront  point  suivies 
de  leurs  effets ,  quoique  notre  corps  ne  manque 
pas  de  disposition  pour  les  exécuter;  par  exem- 
ple ,  ayons ,  tant  qu'il  nous  plaira ,  la  volonté  d'ex- 
citer dans  notre  corps  cette  disposition  qui  cause 
en  nous  le  sentiment  de  la  joie  ou  de  la  tristesse , 
nous  n'en  viendrons  jamais  à  bout,  quoique  notre, 
corps  ne  manque  pas  de  disposition  pour  cela, 
puisqu  au  moindre  sujet  qui  se  présente,  c'est-à- 
dire  à  la  moindre  pensée  à  laquelle  ce  mouvement 
ou  changement  du  corps  est  naturellement  joint  r 
il  ne  manque  pas  d'en  prendre  aussitôt  la  disposi- 
tion. 

On  ne  peut  pas  dire  aussi  que  notre  âme  soit 
jointe  et  unie  à  un  corps ,  quoiqu'il  se  meuve  con- 
formément à  sa  volonté,  à  moins  que  ce  mouve- 
ment ne  suive  immédiatement  de  sa  volonté,  et 
que  l'âme  avec  cela  ne  connoisse  qu'elle  lui  est 
unie  par  un  sentiment  ou  perception  qu'elle  ne 
peut  pas  ne  point  connoître.  Car,  par  exemple, 
quand  je  remue  un  bâton ,  ou  une  plume,  comme 
je  fais  à  présent,  quoique  cette  plume  se  remue 
conformément  à  ma  volonté,  son  mouvement  ne 
vient  pourtant  pas  immédiatement  de  ma  volonté, 
puisque  ce  n'est  que  par  l'entremise  de  ma  main 


LETTRES. 

qu  elle  se  remue  ;  et  si  un  chien  vient  quand  on 
l'appelle  ,  quoique  en  cette  rencontre  il  fasse  ce 
que  notre  volonté  veut ,  nous  savons  pourtant  bien 
par  notre  propre  expérience  que  notre  âme  n'est 
pas  unie  au  corps  de  ce  chien;  aussi  faut-il  em- 
ployer ou  la  main  ou  la  voix,  ou  quelque  autre 
signe  extérieur  pour  le  faire  venir  vers  nous ,  et 
non  pas  seulement  la  pensée,  ou  l'acte  intérieur 
de  notre  volonté,  laquelle  suffit  pour  mouvoir  le 
corps  bien  disposé  auquel  notre  âme  est  jointe, 
quand  ce  mouvement  est  naturellement  joint  avec 
la  pensée  ou  la  volonté  que  nous  avons. 

Ce  n'est  pas  que  je  ne  croie  que  l'âme  peut  être 
unie  à  un  corps  sans  qu'il  y  ait  aucune  apparence 
extérieure  de  cette  mutuelle  correspondance  d'ac- 
tion et  de  passion  qui  est  entre  l'un  et  l'autre,  et 
sans  qu'il  en  reste  aucun  souvenir;  cela  se  recon- 
noît  dans  la  léthargie,  où  nous  ne  pouvons  pas 
désavouer  que  pour  lors  l'âme  ne  laisse  pas  d'être 
unie  au  corps ,  quoique  le  commerce  qui  a  cou- 
tume d'être  entre  l'un  et  l'autre  semble  presque 
tout  interrompu,  et  que  nous  n'ayons  aucune  sou- 
venance de  tout  ce  qui  s'est  alors  passé  dans  notre 
âme  à  l'occasion  du  corps.  Mais  je  ne  puis  pour- 
tant croire  que  l'âme  ne  s'aperçoive  toujours  de 
l'union  qu'elle  a  avec  le  corps  auquel  elle  est 
jointe,  quand  elle  y  fait  réflexion.  Et  de  cette  per- 
ception résulte  en  l'âme  une  connoissance  que  ce 

35 


546  LETTRES. 

corps  lui  appartient  d'une  autre  manière,  plus 
proche  et  plus  particulière,  que  tous  les  autres 
qui  sont  au  monde;  elle  connoît  que  cette  union 
le  rend  et  le  fait  sien,  et  que  c'est  par  elle  et  à 
cause  d'elle  seulement  que  ce  corps  est  en  effet 
et  réellement  son  propre  et  véritable  corps. 

Que  si  après  cela  nous  voulions  aller  plus  avant, 
pour  savoir  comment  notre  âme,  qui  est  incorpo- 
relle, peut  mouvoir  le  corps,  M.  Descartes  ajoute 
fort  judicieusement  au  même  lieu  qu'il  n'y  a  ni 
raisonnement  ni  comparaison  tirée  des  autres 
choses  qui  nous  le  puisse  apprendre ,  mais  que 
néanmoins  nous  n'en  pouvons  douter,  puisque 
des  expériences  très  certaines  et  très  évidentes  ne 
nous  en  convainquent  que  trop  tous  les  jours. 
Et  il  faut  bien  prendre  garde  que  c'est  là  une  de 
ces  choses  qui  sont  connues  par  elles-mêmes,  et 
que  nous  obscurcissons  toutes  les  fois  que  nous 
les  voulons  expliquer  par  d'autres.  Et  la  raison 
qui  me  fait  acquiescer  à  ce  sentiment  de  M.  Des- 
cartes est  que  je  trouve  que  nous  ne  devons  et 
ne  pouvons  non  plus  connoitre  comment  le  spiri- 
tuel agit  sur  le  corporel,  ou  le  corporel  sur  le  spi- 
rituel, que  nous  pouvons  connoitre  comment  Dieu 
a  créé  toutes  choses,  comment  il  s'est  fait  enten- 
dre et  obéir  par  le  néant,  bref  comment  il  agit  hors 
de  lui;  car  ce  sont  des  effets  de  sa  toute-puissance 
et  de  sa  sagesse,  qui  sont  au-dessus  de  la  portée 


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LETTRES.  5^7 

de  nos  esprits;  n'étant  pas  possible  que  des  esprits 
finis  comme  les  nôtres  puissent  connoître  la  ma- 
nière d'agir  de  l'esprit  infini,  ni  que  la  créa- 
ture puisse  comprendre  comment  elle  est  sortie 
des  mains  de  son  créateur.  La  créature  peut  bien 
connoître  et  admirer  l'effet  de  sa  toute-puissance 
en  se  voyant  et  se  regardant  quand  elle  est,  mais 
elle  n'a  pu  connoître  avant  qu'elle  fut  la  manière 
dont  il  s'est  servi  pour  la  faire  être  ;  de  même  aussi 
l'âme  peut  bien  connoître  et  admirer  l'effet  de  son 
union  avec  le  corps,  et  le  pouvoir  réciproque 
qu'ils  ont  l'un  sur  l'autre,  mais  elle  ne  peut  pas 
rendre  raison  de  son  union  ni  de  ses  effets;  car 
n'y  ayant  aucun  rapport  ou  affinité  entre  les  pro- 
priétés de  l'un  et  de  l'autre,  c'est-à-dire  entre  les 
mouvements  du  corps  et  les  pensées  de  l'âme, 
l'union  qui  est  entre  les  uns  et  les  autres  ne  peut 
avoir  d'autre  cause  que  la  volonté  de  celui  qui  les 
a  joints  et  unis  ensemble,  et  il  n'y  a  que  la  seule 
expérience  qui  nous  puisse  apprendre  quelle  est 
cette  union.  Je  suis ,  etc. 


FIN  DU  TOME  DIXIÈME. 


55. 


•  9 


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«.-».■».  %.-*.  •».».».•».».-%.•%».  t^.  w»^».  v»^».  %.-v»  « 


TABLE 


DES  LETTRES  CONTENUES  DANS  LES  TOMES  VI  A  X. 

f 

«  •  c 

Rxiubqvi.  Lei  lettres  de  Descarte*  te  trouvant  classées  suivant  l'ordre  de  date  dans  cette 

nouvelle  édition  ,  il  a  paru  nëceuaîre  d'établir,  par  une  table,  la  concordance  de  ce  nouve 
ordre  avec  celui  qui  a  été  tuivi  dan*  la  première  édition  in-4°f  imprimée  en  1666.  Le*  chif- 
fre* entre  parenthèces  sont  les  numéros  du  volume  et  de  la  page  de  celte  première  édition. 


- — — - 


ANNÉE  1629. 

A  M.  Febbibb,  sur  les  lunettes.  (  III,  98.  )  Tome  VI ,  page  5 
Au  même,  idem.  (  III ,  99.  )  - 

De  M.  Fbbbieb,  idem.  (III»  100.)  13 

A  M.  FxaRtcB,  idem.  (III,  10a.  )  ag 

An  mèjif  ,  idem.  (III,  ,02.)  45 
A  M.***,  sur  divers  sujets  de  physique  et  de  mathématiques. 

(III,  100.  )  47 

Ao  R.  P.  Mbesenwb,  questions  diverses.  (II,  lia.)   53 

Ad  même  ,  sur  la  proposition  d'une  nouvelle  langue.  (  1 ,  11 1.  )  6 s 

Au  m 8MB ,  questions  diverses.  (  II,  io5.  )  yt 

ANNÉE    1 630l 


99 
112 


Au  R.  P.  Mbeskjcne,  questions  diverses.  (II,  104.  ) 
Au  même  ,  idem.  (II,  x  10.  ) 

Au  msue  ,  idem.  (  I ,  113.)  tg0 

A  M.***,  (  Isaac  Bekcmanx  ) ,  touchant  son  indiscrétion.  (II,  a.)  i£i 
Au  même,  sur  divers  sujets  de  physique.  (II,  ia.  ) 

Au  R.  P.  Mkbskwwb,  questions  divergea.  (II,  61.)  

A  M.***  (Ferbieb),  réponse  à  quelques  plaintes.  (  II ,  6a,)  16a 

A  on  R.  P.  de  l'Oeatqibe,  même  sujet.  (II,  63.  ) 

Ao  R.  P.  Mebskhhe,  questions  diverse».  (  H,  74.  )  ,^6 


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55o 


TABLE. 


AN-NÉE   1  63  1 . 

Ad  K.  P.  Mkbsbhnb  ,  questions  diverses.  (  H  ,  65.  )  J79 

Ad  même,  idem.  (  II,  66.  )  i£5 

A  M.*f*  ,  jugement  sur  quelques  lettres  de  Balzac.  (I,  ioo.)  189 

A  M.  de  Balzac,  lettre  d'amitié.  (I,  101.  )  197 

Ad  même  ,  idem.  (  1 ,  102.  )  2oo 

A  M.**',  sur  divers  sujets  de  physique.  (  III,  1 11.  )  ao4 

ANNÉE  l632. 

Ad  R.  P.  Mfksewwe,  questions  diverses.  (Il,  67.  )  108 

Au  même,  idem.  (11,  68.)  aia 

A  M.***  (Goûts),  sur  la  géométrie.  (  II,  69.  )  

Ad  MâMR,idem.  (II,  70..)  220 

ANNÉE    1 633. 

Ad  R.  P.  Mbbjehhe,  questions  diverses. \llt  71.)  aaj 

Ao  même,  idem.  (  1 1,  ga.  )  226 

Al  mi'mk  ,  idem.  (II,  73  .)  2Z0 

Av  MftME,idcm.  (II,  7}.)  355 

Ao  même,  idem.  (II,  75.)  225 

Ad  même,  idem.  (II,  76. )  '  '   afa 

Ap  mêmk,  idem.  (II,  77.)  afo 

Ad  mêmk,  idem.  (II,  80.  )  a5o 

Ad  même,  idem.  (  IJ,  lof.  )  25~ 

A  M.***,  question  astronomique.  (II,  17.)  26i 

années  1 655  et  iô36: 

À  M.  Mobi.-v,  sur  la  lumière.  (I,  57.  )  270 

Ao  R.  P.  Meeseknb  ,  questions  diverse?.  (II,  m.)  275 

A  M.***  (  Va«  11  r  or, helant) h:  )  ,  sur  ics  cercles  qui  paraissent 

autour  d'une  chandel'e.  (  IF,  102.  )  279, 

A  M.*"  (Myoobgb),  questions  diverses.  (II,  io3.  )  a8a 

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TABLE.  55 1 

ANNÉE  l637. 

Au  R.  P.  Mbbsbnnb,  question  de  physique.  (III,  73.)  394 
A  M.  ob  Zuitlichen,  consolations  sur  la  mort  de  sa  femme. 

(I,  306.)  3  3 

A  M.  questions  diverses.  (I,  110.)  3o5 
A  M."*  (db  Zuitlichen  ?),  présent  de  ses  ouvrages  au  roi  et  au 

cardinal  de  Richelieu.  (I,  104.)  3i3 

A  in  R.  P.  Jésuite,  envoi  de  sa  Géométrie.  (III,  36.  )  3i6 

A  M.'",  idem.  (III,  37.)  3i8 

A  un  R.  P.  Jésuite,  idem.  (11,78.)  3ao 

A  UN    GBNTILHOMMB     DE   M.  LB  PBINCE  d'ObANGB  ,  idem.  (II,  ;<_).)  331 

A  M.***  (Pollot?)  questions  de  physique.  (11,  81.)  323 

A  M.***  (de  Zuitlicben)  ,  questions  diverses.  (II,  82.)  5*9 

A  un  R.  P.  Jésuitb  ,  remerciements  de  ses  objections.  (II,  83.)  33a 

A  M.  Plbhpius,  sur  les  objections  de  M.  Fromondus.  (II,  7.)  354 

Au  même,  réponse  aux  mêmes  objections.  (II,  8.)  338 

Au  même  ,  sur  le  même  sujet.  (11,9.)  56a 
De  M.   de  Febmat  au   R.  P.   Mebsenne  ,   sur  la  Dioptrique. 

(111,  36.)  365 

Du  mi' me  au  même,  idem.  (  III,  77.  )  368 

Au  R.  P.  Mebsbnne  ,  idem.  (  III ,  78.  )  07! 
Au    même,  réponse  aux  objections  de  M.  de  Febmat,  sur  la 

Dioptrique.  (III,  79.  )  376 

ANNÉE  l658. 

De  M.  db  Fbbmat  au  R.  P.  Mbbsbnnb,  sur  la  Dioptrique.  (III,  4<>.)  38  f 

Au  R.  P.  Mebsbnne,  idem.  (  III  ,  £i.  )  393 

A  M .  M  ydobcb,  idem.  (  III ,  4a.  )  4oa 

Db  M.  de  Febmat  a  M.  Clebselibb,  idem.  (  III ,  43.  )  410 

Du  même  idem  ,  idem.  (  111 ,  44*  )  4ia 

De  M.  Clbbselieb  a  M.  db  Febmat  ,  idem.  (  III ,  45.  )  431 

De  M.  Rohault  a  M.  db  Febmat,  idem.  (  III ,  46.  )  433 

Db  M.  db  Febmat  a  M.  Clkbsrmeb,  idem.  (III ,  47*  )  44s 

Du  même  au  même  ,  idem.  (III ,  48.  )  449 
De  M.  Clbbsklirb  a  M.  db  Febmat,  idem.  (III,  ^9.)  455 
De  M.  db  Fbbmat  a  M.  db  la  Chambre  ,  idem.  (  III ,  5o.  )  477 
Du  mêmb  aumêmb,  idem.  (III,  5i.  )  485 


55  a  TABLE. 

Du  M.  CLEifiKLiBB  a  M.  de  Fbbmat,  idem.  (  III  ,  5a.  )  5o8 

Dr  mkmk  ai  jii'mf.,  idem.  (  J1I  ,  5JL  ;  5 -x  i 

Réponse  de  M.  db  Fumât.  (III,  5^.)  556 

ANNÉE  lG58. 

Ai  IL  P.  Mebsehhb  ,  sur  la  Dioptriquc.  (IIIt,       )  Tome  VII.  5 

Au  m i  m  k  |  sur  le  livre  de  De  tnaximis  et  minimis  de  M.  de  Fermât. 

(111,  56.  )  fi 

A  M***  (Mvdobcb)  ,  rép.  à  un  écrit  des  amis  de  M.  de  Fermât. 

(111,5*)  !i 

Écbit  de  quelques  amis  de  M.  de  Fermât ,  servant  de  réponse  à 

la  précédente.  (  III ,  5JL  )  25 
Au  R.  P.  Mbbseknb,  sur  l'écrit  précédent.  (111,59.)  25 
Al  m&mb,  sur  les  questions  numériques  proposées  par  M.  de  Sainte- 
Croix.  (111,740  4o 
Au  m£me  ,  sur  les  mathématiques.  (III,  dû.  )  5 î 
A  M.  Habdy,  idem.  (III,  6i.  )  6a 
Au  R.  P.  MaBiEKM  ,  idem.  (  III ,  6a.  ) 

A  M.  de  Febhat,  idem.  (III  ,       )  8_£ 

Au  même,  idem.  (  111,64.  )  &5 

Au  R.  P.  Mbbsbbkb,  idem.  (  111 ,  65.  )  £8 

Au  même  ,  idem.  (  III ,  6JL  )  î  m 

Du  R.  P.  Mebsenkb  ,  idem.  (  III  ,  67.  )  ipj. 

Au  R.  P.  Mbbsbhse  ,  idem.  (  III ,  6JL  )  1^0 

Au  mêhe,  idem.  (  III,  6g.  )  iS^ 

Au  même  ,  idem.  (  III  ,  70^  )  170 

ÏVin  R.  P.  Jésuite  ,  idem.  (  1 ,  55.  )  l8j 

A  uk  R.  P.  Jésuite  ,  idem.  (  1 ,  5JL  )  ujo 

De  M.  Mobik  ,  sur  la  lumière.  (  1 ,  58*  )  202 

A  M.  Mobis  ,  idem.  (  1 ,  59.  )  aôo 

Au  u  km  h  ,  idem.  (  1 ,  60.  )  a5S 

Db  M.  Mobiit ,  idem.  (  Lt  6'-  )  a5g 

A  M.  MoBirr ,  idem.  (J  ,  fii.  )  »2§ 

De  M.  Mobi!»  ,  idem.  (  1 ,  6JL  )  icp 

Au  R.  P.  MEnsEïiifB ,  question  de  physique.  (  I ,  tJï.  )  ùûâ 

AU  M  KM  K  ,  idem.  (I,  74.)  3a8 

De  M.  Plempius,  sur  le  mouvement  du  cœur.  (  1 ,  22±  )  558 

A  M.  Pi.empius  ,  réponse  à  ce  sujet.  (  1 ,  6JL  )  5Jj2 


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TABLE.  555 

Du  mi- me  ,  même  sujet.  (  1 ,  79.  )  36i 

Au  m k me  ,  même  sujet.  (  I ,  So.  )  365 

A  un  R.  P.  Jésuite  ,  diverses  questions.  (  1 ,  1 i4-  )  076 

A  un  a  ut  de  M.  Dbscabtbs,  objections  contre  la  Métbode  et  les 

Météores.  (II,  1.  )  384 
Réponse  de  M.  Dbscabtbs  aux  objections  de  la  précédente.  (  II ,  2.  )  390 


Au  R.  P.  Mrbshîsue  ,  diverses  questions.  (  II ,  8|.  ) 
A  M.  Zuitlichbw,  sur  la  taille  des  verres.  :  11,85.) 

4o5 

410 

A  M.  Pollot,  même  sujet,  fil,  86.) 

4»4 

A  M.***  (Zuitlichbn),  diverses  questions.  (  II,  87.) 

4i7 

Au  R.  P.  Mkesbitnb  ,  idem.  (11,88.) 

4aa 

Au  mêmb,  idem.  (II,  89.) 

427 

Au  même,  idem.  (II,  91.) 

434 

Au  même  ,  idem.  (  II,  ga.) 

Tora.  VIII. 

3 

A  M.***  ,  sur  la  taille  des  verres.  (  II,  93.  ) 

Ad  R.  P.  Mkiiskiïxb,  questions  diverses.  (11,  g4»  ) 

33 

A  M.  Fbbiciclb,  question  arithmétique.  (II,  95.) 

4i 

A  M.  Plkmpics,  sur  des  objections.  (II,  99.  ) 

47 

A  M."**,  sur  le  dessein  d'une  science  universelle.  (II 

,  100.) 

5o 

A  M.***,  sur  les  eaux  fortes.  (II,  101.) 

53 

A  M.***,  sur  la  méthode.  (  I,  34.  ) 

57 

A  M.***,  pour  obtenir  la  grâce  d'un  pavsan.  (1,  108.) 

59 

A  M.***,  sur  la  Physique.  (III,  iu4-) 

63 

Ac  R.  P  Mbiisbunb,  idem.  (III,  io5.) 

65 

ANJVEE  IDjp. 

A  M.***  (Dbsargubs),  question  de  physique.  (II,  a 

7.) 

€7 

Au  R.  P.  Mkbsenne  ,  questions  diverses.  (11,96.) 

7° 

Au  mi-mk,  idem.  (II,  97.) 

83 

Al  mP.uk,  idem.  (II,  g8.) 

S» 

A  M.  db  Bkau.nb,  idem.  (III,  91.) 

101 

Au  R.  P.  Merskn.tk  ,  idem.  (111,84.) 

11a 

A  M.***  (db  Bbaurb),  idem.  (11,  aS.  ) 

îaa 

Au  même,  sur  l'impression  de  sa  Physique.  (H,  36.) 

ia6 

Au  R.  P.  MiiiisRflisK  ,  questions  diverses.  (  1 1,  28.  ) 

12S 

Au  même ,  idem.  (II,  29.  ) 

Au  même,  idem.  (II,  3o.  ) 

i58 

A  M.  Schooten,  mathématiques.  (III,  8a.  ) 

1  i  2 

554  TABLE. 

A  M.**' ,  idem.  (III,  72.)  ,4, 

Ad  R.  P.  Mbbsbkhb,  questions  diverses.  (II,  52.  )  159 

Ao  même,  idem.  (II,  33.)  170 

Au  mêju  ,  idem.  (  II,  34.)  17- 

ANNÉE  l640. 

Ao  R.  P.  M bb  sbkh b  ,  questions  diverses.  (11,35.)  190 

A  M.  Meissoioueb,  sur  la  glande  conarion.  (II,  36.  )  200 

Ad  R.  P.  Mkbsbkrb  ,  questions  diverses.  (11,37.)  202 

Ad  même,  idem.  (11,38.)  ai3 

A  M.  Régics  ,  sur  la  circulation  du  sang.  (  I,  81 .  )  219 

Ad  R.  P.  Mbbsenkb,  diverses  questions.  (11,33.)  229 

A  M.  Dbscabtes,  objections  sur  les  Méditations.  (II,  i5.)  242 

De  M.  Dbscabtes,  réponse  à  ces  objections.  (II,  16  )  26G 

Ad  R.  P.  Mbbsehwb,  sur  la  Dioptrique.  (111,3.)  286 

Ao  R.  P.  Recteur  du  collège  de  Clermont,  idem.  (III,  4.)  288 

A  M.***  (Ziituchbh  ) ,  idem.  (111,107.)  294 

Ao  R.  P.  Mbrsbnnb  ,  questions  diverses.  (II,  4o.)  298 

Ao  même,  idem.  (II,  4*0  3i8 

Ao  MEMB,  idem.  (111,7.)  322 

Ao  même,  idem.  (  111,  9. )  33o 

Ao  R.  P.  Boordin.  (  III,  16.  )  358 

Ad  R.  P.  Mbbsbnrb  ,  questions  diverses.  (II,  43*  )  "  I 1 

Ao  même,  idem.  (II,  43.  )  346 

A  M.  Rbcios  ",  sur  la  circulation  du  sang.  (I,  82.  )  356 

Au  R.  P.  Mbbsbhhb  ,  sur  la  Dioptriquc.  (III,  i3.  )  358 

Ao  mêmb,  idem.  (III,  2.)  366 

Ao  même,  questions  diverses.  (Il,  440  JJ7 

Ao  même,  idem.  (  II,  45.  )  387 

A  en  R.  P.  docteur  de  Sorbonne  (Mbbsb.knb  ) ,  idem.  (11,46.)  3g3 

Ao  R.  P.  Mbbsbkhb  ,  idem.  (H,  47*)  3g5 

Ao  même,  idem.  (11,48.)  397 

Au  mT.mk,  idem.  (II,  49-)  4ul 

Ao  même,  idem.  (III,  i4>)  4o9 

A  M.***,  touchant  sa  Philosophie.  (II,  117.)  4*3 

A  M.'",  questions  diverses.  (II,  118. )  4*7 

A  M.**'  (Zoitucdbh),  en  faveur  de  MM.  Barxics  et  Bloembrt. 

(II,  Si.)  44 


TABLE. 

555 

AU    11.    J  •    :MkBSE1>fc  ,   (JUtïSllUIii>   UAVeraKS»   ^  Al,  .MJ.  ;( 

A  mm 

ANNÉE    1 64  *  • 

Au  même,  idem.  (II,  5i.) 

454 

Au  Htm ,  idem.  (II,  5a.  ) 

440 

A  M***,  consolation  sur  la  mort  d'an  frère.  (I,  107.  ) 

445 

Ao  R.  P.  Mkhskhhe  ,  sur  la  Dioptrique.  (III,  3o.  ) 

448 

Au  même,  réponse  de  M.  Hobbcs  à  la  précédente.  (III,  3a.  ) 

455 

Au  R.  P.  Mbbsbjihb  ,  sur  la  Dioptrique.  (III,  34.) 

474 

Au  mîmr,  réponse  à  la  lettre  de  M.  Ilobbes.  (111,  55.) 

481 

Au  memb,  questions  diverses.  (  H,  58.) 

49 1 

Au  mémb,  idem.  (III,  109.) 

498 

Au  uêub,  idem.  (11,  54») 

5o4 

A  M.  Rbgius,  questions  diverses.  (1 ,  84*  ) 

5n 

Au  m£mb,  idem.  (  1 ,  85.  ) 

5i8 

Au  R.  P.  Mbbsbhhi  ,  idem.  (  III ,  1  aa.  ) 

519 

Au  uêmb,  idem.  (  III ,  ia5.  ) 

5a4 

Au  R.  P:  Mbbsbkhb  ,  idem.  (  II ,  55.  ) 

55 1 

A  M.  ***  (l'abbé  Delauïiay),  sur  l'A  me.  (  11 ,  56.  ) 

555 

Au  R.  P.  Mkbsbsne,  questions  diverses.  (  II ,  5y.  ) 

538 

Aumêmr,  idem.  (  II ,  58.) 

54i 

A  M.  *** ,  sur  l'éducation  de  son  fils.  (  Il ,  go.  ) 

546 

A  M.  Rbgius,  questions  diverses.  (I,  86. ) 

549 

Au  11ÊMB ,  idem.  (  1 ,  87.  ) 

55 1 

■                              •    1               /I       OU  \ 

Au  même  ,  idem.  1  1  ,  00.  J 

0  r>  à 

Au  même  ,  idem.  (  I ,  o5.  ) 

556 

Au  R.  P.  Mbrsbbkb,  idem.  (III,  28.  ) 

5  60 

ANNÉE  l6'|2. 

A  M.  Regius,  sur  la  défense  d'enseigner  ses  principes.  (  1,91.) 

56a 

Au  R.  P.  Mbbsenne,  questions  de  physique.  (III,  n4«) 

564 

A  un  R.  P.  db  l'Obatoihk  ,  questions  de  m  étaphysique.  (I,  io5.)  568 

A  M.  Rbgius  ,  idem.  (  1  ,  90*  ) 

576 

Au  m  1*  mf,  ,  idem .(  1 ,  89.  ) 

579 

Au  même,  idem.  (I,  9a.  ) 

607 

Au  R.  P.  Mebsbnnb ,  questions  diverses*  (Il  ,60.) 

609 

A  M.  Rbgius,  sur  les  persécutions  qu'il  éprouve.  (I,  g5.) 

614 

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556  TABLE. 

A  »|            anr  la  drmissiim  do  II   TiTrnv    (  111     mfi  ^ 

-  V     lli  •               f  OUI    la     \A\ ,  LU  lOO  IUII    Ul/    Ml  •    Uv  1  \J  J  •     1111-,     I  Uv  •  F 

ix  ifi  .  i\fcu  i  us  5  ui  »  t  rs  gii ]  f .  es.  v  1  >  9  r  *  > 

fi*1* 

0  / 

A    J .       ,  ^  dr  zjLirLiLiiE!i  j ,  s  UT  son  livre  uc  nmnuo .  (  1 1 1  ,  i  20.  ) 

Au  R.  P.  DinsT)  à  l'occasion  des  septièmes  objections.  Tome  IX. 

•r 

A  en  R.  P.  .1 1  s  1 1  t  e  (  le  P.  Vatibb  ) ,  diverses  questions.  (  1 ,  116.) 

62 

Au  R.  P*  Mkrsrnke,  idem.  (  III»  ii3.  ) 

7° 

Au  même,  idem.  (II,  109.) 

Du  R.  P.  Mrhskunk  a  M.  Vœtius  ,  sur  les  Méditations,  etc. 

Si 

ANNEE  IO4.}. 

.'v  M.        ^  de  /jUitlicheh  j ,  questions  ue  pnysique.  (11}  110.  y 

»7 

Au  n.  1.  Mersk>->k  ,  mcni.  (11,  lit».  ) 

10a 

A  n  u  £  u  v      î  t  ]  t  »  m      (  W      i  r  i  NI  \ 
/VU   MhMK  j    J  U  L  III  •     ^    Ll  ,    I  UO  .  j 

A   \T     ***      ciir  cri  m   T1 1*  **  1 1  ô  flr»c    Mi*criif*0.    il            f  An  ^ 
/\  1T1  •             ^  9  1 J I    > U 1 1    JL  i  il  11 L  Uc*    (M  ^Uvs*   ^  1  1  1  j    IUO»  J 

1  20 

A     M  \  D  i  M  V     1,1  ]7>P,VTH       PRITf  ritQfllC   PAT.ATtKfK      Hlir    l'iiniofl    llp  l'une 

avec  te  corps.  ^  1 9  2Q«  ^ 

1  2.) 

A    VA    u  £  v  i  r  ■      ni  *  *  m  p  emof      II        'i  Ar  , 
1»   I#*   HRNK  )    Illt-IilC  oUILl.    V  1  î    OWJm  J 

1  29 

A  M.  de  IkiTKHDicTT,  sur  l'existence  de  Dieu,  etc.  (  Il ,  10.  ) 

x35 

A  M.  •**,  questions  de  mathématiques.  (III,  7Q.) 

l5q 

A  la  paiNCBisB  Elizabbth,  idem,    fil,  8o.  ) 

143 

A  la  Mf.MK,  idem.  (III ,  8i.  ) 

»4'9 

ANNEE  1044- 

A  on  R.  P.  Jésiitr,  (III,  17.) 

Db  M.  Bevebovic,  sur  la  circulation  du  sang.  (I,  7S. 

i57 

A  M.  Bevebovic  ,  réponse  à  la  précédente.  (I,  76.) 

i5S 

A  uwR.  P.  JésuiTB  (lb  P.  Mbslakd)  ,  diverses  questions.  (  1,  n5.)  162 

A  un  R.  P.  JésuriB,  idem.  (  III ,  18.  ) 

•74 

A  un  R.  P.  Jésuite  (  le  P.  Ghablet),  envoi  de  sa  Philosophie. 

(  m,  »9-)  >76 
A  un  R.  P.  Jescitb  (lb  P.  Dihbt) ,  idem.  ( III ,  ao. )  178 

A  un  R.  P.  J*soitb,  idem.  (  III,  ai.) 

179 

Au  R.  P.  Ghablbt,  sur  sa  Philosophie.  (  III ,  32.  ) 

180 

A  un  R.  P.  Jésuite,  idem.  (  III,  %Z») 

•  83 

A  un  R.  P.  JiisuiTB,  (III,  34.  ) 

i85 

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TABLE. 

A  i.a  prikcr3sr  Élizabbth,  questions  de  physique.  (  I,  5i.) 

ANNÉE  l645. 
A  M.  l'abri*  Picot  ,  idem.  (III)  1 1 5.  ) 

Au  R.  P.  Mbsland  ,  sur  ses  principes  de  philosophie.  (III,  a5 .  ) 
A  M.  Clbrsblibb,  questions  de  physique.  (  1 ,  117.  ) 

A  LA  PRIfICBSSB  KLIZAR8TH  ,  SUr  SA  Milité.  (I,  30.) 

A  la  mP.mk  ,  même  sujet.    1 ,  34.  ) 
A  la  même,  idem.  (1*5.) 

A  la  mbms  ,  divers  sujets  de  philosophie.  (1,4.) 
A  la  h  me,  idem.  (  I  »  5.  ) 
A  la  même,  idem.  (1,6.  ) 
A  la  même,  idem.  (  ït7«) 
A  la  même  ,  idem.  (1,8.  ) 
Lrttrb  apologétique  aux  magistrats  de  la  ville  d'Utrecht ,  contre 


MM.  Vobtius  père  et  fils.  (II,  i.  )  a5o 

A  M.  Rbgios  ,  sur  son  ouvrage.  (  I  ,  96.  )  3a5 

Au  même  ,  idem.  (  1 ,  97.  )  5a5 

Au  même  ,  idem.  (  1 ,  98.  )  5a8 

A  vh  sRiGifBca,  questions  diverses.  ^  I,  5a.  )  53i 

A  un  sbigrbur,  idem.  (  1 ,  53.  )  336 

A  M."*  ,  idem.  (  I,  109.  )  54a 

A  M.'"  ,  questions  de  mathématique  et  de  physique.  (  11  ,  a3.  )  5^5 

A  M.'",  idem.  354 

A  M.'",  idem.  (III,  110.  )  36a 

ANNÉE  l640. 

A  la  princesse  Éuzabbtii,  questionsde  Métaphysique  et  de  morale. 

(1,9)                          '  366 

A  la  même,  idem.  (I,  10.  )  071 

A  la  même  .  idem.    1 , 1 1.  )  378 

A  la  même,  idem.  (  I ,  ta.  )  585 

A  la  même,  idem.  (  I ,  a5.  )  587 

A  LA  PRINCESSE  LoUISB.  (  I  ,  l4  •  )  3q6 

A  la  princbsjb  Élizarrth  ,  idem.  (  1 ,  2.5.  )  097 

A  LA  PRINCRSSR  LoUISR.  (  I  ,   l6.)  fai 


A  la  princesse  Élizarrtit  ,  sur  sa  santé.  (  I  ,  17.  ) 


557 

186 


189 

19a 

195 

200 

204 

307 
an 
ai5 
22a 
a3o 
a36 


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558  T  A.  BLK. 

A  t*  fbincbssb  Louisb.  (  I  ,  18.  )  4o6 

A  M.  Chahut.  (  1 ,  3a.  )  4o8 

Al/  MÊME.   (I  ,  33.  )  4tL 

Ao  MÊME.  (I,  34.)  4»3 
A  vx  sBiGKEi  b,  questions  de  physique.  (  1 ,  54.  )  4 «8 
A  es  R.  P.  Jésuite  (  le  P.  Noël  ) ,  sur  la  Physique.  (  I ,  n3.  )  4*7 
Au  même.  (  111 ,  5.  )  429 
Au  msmb,  idem.  (  III ,  6  .)  43a 
A  M.***,  réponse  à  un  imprimé  qui  a  pour  litre,  De  duohut  cir- 
cuits. (Il,  18.  )  4^4 
A  M.*'*,  questions  diverses.  (II,  n3.  )  4^8 
A  M.  Clebsbmeb  ,  sur  sa  Philosophie.  (1,  1 18.  )  44l 
A  M.  Dbscartes,  objections  contre  ses  Principes.  II.  l  T.  446 
Réponsi:  aux  objections  de  M.  Lecomte.  (  11,  i4«  )  4q4 
Au  R.  P.  MBBdBRAB  ,  questions  de  mathématique  et  de  physique. 

(111,85.)  5o7 

A  M.  de  Caveh dish  ,  idem.  (  III ,  86. )  5ia 

AM'M,  réponse  à  la  précédente.  (  III ,  88.  )  53o 
Au  R.  P.  Mersbkhb  ,  questions  de  mathématique  et  de  physique. 

(111,89.)  534 

A  M.'  M  (  de  Cavbsdish  ) ,  idem.  (  III ,  90.  )  539 

Au  même  ,  idem.  (  III ,  91.  )  54a 

Au  R.  P.  Mrbsbhhe,  idem.  (  III ,  9a.  )  547 

Au  même ,  idem.  (III,  93.  )  55o 

Au  msmb  ,  idem.  (  III ,  95.  )  555 

Au  même  ,  idem.  (  III  ,  96.  )  563 

AM."'  ,idem.  (III, 99.)  57i 

ANNÉE  l647. 

A  M.  Chakut,  questions  diverses.  (  1 ,  35.  )                   Tome  X.  5 

A  Madabb  idem.  (  II ,  aa.)  aa 
A  M.  Descabtbs  (  de  MM.  les  Curateurs  dé  l'Académie  de  Leyde}. 

(H,l9.)  '  a6 
Au  même  (  de  M.  WBTBucnovBK ,  secrétaire  ).  (  1 1  ,  ao.  )  a; 
A  MM.  lbs  Ccbatbubs  db  l'académie,  réponse  aux  deux  précé- 
dentes. (  II,  ai.  )  a9 
A  M.  Wbvbmchovbr  ,  idem.  (  II ,  a  a .)  35 


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TABLE.  559 

A  M.*** ,  au  sujet  des  précédentes.  (  II ,  114.  ) 

36 

A  la  pbikcbssb  Elizabktb,  idem.  (  I,  1  >.  ) 

4o 

A  M.  Choit  ,  questions  diverses.  (  1 ,  36.  ) 

45 

A  LA  PHMCKSSB  ÉlIZABBTH.     I  ,  20.  ) 

55 

A  LA  MÊMB.  M  ,  21.  ) 

57 

A  la  h  i- 1  >  h  DiStitfDS,  questions  de  philosophie,  (  I,  1.) 

A  M.  Chanut,  idem.  (  I ,  a.  ) 

65 

Dl.  LA  PRI>f  hS*»E  DUS  IBETII  ,  1  Ut:  111  [l  t  •'  1  •  J 

fit 

°7 

A  M.***  ,  remarques  sur  un  placard  imprimé  en  10^7.  (  I  ,  99.  ) 

70 

A  M.  db  Zoitlicbbb  ,  questions  de  physique.  (  III  ,  112.  ) 

1 12 

Au  R.  P.  Mbbsk.nne,  questions  diverses.  (III,  118.  ) 

n5 

A"\"VÉF  l(5i8. 

A  la  PimcBSSE  Élizabbth  ,  sur  un  Traité  de  l'érudition.  (  1 ,  25.  ) 

120 

A  M.  Chahut  ,  sur  les  écrits  envoyés  à  la  reine  de  Suède.  (  1 ,  57.  ) 

123 

A  M."*,  questions  diversesé  (  III ,  12A.) 

127 

A  M.  Chanut.  (  I,  4o«  ) 

A  Là  PBincBSSB  Élizadbtb.  (  I  ,  il.  ) 

i3> 

A  M.  Dbscabtbs  .  questions  de  physique  et  de  philosophie.  (11,3.) 

l37 

REPONSE  A  LA  PRKCBDKHTB,  (  II.  4*  ) 

\L6 

RÉPLIQUE  A  LA  PRKC  KDK.VTK.  (11,5.) 

i5o 

Rirons b  de  M.  Dbscabtks.  (11,6.) 

i56 

r 

A  LA  PBINCBSSB  ElIZABBTH.  (  1  ,  26.  ) 

164 

A  M*** ,  questions  de  mathématiques.  (II,  S?..  ) 

168 

Db  M.  Mobos  ,  métaphysique  (  1 ,  66.  ) 

178 

Rkponsb  dbM.  Dbscabtks,  iJem.  (  1 ,  67.) 

l<;3 

Réplique  db  M.  Morts,  idem.  (1 ,  68.  ) 

209 

Réponse  de  M.  Dbscabtbs  ,  idem.  (  1 ,  60.  ) 

2Ô5 

Db  M.  Mobus,  idem.  (  I  ,  70.  ) 

246 

Du  kAhk  ,  idem.  (  1 ,  71.  ) 

272 

* 

A  M.  Mobus  ,  idem.  (  1 ,  72.  ) 

2Q1 

A  la  princesse  Élizabbtb,  sur  la  mort  du  roi  d'Angleterre,  etc. 

(I,27.) 

297 

A  la  pbihcbssb  Élizabith  ,  sur  son  indisposition.  (I  ,  28.  ) 

302 

A  M.  Chabot,  sur  une  réponse  à  la  reine  de  Suède.  (  1 ,  38.  ) 

307 

A  la  bri. ne  db  Suedb  ,  sur  le  souverain  bien.  (  1 ,  3q.  ) 

3i  1 

Dr  M.  Scbootbb,  mathématiques.  (III,  116.  ) 

3i3 

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560  TABLE. 

Rkporsf  db  M.  Di  cartes,  idem.  (  III  ,117.  )  3i6 

A  M.  Chahut,  sur  son  appel  en  Suéde.  (I,  4a  ,  43.  )  3ao 

A  la  pbircessb  Élizabetb  ,  idem.  (  I  ,  44.  )  327 

A  M.  Chahot,  idem.  (1,45,  46»47«  )  3*9 

A  la  pbpicessb  Élizabbth ,  idem.  (  1 ,  48.  )  333 

A  M.  Fbbirsiibmius  ,  idem.  (  1 ,  49.  )  335 

A  M.  Clbrselibb  ,  sur  la  troisième  méditation.  (  I  ,  119.  )  338 

A  M.  db  Cabcavi  ,  mathématiques.  (  III ,  i5.  )  545 

Dr  M.  de  Cabcati  ,  idem.  (III,  76.  )  545 

A  M.  db  Cabcavi  ,  idem.  (  III,  77.  )  55 1 

De  M.  de  Cabcavi  ,  idem.  (  III  ,  78.  )  56a 

A  la  pbihcbssb  Élizabbth  ,  sur  son  arrivée  en  Suède.  (  1 ,  5o.  )  5;3 

Db  M.  Clbbsblieb  a  M.  H.  Moaos,  philosophie.  (  1 ,  64.  )  379 

Db  M.  Morts  a  M.  Clebselikb  ,  idem.  (  III ,  65.  )  38a 
Db  M.  db  Fbbhat  a  M.  Clebselieb  ,  sur  la  Dioptrique.  (111,43,44-)  38o 

RrpohsbdbM.  Clebselikb,  idem.  (  111,45.  )  4oo 

De  M.  Rohaolt  a  M.  db  Fermât  ,  Dioptrique.  (  III ,  46.  )  4 1 2 

Db  M.  de Pkbmat  a  M.  Clbrselibb,  idem.  (  111  ,47,  48.)  422 

Rrponsb  de  M.  Clebselieb,  idem.  (III  ,  49*  )  4^5 

De  M.  de  Fbbmat  a  M.  de  la  Chambbb,  idem.  (  111 ,  5o,  5i.  )  457 

De  M.'Clbbselieb  a  M.  de  Fbbmat  ,  idem.  (  III  ,  5a ,  53.  )  488 

Réponse  de  M.  de  Febmat,  idem.  (  III ,  54.  )  5i5 

Dr  M.  Clkbselieb,  physique.  (  III,  97.  )  5i8 

Du  même  a  M.  db  la  Force,  métaphysique.  (  III,  ia5.)  538 


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